philosophie
HORREUR! MÊME MES TARTINES ONT UNE EMPREINTE CARBONE!
Le réchauffement climatique, les gaz à effet de serre, la hausse du prix des céréales, les mesures à prendre. Dans un demi-sommeil, je me souviens de mes tartines du petit-déjeuner.
Une grosse tranche de pain achetée chez l'un des trois boulangers du village ; j’aimais qu’elle soit dotée d’une croûte bien croquante, assez large. J’y ajoutais une épaisse couche de beurre qui embaumait les verts pâturages des Alpes. Elle n’était pas complète sans une bonne dose de confiture qui couvrait tout le beurre. Puis, encore somnolent, je trempais la grosse tranche d’un geste automatique dans mon café au lait, avec la conviction que le mélange de pain, de beurre, de confiture, de café et de lait me fournirait l’énergie nécessaire pour supporter l’école jusqu’à la récréation. À ce moment-là, j’avais bien l’intention de dévorer quelques biscuits.
C’était autrefois.
Aujourd’hui, je veux du pain bio cuit dans un four solaire, j’ai remplacé le beurre par un produit sans cholestérol ; je m’assure que la confiture a été fabriquée dans des conditions sanitaires irréprochables sans trop de sucre ajouté, et qu’elle est conservée dans un bocal recyclable que j’utilise pour y ranger des stylos avant de le jeter dans une poubelle verte. Je lis les étiquettes.
Désormais, je me soucie de l’empreinte carbone de ma tartine du matin et il n’est plus question que j’écoute mes désirs, car ils conduisent à la catastrophe. En effet, un rien, un tout petit rien dans mes comportements peut provoquer la hausse du niveau des mers ! Je pense sans cesse aux îles du Pacifique et à la survie des populations, d’autant plus que les médias se chargent de me le rappeler à chaque bulletin d’information.
Il n’est plus question que je fasse confiance à la nature. Certes, autrefois elle était hostile, mais on pouvait s’y fier, c'était du solide. Quantité de choses échappaient à mon contrôle. Mon destin n’était qu’un destin. Ce qui restait entre mes mains me paraissait léger. J’essayais d’avoir des opinions personnelles d'autant plus que j’étais sûr qu’elles n’auraient pas d’effet désastreux. Je ne craignais pas mes faiblesses, personne ne m’en ferait le procès. Je vivais avec des gens qui étaient mes pareils à ceci près qu’ils n’avaient ni les mêmes habitudes ni les mêmes désirs que moi. Certains aimaient les grosses voitures, d’autres le hockey sur gazon et même quelques-uns adoraient l’eau minérale. Je me fixais des objectifs à ma mesure. Je ne portais pas le poids du monde. Il y avait Dieu, la raison, la morale, et il existait ailleurs d’autres formes de sagesse. J’avais des marges de manœuvre que personne ne venait me contester.
Aujourd’hui, je suis effrayé comme tout le monde par la guerre, par le réchauffement climatique, par les virus, par le déficit alimentaire et par les biotechnologies ; j'ai des décisions à prendre tous les jours afin de préserver l’avenir. Je redoute les informations télévisées, WhatsApp et Twitter qui me disent ce que je devrais faire alors que je ne le fais pas. Je me méfie de tout, à commencer par mon égoïsme. Je ne sais plus quoi exiger des gouvernements, des religions et du patronat puisque je suis comptable avec eux de ce qui va survenir. Ma mauvaise conscience en hausse, je révise sans arrêt mon programme à la baisse.
Il vaut mieux que je me rendorme. Car il ne reste plus que mes rêves pour me retrouver dans le paradis désormais perdu de mon insouciance et de mon irresponsabilité passées…
LE TOKAMAK D'ITER
Il est question en Europe de relancer les bonnes vieilles centrales destinées à produire de l’énergie à partir de la fission nucléaire de gros atomes d’uranium que l’on scinde en deux. Mais qu’en est-il de la piste de la fusion nucléaire ?
La fusion nucléaire, c'est l'inverse de la fission, puisqu'au lieu de casser de gros noyaux, on en rassemble deux légers, typiquement des noyaux d'hydrogène qui se lient entre eux pour donner de l'hélium.
L'avantage de la fusion sur la fission provient de ce qu'elle ne génère pas de déchets radioactifs à vie longue. Elle est également plus sûre que la fission, car elle s'arrête spontanément si le plasma redescend en dessous des seuils critiques de température et d'électricité.
En revanche, la fusion nucléaire est difficile à contrôler car la température du plasma doit être maintenue à une température extraordinairement élevée, 150 millions de degrés, dix fois celle qui règne au centre du soleil.
Pour résoudre ce problème, il faut organiser un confinement magnétique dans lequel on piège les particules de plasma, noyaux et électrons et, parmi les différentes solutions expérimentées, le tokamak s'est imposé.
Tokamak est un acronyme qui signifie en russe "chambre toroïdale avec bobines magnétiques". Ce type de chambre magnétique a été inventé par plusieurs physiciens soviétiques dans les années 50, dont les deux prix Nobel, Igor Tamm et Andrei Sakharov. Cette chambre a la forme d'un tore, ou d'une bouée, dotée d'aimants verticaux qui entourent la chambre où est confiné le plasma.
Un projet international public a été organisé, accompagné de nombreuses initiatives privées ou publiques partout dans le monde. Ce projet public, c'est ITER qui signifie en anglais " réacteur thermonucléaire expérimental international" et en latin tout simplement "chemin". Le projet a démarré en 1988, rassemblant 35 pays qui comprennent tous les pays de l'Union Européenne, les États-Unis, la Russie, la Chine, l'Inde, le Japon, la Corée du Sud, le Royaume Uni et la Suisse.
En 2005, le site de Cadarache, en France donc, a été retenu. La structure en béton qui abritera la machine est désormais achevée et l'assemblage de la machine a déjà commencé. À ce jour, un complexe de trois bâtiments de 60 mètres de haut et de 120 mètres de large a été construit et le tokamak, en construction, pourra accueillir 800 mètres cubes de plasma dans une chambre à vide qui pèse 5000 tonnes. Il faudra y placer de gigantesques aimants pour délimiter la chambre et éviter que le plasma ne rentre en contact avec l'enceinte, tandis que, pour atteindre les 150 millions de degrés nécessaires à la fusion du deuterium et du tritium, plusieurs dispositifs participeront au chauffage du plasma.
Ce plasma est composé de deuterium facilement accessible par distillation, par exemple à partir de l'eau de mer et de tritium, qui n'existe pas à l'état naturel et qui sera produit ailleurs, en attendant de parvenir à le produire directement dans le réacteur. Il est prévu d'obtenir le premier plasma sans fusion aprés 2025 et le premier plasma avec une fusion "deuterium-tritium" en 2035. Aprés ITER, il est prévu en outre de construire un deuxième réacteur, DEMO (Demonstration power plant) qui démarrera en 2050 et qui est destiné à faire la transition avec le passage à la production industrielle.
Ce projet s'inscrit dans l'objectif prioritaire d'arrêt de l'utilisation des ressources fossiles, charbon, gaz et pétrole afin de limiter les émissions de gaz à effet de serre. Dans ce cadre, la fusion nucléaire a pour objectif d'offrir une solution supplémentaire parmi les différentes solutions, que ce soit les énergies renouvelables comme l'hydraulique, le solaire et l'éolienne ou la fission nucléaire.
C'est donc une option qui n'a sans doute pas vocation à être déployée partout, mais qui pourrait être connectée prés des grandes villes ou dans des bassins industriels. Or, il faut se souvenir que la fusion présente de nombreux avantages par rapport à la fission nucléaire :
- Les réserves de combustibles sont abondantes.
- Il n'y a aucun risque d'emballement ou d'explosion, puisque, si l'on arrête de chauffer le plasma, la réaction cesse.
- Dans un réseau intelligent, les réacteurs à fusion peuvent être allumés ou éteints plus facilement que les réacteurs à fission.
- Les déchets radioactifs sont limités et peu dangereux.
Reste à laisser le temps aux chercheurs et aux ingénieurs de surmonter les nombreux défis technologiques qu'entrainent la nécessité d'avoir de très hautes températures dans les chambres de combustion des réacteurs...
LES PLANTES COMMUNIQUENT!
Les plantes ont des sens qui s’apparentent à la vision, à l’odorat ou au toucher. Avec leurs sens, elles perçoivent leur environnement et communiquent, notamment en alertant les plantes voisines ou par l’intermédiaire des champignons organisés en réseaux.
Si les plantes n’ont ni yeux ni oreilles, ni cerveau, elles disposent en revanche d’un très grand nombre de photorécepteurs constitués de petites molécules photosensibles enchâssées dans de grosses protéines et présents dans toutes les cellules vivantes de la plante.
Les végétaux perçoivent ainsi leur environnement lumineux grâce à trois grandes familles de photorécepteurs : les phytochromes, spécialisés dans la perception des radiations rouges et infrarouges, les phototropines dans le bleu et les cryptochromes dans les ultraviolets. Grâce aux phytochromes, la plante distingue les plantes voisines et l’ombre qu’elles peuvent lui faire, ce qui lui permet de déclencher une réponse de croissance adaptée, sous forme de fuite hors de la zone d’ombre.
Les phototropines et les cryptochromes quant à elles, sensibles à la lumière bleue, sont responsables des mouvements d’orientation des plantes vers une source lumineuse. Elles sont également à l’origine du réveil quotidien de la plante, lorsque à l’aube, les premiers rayons lumineux frappent les feuilles.
Les plantes sont également sensibles au toucher. On observe depuis longtemps les feuilles de la dionée qui se referment rapidement sur un insecte ou la sensitive Mimosa pudica, qui replie ses folioles sous la caresse. Toucher une plante régulièrement, la brosser, lui taper sur la tête diminue sa croissance en hauteur et augmente son épaisseur, la rendant plus trapue et solide face aux sollicitations mécaniques.
Les plantes disposent elles-mêmes d’un sens mécanique qui leur permet de percevoir l’orientation de la gravité et donc leur inclinaison par rapport à la verticale : une tige placée à l’horizontale se courbe et se redresse à la verticale à mesure qu’elle croît. Ce sens gravitropique passe par la sédimentation de gros grains d’amidon dans des cellules spécialisées (des statocystes), situées dans les pointes racinaires ou les tiges, à l’image de notre oreille interne qui assure la perception de la gravité à l’aide de petits cailloux de calcaire (les otolithes) pris dans un gel et reposant sur des cils mécanosensibles.
Les plantes disposent aussi de la chémoperception, qui est la perception des substances chimiques en solution (le goût) ou volatiles (l’odorat). Par ces sens, impliquant des récepteurs spécialisés, les plantes attaquées par un herbivore émettent dans l’air des bouquets de senteurs chimiques qui induisent la mise en œuvre de défenses biochimiques dans toutes leurs feuilles, mais aussi chez les plantes voisines non attaquées.
La sensibilité́ des plantes n’est pas uniquement tournée vers l’extérieur. De nombreux signaux circulent également à l’intérieur de la plante et fonctionnent comme des relais d’information des signaux extérieurs. Ce peut être des hormones de croissance, des petites molécules informatives comme des sucres, et même des courants électriques.
Par toutes les cellules vivantes de leur corps, les plantes sont donc sensibles et capables de communiquer. La réaction de la plante à une attaque d’herbivore l’illustre. La feuille grignotée répond à l’agression en synthétisant une kyrielle de substances visant à repousser l’attaquant. Elle se charge notamment de tannins ou d’enzymes perturbant la digestion de l’animal. En outre, de petites substances volatiles sont produites et émises dans l’air, qui sont perçues par les plantes voisines de la plante agressée, lesquelles réagissent en synthétisant à leur tour des molécules de défense préventive.
Mais la communication la plus spectaculaire reste souterraine. En forêt, les racines des arbres vivent en association étroite avec des champignons du sol, formant des organes chimères, les mycorhizes. Les fines racines des arbres sont parcourues par des filaments, les hyphes. Les zones de contact qu’ils établissent avec les cellules végétales des champignons à l’intérieur des racines forment une très grande surface d’échanges que traversent diverses substances de l’arbre vers le champignon et vice versa.
Les mycorhizes constituent des organes de symbiose entre le champignon et l’arbre qui améliorent la nutrition minérale de ce dernier, en augmentant le volume de sol exploré, grâce aux hyphes qui se déploient beaucoup plus largement que les seules racines. Les champignons absorbent l’eau et les éléments minéraux du sol, tout en mobilisant ses ressources grâce à la sécrétion d’enzymes: par exemple, des phosphatases fongiques découpent les polyphosphates du sol en petits phosphates simples qui sont ensuite absorbés par les hyphes et gagnent les tissus conducteurs de l’arbre. Quant à l’arbre, il fournit au champignon une part non négligeable de sa production photosynthétique.
On a même observé que des substances carbonées fabriquées par un arbre se retrouvent dans l’arbre voisin à travers les hyphes des champignons mycorhiziens. Il est vrai que le sol d’une forêt est peuplé de centaines de souches fongiques différentes qui déploient jusqu’à un kilomètre de filaments par centimètre cube de sol. Les filaments des champignons du sol forment ainsi un réseau interconnecté, comparable à un réseau internet. Les substances carbonées émises véhiculent des informations d’une plante à l’autre, qui joueraient un rôle dans la germination et le développement des plantules, comme dans les défense des plantes contre les attaques.
Du fait de cet impressionnant réseau de communication, faut-il attribuer une intelligence aux plantes ? Si l’intelligence consiste à percevoir le monde et y répondre de façon adaptée, les plantes sont intelligentes, au même titre que tous les êtres vivants, bactéries, vers de terre ou êtres humains.
Mais n’abusons pas de l’anthropomorphisme, en acceptant tout simplement que les plantes, qu’elles communiquent ou pas, restent des espèces différentes de celles des hommes...
LA VIE DES PLANTES
Étudier la vie des plantes, c’est se poser la question de la vie tout court.
La question qui a notamment été abordée au travers du livre de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, dont la thèse fondamentale, même si elle est sans doute excessivement anthropomorphique, consiste à montrer un exemple de « savoir-vivre ensemble » dans la forêt.
L’approche de Peter Wohlleben s’appuie sur les travaux de la microbiologiste américaine, Lynn Margulis qui a montré dans les années 1970 que les cellules eucaryotes (organismes avec un noyau) seraient nées d’une suite d’associations symbiotiques entre différents procaryotes (organismes sans noyaux). La découverte qu’il a fait de l’endosymbiose, avec l’apparition de la cellule eucaryote, ne relève pas de la guerre ou de la compétition, mais d’une symbiose, d’une coopération.
Il s’agit d’une théorie qui a permis à la biologie d’abandonner dans ce cadre le paradigme belliciste, selon lequel la nature serait un espace de lutte de tous contre tous, en d’autres termes le paradigme de Darwin. Le succès de La vie secrète des arbres réside justement dans un message opposé à celui de Darwin, puisque la collaboration entre les plantes y apparait comme une force créatrice.
En outre, les préoccupations écologiques de la population favorisent le nouvel intérêt qu’elle porte au règne végétal. Conscient de la profonde modification de l’ordre naturel provoquée par l’humanité́, cette dernière serait devenue plus attentive aux autres formes de vie et aux interactions entre espèces, qu’elles soient humaines, animales ou végétales. Il en résulte que la vie des abeilles ou celle des arbres sont devenues des questions politiques.
Il s’y ajoute enfin que, depuis les années 1970, l’humanité a été progressivement obligée de reconnaitre que l’être humain n’était pas le seul à incarner une intelligence. La révolution de l’informatique nous conduit déjà à accepter l’existence d’une l’Intelligence Artificielle dont sont dotées les machines, mais on a aussi attribué des formes d’intelligence à des espèces animales de plus en plus nombreuses. Demain, ce sera au tour des bactéries d’être reconnues comme intelligentes, si l’on se fie aux recherches du neurobiologiste Antonio Damasio.
Il restait donc à reconnaitre que les plantes avaient, elles aussi, une forme d’intelligence. Le pas a été́ franchi par Stefano Mancuso, l’un des fondateurs de la neurologie végétale avec František Baluška, de l’université́ de Bonn.
Cet élargissement du concept d’intelligence nous invite à renouveler notre pensée sur les plantes.
Ainsi, dans La vie des plantes, Emmanuelle Coccia avance que l’être humain ne pourra jamais comprendre une plante sans avoir compris ce qu’est le monde. Car les plantes sont à̀ l’origine de notre monde, en contribuant à̀ produire massivement l’oxygène de l’atmosphère, et donc à̀ rendre la Terre habitable tout en constituant le premier maillon de la chaîne alimentaire.
Si bien que le monde est beaucoup plus végétal qu’animal, sachant que la plante est bidimensionnelle alors que l’animal est tridimensionnel. En effet, toute la vie des plantes se passe en surface, ces dernières ayant tendance à se développer à l’infini, tandis que les corps animaux produisent des espaces intérieurs et que le corps animal ne commence sa reproduction qu’à la fin de sa période de croissance tandis que le corps végétal ne cesse de s’accroitre, avec des organes reproducteurs temporaires.
La plante, observe Emmanuelle Coccia, ce sont des feuilles, des racines et des fleurs. La feuille est la partie la plus importante d’un végétal puisque c’est par elle que s’accomplit la photosynthèse, tandis que la racine, tout en permettant à la plante de vivre à la fois dans deux milieux, aérien et souterrain. n’est pas aussi importante, puisqu’elle est apparue très tardivement dans l’évolution du règne végétal.
La fleur, quant à elle, incarne l’intelligence des plantes au sens où elle insuffle de la forme à de la matière, à partir des graines qu’elle produit, ces graines qui constituent le lieu de mélange des gènes lors de la reproduction.
Concluons donc avec cette symbolique du mélange, qui fait de chaque être vivant, humain, animal, végétal, un organe de la Terre, indissociable de ses autres organes…
BIBLIOGRAPHIE :
- Emmanuelle Coccia, La vie des plantes, Rivages, 2021
- Antonio Damasio, Sentir et savoir : Une nouvelle théorie de la conscience, Odile Jacob, 2021
- Stefano Mancuso, L'Intelligence des plantes, Livre de Poche, 2020
- Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres, Les Arènes, 2017
LA MAITRISE DU MONDE?
LA MAITRISE DU MONDE ?
L’humanisme est tout entier fondé sur le principe de contrôle, de la nature et de soi-même. Or les résultats spectaculaires de l’humanisme dépassent les attentes de ses promoteurs, d’où la remise en cause partielle ou totale de ses principes.
Nous devons tout d’abord nous souvenir que la science est une création grecque qui date de 2500 ans, en partant de l’idée que la réalité sensible, celle à laquelle les sens nous donnent accés, n’est pas la seule réalité accessible.
Avec les Grecs, l’homme a subodoré qu’il y avait des choses derrière les choses, donnant le départ au développement des connaissances en Occident. Comment avoir accés à ces connaissances ? Platon pose qu’il s’agit d’Idées et que l’on y accède par la dialectique, c’est-à-dire que l’on confronte des idées en éliminant dans ce processus les idées incohérentes. On fera donc de la dialectique pendant deux mille ans, sans aboutir à une connaissance certaine, uniforme et partagée de ces choses derrière les choses.
En assurant que le livre de la Nature est écrit en langage mathématique, Galilée a permis le passage du monde qualitatif des idées au monde quantitatif de la mesure des choses.
La mesure est en effet le procédé qui permet de passer d’une sensation qualitative à une donnée quantitative, de l’éloignement d’un objet à la distance qui m’en sépare. Elle constitue la deuxiéme rupture dans l’ordre de la pensée, après la première avancée du monde des Idées de Platon, à laquelle elle donne tout son sens. Et puis tout se mesure, les distances comme les profits, ce qui signifie que ce qui ne se mesure pas n’a pas d’intérêt, ou plus précisément n’a pas de valeur.
Notre rapport à l’espace et au temps est significatif à l’égard de la mesure. Nous n’avons pas besoin d’un mètre pour évaluer une distance, mais nous avons besoin d’une montre pour connaitre l’écoulement du temps objectif que nos sensations ne nous permettent pas d’apprécier. Derrière le temps normalisé apparait une vision déterministe de la nature.
Si le monde est déterministe, comme l’affirme Descartes et tous les scientifiques jusqu’à la fin du XIXe siècle, il est possible de prévoir son évolution. Si l’homme peut prévoir, il peut modéliser les conséquences de ses choix, donc il peut choisir son avenir : l’homme devient Dieu, puisqu’il maitrise son destin.
Jusqu’à ce que la science découvre progressivement les limites de son pouvoir de maîtrise, qui l’empêche de décrire totalement la réalité. Le théoreme de Gödel, le second principe de la thermodynamique, le chaos déterministe en mécanique, les relations d’incertitude en physique nucléaires, marquent, entre autres, les limites des avancées scientifiques sur le chemin de la vérité.
En outre, la science porte en elle la technologie qui est mise en œuvre pour maitriser la nature, technologie qui engendre des effets indésirables, en vertu du second principe de la thermodynamique. Petit à petit, ces effets indésirables, comme la pollution deviennent insupportables, ce qui conduit au développement d’une nouvelle technologie pour les éliminer, qui génére à son tour de nouveaux effets désirables. Une spirale technologique illimitée s’installe, l’une corrigeant la précedente…
Pour sa part, l’économie entre progressivement dans l’ère du non-maitrisable. Le supplément de pouvoir d’achat dégagé par le progrés technologique, les effets d’expériences et les économies d’échelle ne servent plus seulement à satisfaire des besoins limités, mais des désirs illimités.
Enfin, lorsque la sociologie montre que l’on peut expliquer le comportement humain à partir de sa culture et que la psychanalyse renchérit en l’expliquant à partir de son insconscient, la philosophie abandonne la morale kantienne, selon laquelle l’être humain est libre et responsable.
En constatant la remise en cause de la notion de maitrise, l’Homme-Dieu en vient à débattre de l’humanisme qui l’avait mis en mouvement.
À SUIVRE
L'HUMANISME OU LA MAÎTRISE DE LA NATURE
Le paysan qui travaillait la terre en 1506, quelque part en Europe, aurait pu affirmer que les travaux que menaient le chanoine polonais Copernic cette même année avait peu de chances d’influencer son sort. C’était vrai pour lui, mais faux pour ses descendants.
Car, depuis trois siècles, le progrès s’est bien accompli, à partir d’une convergence entre la science, l’économie et la philosophie autour de la maitrise de la nature qui est l’œuvre de l’humanisme, défini au XVIIe siècle par l’invite de Descartes à ce que l’homme se rende "comme maitre et possesseur de la nature".
L’homme du Moyen Age savait que l’homme n’était pas maitre de la nature, dont il devait subir les effets, climatiques ou épidémiques. Jusqu’à ce que, au XVIIe siècle, le projet humaniste, d’une ambition folle, consiste à faire sortir l’homme de sa condition subalterne face à la nature pour qu'il en devienne le maitre.
Les outils de cette révolution se mirent alors en place. Newton proposa un outil scientifique qui visait à maitriser l’avenir. S’il n’était valable que dans le domaine mécanique, il orientait néanmoins la vision du monde qui s’exprima dans la philosophie des Lumières. Le modèle mécanique devint un guide général. On ne luttait plus contre la Peste en priant, mais en recherchant les causes de la contagion.
Tandis que la philosophie affirmait sa foi dans le progrès, encore fallait-il un système philosophique qui permette à l’homme de justifier la raison pour laquelle il se séparait de la nature pour la dominer. C’est ainsi que Kant affirma que l’homme était libre par rapport à la nature, parce qu’il était un être moral. Il prenait ainsi le contrepied de la philosophie de Platon et des philosophies religieuses. Pour Platon, le bien et le vrai se confondaient. Ce qui était bien était vrai, ce qui était vrai était bien et il suffisait donc de connaitre le vrai pour connaitre le bien : la morale était assujettie à la connaissance. Quant aux religions, elles affirmaient que la morale était soumise à la métaphysique.
Kant posa pour sa part que la morale était indépendante de la philosophie et de la religion. Un homme moral s’imposait à l’homme libre dans la mesure où l’immoralisme menaçait : si Dieu n’existe pas, tout est permis, déclarait Dostoïevski. Kant affirma donc que l’homme ne pouvait être libre que par sa propre volonté, grâce à la faculté qu’il avait de s’imposer à lui-même la loi du devoir. Contrairement à l'idée répandue aujourd'hui, le devoir n’était donc pas une contrainte qui s’oppose à nos passions dans lesquelles s’exprimerait notre vraie liberté, car ces dernières relèvent de la nature où règne la loi d’airain des causalités.
Cette démonstration morale est le fondement de la morale laïque, un fondement fragile actuellement remis en cause par le triomphe de l’assouvissement « libre » des passions.
L’idée de maitrise s’est emparée ensuite du système économique, selon lequel l’homme renoncera au XIXe siècle à sa liberté temporelle pour jouir des bénéfices de la production de masse. Jusque dans les années soixante, le monde économique reflétera une double maitrise, celle de l’entreprise qui maitrise le consommateur tout autant que le salarié et celle du système économique dans son ensemble qui maitrise l’entreprise.
L’économie de l’offre permet de maitriser la consommation, car, que le consommateur soit content ou non, il consomme les mêmes produits. S’il veut consommer plus, l’offre s’organise autour des économies d’échelle et la baisse des prix compense la perte de liberté du client. La production massifiée suppose de standardiser le processus de production et donc de rendre le salarié objet plutôt que sujet. Il travaille à la chaine, il manque d’autonomie dans son travail mais c’est le prix à payer pour qu’il gagne un peu plus chaque année.
Dans cet univers contraint, l’entrepreneur semble le gagnant, mais c’est faire fi de la compétition entre les entreprises. L’effet d’expérience entraine en effet un avantage compétitif pour les grandes entreprises. Il en résulte que la stratégie du chef d’entreprise est déterminée par la situation économique qui lui dicte le moment où il faut vendre son entreprise à son concurrent. L’entreprise s’inscrit dans une maitrise dictée par la situation économique, elle-même sous-tendue par le postulat que les besoins des consommateurs sont finis, récurrents et mesurables.
Tout changera lorsque l’on se mit à consommer pour se faire plaisir ; les tendances de fond, qui avaient convergés pour produire une société humaniste autour de la maitrise de la nature par l’homme, se mirent à diverger.
À SUIVRE
REGARDER LA VÉRITÉ EN FACE?
Si la science n’apparaît plus comme l’arme absolue pour découvrir la réalité du monde, que faire ?
Autrefois les hommes vivaient dans l’idée que le monde tournait autour d’eux, ce qui leur donnait un sentiment de sécurité. Depuis vingt générations environ, la science a fait pièce à cette prétention. Il a fallu que l’espèce humaine chasse de son esprit les vérités léguées par ses ascendants et à peine s’y était-elle résolue que la science avoue les limites de sa capacité à comprendre le monde.
Une contradiction est en effet apparue entre le doute engendré par le raisonnement scientifique et le besoin fondamental de vérité qui habite les hommes, vérité du monde, vérité de la vie, vérité du moi.
Ce besoin de vérité explique que l’homme ne demande qu’à avoir la foi, qu'il s’accroche à ce qu’il peut saisir, à la religion, à la tradition, à la raison, à la science, toujours à la recherche de chemins vers la vérité.
Or, le point faible des tenants de la vérité scientifique se niche dans la preuve. Avant la science, on pouvait croire sans preuve. La gloire de la science s’était construite sur sa prétention à apporter les preuves de ce qu’elle avançait.
Mais comme ces preuves se sont évanouies au moment précis où les scientifiques croyaient pouvoir disposer de tous les moyens pour les apporter, le doute est désormais omniprésent dans la démarche scientifique. En outre, la logique s’est démontrée à elle-même qu’elle se trouvait dans l’incapacité de prouver quoi que ce soit qu’elle ne savait déjà avant de commencer ses analyses.
Le doute s’est aussi niché dans la vision subjectiviste du monde qu’implique la suprématie de la raison. Désormais, la vérité émerge de l’individu. Tant qu’elle venait d'en haut, que ce soit de Dieu ou de la Science, l’homme y casait ses petites vérités personnelles qu’il cachait ou affichait, à son goût et à ses risques. Mais si la source de vérité devient individuelle, personne ne peut plus accepter une vérité collective, sauf si elle est compatible avec la sienne propre.
Nous sommes désormais libres de choisir ce que nous appelons « vérité », car personne n’est plus autorisé à se référer à une vérité qui le dépasse, en d’autres termes à une vérité transcendantale et, à l’autre bout de la chaine, personne n’est prêt accepter d’être dépossédé de sa vérité particulière.
Il reste que la démarche de l’homme depuis les origines de l’humanité exprime qu’il ne peut se résoudre à vivre dans un monde où ses actions seraient vides de sens, un monde qui lui serait hermétique.
Nous voilà à nouveau seuls au bord du chemin. Il nous faut une troisième fois, après avoir adhéré aux religions monothéistes puis à la science, réévaluer notre situation sur cette Terre. La science, à force de prétendre pouvoir tout comprendre, tout savoir, tout faire, nous avait érigés en démiurges, avant de nous faire redescendre de notre piédestal. Il reste que la conscience que nous avons du monde nous impose de donner un sens à notre présence, ce qui est la source de notre désarroi.
Lorsque nous prenons conscience que nous ne pouvons pas renoncer à la vérité, lorsque nous choisissons donc, par tous les moyens en notre possession, de nous en approcher le plus possible, encore faut-il accepter de la regarder en face cette vérité, personnelle, fragile et provisoire…
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LA VÉRITÉ SCIENTIFIQUE ASSAILLIE DE TOUTES PARTS
Les philosophes n’ont eu de cesse d’insister sur le caractère subjectif de la pensée humaine, ou encore sur la subjectivité qui s’attache à la vérité délivrée par un être humain.
Arthur Schopenhauer s’est ainsi efforcé de montrer les limites de la pensée de Kant, en soulignant que la vérité trouvait sa source dans la volonté de l’individu. Quant à Nietzsche, il a carrément refusé d’envisager la possibilité qu’il puisse exister une vérité objective. En outre, le subjectivisme a trouvé un renfort puissant chez les linguistes comme Saussure qui a démontré qu’aucun langage ne permettait de formuler quoi que ce soit d’assuré.
Même si Wittgenstein a tenté de surnager dans l’océan de scepticisme qui submergeait la pensée philosophique occidentale, il a dû finalement convenir qu’il fallait renoncer à toute prétention d’acquérir une connaissance objective des faits.
Puis les philosophes, obsédés par le subjectivisme, ont été soudainement dépassés par les artistes, qui sont souvent annonciateurs de changements de paradigme. Ce fut le cas, on s’en souvient, de Giotto Di Bondone dont le réalisme était le héraut du paradigme expérimental et ce fut encore le cas du Dadaïsme qui a barbouillé les espaces et du Surréalisme qui a aboli la différence entre le rêve et la réalité : tous deux annonçaient l’irruption de l’incertitude dans la pensée scientifique.
La science, dès le début du XXe siècle, va se trouver en effet prise en tenailles entre la subjectivité de l’individu, à laquelle elle résistait victorieusement depuis deux siècles en s’abritant derrière l’objectivité de l’expérimentation et la soudaine association de l’incertitude aux résultats qu’elle obtenait, alors qu’elle rêvait d’offrir à la pensée humaine un univers ordonné.
Si elle avait toujours été consciente de ses failles, la science prétendait néanmoins avoir initié une marche en avant permanente vers la vérité. Or la physique, l’une des disciplines scientifiques les plus prestigieuses, se mettait tout d’un coup à nous présenter un monde chaotique, contradictoire, où se déroulaient des évènements non observables et où circulaient des particules indétectables dont l’origine était indéterminée et dont les effets étaient imprévisibles !
Ce fut un choc dont aucun scientifique ne s’est vraiment remis : Einstein décrivait un univers où la masse et l'énergie n’étaient que deux aspects d'une même réalité insaisissable et où les parallèles se rencontraient. Le battement d’aile du papillon devenait le symbole universel du désordre qui pouvait pervertir n’importe quel système. Pour couronner le tout, le principe d’incertitude de Bohr et Heisenberg appliqué aux électrons démontrait que l'observateur était, par essence, partie prenante dans l'expérience qu’il menait, si bien qu’aucune expérience ne pouvait être considérée comme objective. Aucune expérience n’était objective ! Tout simplement impensable!
Le choc ne s’arrêtait pas aux frontières de la physique. Il atteignait le cœur battant de la pensée scientifique, la logique scientifique, lorsque Henri Poincaré remettait en question le postulat central de cette logique scientifique en démontrant que le lien entre l'hypothèse et la preuve était construit artificiellement, ce qui remettait carrément en question la notion de démonstration. C’est ce qu’écrivait également Kuhn, quoiqu’avec plus de délicatesse, lorsqu’il décrivait les révolutions scientifiques comme des changements de paradigme, ce qui signifiait en clair que les découvertes scientifiques étaient dépendantes de la perspective choisie par le chercheur. Plus d’expérience objective, plus de démonstration véritable, que restait-il à la science pour prétendre détenir le monopole de la recherche de la vérité?
D’autant plus que Frege allait plus loin encore en soutenant que la raison ne fournissait rien de plus qu’une vérité contingente puisqu’elle se contentait de confirmer ce que l’esprit savait déjà par l’induction, l’intuition ou l’observation. Et Gödel renchérissait dans le même sens en démontrant qu’il n’existait aucune logique qui permettait d’affirmer que des propositions mathématiques étaient justes ou fausses.
Ces remises en cause de la validité de la preuve, si centrale dans la démarche scientifique, contraignaient la science à reconnaître que ses démonstrations étaient entachées d’incertitude, de subjectivisme et d’autojustification qui, toutes trois, affaiblissaient sa légitimité.
Avec quels outils, finalement, approcher LA vérité ?
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L'APOGÉE DE LA VÉRITÉ EXPÉRIMENTALE
Il est de fait qu’il ne peut y avoir, dans une même société, plusieurs vérités concurrentes.
Les tenants de la vérité par l’expérimentation se sont donc rapidement chargés de liquider la vérité concurrente traditionnelle fondée sur la raison adossée à la religion. Pascal a bien essayé, avec son pari, de maintenir la religion sans renier la science, mais, las, la vérité de la religion fut rapidement mise en cause, dès 1686, par Newton puis, entre autres, par Laplace et John Locke. Le coup de grâce à la vérité religieuse fut porté par Darwin au XIXe siècle, lorsqu’il postula que la sélection naturelle constituait le principe d’évolution des êtres vivants et donc que l’homme n’était plus l’acteur de sa propre destinée. Mais, avant Darwin, il y avait belle lurette que l’on considérait tout fait scientifique comme « vrai », et qu’inversement tout ce qui n’était pas scientifique n’avait plus aucune consistance, du point de vue de la vérité.
La foi en l’expérimentation était donc très tôt devenue une nouvelle religion comme en témoigne l’incroyable expédition arctique de Pierre Moreau de Maupertuis en 1736.
L’enjeu était de déterminer la courbure de la Terre. Un projet gigantesque d'expédition en Arctique débuta en 1669 à l'Observatoire de l'Académie Royale des Sciences où Louis XIV en personne venait contrôler le relèvement des coordonnées terrestres. Le directeur de l'Académie, Jacques Cassini, avait des doutes : il lui semblait que le relevé des coordonnées montrait que la Terre n'était qu'un sphéroïde aplati plutôt qu'une sphère. On pouvait craindre une erreur de l'ordre d'un degré dans le calcul de la latitude, erreur insupportable pour tout scientifique digne de ce nom.
Il fallait en avoir le cœur net.
Deux expéditions particulièrement complexes et coûteuses furent organisées, respectivement à l'Équateur et au Pôle Nord. La première demanda dix ans. La seconde fut conduite par Maupertuis dans des conditions de survie extrêmement périlleuses. Toutes deux permirent conjointement d'obtenir une mesure de la sphère terrestre proche de la perfection.
Ces efforts héroïques, ces travaux inouïs, ces mesures méticuleuses manifestaient l’ambition d’une science qui voulait s’imposer face aux traditionalistes et aux sceptiques, en leur assénant les résultats indiscutables de l’expérimentation, quel qu’en soit le prix. L’observation et la mesure étaient alors l’alpha et l’oméga de toute théorie scientifique, et à bien des égards, elles le restent.
La confiance dans les pouvoirs de la science était justifiée par les changements de la vie matérielle qui en découlaient. La science s’imposait comme la méthode nouvelle et infaillible pour dévoiler graduellement les secrets de la vérité du monde.
Ce triomphe n’allait pas tarder à être discuté, quelques dizaines d’années seulement après que la science ait amorcé sa marche triomphale : les philosophes se sont chargés d’ébranler les certitudes scientifiques, avec l’aide d’une arme secrète, l’ego.
David Hume ouvrit les hostilités en postulant que toute pensée commence par des impressions. Pour lui, si les sensations sont les seuls faits vérifiables, on ne peut plus faire état de relations de cause à effet objectives. Descartes enfonça tout de suite le clou avec son « je pense donc je suis », postulant que la pensée de l’individu était par définition subjective et en déduisant que la philosophie devait se recentrer sur le moi.
Mais si l’Univers était voué à la réalisation de soi, il n’était plus question d’accepter les doctrines déterministes de Leibniz (tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes) et de Spinoza, ce dernier niant qu’il puisse exister une liberté de la volonté, à rebours du subjectivisme triomphant de Descartes. Après Spinoza, Kant fut le dernier philosophe notable qui s’opposa au subjectivisme, lui-même ennemi de la vérité scientifique objective. Ce dernier posa le principe de l’existence d’une réalité inaccessible, transcendante et idéale que l’on pouvait découvrir plutôt par l’intuition que par la raison. Il ne prenait donc pas l’individu comme sujet créateur de la vérité.
Mais, après Kant, les philosophes renoncèrent à rechercher les moyens d'atteindre LA vérité objective, dans la mesure où ils se replièrent sur la conscience du « moi ».
À SUIVRE
LA VÉRITÉ FONDÉE SUR L'EXPÉRIMENTATION
En Occident, l’Antiquité s’achève avec la disparition de Rome et l’invasion de l’Empire qui se traduisent par une chute démographique et des routes désertées.
Les temps sont ceux de la recherche d’une protection physique et spirituelle autour du seigneur local et de l’Église. Puis, le fil du progrès matériel se renoue, la population s’accroit fortement au XIIe siècle, le rythme des innovations s’accélère, comme l’invention du gouvernail, de la boussole, des moulins à eau et à vent, du joug frontal pour les bœufs.
Les villages deviennent des bourgs, les villes, artisanales et commerçantes, se peuplent d’immigrants et débordent hors de leurs vieilles fortifications.
La circulation des informations s’accroit à partir du XIIe siècle, le papier de chiffon atteint l’Europe depuis la Chine. C’est alors que l’Université multiplie les copies, que l’on se met à chercher la vérité dans les vieux livres et qu’un enchaînement de débats se met en mouvement.
Mais ces échanges sont aussi les vecteurs de la peste, comme la mondialisation fut celui du coronavirus. L’année 1348 reste à cet égard le plus grand cataclysme de l’histoire de l’humanité puisqu’elle provoque la baisse de moitié de la population européenne. Il faudra un siècle pour en effacer les conséquences, après de drastiques mesures de confinement, mais il est remarquable qu’elle ne fût qu’un coup d’arrêt dans la progression démographique, dans l’amélioration des conditions matérielles de la vie et dans le développement de la curiosité intellectuelle.
Lorsque la peste recule à force de précautions, la croissance démographique reprend dans un monde traumatisé qui annonce les bouleversements de la Réforme et de la Renaissance.
Le surgissement de l’imprimerie autour de 1450, comme aujourd’hui celui d’Internet, accélère radicalement la transmission des idées entre les quatre cent mille européens capables de lire en latin. Ce groupe de lettrés commence par s’emparer de l’acquis culturel laissé par les générations précédentes, avant de prendre conscience de la nécessité de dépasser les textes anciens pour donner une place centrale à la notion de réalité : Pic de La Mirandole l’exprime bien dans ses neuf cents thèses et Giotto Di Bondone le révèle lorsqu’il peint avec réalisme des misérables soignés par les franciscains.
Allant au-delà des découvertes techniques, des conjectures nouvelles voient le jour. L’une des plus significatives est celle de Copernic en 1543 qui propose une nouvelle vision de l'Univers, une vision intellectuelle tout simplement confirmée par l’expérience, grâce à Galilée. Ce dernier construit une lunette, la tourne vers le ciel et découvre qu’il peut observer, de ses propres yeux, le système de Copernic.
De cette confirmation par l’expérience du système de Galilée émergea un nouveau paradigme quant à la recherche de la vérité. Désormais il devenait « évident » que l’empirisme était la seule et unique méthode pour comprendre le monde. Il faut convenir que les résultats de la méthode empirique furent spectaculaires, en particulier lorsque Newton, observant une pomme tomber de l’arbre, en tira son modèle de gravitation universelle.
Le nouveau principe posait que tout ce qui n’était pas vérifié par l’observation pouvait être remis en cause. Encore fallait-il disposer d’outils de mesure qui furent paradoxalement obtenus grâce au développement des mathématiques, domaine du raisonnement pur s’il en est. C’est ainsi qu’au début du XVIIe siècle, Descartes et Fermat élaborèrent les principes de l’analyse mathématique et que, appliquant ces principes aux ellipses, Kepler établit en 1609 sur la première loi des orbites suivies par les planètes, en s’appuyant sur ses observations.
Une « vérité » fondée sur l’expérimentation ne pouvait que contester une autre « vérité », fondée sur la religion.
À SUIVRE