philosophie
Une science sans signification?
À la découverte de la puissance du concept comme outil scientifique par les Grecs, s'associe par la suite le deuxième grand instrument du travail scientifique, enfanté cette fois par la Renaissance: l'expérimentation rationnelle.
Des expériences avaient eu lieu bien avant la Renaissance, comme les expériences mathématiques dés l’Antiquité grecque à des fins militaires ou au Moyen Age en vue de l'exploitation des mines. Mais ce fut la Renaissance qui éleva l'expérimentation au rang d'un principe de recherche fondamental. Elle s’est imposée comme le moyen de preuve dont avait besoin la science empirique moderne pour être reconnue.
L’expérimentation s’est d’abord développée dans l’art, avec Léonard de Vinci, avant de s’enraciner dans les sciences, sous l'influence de Galilée et de Bacon pour s’étendre à toutes les sciences dites exactes dans les universités italiennes et bataves.
À cette époque, on attendait des miracles de la science. C’est ce qui fait écrire à Swammerdam : "Je vous apporte ici, dans l'anatomie d'un pou, la preuve de la providence divine." La tâche du travail scientifique consistait en effet à trouver le chemin qui conduisait à Dieu. La théologie piétiste de ce temps, notamment celle de Spencer, savait que l'on n'arriverait pas à Dieu par la voie qu’avaient emprunté les penseurs du Moyen Age. Au moment de la Renaissance, on admettait que Dieu était caché, que ses voies et ses pensées n’étaient pas celles des hommes. Mais on espérait que les sciences exactes permettraient d'appréhender physiquement ses œuvres, de découvrir les traces de ses intentions dans la nature…
Qui, aujourd'hui, croit encore que les connaissances astronomiques, biologiques, physiques ou chimiques pourraient nous enseigner quelque chose sur le sens du monde ou même nous aider à trouver les traces de ce sens, si jamais il existe? Au contraire, si l'on cherche des connaissances qui peuvent extirper jusqu'à la racine la croyance en l'existence de quoi que ce soit ressemblant à une « signification » du monde, ce sont précisément les connaissances scientifiques. En effet, comment la science pourrait-elle nous conduire à Dieu? N'est-elle pas spécifiquement a-religieuse? Si bien que la présupposition fondamentale de toute croyance en Dieu implique désormais de s'émanciper du rationalisme et de l'intellectualisme de la science…
Enfin, il est loin le temps où un optimisme naïf célébrait la science, ou plus précisément la technique de la maîtrise de la vie fondée sur la science, comme le chemin qui conduirait au bonheur[1]!
Quelle est en définitive le sens de la science en tant que vocation, puisque toutes ces anciennes illusions qui voyaient en elle le chemin qui conduit à l'« Être véritable », à la vraie nature », au « vrai Dieu » ou au « vrai bonheur » se sont écroulées au cours du temps? La réponse la plus simple est de convenir que la science n’a pas de sens, puisqu'elle ne donne aucune réponse à la seule question qui importe : « Que devons-nous faire? Comment devons-nous vivre?».
Pour donner toute sa signification à ce « non-sens » de la science, il reste cependant à se demander en quel sens elle ne nous donne «aucune» réponse?
La science a t-elle un sens pour l'homme?
Nous avons conclu notre blog sur « Le métier de chercheur », le 29 juin dernier, en observant que l’on ne peut accomplir un travail scientifique sans espérer en même temps que d'autres iront plus loin et que ce progrès est supposé se prolonger à l'infini.
Dès lors, quelle est la signification de la science? Il n'est pas évident qu'un phénomène qui suit une loi de progrès permanent ait un sens pour l’homme. Pourquoi un scientifique serait-il prêt à consacrer sa vie à une occupation qui, par définition, n'a jamais de fin?
Pour pouvoir répondre à cette question, il faut considérer le progrès scientifique dans le cadre du long processus d'intellectualisation de l’être humain depuis des millénaires. Ce processus le conduit à penser qu’il est capable, s’il le veut, de maîtriser toute chose en ce monde. En contrepartie, il le conduit aussi à faire disparaître tout mystère, tout phénomène surnaturel de son univers, en d’autres termes à désenchanter le monde.
Ce double mouvement, maîtrise de toute chose et désenchantement du monde, agit directement sur le sens que prend la vie pour l’homme et par conséquent sur le sens de sa mort. Est-ce que la mort de l’homme a un sens pour l’homme moderne?
Non, elle ne peut pas en avoir parce que sa vie individuelle est immergée dans le « progrès infini ». Pour celui qui vit dans le progrès, il existe toujours la possibilité d’un nouveau progrès. C’est ainsi que celui qui est atteint d’un cancer a toujours l’espoir qu’une ultime découverte lui permettra d’obtenir un sursis. Autrefois, les paysans mourraient « vieux et comblés par la vie » parce qu'ils se sentaient intégrés dans le cycle organique de la vie qui leur avait apporté tout le sens qu'elle pouvait leur offrir. L'homme moderne, au contraire, installé dans le mouvement d'une civilisation qui s'enrichit continuellement de pensées, de savoirs et de problèmes, peut se sentir « las » de la vie mais jamais « comblé » par elle.
Quel est donc le sens du progrès scientifique qui fasse que l’on puisse mettre sa vie à son service? Cela revient à se poser la question de la valeur de la science pour l’homme. Cette dernière a beaucoup évolué dans le temps. Rappelez-vous cette merveilleuse allégorie du début du septième livre de la République de Platon, les prisonniers enchaînés dans la caverne. Leur visage est tourné vers la paroi du rocher qui se dresse devant eux, si bien qu’ils ne peuvent pas voir la source de lumière qui les éclaire et qu’ils sont condamnés à ne s'occuper que des ombres qu’elle projette sur la paroi. Il ne leur reste qu’à faire des conjonctures sur les relations qui existent entre ces ombres.
Puis l'un d'eux réussit à briser ses chaînes; il se retourne et voit le soleil. Ébloui, il tâtonne, il va en tous sens et il balbutie à la vue de ce qu’il découvre. Ses compagnons le prennent pour un fou. Petit à petit, il s'habitue à regarder la lumière. Cette expérience faite, il ne lui reste plus qu’à redescendre parmi les prisonniers de la caverne afin de les conduire vers la lumière. Il est le philosophe, pour qui le soleil représente la vérité de la science. Son but n'est pas seulement de connaître les apparences et les ombres, mais l'être véritable.
Est ce que cette parabole décrit notre attitude actuelle devant la science? On a l’impression que c’est le sentiment inverse qui prévaut : les constructions intellectuelles de la science sont vues comme un royaume irréel d'abstractions artificielles qui s'efforcent de recueillir dans leurs mains desséchées le sang et la sève de la vie réelle, sans jamais y réussir. On croit de nos jours que c'est précisément dans cette vie, qui aux yeux de Platon n'était qu'un jeu d'ombres sur la paroi de la caverne, que palpite la vraie réalité. Tout le reste, estime-t-on aujourd’hui, n'est que fantômes inanimés et rien d'autre.
Comment s'est opérée cette transformation? L'enthousiasme passionné de Platon s'explique par la découverte, réalisée à son époque, du sens de l'un des plus grands instruments de la connaissance scientifique: le concept. Le mérite en revient à Socrate qui en a saisi tout de suite l'importance. Mais il ne fut pas seul dans le monde à l'avoir compris : dans les écrits hindous, on peut trouver des éléments d'une logique tout à fait analogue à celle d'Aristote. Mais ce furent tout de même les Grecs qui les premiers surent utiliser cet instrument qui permettait de coincer quelqu'un dans l'étau de la logique de telle sorte qu'il ne pouvait s'en sortir qu'en reconnaissant, soit qu'il ne savait rien, soit que telle affirmation représentait la vérité et non une autre. Ce fut là une expérience extraordinaire qui laissait croire qu'il suffisait de découvrir le vrai concept du Beau, de l'Ame ou de tout autre objet, pour être à même de comprendre aussitôt leur être véritable. Connaissance qui à son tour permettrait d'enseigner comment on devait agir correctement dans la vie, notamment en tant que citoyen, puisque les Grecs ramenaient tout à la question politique. Ce sont d’ailleurs des raisons politiques qui les conduisirent à s'occuper de la science.
À cette découverte de l'esprit hellénique s'associa par la suite le deuxième grand instrument du travail scientifique, enfanté par la Renaissance: l'expérimentation rationnelle.
(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)
Le métier de chercheur
On ne fait pas le métier de chercheur sans passion. Si elle ne suffit pas à obtenir des résultats, elle est la condition préalable à « l'inspiration » qui est seule décisive. On croit que la science n’est faite que de raisonnements et de calculs que l’on effectue dans des laboratoires et des bureaux et que l’on produit à la chaîne. Mais Il faut qu’il s’y ajoute l’inspiration pour qu’un chercheur soit capable de proposer quelque chose de valable.
Cette inspiration, on ne peut pas la forcer. Elle n'a rien à voir avec un froid calcul. Elle est une condition indispensable au même titre que la passion. S'il ne vient pas au chercheur une «idée » précise orientant ses hypothèses et si, pendant qu’il fait des calculs, il ne lui vient pas une « idée » concernant la portée des résultats obtenus, il n’ira nulle part.
Cette inspiration ne vient normalement qu'après un travail acharné, mais il n’en est pas toujours ainsi. N’importe qui peut avoir des intuitions, encore faut-il être capable de vérifier, d'apprécier et d'exploiter la portée de son intuition. C’est pourquoi l'inspiration ne remplace pas le travail, mais ce dernier, pas plus que la passion, ne peut remplacer ni forcer l'intuition. Il reste que le travail et la passion sont de nature à provoquer l’intuition, surtout ensemble.
Le problème est que l’intuition ne jaillit pas quand nous le voulons, mais seulement quand elle le veut. Il est exact que nos meilleures idées nous viennent lorsque nous sommes tranquillement assis dans un fauteuil ou lorsque nous nous promenons. En tout cas elles viennent au moment où nous ne nous y attendons pas et pas du tout pendant le temps où, assis à notre table de travail, nous nous creusons la cervelle et faisons des recherches. Il est vrai aussi qu’elles ne nous seraient jamais venues si auparavant nous n'y avions pas pensé sans arrêt devant notre table de travail et si nous n'avions pas cherché avec passion une réponse…
Quoi qu'il en soit, le chercheur est obligé de compter avec le hasard sous-jacent à tout travail scientifique: l'inspiration viendra-t-elle ou non? On peut être un travailleur remarquable et n'avoir jamais eu une inspiration originale. Et il en est de même dans les activités économiques : un commerçant ou un industriel sans inspiration ou sans intuition se révéleront incapables de créer de nouvelles formes d'organisation, de nouveaux produits ou services. D’un côté l'intuition ne joue pas dans les sciences un rôle plus considérable que dans les problèmes pratiques, mais d’un autre côté elle est aussi importante dans le domaine scientifique que dans les activités artistiques.
En effet, c'est une idée naïve de croire qu'un chercheur assis à sa table de travail peut parvenir à un résultat utile à la science en rassemblant des données ou en faisant des calculs. Lorsqu’on l’observe, l'imagination scientifique est différente de celle d’un artiste, mais le processus psychologique est le même dans les deux cas, fondé sur l'exaltation et l’inspiration.
Il reste que le travail scientifique diffère profondément de celui de l'artiste en ce sens qu’il est solidaire d'un progrès. Une oeuvre d'art vraiment achevée ne sera jamais surpassée et ne vieillira jamais. Alors que, dans le domaine scientifique, tout chercheur sait que son travail aura vieilli d'ici cinq ou dix ans. Car tout travail scientifique n'a d'autre sens que celui de faire naître de nouvelles questions, en d’autres termes il contient en lui-même les germes de son vieillissement et dépassement.
On ne peut accomplir un travail scientifique sans espérer en même temps que d'autres iront plus loin, et, en principe, ce progrès se prolonge à l'infini.
(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)
La leçon de Sisyphe
Le mythe dit que les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu'au sommet d'une montagne d'où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu'il n'est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir. Pourquoi l’avaient-ils condamné à cette terrible punition, nul ne sait, on se perd donc en conjectures…
On a compris que Sisyphe est le héros absurde. Pauvre Sisyphe ! on voit tout l'effort de son corps tendu pour soulever l'énorme pierre, la rouler et l'aider à gravir une pente cent fois recommencée ; on voit le visage crispé, la joue collée contre la pierre, le secours d'une épaule qui reçoit la masse couverte de glaise, d'un pied qui la cale, la reprise à bout de bras, la sûreté tout humaine de deux mains pleines de terre. Tout au bout de ce long effort mesuré par l'espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint.
Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d'où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine. Il redescend d'un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure est celle de la conscience et, si cette histoire est tragique, c'est que son héros est conscient : Sisyphe, prolétaire des dieux, impuissant et révolté, connaît toute l'étendue de sa misérable condition.
Il sait par contre qu’il n'est pas de destin qui ne se surmonte par le mépris.
Si la descente se fait certains jours dans la douleur, elle peut se faire aussi dans la joie. Quand les images de la terre tiennent trop fort au souvenir, quand l'appel du bonheur se fait trop pressant, il arrive que la tristesse se lève au cœur de l'homme : c'est la victoire du rocher. L'immense détresse est trop lourde à porter. Mais les vérités écrasantes périssent d'être reconnues. Le bonheur et l'absurde sont deux fils de la même terre. Ils sont inséparables et il arrive que le sentiment de l'absurde naisse du bonheur. Il n'y a pas de soleil sans ombre et il faut connaître la nuit. L'homme absurde dit oui et son effort n'aura plus de cesse.
Toute la joie silencieuse de Sisyphe est là. Son destin lui appartient. Son rocher est sa chose. À cet instant subtil où l'homme se retourne sur sa vie, Sisyphe, revenant vers son rocher, contemple cette suite d'actions sans lien qui devient son destin, créé par lui, uni sous le regard de sa mémoire, et bientôt scellé par sa mort. Aveugle qui désire voir et qui sait que la nuit n'a pas de fin, il est toujours en marche.
Il arrive au sommet. Le rocher roule encore : il sait qu’il retrouvera toujours son fardeau. Mais cet univers ne lui paraît ni stérile ni futile, car la lutte vers les sommets, la remontée du rocher, suffisent à remplir son cœur d'homme : Il faut imaginer Sisyphe heureux.
NB : ce texte est librement adapté de l’essai d’Albert Camus, « Le mythe de Sisyphe », écrit en 1942.
Le débat entre la raison et l'intuition
Puisque c’est dimanche, on peut s’offrir le luxe de s’intéresser à des sujets tout à fait gratuits et parfaitement abstraits. C’est le cas du débat entre la raison et l'intuition qui est celui qui oppose et unit à la fois la pensée grecque et le christianisme.
On a longtemps pensé que le christianisme avait occulté la pensée grecque au point qu’il avait fallu attendre la Renaissance pour que cette dernière reprenne toute sa place dans notre civilisation. Or la pensée grecque n’a jamais cessé d’exercer son influence sur la pensée européo chrétienne.
Dés le IIe siècle en effet, les Chrétiens ont incorporé la raison grecque dans leur doctrine au travers de la recherche méthodique de la vérité. Le christianisme enseigne que le salut de l’homme ne peut être trouvé que par l’écoute de la Parole divine, la seule qui, selon lui, puisse éviter à l’homme de se perdre sur des chemins sans issue. Mais il ne renie pas pour autant l’antécédent de la philosophie grecque dans la recherche de la vérité[1]. C’est ce que professe le philosophe grec Justin, ultérieurement converti au christianisme, lorsqu’il rappelle que l’homme a commencé par chercher son salut au travers de la connaissance jusqu’à ce qu’il comprenne, au travers de l’enseignement chrétien, qu’il ne pouvait vraiment la trouver qu’à l’aide de la Révélation divine. En effet, pour Justin et pour tous les philosophes chrétiens qui lui succéderont, c’est la Foi en Dieu qui permet à l’homme de s’approcher d’une Vérité révélée qui brave par nature la raison humaine.
Par rapport à la pensée grecque, qu’apporte de nouveau le christianisme au moment où il émerge ? Il transmet, par l’Évangile, un appel adressé à tous les hommes à rénover leur être. Pour lui, c’est une rénovation qui ne peut pas s’appuyer exclusivement sur la raison humaine, car cette dernière ne peut pas trouver en elle-même les ressorts qui lui permettraient de se dépasser. Cet appel est justifié par le postulat que le Salut de l’homme nécessite la rénovation de son être et que cette rénovation implique un dépassement par rapport à ses limites actuelles. Il est remarquable que Platon soit précédemment arrivé à la même conclusion, lorsqu’il a montré dans ses Dialogues que la recherche objective et rationnelle de la vérité ouvre de tels horizons à la pensée que la raison se révèle incapable d’en prendre la mesure. Ne pouvant se résoudre à ce qui aboutissait à une capitulation de l’esprit, Platon s’en était sorti par une pirouette intellectuelle en recommandant, lorsque l’on se trouvait dépassé par les questions sans réponse engendrées par la recherche de la vérité, de se raccrocher aux mythes fondateurs de la pensée humaine. Il postulait de la sorte que ces mythes étaient intrinsèquement vrais, car aucune démonstration ne pouvait le prouver.
Face à cette limite générale de la pensée humaine que l’on retrouve aujourd’hui dans celles de la pensée scientifique, le christianisme offre une tout autre approche : Il considère que l’aspiration de l’âme à dépasser les limites qu’impose la raison est primordiale pour progresser vers la vérité. Pour le christianisme, seule la Vérité révélée par la Parole de Dieu peut répondre aux aspirations les plus profondes de l’âme. Or cette vérité ne s’adresse pas à la raison, fondamentalement incapable de l’accepter, mais à une autre force de l’âme, la force de croire, autrement dit la Foi. Seule cette dernière permet à l’homme de persévérer dans son Être, de réussir à se dépasser et de se mettre sous la tutelle de Dieu. Pour autant, le christianisme ne renie pas le rôle de la raison. Si le salut de l’homme présuppose bien une prise de conscience, cette dernière ne permet pas à elle seule de sauver l’homme, il y faut aussi la Foi.
Lorsque les Chrétiens déclarent que ce n’est pas la Foi qui est irrationnelle mais la raison lorsqu’elle ne se fonde pas sur la Foi, ils proposent un paradoxe qui mène à une nouvelle théorie de la connaissance et des valeurs. C’est à ce titre que les pensées grecque et chrétienne, si elles poursuivent toutes deux la recherche de la vérité, divergent dans leurs buts et dans leurs moyens : la première poursuit la connaissance de l’Être par la recherche méthodique de la vérité issue de la raison humaine, la seconde se consacre au salut de l’Être par la révélation de la vérité au travers de la Foi.
L’opposition entre les deux pensées s’atténue lorsque l’on examine le sens que les Chrétiens donnent à la notion de Foi. Comme le christianisme postule que l’homme est un être rationnel et libre, il ne peut s’agir d’une Foi aveugle mais d’un acte de raison qui remplit l’âme de lumière, à condition d’accepter que la vérité révélée puisse braver la raison humaine. Car cette Vérité se trouve dans la Parole de Dieu ce qui signifie qu’elle est substantiellement ineffable.
Le rationalisme ne peut pas accepter la thèse chrétienne, qu’il accuse de mener à une capitulation de la raison. Comment admettre en effet l’idée que la raison renonce à expliquer l’inexplicable ? Pourtant il le faut, réplique le christianisme, car la raison humaine s’est heurtée de tout temps, aujourd’hui comme hier, à son incapacité à tout expliquer. De plus, la raison ne suffit pas à l’esprit humain qui fait appel tout autant à l’intuition qu’à la raison. Or c’est justement à l’intuition que fait appel le christianisme, une intuition qu’il appelle « Foi », en demandant au fidèle à accepter intuitivement les vérités « révélées » tout en lui demandant, une fois qu’il a accepté ce préalable, d’expliciter sans cesse ces vérités révélées, d’en saisir le sens et le contenu.
Tout le débat porte finalement sur la nécessité pour l’esprit humain d’accepter d’intégrer l’impensable, non dans sa raison mais dans son être. Mais il reste que la philosophie grecque et la doctrine chrétienne partagent l’idée qu’il est nécessaire de toujours faire appel à la raison pour approcher au plus prés de la vérité, la première en faisant l’outil exclusif de la vérité, la seconde y mettant comme préalable l’intuition, qu’elle appelle la Foi.
[1] On peut se référer à une bonne partie de mes Blogs dans la catégorie « Philosophie » qui sont consacrés à la recherche de la vérité sous ses diverses formes au cours du temps.
Quels que soient les voeux que je formule pour vous...
…UN MOT D'ORDRE, RESTEZ DETERMINÉ!
Pour vous y aider, je vous offre quelques maximes à faire vôtre:
- Tout d’abord, observez avec Hugh Latimer que « la goutte de pluie fait un trou dans la pierre, non par sa force mais par sa répétition ».
- Souvenez vous ensuite de cette pensée profonde de Calvin Coolidge : « Rien dans le monde ne peut remplacer la persévérance. Le talent ne le peut pas : rien n’est plus courant que des ratés bourrés de talents. Le génie ne le peut pas : les génies méconnus sont légion. L’éducation ne le peut pas : le monde est plein d’épaves érudites. Mais la persévérance et la détermination sont toutes-puissantes ».
- Prenez en compte aussi, avec Edmund Burke, que « l’obstination est certainement un grand défaut, mais malheureusement il se trouve que presque toutes les grandes vertus, la constance, le sérieux, la mansuétude, le courage, la fidélité et la fermeté sont étroitement reliés à cette qualité désagréable qu’est l’obstination ».
- C’est que confirme Nelson Mandela, en observant que « tout paraît toujours impossible jusqu’à ce que cela soit réalisé ».
- Et c’est pour cela que « la meilleure façon de s’en sortir est toujours d’aller jusqu’au bout » (Robert Frost).
- Croyez-en une personne expérimentée comme Robert Frost, qui n’a pas peur d’écrire cette phrase définitive : « En deux mots, je peux résumer tout ce que j’ai appris de la vie : elle continue ».
- Nous pouvons également croire Mac Arthur, lorsqu’il observe que : « l’âge ride le corps, mais c’est le renoncement qui ride l’esprit ».
Sur ces bases, je vous adresse quelques conseils pour l’action à mener cette année, comme pendant les années suivantes :
- Le premier principe est édicté par Winston Churchill, maître ès résistance : « Ne capitulez jamais. Ne capitulez jamais, jamais, jamais, jamais. En rien, ni globalement ni en détail, que ce soit important ou secondaire, excepté s’il s’agit de raisons d’honneur ou de bon sens. Ne cédez jamais à la force !».
- Car il est vrai, comme l’observe Stephen Kaggwa que vous pouvez bien « essayer et échouer, mais en aucun cas vous ne devez manquer d’essayer ! ».
- Et si vous vous demandez « combien de fois vous devez essayer ? » Jim Rohn vous répond sobrement mais avec force « Jusqu’à ce que ! ».
- Pour cela, vous n’avez qu’à suivre les recommandations de Dorothy Fields : « Relevez-vous, secouez-vous et recommencez ! »
- Car il est certain, comme l’affirme un proverbe bouddhiste, que « si nous allons dans la bonne direction, tout ce que nous avons à faire est de continuer à avancer ».
- Même Napoléon nous le confirme en nous rappelant que « la victoire appartient à celui qui a le plus de persévérance ».
Pour conclure, je vous recommande personnellement de faire très attention à ce que vous voulez, car vous pourriez bien l’obtenir !
Sommes nous libres?
Tout d’abord de quoi parle t-on? de quelle liberté s’agit-il ? la liberté positive ou la liberté négative? la première concerne notre capacité à agir selon notre propre volonté et la seconde, notre capacité à agir sans subir la contrainte des autres.
Quelqu’un est libre dans le sens positif du terme lorsqu’il contrôle sa vie. Si nous ne sommes pas libres, ce sont nos désirs et nos passions qui nous l’interdisent[1].
D’un autre côté, nous sommes libres au sens négatif du terme lorsque personne ne nous empêche d’agir, soit en rendant impossible notre action, soit en exerçant une pression sur nous[2]. En ce dernier sens, est ce que nous sommes empêchés de faire ce que nous voulons dans notre société en ce début du XXIe siècle, oui ou non ?
Oui, nous sommes empêchés.
Dés l’enfance, nous sommes enfermés dans un système éducatif qui nous opprime parce que, malgré tous nos efforts pour adhérer à ce que les adultes nous proposent, nous n’en comprenons ni la logique ni l’efficacité. Pourquoi nos professeurs nous crient-ils dessus au lieu de nous encourager? Pourquoi sont-ils si souvent absents, s’ils veulent nous enseigner? Cela ne leur plait pas de nous faire cours? Pourquoi font-ils ce métier alors? Est-ce cela la vie adulte, de faire ce que l’on n’aime pas, de se planquer et de tricher? Pourquoi laisser les élèves sans formation, incapables de lire ou d’écrire? Pourquoi les laisser copier si on veut qu’ils apprennent? Pourquoi ne prend–on aucune mesure contre les perturbateurs? Pourquoi faire semblant d’enseigner ce que l’on ne s’est pas donné les moyens de nous apprendre ? Comment se fait-il par exemple que les enfants ne sachent pas parler une langue après sept ans d’études ? Peut-on croire après ce long enfermement souvent déstabilisateur que représentent les études, que l’on a été préparé efficacement à faire face à la vie adulte?
Adultes, nous sommes confrontés à une vie que nous ne maîtrisons pas. Notre salaire est le plus souvent trop faible pour nous donner les moyens d’être libre, au sens économique du terme. Nous empruntons, nous nous serrons la ceinture.
Si nous sommes dans l’administration, nous revoilà confrontés à une logique de l’inefficacité qui nous rappelle l’école. Nous avons choisi ce métier pour disposer au moins d’une liberté, celle du salaire assuré, même faible. Mais du coup, nous nous sommes privés de toutes les autres libertés, qui commencent par celle de changer ce qui nous paraît absurde. Rien à faire, tout est trop rigide, trop lourd, hors de notre portée.
Si nous sommes employés dans le privé, nous pouvons parler, mais nous sommes menacés à tout moment de licenciement. La peur nous oblige à subir. Si nous avons choisi la liberté du travail individuel, agriculteurs libres dans sa ferme, artisan qui choisit son emploi du temps, commerçant maître à bord de son entreprise, médecin fier de sa vocation, avocat libre de causes et de paroles, profession libérale adoubée par ses pairs, c’est le triple système économique, fiscal et social qui nous oppresse. Nous voilà à la merci d’un changement de prix des céréales, livré aux contrôles sinon à la persécution d’une administration qui multiplie les règlements, les procédures et les précautions, subissant l’évolution des professions sous la pression de la concurrence mondiale.
Collectivement, nous avons l’impression d’être ballotté par des forces qui nous échappent : la mondialisation qui détruit nos emplois, l’Europe qui ouvre toute grande ses portes aux produits étrangers au lieu de nous protéger dans son cocon, l’installation de populations étrangères toujours plus nombreuses, les manœuvres de la finance qui s’empare de nos richesses.
Non, nous ne sommes pas libres du tout. D’autant plus qu’au-dessus de nous, nous sentons la présence d’un État qui nous traite comme s’il avait affaire à des enfants difficiles à contrôler. Il prend des impôts, il fabrique des déficits, il distribue des subsides, il nous enserre dans un filet de règlements, il nous tance en permanence comme si nous étions des irresponsables à ceinturer ou des égoïstes à punir, tout en nous racontant que tout va bien, qu’il suffit de nous laisser conduire par nos chefs.
Ceux-là on sent bien qu’ils se sont installés aux commandes sans notre permission. Mais eux non plus ne sont pas libres, il faut que chacun d’entre eux, du Président au journaliste, respecte les règles du système, sinon, pfuit ! Éjecté du sommet de la société! À nous, on nous annonce que nous sommes dans une démocratie, ce qui veut dire officiellement que c’est le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple[3]. On est donc censé voter pour les chefs que l’on veut, et là il y aurait bien un espace de liberté si on pouvait vraiment les sélectionner, mais c’est impossible, ils se sont arrangés entre eux pour se partager le pouvoir auquel nous n’aurons jamais accès. On ne peut pas les choisir, on le voit bien, puisque l’alternative qui nous a été offerte, c’était Sarkozy ou Royal et c’était tout. Alors la prochaine fois, toute notre liberté ce sera de désigner soit Sarkozy soit Strauss-Kahn? c’est tout ce qui nous est concédé comme liberté, une fois tous les cinq ans, rien quoi.
Alors quelles libertés nous reste t-il ? Il nous reste celle de râler dans notre coin, de manifester de temps en temps, ce qui fait chaud au cœur quand on voit tous ces gens rassemblés qui partagent notre destin. Mais notre sentiment de puissance ne dure guère, une après-midi, une journée, et puis on rentre au bercail. Il nous reste aussi, si on en a le courage et l’opportunité, la possibilité de partir ailleurs, mais on sent bien que le système est universel et qu’il nous rattrapera, où que nous allions.
Bien sûr demeure la liberté d’ignorer ces contraintes, de faire comme si elles n’existaient pas. L’enfant qui rêve en classe, l’employé qui accepte le metro-boulot-dodo et le chômage, le vieux qui file sans brocher dans sa maison de retraite, occultent la tyrannie du monde. Ils acceptent les contraintes que les autres leur imposent sans se révolter. Car ils savent que c’est un combat perdu d’avance. Qui l’a jamais gagné ? il n’y a plus de révolution, ni même d’idéal. La religion n’est qu’une consolation à usage personnel. Ils fuient les informations. Ils se replient sur le petit monde où ils peuvent agir. Ils s’emparent des libertés qui leur reste, circuler, parler, manger, rire, jouer, fumer dehors, boire en cachette, s’offrir en douce un joint, et ils les magnifient. Ce sont les vraies libertés, proclament-ils, les autres, celle de vivre à sa guise, de ne pas se sentir menacé dans son travail, ses biens ou même sa vie, de se sentir en accord avec la société dans laquelle on vit, ce sont des libertés illusoires puisqu’elles sont hors d’atteinte.
Ils se replient sur la liberté positive. Accepter le monde. Il ira où il doit aller. Devenir Zen. S’occuper de sa vie, trouver son équilibre à soi. Faire en sorte que la raison parle à la passion pour lui dire que tout ce qui m’est interdit n’est pas le fait de la stupidité, de la cupidité ou de la violence des hommes, mais la loi du monde.
Et s’endormir sur cette pensée réconfortante.
Que fait le marketing?
Certains lecteurs de ce blog m’ont parfois reproché de ne jamais y traiter du marketing ou du management. C’est que je l’enseigne quotidiennement et je souhaite que ce blog soit l’expression de l’ensemble de mes préoccupations et qu’il soit un lieu de partage d’idées sur le monde et sur la vie en général. Mais après tout, le marketing et le management n’ont pas lieu d’en être totalement exclu et je m’essaie aujourd’hui à un premier blog sur le sujet.
S’il ne peut pas être exclu de nos préoccupations d’ordre général, c’est que les techniques du marketing contribuent fortement à modifier le monde dans lequel nous vivons. Par exemple, l’utilisation du téléphone portable, qui nous est tout à fait indispensable aujrd’hui, nous était inconnue il y a quinze ans. Or, si on nous privait maintenant de ce jouet qui est devenu un élément indispensable de notre vie courante, nous manifesterions dans la rue en masse. La technologie et ses évolutions a un effet majeur sur les changements de notre façon de vivre, mais chaque innovation technique est adossée à un immense effort de persuasion qui fait appel aux techniques du marketing.
Même en dehors des changements technologiques, le marketing ne crée pas de besoin, mais il influence fortement nos choix par exemple dans le domaine vestimentaire ou pour nous mobiliser pour des causes humanitaires, pour prendre deux exemples parmi mille. Il fait tout ce qu’il peut pour peser sur notre comportement, en ce qui concerne la consommation mais aussi en politique, ou en matière de santé. Ce qu’il cherche à faire, c’est nous faire acheter un produit et tout aussi bien nous faire voter pour quelqu’un ou nous pousser à ne plus fumer ou à trier nos déchets. Dans le domaine public, il vient au secours de la loi afin d’obtenir de nous une adhésion plus volontaire que contrainte.
Bien sûr, il ne peut pas aller tout à fait contre nos attentes ou nos désirs. Il doit en tenir compte, mais il peut les orienter et il ne s’en prive pas ! Tout est dans le symbole, c’est-à-dire la signification que chacun d’entre nous donne à son achat ou à tout autre acte.
Par exemple, si j’achète des chaussures Nike, je sais bien que je ne vais pas courir plus vite que si j’achète des chaussures Reebok ou Adidas. Mais avec ces chaussures Nike, « j’écris le futur », comme le raconte le clip de trois minutes réalisé pour la Coupe du monde de football. Trevor Edwards, le directeur marketing de la marque estime d’ailleurs que ce fut une des meilleures publicités jamais réalisée pour Nike. Pour ce clip, il a mobilisé un grand réalisateur, Alejandro Gonzalez Inarritu, et un grand nombre de stars du football comme d’autres sports, comme Ronaldinho, Homer Simpson, Gael Garcia Bernal, Kobe Bryant, Wayne Rooney ou Roger Federer, autour du thème « et si ? » Et si le poteau avait été rentrant, et si Wayne Rooney n'avait pas taclé comme cela ou le contraire ? chaque star écrit son avenir en prenant une décision au temps présent. Bien sûr, la marque espère attirer l’attention sur son nom et ses produits, de manière à ce que, par analogie, l’acheteur de chaussures Nike estime également qu’il « écrit le futur » grâce à cette acquisition.
Le but du marketing, dans ce genre d’opération publicitaire, c’est de donner à la consommation du produit qu’il met en vedette une signification qui dépasse les fonctions simples du produit. Ce qu’ambitionne Nike pour nous, ce n’est pas de nous vendre des chaussures, mais d’écrire le futur avec nous et les chaussures qu’il nous a vendues.
En somme, on peut écrire que le marketing cherche à nous faire acheter un produit non pour ce qu’il fait, mais pour ce qu’il signifie.
Finalement, assumer notre condition humaine
Autrefois les hommes vivaient dans l’idée que le monde tournait autour d’eux, ce qui leur donnait un sentiment de sécurité. Depuis environ vingt générations, la science a fait pièce à cette prétention. Il a fallu que l’espèce humaine chasse de son esprit les vérités léguées par ses ascendants et à peine s’y était-elle résolu que la science avoue les limites de sa capacité à comprendre le monde.
Nous voilà à nouveau seuls au bord du chemin, nos dieux piétinés par cette science qui nous abandonne, incapables de retrouver le gîte qu’elle nous a convaincu de quitter. Il nous faut une troisième fois, après avoir adhéré aux religions monothéistes puis à la science, réévaluer notre situation sur cette Terre.
La science, à force de prétendre pouvoir tout comprendre, tout savoir, tout faire, nous avait érigé en démiurges. Nous sommes maintenant obligés de reconnaître que nous ne le sommes pas. La science nous a appris que n’avons aucun rôle particulier à jouer dans le monde et, pour faire bonne mesure, mais elle ajoute désormais qu’elle se sent incapable d’éclairer pour nous le mystère de l’Univers, que ce soit celui de sa nature, de son existence ou de son origine.
Il reste que la conscience que nous avons du monde exige toujours que nous acceptions notre condition de mortels. Elle nous impose de prendre position sur le sens de notre présence dans ce monde. Ou bien nous refusons de lui en donner un et nous pouvons dès lors considérer que notre vie n’est qu’une illusion. Ou bien nous donnons à nos pensées, nos paroles et nos actes un sens, sur lequel nous avons donc à nous prononcer. Ce choix du sens de notre vie est la source du désarroi qui nous guette en permanence et qui menace notre capacité de changer, de progresser, de nous améliorer. Il explique pourquoi nous avons besoin d’un être qui nous guide, qui nous protège et qui justifie notre existence.
Il reste que la seule véritable expérience humaine est celle de la vie. Elle oblige l’homme à s’organiser pour y faire face, sans que la raison ne lui soit d’aucun secours. C’est elle qui nous crie à chaque instant qu’aucun système ne nous libérera du cachot dans lequel nous sommes enfermés. La seule liberté qui nous reste consiste à décider si nous acceptons ou si nous refusons notre condition. Alors même que nous tentons héroïquement de nous engloutir dans l’amour, la vie nous apprend que nous sommes par essence dans l’impossibilité de partager avec autrui notre expérience. C’est encore la vie qui nous rappelle sans cesse que nous ne pouvons pas nous passer de rechercher la vérité, notre vérité.
Car, sans lucidité, que pouvons-nous construire ? Nous savons que la raison et la science n’apportent aucune réponse au drame de la condition humaine. Nous savons que notre tentation naturelle consiste à fuir notre condition. D’autre part, la nécessité de nous organiser en société et l’exploitation de nos extraordinaires capacités techniques nous offrent toutes les opportunités de faire la fête en nous bouchant yeux et oreilles, afin de retarder le plus longtemps possible le moment du dernier acte.
Pouvons-nous pour autant nous satisfaire du mensonge et de l’indéterminé ? Si nous choisissons de nous approcher le plus possible de la vérité, ce qui fait la grandeur de l’esprit humain depuis l’origine de l’espèce, il nous faut accepter de la regarder en face, cette vérité unique, rebelle et magnifique. Car, plus nous saurons, et plus nous serons en mesure d’accepter notre condition. Plus nous accepterons notre condition, et plus nous saurons. Plus nous saurons…
…Cet article constitue le point final de la série intitulée « Trajectoires». Les articles de cette série sont extraits, après avoir été modifié, d’un ouvrage non publié intitulé « L’orphelin ». Je tiens cet ouvrage à votre disposition sous forme de document PDF.
La tolérance comme capitulation de l'esprit
Il y a un mois, plus précisément le 8 juillet dernier, j’ai écrit un blog intitulé « Que faire ? » dans lequel je soutenais que l’homme me semblait fort capable de maîtriser les techniques qui lui permettront de survivre sur la Terre. En revanche, le fétichisme pour les outils intellectuels forgés dans le passé risque fort de freiner le nécessaire changement de vision du monde que cette adaptation aux nouvelles conditions de vie implique pour l’espèce humaine.
Dans le passé, la pensée scientifique a représenté un extraordinaire bond en avant de la pensée humaine, puisqu’elle lui a permis de se libérer de tout préjugé sur ce qui est vrai ou faux. Avec elle, l’observation et la mesure sont devenus l’alpha et l’oméga de toutes les constructions scientifiques, au point d’être considérées comme indépassables. C’est tout juste si les scientifiques concèdent, à regret, qu’il subsiste quelques rares domaines, comme l’amour ou l’art, qui ne relèvent pas de la science. Et encore…
Or, à partir du moment où la vérité ne peut être que scientifique, la démarche scientifique devient une doctrine. Mais cette doctrine est contredite par les scientifiques eux-mêmes. D’un côté, la pensée scientifique postule que tout, absolument tout, est explicable pour l’homme armé de sa conscience et d’un autre côté les scientifiques, armés de leurs méthodes, ont constaté avec beaucoup d’honnêteté et quelque stupeur, qu’ils étaient incapables de tout expliquer. Au cours du dernier siècle[1], ils ont en effet remis en cause l’objectivité de leurs expériences et de leurs découvertes en observant que les chercheurs choisissaient par convention les hypothèses qui leur convenaient, ce qui déterminait largement les résultats qui en découlaient. De plus, au cœur de l’outil scientifique, il est apparu que la logique était dans l’incapacité de déterminer si une proposition était vraie ou fausse. Aussi, les résultats scientifiques sont-ils devenus plus incertains, les conclusions que les scientifiques en ont tirés plus subjectifs, donc de plus en plus sujettes à caution. Les idéologies s’en apparent désormais fréquemment, comme en témoigne le débat scientifique suspect sur le réchauffement de la planète[2]. Il en résulte que la confiance dans les recherches scientifiques s’érode progressivement tandis que l’humanité est toujours sommée d’adhérer sans réserve à un raisonnement scientifique saisi par le doute. C’est faire fi du besoin profond, du besoin immémorial, du besoin fondamental de l’espèce humaine pour la vérité.
La vérité justement, c’est que la science domine toujours la pensée humaine parce que personne ne peut proposer de système alternatif pour la remplacer. Une autre démarche est pour le moment inconcevable pour nos esprits façonnés par la science, comme cela est déjà arrivé, pendant la Renaissance, aux esprits façonnés par la religion dont le principe central était la croyance : ils ont eu un mal fou à le remplacer par le principe d’expérience.
Aujourd’hui, le monde actuel est entièrement façonné par la pensée scientifique. Où que l’on se tourne, la quasi-totalité des principes d’analyse et d’action qui nous sont proposés est directement issue de la pensée scientifique. Par exemple, et ce n’est pas un exemple mineur, il suffit d’observer que l’individualisme, si représentatif de l’état d’esprit moderne, est le pur produit de l’esprit scientifique. En effet, pour que l’individu s’affirme dans les mœurs et dans les lois, il a fallu que la science postule que l’esprit humain était capable, par la grâce de la raison, de faire la différence entre ce qui est juste ou faux et que la vérité émergeait de l’individu, et de lui seul. Il en est résulté, entre autres, la doctrine juridique des droits de l’homme et la doctrine économique du laissez faire ; cette dernière a engendré l’économie de marché actuellement qualifiée de mondialisation.
Lorsque le doute saisit la science, il contamine les systèmes qu’elle a forgé. Le postulat posant que l’individu est par définition doté de la raison n’est plus très solide, après trois ou quatre siècles d’expériences in vivo. Il a fallu admettre que l’individu pouvait être déraisonnable, ce qui remettait en cause la doctrine de l’individualisme. Or, personne ne sait au profit de quelle improbable raison collective il convient de la remplacer. C’est pourquoi il est apparu nécessaire aux scientifiques, pour maintenir un semblant de cohérence dans la vision de l’être humain qu’ils s’efforcent d’imposer à l’humanité, de mettre le concept de tolérance au centre du fonctionnement des sociétés. Il s’agit en effet d’accepter la déraison, la sienne et celle des autres, sans remettre en cause l’individualisme. C’est ainsi que la tolérance s’impose comme un élément du doute scientifique appliqué aux sociétés humaines. Elle fait que nous n’avons plus le droit de dire ce qui nous paraît juste ou faux, bon ou mauvais, parce qu’exprimer notre vérité, que plus personne n’ose affirmer comme étant LA vérité, offense la vérité de l’autre qui est, par définition, ni plus ni moins contingente que la nôtre.
Du coup, la confiance dans nos systèmes de pensée s’effrite et, par contrecoup, notre foi dans l’avenir s’effondre.