Un héros démocratique ou un traître à la République?
9 Août 2014 Publié dans #HISTOIRE
Comment, perdant les élections, le Directoire transforme un héros en traître
Les élections d’avril 1797 furent une catastrophe pour les Conventionnels. À peine onze d’entre eux furent réélus, sur deux cent seize députés, au point que les Républicains n'avaient la majorité que dans dix départements. Le corps législatif élut deux royalistes, Pichegru et Barbé-Marbois aux présidences respectives des Cinq-Cents et des Anciens. Au sein du Directoire, Barthélemy et Carnot s’opposaient désormais au trio de gauche, Barras, La Révellière-Lépeaux et Reubel.
La nouvelle majorité avait pour programme de révoquer les lois révolutionnaires et de limiter la dilapidation des finances en attendant de pouvoir restaurer la royauté qui ne manquerait pas de s’imposer légalement après le prochain renouvellement par tiers des Conseils !
Or, il n’était pas aisé pour les trois Directeurs de gauche de s’opposer à la volonté des assemblées, d’autant plus que la Constitution leur ôtait d’importantes prérogatives, en particulier financières.
La révélation des négociations de Pichegru avec le Prince de Condé fut, dans ce contexte une aubaine pour les trois Directeurs, qui préparaient de leur côté un coup d’État contre les Conseils.
Qui était Pichegru ? il représente dans l’histoire officielle de la France républicaines l’image d’un traître, tandis que Robespierre, Barras ou Bonaparte en seraient les héros, selon la règle d’or qui veut que l’histoire soit écrite par les vainqueurs.
Jean-Charles Pichegru (1761-1804) fait partie de ces talents révélés par la Révolution. Fils de petit cultivateurs, repéré par ses professeurs religieux, il devient répétiteur de mathématiques à l’école militaire de Brienne, puis s’engage dans le régiment d’artillerie de Metz comme simple soldat, participe à la guerre d’Indépendance des Etats-Unis et devient sergent-major avant la Révolution.
Républicain, il se fait élire lieutenant-colonel d’un bataillon de volontaires du Gard, monte rapidement en grade jusqu’à devenir en 1793 général en chef de l’armée du Rhin, où il inflige plusieurs défaites aux Autrichiens et aux Prussiens. Général en chef de l’armée du Nord, il conquiert la Hollande, en particulier en s’emparant de la flotte ennemie grâce à sa cavalerie (1794-1795). Il est alors chargé de l’armée du Rhin et Moselle (1795-1796) qui traverse le fleuve pour s’emparer de la place forte de Mannheim. C’est alors qu’il prend contact avec Condé qui lui promet monts et merveilles s’il aide les royalistes à restaurer Louis XVIII.
En 1795 encore, il réprime l’insurrection des sans-culottes à Paris du 1er avril 1795. Ce fait d’arme lui vaut le titre de Sauveur de la Patrie et d’être nommé général en chef des armées du Rhin, du Nord et de Sambre-et-Meuse. Pichegru est alors le véritable héros de la République.
Mais ses revers sur le Rhin attisent les soupçons de royalisme contre lui. On lui retire son commandement, mais sa popularité persistante lui vaut d’être élu en mars 1797 député au Conseil des Cinq-Cents par les monarchistes du Jura. Il s’impose au sein du Conseil comme le chef de l’opposition royaliste, ce qui lui permet de devenir le Président de ce même Conseil des Cinq-Cents.
Lorsque le Directoire organise le coup d’État du 18 fructidor 1796, ses contacts avec les immigrés sont présentés comme une « conspiration ». Le Directoire en profite pour faire arrêter, non seulement Pichegru, mais tous les dirigeants du parti royaliste qu’il fait déporter en Guyane, dans les déserts de Sinnamary.
Mais Pichegru réussit à s’en évader et à rejoindre Londres après de multiples péripéties. En 1804, il conspire avec Cadoudal et Moreau pour enlever Bonaparte, ce qui aurait fait perdre à l’histoire plusieurs pages glorieuses, mais évité bien des drames. Trahi par « l’ami » qui l’héberge, il est arrêté le 28 février 1804 après s’être énergiquement défendu. Six jours plus tard, il est retrouvé étranglé dans sa prison du Temple, officiellement suicidé. Quel destin !
On notera avec quelle facilité les perdants sont qualifiés de traître et avec quel aplomb le Directoire, comme la plupart des dirigeants politiques, refuse le résultat du suffrage universel lorsqu’il ne leur est pas favorable. Une leçon à retenir par ceux qui croient que des élections peuvent changer la donne politique en France…