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Le blog d'André Boyer

philosophie

À LA RECHERCHE DES HOMMES

11 Novembre 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

À LA RECHERCHE DES HOMMES

L’homme fait partie de la famille des Hominidés, dont tous les membres sont menacés de disparition, sauf lui-même. 

 

Sauf l’homme ? C’est toute la question. Soit l’homme n’est qu’un animal comme les autres, donc l’extinction de la race n’est qu’une question de temps, soit il constitue un être à part qui est capable de maitriser son propre avenir.

Cette alternative hante la question de l’origine de l’homme, une espèce issue du singe, qui a su s’imposer par ses qualités à toutes les autres d’une manière si éclatante que notre espèce se croit en droit de proclamer qu'elle a réussi à devenir aujourd’hui une espèce à part.  

Selon ce postulat, les hommes, issus d’une espèce unique de singes, auraient évolués vers une race humaine de plus en plus avancée, jusqu’à nous, l’homo sapiens sapiens, une espèce qui non seulement s’est imposée à toutes les autres espèces, mais qui désormais maitrise son destin. Mais les découvertes successives remettent ce postulat en question.

Par exemple, la découverte de l’Homo floresiensis dans l’île de Florès en Indonésie semble démontrer que cet homme, qui en est bien un, est issu d’une autres espèce d’Hominidés que l'homos sapiens. La taille de cet Homo floresiensis est si petite, 1,06 mètres, et la difficulté pour un Hominidé d’atteindre, sans avion ni bateau, l’île de  Florès depuis l’Afrique ou l’Asie est si forte que s’impose l’idée que cet homme était issu d’autres hominidés.

Du coup, l’hypothèse selon laquelle l’Homo sapiens, c’est à dire l’être humain actuel, est la seule espèce humaine, est remise en question. Il reste cependant que l'homo sapiens s'est bien répandu et installé sur l’ensemble de la planète à l’exception de l’Antarctique, tandis que les autres espèces s’effaçaient devant lui. 

Mais de quoi est constitué l'assemblage biologique qui constitue l’homo sapiens?  Au fur et à mesure où l’on en découvre des traces, on découvre aussi qu'elles remontent à beaucoup plus loin que l'on ne croyait à l'origine, trois cent mille ans au lieu de soixante mille ans. Ensuite, les recherches génétiques récentes, fondées sur la comparaison de l’ADN nucléaire de différentes populations humaines actuelles, indiquent que l’espèce Homo sapiens s'est constituée en Afrique  au terme d'une évolution comprise entre 300 000 à 60 000 ans avant la période actuelle.  

Par la suite, vers la même époque, c'est à dire il y a soixante mille ans environ, l'Homo Sapiens aurait quitté l'Afrique pour se répandre sur tous les continents en supplantant les espèces humaines antérieures, comme l’Homme de Néandertal en Europe ou l’Homme de Denisova en Asie.

Mais l'on découvre désormais que l’homo sapiens s’est hybridé avec ces populations:  selon de nombreuses études génétiques publiées depuis 2010, des croisements ont eu lieu entre espèces humaines. On relève en particulier entre 1,8 % et 2,6% de gênes néandertaliens chez les populations non africaines modernes. En outre, plusieurs études publiées depuis 2010 indiquent que l’homme de Denisova a contribué à hauteur de 4 à 6 % au génome des Mélanésiens et Aborigènes d’Australie actuels. On a même trouvé en 2014 qu’un gêne provenant des Dénisoviens améliorait le transport d'oxygène et ne se trouvait que chez les Tibétains et dans une moindre proportion chez les Chinois.

Aujourd’hui, le résultat de ces mélanges est que le génome des humains est identique à 99,9 %, un niveau de similitude qui ne se trouve que rarement chez les mammifères. Cette similitude serait explicable par la relative jeunesse de l'espèce et par le brassage des populations.

Mais avant  que l’homo sapiens, avec ses génomes quasi identiques, n’inonde le monde, on cherche à identifier les premières traces d'êtres humains qui sont apparues sur Terre.

À SUIVRE 

 

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DEVENIR PLUS VÉGÉTARIEN

18 Octobre 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

DEVENIR PLUS VÉGÉTARIEN

Les hommes ont été frustrés depuis si longtemps de ne pas parvenir à capturer, tuer et consommer tous ces animaux qu’ils pourchassaient, que l’élévation du niveau de vie des populations s’est toujours traduit par une augmentation de la consommation de nourritures d’origine animale. 

 

Désormais, la consommation alimentaire  d’origine animale, y compris les produits laitiers, représente trente pour cent des calories ingérées par les Français. Or, les dégâts de ce régime hyper protéiné sont bien connus, alors qu’il faudrait, pour la seule santé des êtres humains, faire passer la quantité de protéines journalières de 90 à 60 grammes par jour. De plus, seuls les produits végétaux permettent de satisfaire les besoins très élevés de glucose de notre cerveau.

Aussi, même si l’intérêt gastronomique des produits d’origine animale est grand, la nourriture végétale reste bien adaptée à la couverture des attentes nutritionnelles humaines, notamment pour la couverture des besoins en protéines et en acides gras. De plus, elle comporte des vertus essentielles pour l’entretien du micro-biote intestinal par les fibres alimentaires ou pour la protection de l’organisme par le monde des micronutriments protecteurs.

La question de l’actuelle réduction de la qualité biologique des protéines végétales ne se pose que pour des régimes totalement monotones à base de riz, de maïs ou de mil, mais elle ne se pose pas lorsqu’une diversification alimentaire suffisante est assurée.

Il reste qu’il faut prendre conscience que les hommes ont un besoin limité de calories d’origine animale pour assurer leur alimentation, alors qu’ils en consomment trop aujourd’hui

Ils en consomment également trop à quatre titres :

  • Tout d’abord, les hommes en consomment trop pour que l’on puisse assurer un niveau suffisant d’alimentation de l’humanité. Il est en effet de plus en plus nécessaire de réduire le volume des productions animales pour disposer d’une alimentation suffisante destinée à une population toujours plus nombreuse.

Alors que le principal gâchis alimentaire provient de la consommation trop élevée de produits animaux, il est paradoxal que l’on s’inquiète de la capacité de l’agriculture biologique à nourrir la planète. Au contraire, selon une étude prospective récente (Afterres 2050), une réduction de cinquante pour cent des calories animales consommées par l’humanité libérerait également cinquante pour cent des surfaces agricoles qui pourraient être consacrées à d’autres cultures.

  • Les hommes en consomment trop pour leur santé. La réduction des surfaces agricoles consacrées à l’élevage permettrait de se libérer de l’hyper productivisme agricole actuel et de son cortège de nuisances pour développer une agriculture de bien meilleure qualité alimentaire pour les êtres humains.
  • Les hommes consomment trop de proteines animales pour leur santé, mais ils en consomment aussi trop pour les équilibres  écologiques de la Terre. Aujourd’hui, la majorité des surfaces agricoles est consacrée à la nourriture des animaux d’élevage. Leur remplacement par des productions végétales biologiques permettrait de diminuer l’empreinte écologique de l’agriculture.
  • Enfin, ils en consomment trop pour les animaux eux-mêmes. La réduction de la consommation de produits animaux, viandes, œufs ou laits, permettrait de diminuer le nombre de ces élevages industriels concentrationnaires où les hommes se déshonorent d’y torturer des animaux qui souffrent, c’est le cas de l’écrire, mille morts.

 

Pour le bien de notre santé, pour se donner les moyens de nourrir une population humaine croissante, pour réduire l’empreinte écologique de l’agriculture et pour diminuer la souffrance animale, une alimentation plus végétarienne s’impose.

Qu’attendons nous ?  

 

 

 

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ÉMOTIONS

28 Septembre 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

ÉMOTIONS

Nos émotions nous gouvernent-elles ou nous dirigent-elles ?

 

Aristote ne se prononce pas sur cette question, en les définissant dans sa Rhétoriquecomme étant « tous ces sentiments qui changent l’homme en l’entraînant à modifier son jugement et qui sont accompagnés par la souffrance ou le plaisir». Après lui, on lut de multiples définitions qui mettaient plus ou moins l’accent sur l’aspect affectif, situationnel, physiologique, comportemental, motivationnel, perturbateur ou affectif des émotions.

Car on dénombre toutes sortes d’émotions, qu’elles soient positives comme les émotions que l’on ressent, telles que la fierté́ ou la joie que l’on ressent lorsque l’on atteint un but que l’on s’est fixé, négatives lorsqu’une confrontation provoque chez nous la peur ou le dégoût.

La variété des situations génératrices de nos émotions est impressionnante. Une fois que l’on a identifié des émotions universelles, au sens où elles peuvent nous saisir dans de multiples circonstances comme la colère, le dégoût, la peur, la joie, la tristesse ou la surprise, on perçoit qu’il existe des émotions, comme la honte, l’embarras, la culpabilité́ ou la fierté́ qui sont plutôt centrées sur la personne que sur un évènement particulier.

L’énumération des émotions ne s’arrête pas là. Lorsque nous estimons que nous aurions pu éviter un résultat fâcheux en agissant différemment, nous sommes saisis par le regret ou la déception. Naturellement, la comparaison, sinon la confrontation, avec la société qui nous entoure provoque des émotions associées à des jugements moraux, qui peuvent être négatives comme la honte, la gêne, l’envie, la jalousie, la culpabilité́, le mépris, la colère ou le dégoût, mais aussi positives comme la compassion, l’admiration, la gratitude.

Plus spécifiquement, l’acquisition du savoir provoque des émotions telles que l’intérêt, la confusion, la surprise, ou l’admiration et la découverte esthétique suscite parfois la fascination ou le sublime, ce dernier souvent associé à la musique ou à la découverte de la nature.  

Bien sûr à chaque émotion correspond une expression du visage, un ton de voix ou une posture culturelle qui constituent autant de messages destinés à ses interlocuteurs ou à soi-même. Certains considèrent que ces expressions sont l’émotion per se, comme si les pleurs étaient notre affliction, les tremblements étaient notre peur, comme si les réactions de notre cerveau périphérique ne trouvaient pas leur origine dans les messages perçus par notre cerveau central.

Or, la manière dont notre cerveau perçoit une situation est déterminante pour comprendre notre réaction émotionnelle, qu’elle soit ou non expressive, qu’elle se traduise ou non en action ou qu’elle se limite à un ressenti. Si un individu interprète une situation comme une offense contre lui, cela déclenche de la colère, dont les conséquences psychiques ou comportementales sont variables. Quant à savoir pourquoi telle ou telle situation est perçue comme une offense, il faut aller chercher dans l’état psychique d’une personne à l’instant, dans son histoire personnelle ou/et dans sa culture.

Il est certain que les émotions se régulent, par un contrôle sur soi ou par une inhibition. Certains pensent même qu’il est possible, volontairement, de diminuer ou d’augmenter ses émotions, en fonction des interactions avec son environnement, comme, par exemple, de réduire volontairement notre peur de parler en public.

Il reste que l’émotion a un effet positif sur la perception, l’attention ou la mémoire. Elle oriente notre attention vers des stimuli ayant une pertinence affective pour nous, ce qui incite les publicitaires et les politiques à donner un fort contenu émotionnel à leurs messages. Au reste, voter est un acte fondé sur ses valeurs politiques, donc presque exclusivement émotionnel. 

 

Quant à savoir si les émotions nous gouvernent ou si nous les contrôlons d’une manière ou d’une autre, vous me permettrez de vous laisser sur votre faim : je crois finalement que c’était une mauvaise question, car qui est capable de déterminer à quel point il est gouverné par ses émotions ?

 

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LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE DE MILGRAM

21 Juin 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LES LEÇONS DE L'EXPÉRIENCE DE MILGRAM

Milgram a tiré les leçons de l’expérience qu’il a conduite dans un ouvrage* publié en 1974.

 

Dans cet ouvrage, il pose comme hypothèse que l'obéissance est un comportement inhérent à la vie en société et que, lorsqu’un individu est intégré dans une hiérarchie, il passe d’un statut d’autonomie à celui d’agent d’autorité. 

Milgram s’interroge ensuite sur les conditions préalables à l’obéissance qui vont de l’éducation familiale (la reconnaissance de l’autorité) à l'idéologie acceptée (ici, dans l’expérience, la légitimité de l'expérimentation scientifique). 

Puis il analyse ce que signifie « l'état d'obéissance » qui se traduit notamment par la syntonisationc’est-à-dire par une réceptivité sélective pour les messages de l'autorité et par la perte du sens de la responsabilité personnelle. 

Il relève enfin les facteurs qui permettent de maintenir cette obéissance de l’individu, parmi lesquels l’anxiété joue le rôle éminent de soupape de sécurité permettant de se prouver à soi-même que l’on est en désaccord avec un ordre que l’on exécute quand même, malgré soi.

Milgram ne prétend pas montrer que l’obéissance est négative en elle-même, mais qu’elle est dangereuse quand elle entre en conflit avec la conscience de l'individu. Dans ce cas, il arrive que ce dernier refuse d’obéir, en particulier lorsqu’il s’identifie à un groupe qui est en désaccord avec l’ordre donné et que le conformisme au groupe lui commande de ne pas obéir. Il en déduit aussi que l’obéissance aveugle d’un groupe n’est assurée que si la majorité de ses membres adhère aux buts de l'autorité.

Lorsque, finalement, l'individu obéit, il délègue sa responsabilité à l'autorité pour devenir l’agent exécutif d'une volonté étrangère, et ceci aussi longtemps que s'exerce le pouvoir de l'autorité, que l’ordre donné n'entre pas en conflit avec le comportement recommandé par le groupe auquel il appartient et que l’anxiété de l’individu n’atteint pas un niveau insupportable pour son psychisme.

En effet, la tension que ressent l'individu qui obéit est le signe de sa désapprobation à l’égard de l’ordre qu’il a reçu. Il cherche donc à faire tout ce qu’il peut pour baisser ce niveau de tension, tout en obéissant. C’est ainsi que, dans l'expérience de Milgram, des sujets émettent des ricanements, désapprouvent à haute voix les ordres de l'expérimentateur, évitent de regarder l'élève, l'aident en insistant sur la bonne réponse, mais obéissent… 

Les critiques de cette expérience ont naturellement porté sur la validité des résultats obtenus et sur leur portabilité à des situations réelles, mais la reproduction de l'expérience avec des résultats très proches et la production d'expériences du même ordre ont toutes montré la facilité avec laquelle une majorité de personnes assume la fonction de tortionnaire légal.

Une forte critique a consisté à s’interroger sur la validité éthique et scientifique d’une expérience reposant sur la tromperie. L’éthique d’une expérience qui ment aux participants est en effet fortement discutable, mais l’on ne peut en conclure, sans mettre en danger le travail scientifique, qu’une expérience ne peut être menée qu’à condition d’obtenir le consentement éclairé du sujet participant à l'expérience.

Dans son livre, Stanley Milgram rapproche sa démarche scientifique de l’histoire et de la société contemporaine. Il affirme que le comportement de la plupart des Allemands sous l'Allemagne nazie était assimilable à celui qu’il a observé dans son expérience, car les Allemands obéissaient aux ordres d'une autorité qu'ils respectaient, tout en la désapprouvant souvent. À cet égard, il soutient la philosophe Hannah Arendt qui a vu dans Adolf Eichmann plus un bureaucrate qu'un antisémite cruel. Il mentionne aussi l’extermination des Amérindiens tout au long de l’histoire des États-Unis ou le massacre de Mỹ Lai durant la guerre du Viêt Nam comme des exemples d’obéissance aux ordres, du même type que ceux donnés dans son expérience. 

Il souligne ainsi que les autorités d’un pays supposé démocratique comme les États-Unis peuvent concevoir des politiques impitoyables, en contradiction avec les principes éthiques de leur population, et donner des ordres en application de ces politiques, qui ont été exécutés par l'ensemble de la nation avec toute la soumission escomptée par les autorités. 

De même, la période récente du confinement a vu des populations obéir massivement à des ordres qui contrevenaient à leurs principes de liberté et d’autonomie et parfois aussi au simple sens commun. Il faut toutefois observer que le confinement avait trouvé sa justification auprès du public dans son rôle sacré de protection sanitaire et que les autorités avaient pris la précaution de se cacher derrière une Haute Autorité de la Santé qui était supposée détenir la vérité, une « vérité » inlassablement assénée par des médias qui avaient parfaitement compris que leur rôle consistait à être les porte-voix du pouvoir : l’expérience de Milgram en grand.   

 

Ainsi, l’épisode du confinement a permis de vérifier qu’il était toujours possible, dans le cadre de la société individualiste actuelle, de faire obéir tout le monde, en forçant les individus à confier entièrement leur sort aux autorités politiques et à faire du jour au lendemain le contraire de ce qu’ils faisaient la veille

 

*Stanley Milgram (1994), Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, 270 pages.

PROCHAIN ARTICLE : RENONCER AU QUÉBEC ? 

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LE CONFINEMENT COMME EXPÉRIENCE DE MILGRAM

15 Juin 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

L'EXPERIENCE DE L'OBEISSANCE

L'EXPERIENCE DE L'OBEISSANCE

Rassurez-vous, je ne vous dirai pas ce que je pense du confinement en France. Je traiterai exclusivement du comportement des Français face à la décision de confinement. 

 

Cependant, réglons au préalable la question de l’opportunité du confinement : c’était peut-être utile, soit pour limiter le nombre de décès provoqués par le Covid 19, soit pour rassurer les Français. Mais dans tous les cas, presque tous les gouvernements, sauf quelques-uns (Suède, Allemagne, Taiwan, Corée), ont dû ordonner le confinement de leurs populations pour ne pas être accusés d’impéritie. Quoi qu'il en soit,  les citoyens étaient en situation de croire que le confinement, auquel les astreignait l'État, était justifié.   

Il en est résulté une expérience proprement extraordinaire que je suis content d’avoir vécue. L’action demandée aux Français était proprement extravagante : s’enfermer chez soi en s’interdisant de sortir prendre l’air, sauf à établir, pour soi-même, des attestations selon des formulaires farfelus : les sept cases du docteur-premier ministre Edouard Philippe passeront sans nul doute à la postérité ! 

On a vu aussi l’intervention d’une cohorte de Diafoirus, prétendant tout savoir de ce qu’il fallait faire pour lutter contre la propagation du virus alors qu’ils n’en savaient rien. 

Enfin on a vu l’empressement des foules à leur obéir, si bien que l’épisode du confinement nous confirme qu’il est extrêmement facile de manipuler et de contrôler une population, ce qui constitue l’objet de ce billet, à partir de l’expérience de psychologie de  Stanley Milgram

Cette expérience s’est déroulée entre 1960 et 1963. Elle a consisté à recruter des sujets acceptant de se prêter à une étude qui portait apparemment sur l'apprentissage. Elle s’est déroulée au sein de Yale University, avec des participants qui étaient des hommes et des femmes de tous milieux et de tous niveaux d’éducation, âgés de 20 à 50 ans.

L'expérience mettait en jeu trois personnages, un élève qui s'efforçait de mémoriser des listes de mots et recevait une décharge électrique en cas d'erreur, un enseignant qui dictait les mots à l'élève, vérifiait les réponses et envoyait la décharge électrique destinée à faire souffrir l'élève et un expérimentateur vêtu d'une blouse grise de technicien, avec toutes les apparences de quelqu’un qui est sûr de son fait et qui représentait l'autorité officielle.

Il ne s’agissait que d’apparences. En réalité, l'expérimentateur et l'élève étaient deux comédiens, ce qu’ignoraient les personnes recrutées comme « enseignantes ». 

L'élève était attaché sur ce qui ressemblait à une chaise électrique. L'enseignant-cobaye recevait la mission de lui faire mémoriser des listes de mots. Il était installé devant un pupitre où une rangée de manettes était censée envoyer des décharges électriques à l'élève. À chaque erreur successive, l'enseignant enclenchait une manette qui était supposée envoyer un choc électrique de puissance croissante à l'apprenant, alors qu’en réalité le choc électrique était fictif. 

Le sujet était prié d'annoncer la tension correspondante avant de l'appliquer. Les réactions aux chocs électriques étaient simulées par l'apprenant, un comédien qui avait reçu les consignes suivantes : 

à partir de 75 V, il gémissait; 

à 120 V, il se plaignait à l'expérimentateur qu'il souffrait; 

à 135 V, il hurlait; 

à 150 V, il suppliait d'être libéré; 

à 270 V, il lançait un cri violent; 

à 300 V, il annonçait qu'il ne répondrait plus. 

Au niveau de 150 volts, la majorité des enseignants-sujets manifestaient des doutes et interrogeaient l'expérimentateur qui était à leur côté. L’expérimentateur était chargé de les rassurer en leur affirmant qu'ils n’étaient pas tenus pour responsables des conséquences. 

Si un sujet hésitait à envoyer la décharge électrique à l’élève, l'expérimentateur avait pour consigne de lui demander d'agir et s’il exprimait le désir d'arrêter l'expérience, l'expérimentateur lui adressait les injonctions suivantes, dans l’ordre :

1. « Veuillez continuer s'il vous plaît. »

2. « L'expérience exige que vous continuiez. »

3. « Il est absolument indispensable que vous continuiez. »

4. « Vous n'avez pas le choix, vous devez continuer. »

Si le sujet maintenait la volonté de s'arrêter après ces quatre interventions, l'expérience était interrompue. Sinon, elle prenait fin quand le sujet avait administré trois décharges maximales (450 volts) à l'aide des manettes intitulées « XXX ». 

À l'issue de chaque expérience, un questionnaire et un entretien avec le cobaye jouant l'enseignant permettait d'écouter les explications qu'il donnait de son comportement. 

Cette expérience a été réalisée avec 636 sujets selon des variantes qui permettent de définir les éléments poussant une personne à obéir à une autorité qu'elle respecte.

La plupart des variantes ont permis de constater un pourcentage d'obéissance proche de 65% pour envoyer une décharge électrique maximale de 405 volts en moyenne, alors que tous les participants s’étaient, à un moment ou à un autre, interrompus pour questionner l'expérimentateur et que beaucoup s’étaient montrés très réticents à envoyer la décharge électrique lors des derniers stades. 

 

Dès lors, qu’est-ce qui peut bien expliquer que les sujets de l’expérience aient massivement obéi à l’autorité, alors que les instructions reçues étaient en contradiction avec leur conscience ? 

 

À SUIVRE

 

PROCHAIN ARTICLE : LES LEÇONS DE L’EXPÉRIENCE DE MILGRAM

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UNE VOCATION D'ÉLEVEUSE DE MOUTONS

26 Mai 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

UNE VOCATION D'ÉLEVEUSE DE MOUTONS

Depuis que l’agriculture existe, elle est prise dans une terrible contradiction, entre l’amour de la nature qu’elle contribue à détruire et la nécessité de nourrir l’humanité. 

 

La plupart d’entre nous se contentent d’être les consommateurs de cette agriculture, critiques pour ses produits tout en étant admiratifs pour ses producteurs qui vouent leur vie, plus ou moins volontairement, à cette ascèse. 

Lorsqu’elle est volontaire, il est instructif d’en comprendre les motivations.  

À 28 ans, la parisienne Stéphanie Maubé se découvre une vocation d’éleveuse de moutons, alors qu’elle exécrait la campagne, elle qui aimait les loisirs, les distractions et la bonne bouffe. 

Mais elle est émerveillée par le mouton, cet animal assez simple, un « gros rond avec quatre pattes ». Le contact physique avec le mouton lui plait, elle s’émerveille de son instinct grégaire, de sa placidité. Et puis élever des moutons lui donne un sentiment de plénitude lorsqu’elle marche derrière le troupeau dans d’immenses espaces où il n’y a que le ciel dans son champ de vision, ainsi reliée à la terre, donc vivante et finalement utile avec son troupeau destiné à la production de nourriture. 

Plus d’une décennie ont passé depuis cette découverte. Elle sait désormais que l’on ne devient pas agriculteur pour se retrouver, pour fuir la ville ou pour donner un sens à la vie, car le métier d’agriculteur demande trop de sacrifices pour qu’une telle motivation individuelle ne s’y dissolve  pas.

Dans ce métier, on ne peut y aller seul bien longtemps, il faut que l’on puisse y embarquer son conjoint, ses enfants, ses parents et ses amis. Il faut que l’on puisse renoncer à l’argent, aux vacances, aux week-ends, au cinéma, aux fringues et on ne le peut s’y résoudre que si l’on voit son métier comme un geste d’amour pour l’humanité. 

Un geste d’amour pour l’humanité, alors que l’industrialisation et le véganisme veulent couper l’homme de  son alimentation naturelle ? Pour notre éleveuse de moutons, l’homme a besoin de « carburant » et si on s’alimente avec un carburant pourri, dévoyé ou artificialisé, on s’éloigne de ses besoins réels. Alors produire de l’alimentation de qualité, oui, c’est un objectif noble, c’est un geste d’amour. 

Encore fallait-il comprendre, avant de se faire comprendre et accepter par des agriculteurs qui, dans leur grande majorité, n’avaient jamais eu le choix de faire ce métier qu’ils se contentaient de subir. Elle a bien compris qu’en faisant ce métier d’éleveuse de moutons par choix, elle venait les provoquer, les narguer. 

Il a donc fallu qu’ils se reconnaissent réciproquement comme étant de la même trempe, lorsqu’ils ont vu qu’elle rentrait son troupeau sous la pluie avec son bébé accroché dans le dos, qu’elle était capable de trainer des carcasses de brebis mortes, qu’en somme elle faisait son métier de manière professionnelle. Et puis, ceux qui perpétuent une tradition familiale qui s’essouffle, souvent plus contraints que volontaires, comprennent progressivement que la relève viendra, en partie au moins, de ces néo ruraux. 

La lisant, l’écoutant, j’en ai conclu que je partageais tout à fait la philosophie du métier qu’exprimait Stéphanie Maubé, moi dont la sœur et le beau-frère ont fait le même choix, ont obtenu la même réussite en s’intégrant de même dans le monde rural. 

 

Même si la vie vous contraint à inscrire vos pas dans un sillon que vous n’avez pas choisi, son métier c’est sa vie, on ne peut donc le faire que par amour…

 

 

Référence : Yves Deloison et Stéphanie Maubé, Il était une bergère, Rouergue Editions, 2020.  

 

PROCHAIN BILLET: LE CHOC DU DAKOTA DU NORD 

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LA VÉRITÉ OU LA VIE*

9 Mai 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CALENDRIER TAO

CALENDRIER TAO

Le courant de la vies’impose comme le vrai dessin de la pensée chinoise et il nous faut en tirer les leçons

 

François Julien identifie en effet, en sus des oppositions précédentes, les trois oppositions suivantes entre les pensées chinoises et occidentales, « Entre » versus « Au-delà »̀, « Essor » versus « Étale » et « Non report » versus « Savoir différer ». 

« Entre », « Essor » et « Non report » correspondent respectivement aux trois questions suivantes, du point de vue chinois :

- Où est le vivre ? 

- Comment se manifeste-t-il ? 

- Comment le capter ?

Pour la pensée chinoise, ces questions impliquent que le « vivre » ne se passe pas dans un monde idéal,au-delà du monde concret.  Le « vivre » circule dans les choses, il en est la respiration ; le « vivre » doit d’abord se sentir, s’éprouver et on doit le laisser se dérouler. Comment se manifeste-t-il ? En prenant son essor, en se développant jusqu’à ce qu’il décline. C’est pourquoi il faut capter l’essor du « vivre » en épousant le moment, en saisissant l’occasion grâce au  non report, tout en acceptant de laisser murir les situations. La pensée chinoise observe la nature du « vivre » et propose une stratégie pour s’y adapter. 

La dernière des oppositions présentées par François Julien, met l’accent sur la différence entre « Ressource » et  « Vérité » et elle résume  l’ensemble de toutes les oppositions entre les pensées chinoises et occidentales que nous avons examinées. À l’idéal de « vérité » occidental s’oppose la modeste notion chinoise de « ressource », qui désigne l’ensemble des moyens mobilisables pour sortir d’une difficulté,  pour résoudre un problème. 

Or la quête de la vérité n’est nullement une démarche modeste. Elle est le moteur de la pensée européenne, qui se voit elle-même comme une histoire jamais achevée ni satisfaite, mais toujours recommencée et relancée. Mais la tradition intellectuelle et morale de la Chine ne se focalise ni sur l’Etre ni sur la vérité. Si la notion de vérité n’y est pas inconnue, elle n’occupe pas la position primordiale que l’Occident lui a conférée. Pour la pensée chinoise, la vérité s’observe empiriquement, sans plus, sans en faire toute une histoire. 

S’il y a dans la pensée chinoise une obsession comparable à celle de la Vérité, c’est la recherche du point d’équilibre parfait, dans le vécu de chaque situation, ici-bas, et non pas dans l’idéal. Le réalisme et la sagesse sont mis en avant, modestement pour viser à l’harmonie, non à la vérité. 

 

On le constate, la rencontre de la pensée chinoise et de la pensée européenne permettent de mettre en évidence deux modes de pensée, deux formes de raison différentes, qui proposent des logiques rivales et toutes deux parfaitement cohérentes. Nous voyons bien en effet apparaître la cohérence de la pensée chinoise, nous comprenons sa fécondité historique et nous apercevons aussi ses limites. Inversement, si l’on regarde du point vue de la pensée chinoise la philosophie européenne, nous sentons ses partis-pris, sa partialité, en même temps que sa fécondité. La notion centrale de vérité, si importante et vénérée comme une déesse intouchable et inaccessible est un trésor dont l’importance paraît surestimée du point de vue des Chinois, car ces derniers ont vécu et développé un autre mode de pensée sans avoir le sentiment qu’ils disposaient d’un système de pensée inférieur au système occidental. Au contraire, ils se pensent, profondément, supérieurs. 

En considérant les écarts entre les deux pensées, François Julien, avec une audace certaine, nous invite à mettre en question notre façon de penser, non pas pour adopter l’approche chinoise, mais pour s’en servir en considérant avec un œil critique le centre, l’obsession de notre propre pensée. Il nous propose de quitter un instant des yeux la question de l’Être et de l’ontologie, qui a permis d’immenses conquêtes, au tout premier rang scientifiques. Mais, peut-être, bride t-elle maintenant notre compréhension du présent ? Peut-être la vérité n’est-elle pas une, n’est-elle pas uniquement scientifique ? Peut-être, tout simplement n’est-elle pas, ou n’est-elle plus, la question centrale de l’humanité, hic et nunc. 

Pourquoi ne pas considérer un instant, avant de retourner à nos tourments ontologiques, que le « vivre » peut aussi être regardé comme un centre éventuel de notre pensée, à l’heure où le monde des humains est bouleversé par le choc qu’il a lui-même provoqué ? Les penseurs taôistes ont tout à fait reconnu que la vie, comme courant ou comme élan, se dérobe à toute fixation conceptuelle, mais ils soutiennent aussi qu’elle ne se refuse  pas à toute intelligence ni à tout usage. 

Comparer les deux pensées, a pour effet, du point de vue occidental, de nous inviter à recentrer notre réflexion sur le « vivre »,ce qui a pour effet de poser autrement les questions de notre monde, en reformulant nos problématiques épistémologiques, morales, politiques ou esthétiques.

Mais la leçon principale de cette comparaison est, de notre point de vue, la chance de l’humanité de disposer de deux pensées pour comprendre le monde. Il y en a d’autres, mais la plus grande faiblesse de la pensée occidentale n’est-elle pas de l’avoir nié, en raison du terrible postulat sur lequel elle s’appuie pour développer son système de pensée, qui est qu’elle détient la vérité ou plus exactement qu’elle connaît le chemin pour s’en approcher ? 

 

Aujourd’hui, nous savons que la pensée occidentale s’est appropriée le concept de vérité, mais que la pensée chinoise a noyé le concept  au sein des flots tumultueux de la vie. Tirons en les leçons.

 

François Jullien, De l’Être au Vivre : Lexique euro-chinois de la pensée, 320 p, Gallimard, Paris, 2015. 

André Boyer, Orphans, Éditions mco, 2005.

 

CI JOINT EN PDF L'ENSEMBLE DE MES BILLETS SUR LA PENSÉE CHINOISE

 

FIN

 

 

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CLARIFIER L'AMBIGU CHINOIS?

18 Avril 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

Quelle ambiguïté ?

Quelle ambiguïté ?

Dans la conclusion de mon dernier billet sur la pensée chinoise « Le vent fait plier les herbes », le 7 mars dernier, je notais que l’action du sage opère par influence et non par persuasion, comme dans la pensée occidentale. 

 

C’est que l’opposition entre la Cohérence chinoise et le Sens occidental esquisse deux grandes approches du réel, conduisant à deux logiques rivales, que l’on observait déjà à l’orée de la philosophie européenne, la disjonction parménidienne contre la compréhension héraclitéenne. La première, avec Aristote et le principe de non-contradiction, l’emportera avant que la seconde n’effectue son retour sur la scène philosophique au 19esiècle, avec Hegel, Nietzsche ou Heidegger.

Une pensée de la cohérence s’attache à observer la coopération des contraires dans le déroulement des choses, jour et nuit, été et hiver, guerre et paix, vie et mort. Elle se borne à décrire le fonctionnement du réel, sans doute infiniment subtil, mais dont seul importe le comment.

Alors qu’une pensée du sens est obnubilée par le pourquoi des choses, objet d’un étonnement qui commence avec Platon et qui n’est jamais apaisé. Il en surgit deux formes de logique, également cohérentes, l’une, compréhensive, qui retient et intègre tous les aspects du réel, et l’autre qui avance par interrogations successives, par un jeu binaire d’affirmation et de négation, une logique disjonctive. 

Ces deux logiques sont à l’œuvre dans les oppositions suivantes : 

- La Connivence chinoise versus la Connaissance occidentaleDe ce dernier côté, la connaissance, un savoir toujours plus abstrait et mathématisé qui conduit à la science. De l’autre côté, la connivence, un savoir qui reste concret et situé. Le point fort du premier, son noyau dur, c’est la physique, sans laquelle il n’y aurait pas de civilisation européenne. Le chef d’œuvre du second, c’est la tradition médicale chinoise, une pratique globale, holistique mais complexe, manuelle, sensible, adaptée à la saison, toute en subtilité. 

- La Maturation chinoise versus la Modélisation occidentaleAlors que l’approche scientifique conduit à modéliser l’expérience, puisque pour connaître un phénomène on le reconstruit en laboratoire (voir les débats sur l’expérimentation des médicaments), le savoir concret chinois porte toute son attention sur le rythme de développement des choses, leur durée interne qui doit être respectée. Ce n’est pas le cas du savoir rationnel qui se lance hardiment dans des programmes d’action dont le champ d’application, après la nature, s’étend au corps physique et social, Car la modélisation ne se cantonne pas à la technique matérielle, elle déborde sur le politique, elle s’attaque au vivant. À tort ? À tort et à travers ? 

- La Régulation chinoise versus la Révélation occidentale: la prise sur les choses s’inscrit dans une vision du monde. Un monde dont la marche relève d’une maturation possède un ordre interne, où le transcendant et l’immanent y sont indissociables. Il appelle à un souci de régulation de la part de l’homme éclairé: n’en faire ni trop ni pas assez, mais s’ajuster en permanence à la respiration des choses. Le sentiment du sacré exprime la confiance dans la continuité du vivant. Cette continuité n’a pas besoin de révélation puisqu’elle est évidente. Elle n’a pas besoin d’énigmes à résoudre comme dans les mythes grecs ou de mystères à accepter, comme dans les Evangiles. Elle ignore enfin le concept de révolution qui n’est que la radicalisation de la modélisation sur le plan sociopolitique, un concept qui prend au contraire toute sa force dans une culture de la révélation. 

- La Transformation chinoise versus l’Évènement occidental. Cette opposition concerne l’intelligence du temps. A la mise en valeur de l’évènement, côté européen, et avec lui de l’acte, du spectacle ou de l’épopée qui le célèbre, s’oppose en Chine, qui n’a aucune tradition épique, l’attention aux transformations silencieuses qui incessamment travaillent dans le réel, et la recherche de ses indices les plus tenus. 

- L’Évasif chinois versus l’Assignable occidental. L’assignation comme détermination claire et précise d’un objet à connaitre est la démarche de base de la philosophie grecque, qui s’exprime aussi dans l’art avec la saisissante découpe des formes de l’art grec. Evasive sera au contraire l’approche chinoise des choses dans leur flux continu, cherchant ainsi le non localisable, excellant dans ses arts à évoquer la transition, la fusion des formes et non pas la pleine lumière, mais à faire voir l’instant où elles surgissent, comme celui où elles se résorbent.

- L’Ambigu chinois versus l’Équivoque occidental.Cette opposition résume les cinq oppositions précédentes, en considérant dans chaque culture le rapport au langage. Dans la philosophie européenne, de Socrate à Wittgenstein, l’impératif est d’expulser l’équivoque. Les concepts philosophique et scientifique ne supportent pas la polysémie du langage. Le logos doit avoir le dernier mot. Cette confiance dans le langage n’est partagée par aucune des grandes écoles de la pensée chinoise, dont l’effort est de défaire les rigidités du langage courant pour laisser affleurer le courant de la vie, dans son ambigüité foncière. L’impératif chinois est d’explorer l’ambigu, art dans lequel excelle l’expression poétique chinoise. 

 

On l’observera dans le prochain billet, le courant de la vie est en effet la vraie, l’indépassable cible de la pensée chinoise, ce qui n'est pas le cas, c'est le moins que l'on puisse écrire, de la pensée occidentale

 

À SUIVRE

 

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LE VENT FAIT PLIER LES HERBES

7 Mars 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE VENT FAIT PLIER LES HERBES

Si l’on accepte l’idée que l’association « Propension/Potentiel » est à la base de l’axiomatique de la pensée chinoise (voir mon article  précédent « Ni cause ni sujet dans la pensée chinoise »), il en découle une série de conséquences. 

 

Les toutes premières sont d’ordre éthique, autour, dans la pensée chinoise, du rapport à autrui et à soi. Dés cette étape, la logique chinoise se sépare de la logique occidentale face au « réel », au sens où la première s’applique à élucider son fonctionnement et la seconde à en rechercher le sens.

Pour commencer, en matière éthique, la différence entre la pensée chinoise et occidentale se situe dans le rapport «Disponibilité/Liberté ». Si l’on se situe dans la perspective occidentale, la liberté est la valeur éthique suprême. Observons  en effet que, dès l’Antiquité, de Platon aux stoïciens et aux épicuriens, des cyniques aux sceptiques, l’homme libre est le sage par excellence, celui qui s’applique à se libérer de toutes les dépendances par un travail sur soi. Par la suite, l’exigence de liberté individuelle a été encore approfondie, dés Montaigne et Descartes, avant d’investir le champ politique avec, entre autres, Spinoza et Rousseau. 

En revanche, dans la pensée chinoise, le sage n’est nullement l’homme libre, mais l’homme disponible qui est en mesure de répondre de manière appropriée à la diversité mouvante des situations. On peut le constater au sens social et politique avec Confucius ou dans les  rapports directs de l’homme à la nature avec l’approche taôiste : le sage chinois maintient ouvert tous les possibles, n’exclut rien, ni ne privilégie rien. 

Partant de deux valeurs différentes, la liberté ou la disponibilité,  on observe que les pensées occidentales et chinoises envisagent des rapports différents aux autres et à soi. 

Dans la pensée occidentale, la sincérité est l’exigence d’une subjectivité authentique, que ce soit la franchise de l’homme libre ou la confession du chrétien, avec la volonté de mettre le langage au niveau du vécu et de pouvoir tout dire. À cette sincérité occidentale s’oppose la fiabilité chinoise. L’éthique chinoise ne raisonne pas à partir du sujet isolé mais depuis un tissu relationnel pour lequel l’exigence de base est précisément la fiabilité, l’accord du dire et du faire, la parole tenue, sans quoi rien ne peut se construire au plan social, puisqu’il n’y a pas de confiance (xin). Dans ce système, la franchise est dangereuse, voire inconvenante, au sein d’une culture qui cherche à canaliser les émotions par un système de rites. 

Ensuite, pour agir sur le réel, la pensée occidentale privilégie la volonté, en mettant en exergue, à partir du monologue intérieur, la prise de décision* qui est l’instant crucial du choix, alors qu’en Chine la valeur de la décision est mesurée par la durée de son maintien, c’est à dire la durée nécessaire pour que s’accumule la force morale, qu’exprime la ténacité (zhi). 

Il reste à mettre en œuvre ces valeurs éthiques à travers une logique d’action qui, en Occident fait appel à une méthode frontale, car cette frontalité est un choc des courages avec pour sanction la victoire ou la défaite, aussi bien dans la guerre que dans les discours et dans le dialogue philosophique.

En Chine, on compte plutôt sur une stratégie oblique. En effet les principes stratégiques chinois, formulès dès l’Antiquité par Sun Tzu** sont directement issus des principes de la pensée chinoise. L’attaque directe est considérée comme dangereuse, coûteuse, épuisante. Le bon stratège sait attendre, ne compte pas sur le seul courage des troupes, mais le stratège prépare et aménage la situation de guerre, en sachant  que la victoire s’obtient au bon moment et latéralement, du côté que l’ennemi n’attendait pas***. 

Cette obliquité de l’action victorieuse, on la retrouve aussi dans l’enseignement de Confucius qui n’opère jamais par une argumentation directe appuyée sur des raisonnements imparables, mais qui sait, au bon moment, désarçonner son interlocuteur et déjouer sa résistance, sans chercher à administrer la moindre leçon. Il s’agit simplement d’une parole qui tombe juste, au bon moment. 

 

C'est pourquoi la grande métaphore chinoise de l’action du sage est celle du vent qui fait plier les herbes. Elle n’opère point par persuasion, ponctuelle et obtenue de haute lutte, mais par influence, diffuse, ambiante, irrésistible, dissolvant tout conflit. 

 

* Lucien Sfez, La décision, PUF, 2004 (un des Que Sais Je les plus vendus de la collection) 

** Sun Tzu, L’art de la guerre, Fayard/Pluriel, 2015.

*** Des principes que j’ai appliqué à mon tour dans mes rapports avec la société chinoise, dont le récit se trouve dans la partie «Interlude » de mes billets), car il n'est pas interdit d'utiliser les principes de la stratégie chinoise...contre les Chinois!

 

À SUIVRE 

 

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NI CAUSE, NI SUJET DANS LA PENSÉE CHINOISE

27 Janvier 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

NI CAUSE, NI SUJET DANS LA PENSÉE CHINOISE

Le principe selon lequel tout phénomène a une cause n’a jamais été remis en question par la pensée occidentale, alors que la pensée chinoise ignore ce concept.

 

En effet, pour la pensée chinoise, connaitre ne consiste pas à identifier la cause d’un phénomène mais à saisir sa dynamique en fonction des énergies qui le portent et dont il n’est que la résultante. 

Cette approche de la connaissance est issue du Yi Jing, composé par strates successives au premier millénaire avant J.C., qui présente un répertoire général de toutes les formes de changement sous une forme combinatoire, qui permet d'identifier le type de dynamique auquel l'on fait face. Ce répertoire présente soixante quatre scénarios de changement, chacun porteur d’une logique propre et chacun relié à tous les autres. 

Pour comparer, pour rapprocher ou pour distinguer les pensées occidentales et chinoises sur la signification de la connaissance, il faut saisir l’origine de la bifurcation entre les deux pensées. La philosophie grecque,  sous la conduite de Platon, créé des fractures, sépare l’être et le devenir, le réel et ses apparences.

Cette démarche définit le philosophe, cet homme qui sort de la caverne du monde sensible pour se diriger vers la plaine de la vérité qui constitue le monde intelligible, comme le montre les dialogues de Platon. Il s’agit de comprendre que le principe de causalité concerne l’être et le réel, et non le devenir, ce dernier se situant sur le terrain des opinions, multiples, variables, instables. 

Cette séparation originelle de l’être et du devenir, de l’éternel et du transitoire, la pensée chinoise ne l’effectue pas. Pour elle, les choses se structurent en évoluant, ou évoluent en se structurant. Le réel est en mouvement permanent même quand il semble immobile,  selon un processus énergétique que décrit le Tao (la Voie), avec deux énergies de sens contraires qui s’opposent et coopèrent dans une alternance continue. Ce réel en mouvement donne lieu à une multiplicité de formes dynamiques,  qui est la cible de tout savoir. 

Puisqu’il s’agit de discerner le type de dynamique observé, l’attention aux prémices, aux indicateurs de tendances est particulièrement aiguisée. Alors que dans la perspective platonicienne s’oppose la stabilité du savoir à l’instabilité de l’opinion, dans la pensée chinoise l’ignorant est enfermé dans l’étroitesse de son point de vue, il ne prévoit rien, il subit, tandis que le sage anticipe, épouse le mouvement des choses, s’adapte à leur continuelle évolution. 

A partir de cette conception du savoir, les autres couples notionnels en découlent, avec, en premier lieu, deux conceptions de l’action. 

D'un côté, la notion de sujet parcourt toute la philosophie occidentale, depuis Descartes et son cogito. Le sujet est capable d’agir, de faire naitre ce qui n’est pas.  Cette vision de l’action n’est pas partagée par la pensée chinoiseAlors que la philosophie occidentale pense l’action à partir du sujet agissant, dans la pensée chinoise le sujet n’est jamais isolé de sa situation, il en reste partie prenante. 

François Jullien (2014) révèle cette différence au travers de la notion de paysage. En Europe le paysage s’offre au  regard d’un sujet, mais en chinois « paysage » necessite l’emploi de deux termes, shan et shui (la montagne et l’eau), deux termes en tension puisqu’ils représentent « ce qui monte et se dresse » d’un côté et « ce qui descend et s’écoule » de l’autre, mais aussi « ce dont la forme se découpe » et  « ce qui peut prendre toute forme », comme le montre les idéogrammes. Le paysage chinois est ainsi conçu comme un champ tensionnel auquel  l’homme participe en tant que porteur d’énergie et à partir duquel  il pourra aussi recharger son énergie. 

Aussi, dans la pensée chinoise, le paysage n’est pas une notion purement esthétique mais aussi stratégique puisqu’il s’agit de tirer parti de sa configuration. Agir, c’est exploiter les propensions contenues dans une situation, son potentiel.

Plutôt que de forcer les circonstances, tenter d’y imposer ses vues personnelles, l’important est de savoir en détecter les potentialités pour les utiliser à son profit.

On ne gagne rien à aller contre le Tao, car on ne réussit qu’en sachant en épouser les lignes de force. Ainsi le non agir, wu wei, ne relève pas du quiétisme. Il s’agit plutôt de ne pas intervenir brutalement mais de laisser se dérouler les processus naturels. C’est un idéal d’action qui préconise, non pas  de l’indifférence pour le cours des événements  mais au contraire son suivi attentif pour profiter pleinement de ses propensions, afin d'obtenir un effet maximal avec une intervention minimale. 

 

L’association « Propension/Potentiel » est donc à la base de l’axiomatique de la pensée chinoise. 

 

François Julien, Vivre de Paysage ou L’impensé de la Raison, 272 pages, Gallimard, 2014.  

 

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