Un homme qui nous fait honneur
28 Décembre 2011 Publié dans #HISTOIRE
Le 28 novembre 2011, Hélie Denoix de Saint-Marc a été fait Grand-croix de la Légion d’honneur. C’est un événement extraordinaire pour qui connaît la vie de cet homme remarquable, condamné pour rébellion, dégradé, privé de sa Légion d’Honneur en 1961 et incarcéré durant cinq années à la Prison de Tulle : on peut donc à la fois faire partie des vaincus de l’histoire et être honoré par la République.
Certains le regretteront en soulignant que c’est un rebelle à la République qui est honoré. D’autres souligneront le caractère probablement électoraliste de la remise de sa décoration par le Président de la République dans la cour des Invalides. Pour ma part, c’est la reconnaissance désormais universelle de cet homme de courage, de foi et de dignité, quinze fois décoré, que je souhaite souligner.
Hélie Denoix de Saint Marc est né le 11 février 1922 à Bordeaux. Il entre de manière active dans un réseau de la Résistance dés février 1941, à l'âge de 19 ans (deux ans après, François Mitterrand en était encore à recevoir la Francisque du Maréchal Pétain). Dénoncé, il est déporté au camp de Langeinstein-Zwieberge où il bénéficie de la protection d'un mineur letton qui lui sauve la vie en partageant avec lui la nourriture et en assumant l'essentiel du travail à sa place. Lorsque le camp est libéré, Hélie de Saint Marc fait encore partie des trois pour cent de survivants, mais il gît inconscient dans la baraque des mourants et il a perdu la mémoire.
Il a vingt-trois ans, il prépare l'École spéciale militaire de Saint-Cyr et part en Indochine en 1948 avec la Légion Étrangère. Affecté au poste de Talung, à la frontière de la Chine, au milieu du peuple Tho[1]. Les troupes chinoises de Mao Tsé-toung exercent une pression de plus en plus forte à la frontière, ce qui contraint l’armée française à évacuer le poste et à abandonner le peuple Tho à son sort. Il lui faut donner des coups de crosse sur les doigts des villageois et des partisans qui veulent monter dans les camions, une scène qui se reproduira massivement en Algérie en 1962 aux dépens des harkis. Les survivants qui parviennent à rejoindre les troupes françaises repliées lui raconteront le massacre de ceux qui avaient coopéré les Français. Hélie de Saint-Marc n’a jamais oublié cet abandon qu’il appelle sa blessure jaune.
Lorsqu’il retourne en Indochine au sein du 2e BEP (Bataillon Etranger de Parachutiste) en 1951, c’est pour assister au désastre du repli des troupes françaises de la RC4 qui voit l'anéantissement du régiment frère, le 1er BEP. Il commande alors la 2e CIPLE (Compagnie indochinoise parachutiste de la Légion étrangère) constituée principalement de vietnamiens. C’est à cette époque qu’il fait la rencontre de trois hommes remarquables, qui disparaîtront tous avant la fin de la Guerre d’Indochine :
- Le général de Lattre de Tassigny, haut-commissaire et commandant en chef en Indochine du corps expéditionnaire français en Extrême-Orient de 1950 à sa mort. Épuisé par le surmenage, il ne survit pas longtemps au décès de son fils Bernard, tué au cours de la campagne d'Indochine. Mort à Paris le 11 janvier 1952, il est élevé à la dignité de maréchal de France à titre posthume.
- Le chef d’escadron Rémy Raffalli, un niçois, commandant du 2e BEP, dont un camp militaire en Corse porte le nom. Mort en héros. Après avoir passé ses ordres au commandant Bloch, il commande une dernière fois son bataillon et se porte en première ligne où une balle sectionne sa moelle épinière. Transporté à Saigon, le message radio du 10 septembre 1952 est célèbre. Alors que le 2e B.E.P. est en pleine opération les postes-radio de ses commandants de compagnie grésillent: « Tous de Soleil, tous de Soleil, répondez. ». Lorsqu’ils répondent les uns après les autres, ils entendent le message suivant : « Le commandant est mort... la nuit dernière... à Saigon... »
- L'adjudant Bonnin (auquel pour lui rendre hommage, j’ai consacré la photo de ce blog) dont il écrit ceci : « nom légion : Bonnin, adjudant à 27 ans (très rare) passé obscur, la plus belle figure militaire que j'ai connue. Saute sur une mine le 10 février 1952, avant de mourir dit au cdt de St Marc : « Il vaut mieux que ce soit moi qu'un de mes hommes », 3 séjours en Indo et 16 citations. » C’est à lui qu’Hélie de Saint- Marc a dédié son ouvrage « Les sentinelles du soir ».
À la guerre d’Indochine, perdue, succède pour Hélie de Saint-Marc la période de la Guerre d’Algérie, qui sera l’objet d’un blog suivant.
NB : je dédie cette série de blogs consacrés à Hélie de Saint-Marc à mon ami Jean-Louis Hautier, trop tôt disparu, qui admirait à juste titre l’homme Hélie de Saint-Marc et qui se serait très fortement réjoui du juste retour du balancier historique en sa faveur qui vient d’avoir lieu.
[1] Qui fait partie du groupe ethnique des Viets-Muongs. Les Tho sont aujourd’hui 68 000, soit un pour mille de la population du Viet-Nam.