Tempête irlandaise
6 Mars 2011 Publié dans #ACTUALITÉ
Pendant que l’attention du monde était tournée vers la Libye, un scrutin législatif anticipé se déroulait en Irlande afin que la population puisse exprimer sa volonté de sanction contre le parti au pouvoir depuis des décennies, le Fianna Fail.
Ce dernier était accusé d’être responsable de la faillite financière du pays. Les élections ont donné une large victoire au parti d’opposition de centre-droit Fine Gael avec 36% des suffrages. Le parti centriste Fianna Fail qui dominait la vie politique irlandaise depuis 80 ans n’obtient que 17% des voix et voit le nombre de ses sièges divisé par trois. De son côté, le Labour, a recueilli 20% des voix. Le Fine Gael a donc passé un accord de gouvernement avec le Labour.
Aussitôt, le leader du Fine Gael et prochain chef du gouvernement irlandais a confirmé sa volonté de renégocier le plan de sauvetage conclu avec l’Union européenne et le FMI. Il s’agit d’une part d’obtenir une réduction du taux d'intérêt du prêt que lui a consenti l'UE et d’autre part de ne pas rembourser la totalité des obligations émises par les banques irlandaises.
En effet, la situation financière de l’Irlande est catastrophique : le PIB a baissé de près de 15% depuis 2009, le déficit public a atteint 32% du PIB en 2010 et le taux de chômage est supérieur à 13%, soit deux fois plus qu'il y a 18 mois. Le problème est que l’Irlande est tout simplement incapable, aux conditions qui lui ont été faites, de rembourser le prêt de 85 milliards d’Euros consenti par le FMI et de l’Union Européenne. Si cette dernière acceptait de baisser le taux d'intérêt du plan de sauvetage à 3,8% au lieu de 5,8%, l’Irlande économiserait 3,5 milliards d'euros les trois prochaines années. Or, il est difficile d’expliquer aux Irlandais pourquoi les pays prêteurs, comme l’Allemagne, profiteraient de la crise pour réaliser des plus values financières sur leur dos.
La colère qui règne en Irlande est impressionnante. L’Irlande n’est pas un pays dépensier. Elle a déjà appliqué quatre plans d'austérité successifs ! Les salaires des fonctionnaires ont été baissés de 15% en moyenne ; les allocations sociales ont été abaissées et un nouvel impôt sur les revenus vient d'être imposé pour payer le plan de sauvetage. Le résultat de toutes ces purges nourrit la récession, qui entraîne à son tour la réduction des recettes fiscales et finalement l’impossibilité de réduire le déficit.
Pour noircir encore le tableau, le déficit de l’État est aggravé par le problème des banques irlandaises. Les Irlandais ont découvert que leurs banques étaient en situation de faillite en raison de leurs spéculations immobilières qui se sont retournées contre elles lorsque la bulle immobilière a éclaté. Pour éviter la faillite de ses banques, l’État irlandais a garanti leurs dettes et n’en finit plus désormais de les renflouer. La facture totale pour les contribuables irlandais atteindrait au total 85 milliards d’euros soit 50% du PIB irlandais !
Il s’agit donc pour le gouvernement irlandais d’arracher une baisse de 2% des taux d’intérêt européens et d’obtenir un moratoire sur les 24 milliards d’Euros d'obligations des banques irlandaises qui arrivent à échéance, de manière à n’en rembourser que la moitié.
Les Européens n’ont guère d’autre choix que de céder au gouvernement irlandais.
Si l’Irlande décidait unilatéralement de rembourser partiellement les obligations, elle provoquerait la panique des détenteurs d'obligations des banques portugaises ou espagnoles et une nouvelle crise de la zone euro. Et s’il déclarait qu’il n’est plus en mesure de rembourser sa dette, ç’en serait carrément fini de l’Euro.
Déjà, « malgré lui », le FMI a abaissé jeudi dernier le taux de son prêt à l'Irlande, pour des raisons « techniques ». La Commission Européenne y est plutôt favorable dans la mesure où elle sait que l’Irlande sera de toute façon incapable de rembourser sa dette avec un taux aussi élevé. La Banque Centrale et l’Allemagne y sont opposées, mais il leur faudra céder.
Finalement, la négociation entre l’Irlande et l’Union Européenne montre que les taux d’intérêt sont fonction de la volonté de la population de les accepter ou pas et non de calculs « techniques » qui ne sont que le cache-sexe des rapports de force entre prêteurs et emprunteurs.