The Winter of Discontent
Dans mon blog précédent du 19 mai dernier intitulé « Moved by the Iron Lady » je vous ai donné mes impressions sur ce film consacré à la vie de Margaret Thatcher. Dans celui-ci, je décris les circonstances qui ont précédé son accession au pouvoir, car elles expliquent son attitude rigide vis-à-vis des syndicats, sa popularité et son succès.
Avant cet hiver-là, qui prépara la voie à la victoire de Margaret Thatcher aux législatives de 1979, le gouvernement travailliste de James Callaghan, qui avait succédé à celui d’Harold Wilson, combattait sans beaucoup de succès l’inflation qui avait atteint un sommet de 26,9 % (26,9% !!!!) par an en août 1975. En 1976, il était obligé de solliciter, comme la Grèce aujourd’hui, un emprunt auprès du FMI.
C’était le déclin. Le gouvernement travailliste faisait ce qu’il pouvait avec ses petits bras. Pour tenter de remettre le pays sur les rails, il avait conçu avec le Trade Union Congress (TUC) un « contrat social » prévoyant une politique des revenus qui plafonnait les hausses de salaire à 5% pour lutter contre l’inflation. C’est ce qui déclencha les grèves de l’hiver 1978-1979. L’affaire commença chez Ford qui, sous la menace du blocage de sa production, accorda une augmentation bien supérieure au plafond. Le 28 novembre 1978, le gouvernement annonça des sanctions contre Ford et 220 autres entreprises tout en reconnaissant qu’il n’avait pas la force politique de les appliquer.
Aussitôt, les syndicats se lancèrent dans la brèche ouverte. Les plus rapides furent les camionneurs, membres du TGWU. Ils bloquèrent les livraisons de carburants, contraignant les compagnies pétrolières à leur accorder des hausses de salaire de 15 %. Loin de mettre un terme à leurs revendications, ils entamèrent une grève non officielle à partir du 3 janvier 1979. Les stations services fermèrent leurs portes, des piquets de grève bloquèrent les principaux ports entraînant la mise à pied d’un million de travailleurs. Le gouvernement travailliste finit par céder totalement aux camionneurs en leur accordant une augmentation de 20 %.
Les grévistes de Kingston upon Hull provoquèrent un incident demeuré célèbre en refusant de laisser passer la nourriture pour les animaux, entraînant la mort de nombreux porcs et poulets qui furent déversés par des fermiers ulcérés devant les piquets de grève.
James Callaghan fit beaucoup pour sa défaite électorale le 10 janvier 1979, en pleine grève des camionneurs. Tout joyeux, frais et reposé, il venait de débarquer de Guadeloupe où s'était tenu un sommet entre alliés et il vantait aux journalistes la douceur des baignades dans les eaux des Caraïbes. Coupant court à son autosatisfaction, un journaliste lui demanda comment il voyait la situation chaotique du pays. Le Premier Minstre se contenta d’accuser la presse d’exagérer les faits, ce que le Sun traduisit le lendemain par ce titre assassin: « Crisis? What crisis? Rail, lorry, jobs chaos; and Jim blames press! »
Le gouvernement ayant cédé aux syndicats du secteur privé, ceux du secteur public entrèrent dans la danse. Les conducteurs de train de l'ASLEF et le National Union of Railwaymen avaient déjà entamé une série de grèves de 24 heures lorsque, le 18 janvier 1979, la conférence du Royal College of Nursing décida de demander une hausse du salaire des infirmières de 25 %. Puis le 22 janvier 1979, les syndicats du secteur public organisèrent une grève de 24 heures, ce qui n’était jamais arrivé depuis 1926.
Ce fut le signal d’un feu d’artifice de grèves tous azimuts. Les conducteurs d'ambulance se mirent en grève à la mi-janvier 1979, refusant parfois d'assurer le service des urgences. Le 30 janvier 1979, le gouvernement dût reconnaître que la moitié des hôpitaux du National Health Service ne traitaient plus que les urgences.
L'action la plus emblématique du « Winter of Discontent » fut la grève non officielle des fossoyeurs, membres du GMWU, à Liverpool. Les cercueils s'empilaient dans une usine désaffectée et l’on envisageait, si la situation devait persister, de les immerger dans la mer. Malgré cette menace réfrigérante, les fossoyeurs durent finalement se contenter de 14 % d'augmentation.
De nombreux éboueurs se mirent aussi en grève à partir du 22 janvier 1979, contraignant par exemple le Conseil de la Cité de Westminster à empiler les ordures à Leicester Square qui est situé dans le cœur du West-End de Londres, à la grande satisfaction des rats. Ce fut alors la surenchère, les municipalités les plus à gauche, comme le London Borough of Camden, cédant à toutes les revendications des syndicats.
Ces grèves frappèrent de stupeur la population comme les politiciens, même ceux qui étaient très proches des syndicats. Personne n’aurait jamais imaginé que des actions aussi radicales puissent être possible en Grande-Bretagne. Le Premier Ministre lui-même, James Callaghan, en était décontenancé. Il continua cependant à négocier avec les chefs syndicalistes et parvint à un accord qui, par un heureux hasard que relevèrent les journalistes, fut approuvé le jour même de la Saint-Valentin 1979. Malgré cet heureux présage, il reste que, lorsque les grèves s’arrêtèrent, leur coût s'élevait à prés de trente millions de journées de travail perdues.
Le parti conservateur était divisé. Une partie des conservateurs, dirigée par l’ancien Premier ministre Edward Heath, appelait à soutenir la politique du gouvernement travailliste, à l'opposé de Margaret Thatcher, chef du parti conservateur depuis quatre ans, qui critiquait les grèves et appelait à la fin de l'ingérence gouvernementale dans les négociations entre salariés et patrons et à celle du contrôle des prix. Elle soutenait que la hausse du niveau de vie n'était possible que par une hausse de la productivité, ce qu’empêchait justement les politiques travaillistes et les pratiques syndicales.
Au total, les grèves de l’hiver 1978-1979 modifièrent profondément les intentions de vote. La campagne du Parti conservateur reprit le titre du Sun « Crisis? What Crisis? », lu à la télévision de manière de plus en plus désespérée à mesure qu'étaient diffusées des images montrant les montagnes d’ordures, les usines fermées, les piquets devant les hôpitaux et les cimetières fermés à clé.
Le 3 mai 1979, Margaret Thatcher conduisit les conservateurs à leur plus importante victoire de l'après-guerre, avec 43,9 % des voix et 339 élus, contre 36,9 % et 269 élus aux travaillistes…