philosophie
ROBOT OU TRAVAIL HUMAIN?
ROBOT OU TRAVAIL HUMAIN ?
Dans le billet précédent, j’ai expliqué en quoi un système industriel fondé sur la robotique nécessitait une grande quantité d’énergie et de métaux souvent rares, ces deux facteurs de production se trouvant limités par l’écologie de notre planète et par la quantité de matières premières disponibles. Ces deux contraintes ont des effets sur le coût comparé d’une production assurée, soit par les robots, soit par les hommes.
Le coût énergétique des robots n’est pas totalement ignoré dans les calculs industriels, mais la comparaison avec le coût du travail humain n’a pas encore été systématiquement analysée.
Le fonctionnement d’une entreprise implique de calculer ses coûts et ses revenus. Nous avons choisi un exemple, que l’on ne peut pas généraliser, de calcul du cash-flow généré par l’introduction d’un robot qui couterait 250000$. Le calcul montre que les économies engendrées par le remplacement des ouvriers par le robot, entraine une augmentation appréciable du cash-flow, grâce à une faible augmentation du coût de l’énergie, 2% par an.

Face à la consommation d’énergie générée par les robots qui comprend celle qui est engendrée par leur fabrication, celle qui provient de leur activité physique et de la transmission des informations qui leur sont nécessaires, les êtres humains consomment à peu prés la même quantité d’énergie, l’équivalent d’une ampoule de 100 à 150 watts, qu’ils travaillent ou qu’ils ne travaillent pas, ce qui signifie que le coût marginal du travail humain en termes d’énergie est quasiment nul.
Or l’usage croissant des robots entraine un accroissement du coût de l’énergie et des matières premières rares, ce qui provoquera à terme un arbitrage de plus en plus favorable au recours à l’activité humaine dans le processus de production.
FIN
LES LIMITES PHYSIQUES DE LA ROBOTIQUE
L’humanité se trouve, pour le demi-siècle à venir, devant un dilemme. Soit accroitre sans cesse sa consommation d’énergie et donc son empreinte écologique, soit trouver les moyens de la réduire. Le développement de la robotique est une donnée importante de ce choix.
Pour les dix ou quinze années qui viennent, l’inertie de l’économie mondiale pousse dans le sens d’une augmentation de la consommation d’énergie. La logique de la concurrence entre les producteurs d’énergies fossiles a entrainé la mise en exploitation du gaz et du pétrole de schiste. Il en résulte que les réserves mondiales de pétrole ont augmenté, permettant désormais de répondre à une cinquantaine d’années de consommation (BP 2017). Du coup, le prix du pétrole baisse et son remplacement par des énergies moins polluantes s’en trouve freiné : selon les prévisions (WEO, 2017), la demande de pétrole en 2040 devrait encore être de 105 millions de barils par jour.
Il en résulte que l’on s’attend à un accroissement continu des gaz à effet de serre, ce qui va provoquer un réchauffement global supérieur à 2oC du climat de la Terre. On ne sait pas encore prévoir quand les problèmes liés aux ressources en eau, à la production agricole, à la survie et l'épanouissement de la biosphère naturelle pourraient devenir critiques, d’autant plus que l’évolution du climat peut provoquer de brusques ruptures, comme le réchauffement du pergélisol de la zone subpolaire qui risque de libérer de fortes quantités de méthane susceptibles d’accélérer encore le réchauffement climatique ou comme un ralentissement voire une déviation du Gulf Stream qui affecterait le climat de l'Atlantique nord.
Mais même si le climat ne réagit que lentement aux perturbations provoquées par la croissance économique, la perspective de tels changements est de nature à bouleverser les choix technologiques et économiques de l’humanité. La réduction des émissions de CO2 contraindra à limiter la consommation d’énergie fossile et donc d’énergie tout court, qui ne peut être obtenue que par une augmentation du prix de l’énergie ou par son rationnement.
Il est donc probable que, même après une courte période de stabilisation des prix, jusque vers la fin des années 2020, le coût de l’énergie devrait augmenter sensiblement, ce qui affecterait le coût de fabrication et d’utilisation des robots.
En effet, les robots consomment de l’énergie électrique, en raison de leur action mécanique et des moyens d’information dont ils disposent pour communiquer avec les hommes, pour recueillir des informations sur leur environnement et pour organiser leurs actions.
Si la quantité d’électricité consommée par les robots est difficile à isoler, la consommation électrique nécessaire pour faire fonctionner l’ensemble du système sur lequel sont adossés les robots, composé de terminaux, d’équipements de transmission et de centres de données, dégage une grande quantité de chaleur. On évalue que la seule électricité consommée par les échanges de données représente 10% de l’électricité mondiale (Mills M. P., 2013).
Des progrès techniques pour réduire la consommation énergétique sont en cours, mais ces gains sont largement contrebalancés par l’accroissement rapide des données échangées et stockées. En effet, selon Data Age 2025 (Reinsel D. and al., 2017), la quantité de données échangées en 2025 devrait être dix fois supérieures à celles échangées en 2016 et le développement des big data, indispensables à «l’intelligence» des robots, est un facteur important de la croissance des échanges de données.
En outre, les calculateurs et les batteries des robots font appel à des métaux rares, tels que le platine pour les piles à hydrogène et le néodyme dopé au dysprosium pour les aimants (Zhou, 2017). Les batteries utilisent également divers matériaux rares, tels que le gallium, le sélénium, l'indium, le cadmium et le tellure pour les panneaux solaires. Dans les ordinateurs des robots, des dizaines de métaux différents sont utilisés, dont certains sont rares ou/et chers comme l'or, l'argent, le cuivre, le lithium, le cobalt, l'étain, le gallium, l'indium, le germanium, le tantale, le ruthénium, le tellure, l'antimoine et le palladium.
C’est pourquoi le secteur informatique représente une part importante de la consommation minière mondiale : 6 % du cuivre, 10 % de l’or et du palladium, 20 % de l’argent, 35 % de l’étain et du cobalt, 60 % du tantale, 80 % de l’indium (Zhou, 2017), d’autant plus que la récupération de ces métaux dans les déchets électroniques s’avère malaisée, car les métaux y sont trop mélangés et trop dispersés pour être recyclés.
Ainsi les besoins en énergie et les besoins en métaux se renforcent mutuellement et le système industriel fondé sur la robotique puise dans un stock limité de ressources en énergie et en métaux.
Références:
BP Statistical Review of Energy (June 2017), retrieved from
Mills, M. P. (2013), The Cloud Begins With Coal, Big Data, Big Networks, Big Infrastructure and Big Power: an overview of the electricity used by the global digital ecosystem, retrieved from https://www.tech-pundit.com/wp-content/uploads/2013/07/Cloud_Begins_With_Coal.pdf.
Reinsel, D., Gantz, J.,&Rydning, J. (2017), Data Age 2025: The Evolution of Data to Life-Critical Don’t Focus on Big Data; Focus on the Data That’s Big. IDC White Paper, retrieved from https://www.seagate.com/files/www-content/our-story/trends/files/Seagate-WP-DataAge2025-March-2017.pdf
WEO (2017), World Energy Outlook 2017, Executive Summary, retrieved from https://www.iea.org/Textbase/npsum/weo2017SUM.pdf
Zhou, B., Li, Z., & Chen, C. (2017),Global Potential of Rare Earth Resources and Rare Earth Demand from Clean Technologies, Minerals, 7(11), 203. doi:10.3390/min7110203
À SUIVRE
LES ROBOTS, LE TRAVAIL, L'ÉNERGIE
Si, en raison de l’introduction des robots dans le processus de production l'emploi s’effondre, il faut donc rechercher des solutions sociales, professionnelles, politiques et éducatives :
- Une première solution au chômage technologique consiste tout simplement à s’adresser aux entreprises pour qu’elles gardent leurs employés malgré l'automatisation des tâches, ce qui est assez illusoire dans la mesure où les entreprises introduisent des robots pour réduire leurs coûts de production.
- Aussi a t-il paru plus réaliste de faire appel à la solidarité collective en versant des allocations pour assurer un niveau de vie suffisant aux personnes privées d’emploi du fait du chômage technologique, même si la réflexion autour de l’opportunité d’une telle mesure sociale reste ouvert.
- Il a paru aussi que travailler avec les robots était un moyen logique de maintenir les gens au travail (Brynjolfsson et McAfee, 2011). Selon ces derniers auteurs, la vitesse excessive avec laquelle les êtres humains organisent la croissance de la robotisation explique la montée du chômage technologique. Il s’agirait, plutôt que de remplacer les travailleurs par des robots, de trouver la combinaison appropriée de robots et d'employés pour optimiser la production en mettant en place une organisation adaptée. Cette solution fait encore appel à la bénévolence qui est loin d’être assurée sur un marché concurrentiel dans lequel la recherche du profit s’impose souvent, face à toutes les velléités de se comporter de manière socialement responsable.
- Une solution collective, destinée à lutter contre des robots de plus en plus perfectionnés, consiste à investir dans les compétences humaines, en permettant aux employés d’acquérir de nouvelles connaissances et savoir-faire. Mais on découvre désormais que les robots menacent même les emplois des employés les mieux formés et les plus compétents (Ford 2015).
- Enfin, pour avantager les employés par rapport aux robots, lesdécideurs politiques peuvent utiliser l’arme de la subvention aux emplois et l’impôt sur la robotisation, mais de telles mesures sont de nature à ralentir le processus de la robotisation plus que de le modifier
L’ensemble des solutions précédentes s’appuie sur une comparaison entre l’efficience des hommes et des robots, qui ne prend pas en compte le facteur écologique et notamment le coût de l’énergie, ce dernier étant pourtant déterminant pour évaluer le coût des robots.
Or les croissances démographique et économique engendrent une pression croissante sur la production d’énergie.
À l’horizon d’un demi-siècle, la population devrait augmenter de 40%, selon une hypothèse moyenne. Dés lors, se pose la question de la capacité de charge de la planète sur le plan environnemental. Ainsi, en 2012, l'empreinte écologique de l'humanité atteignait 20,1 milliards d'hags (hectares globaux), alors que la bio capacité de la Terre n'était que de 12,2 milliards d'hags, le nombre de hags nécessaires pour fournir les ressources indispensables à la population mondiale et pour absorber les déchets qu’elles génèrent, compte tenu des techniques et de la gestion des ressources disponibles (World Population History, 2016). La croissance prévue de la population mondiale ne peut qu’accroitre sans cesse son empreinte écologique, de plus en plus forte par rapport à la bio capacité de la Terre.
Encore faut-il y ajouter la croissance économique de l’humanité, alors que l’on prévoit que « la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant dans l'OCDE jusqu'en 2060 serait du même ordre que le taux de 1,5% observé pendant la période précédant immédiatement la crise de 2008. » (OCDE, 2014, p 242). Un rapport publié par leséconomistes du cabinet de conseil et d’audit PwCest encore plus « optimiste » en ce qui concerne la croissance économique mondiale jusqu’en 2050, prévoyant que le volume de production mondiale doublera entre 2017 et 2042(PWC, 2017).
Si l’on fait l’hypothèse que cette croissance pourrait durer jusqu’en 2070, l’indice de la production passerait de 100 à 220 pendant cette période tandis que l’indice de la population passerait, selon la moyenne des prévisions, de l’indice 100 à l’indice 140 pendant la même période. Au total, la croissance de la consommation mondiale proviendrait pour un tiers de la croissance démographique et pour deux tiers de la croissance de la consommation individuelle.
Ces facteurs, démographiques et économiques, entrainent tous deux un accroissement de la consommation énergétique mondiale.
l’International Energy Agencyprévoit que les besoins énergétiques de la population mondiale augmenteront de 30% entre 2017 et 2040 (WEO, 2017, p 3), tout en tenant compte d’une efficacité croissante de l’usage de l’énergie. Il faudra donc trouver de nouvelles ressources énergétiques, renouvelables en partie, mais qui devront aussi faire appel au gaz naturel et à de nouvelles centrales nucléaires, ou même au charbon, même si on cherche à en limiter l’usage en raison de la pollution que son usage engendre.
L’humanité se trouvera donc, pour le demi siècle à venir, contrainte d’accroitre sa consommation d’énergie, ce qui contribuera encore à augmenter son empreinte écologique, dépassant toujours plus la capacité de charge de la planète au plan environnemental.
Références :
Brynjolfsson, E., & McAfee, A. (2011). Race against the machine: How the digital revolution is accelerating innovation, driving productivity, and irreversibly transforming employment and the economy. Digital Frontier Press, Lexington, Massachusetts.
Ford, M. (2015), Rise of the Robots: Technology and the Threat of a Jobless Future. Basic Books:New York.
OCDE (2014), Perspectives Économiques de l’OCDE, Volume 2014/1, chapitre 4, Paris, retrieved from http://www.oecd-ilibrary.org/fr/economics/perspectives-economiques-de-l-ocde-volume-2014-numero-2_eco_outlook-v2014-2-fr
PWC (2017), The Long View, How will the global economic order change by 2050, retrieved from:
https://www.pwc.com/gx/en/world-2050/assets/pwc-world-in-2050-summary-report-feb-2017.pdf
WEO (2017), World Energy Outlook 2017, Executive Summary, retrieved from https://www.iea.org/Textbase/npsum/weo2017SUM.pdf
World population History (2016), retrieved from
http://worldpopulationhistory.org/carrying-capacity/
À SUIVRE
LES ROBOTS CONTRE LE TRAVAIL
Les effets négatifs du développement des robots sur l’emploi sont bien connus depuis la parution de l’ouvrage de Jeremy Rifkin intitulé « La fin du travail ».
Désormais, on sait que les employés faiblement qualifiés sont menacés par le chômage technologique. Et pas qu'eux. Les robots présentent en effet l’avantage d’effectuer plus de tâches avec des coûts opératoires plus réduits que ceux des employés et par conséquent, tant que les coûts de production par les robots seront inférieurs au coût du travail humain, les entreprises investiront dans les robots plutôt que d’embaucher des employés, quitte à faire collaborer ces derniers avec les robots.
Car un robot n’est rien d’autre qu’une machine qui rend des services matériels à l’homme, soit en se substituant à lui, soit en collaborant avec lui.
Au début de l’ère des robots, il s’agissait essentiellement de robots industriels fixes, puis l’on a conçu des robots mobiles qui doivent être capables, non seulement d’effectuer des tâches, mais de connaître leur position, de déterminer leur destination et de planifier leur déplacement. Le développement des drones illustre bien la nouvelle dimension qu’a prise la robotique.
Le problème majeur d’un robot réside dans son contrôle par l’homme. Ce contrôle s’effectue au travers de boucles de contrôle qui peuvent être jusqu’au nombre de quatre: une boucle de régulation interne, une boucle, dite boucle réflexe, qui assure la prise en compte de l’environnement pour modifier la trajectoire du robot si nécessaire, une boucle dite de réflexion qui permet d’effectuer la tâche à accomplir et une boucle de contrôle qui permet à l'homme de superviser l'ensemble des opérations.
La relation entre l'homme, le robot et l'environnement génère donc des interactions permanentes grâce à une interface dont la qualité est déterminante pour la productivité du partenariat entre l'homme et le robot. L'interface a une double fonction, l'envoi d'informations depuis les robots vers l'homme et l’envoi d’instructions depuis l'homme vers le robot, sachant qu’une interface appropriée doit s'adapter aux humains, en respectant leur ergonomie physique, sensorielle et mentale.
Comme des tâches de plus en plus complexes sont confiées aux robots, il leur faut en outre disposer de capacités physiques, sensorielles et mentales de plus en plus proches de celles des hommes. Et si ces robots doivent en outre fonctionner dans un environnement humain, ils doivent se déplacer, agir et communiquer de la même manière que les êtres humains. Désormais, les robots écoutent et parlent aux êtres humains, cherchent à comprendre leurs intentions et à exprimer des émotions.
Grâce au développement de l'intelligence artificielle, fondée sur le concept de logique floue, de réseaux de neurones et de techniques d'apprentissage profond, un robot peut reconnaître son environnement, organiser ses mouvements et perfectionner lui-même ses comportements à l’aide des Big Data.
Il est par conséquent compréhensible que les robots concurrencent les hommes dans des domaines d’activité de plus en plus étendus. Pendant longtemps on a cru que les nouvelles technologies permettraient simultanément d’accroitre la productivité tout en créant plus d'emplois, même si Karl Marx, dès 1867, avait prédit que les machines pourraient bien remplacer les travailleurs en accomplissant les tâches plus rapidement que les êtres humains, sans prendre de temps de repos, ni de vacances et de congés de maladie, le salaire étant remplacé par le coût d’amortissement de la machine. Keynes, en 1930, a mis en avant les dangers du chômage technologique, défini comme un «chômage dû à notre découverte de moyens d'économiser l'emploi du travail qui dépasse le rythme auquel nous pouvons trouver de nouvelles opportunités d’emploi ».
C’est ce qui s’est passé depuis la fin du XXe siècle, puisque la productivité a continué à augmenter tandis que l'emploi s'est effondré (Brynjolfsson et McAfee, Race against the machine, 2011), conduisant à rechercher des solutions pour faire face au chômage technologique, des solutions qui sont d’ordre social, professionnel, politique ou éducatif…
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À SUIVRE
LE PRIMATE COMMUNICANT
Le jeune Primate constitue un pôle d'attraction pour tous les individus, en particulier pour les femelles, dont la présence lui permet de surmonter le traumatisme de sa séparation avec la mère.
En effet, la réponse du jeune Primate à cette séparation révèle l’intensité de la relation : à une première phase de protestation succède une deuxième phase de désespoir qui se traduit par un repliement sur soi. Mais toutes ces réponses sont bien moins intenses lorsque l’enfant Primate s’est attaché entretemps à une autre femelle adulte ou même à un mâle adulte.
Les interactions entre les jeunes et les mâles adultes constituent un complément des soins maternels et ne débutent que lorsque la mère, qui avait assuré jusque-là seule les soins au jeune pendant une année, commence à le rejeter.
Il s’y ajoute les jeux entre jeunes Primates. Pour les jeunes mâles, il s’agit de s’initier à des jeux de contact tandis que les jeunes femelles se livrent à des jeux de fuite. Par la nature de ces interactions, le jeune Primate s’initie aux premières ébauches de son comportement sexuel; ils servent aussi d’outils d’une socialisation qui conduit à des protocultures : l’observation permet ainsi aux jeunes chimpanzés d’apprendre à pêcher les fourmis et les termites ou à construire des nids de repos.
Plus généralement, on distingue chez les Primates deux types de communication, une communication différée et une communication interactive. Dans la première, il n'y a pas d'interactions, l'émission et le processus de communication utilisent essentiellement le mode olfactif et sonore. C’est ainsi que l'imprégnation de l'environnement par des marques odorantes facilite l'orientation spatiale et l'individualisation du domaine vital.
Dans la seconde, on trouve un processus d'échange et une individualisation de l'émetteur. Le marquage olfactif est souvent associé à des vocalisations puissantes qui constituent une sorte de proclamation de l'occupation d'une zone par un groupe social donné.
Les vocalisations sont émises spontanément ou en réponse à des cris émis par d’autres groupes. Les duos bisexués signalent aux autres membres de la population que la zone est occupée par un couple constitué; les chants en solos des mâles célibataires sont destinés à attirer de jeunes femelles adultes ; enfin, les cris d'alarme sont organisés en séquences stéréotypées.
À courte distance, le signal sonore est complémentaire d’autres signaux, les gestes et les mimiques faciales représentant le mode communicatif essentiel, puis, au contact, le toucher et l'olfactif renforçant la communication.
Les gestes sont en général très peu stéréotypés. Les mimiques faciales représentent des combinaisons complexes entre la fixation du regard, les mouvements des sourcils, des paupières, des oreilles plus ou moins plaquées contre les tempes, du scalp et des lèvres. Plus précisément, la fixation visuelle et l'ouverture de la bouche représentent une menace qui est souvent renforcée par une posture « prêt à bondir » et un type vocal particulier. Inversement, le contact tactile affectif, commun à la quasi-totalité des Primates, se traduit souvent par l’épouillage d’un autre Primate.
Les cris des Primates sont généralement des signaux. On a constaté que des vervets qui entendent l'alarme correspondant à la présence d’un léopard courent dans les arbres; lorsqu’ils entendent l'alarme de l’arrivée d’un aigle, ils fuient sous un couvert, sortent de l'arbre et regardent en l'air; enfin, entendant l'alarme de l’irruption d’un serpent, ils regardent vers le sol.
Chez beaucoup de Primates, la succession des cris paraît répondre à des règles, encore que rien ne permet d'affirmer que ces règles soient de même nature que celles qui gouvernent le langage humain. Cependant, on peut considérer que les dialectes vocaux constituent un élément d’une quasi-culture, un autre élément important étant l'utilisation d'outils. On a ainsi pu observer des capucins ouvrir des noix de palmier en les calant dans de petites cavités adéquates de rochers, ces derniers jouant le rôle de l'enclume, avant de les frapper avec des pierres.
Au travers de ces comportements de Primates, on retrouve de nombreuses facettes des façons de faire humaines. En perfectionnant les cultures des Primates, l’homme s’est élevé au-dessus de toutes les catégories de Primates, qu’il a en même temps éliminé avec constance par la suppression de leur habitat, jusqu’à quasiment devenir aujourd’hui le dernier Primate.
LE PRIMATE VIT EN SOCIÉTÉ
Nous avons quitté les Primates le 7 avril dernier avec l’angoissante question de la récupération des protéines par les Primates. Il est rare que, de nos jours, l’être humain moyen se pose la question, puisqu’il sait qu’il lui suffit de pousser la porte du supermarché le plus proche pour avoir la réponse. Mais les autres Primates ?
Eh bien, pour les autres, il leur faut se nourrir de petits vertébrés, batraciens, reptiles et oiseaux et même, pour les babouins et les chimpanzés, de jeunes antilopes. C’est un problème quotidien, car il leur faut trouver le bon compromis entre la recherche alimentaire et la protection contre les prédateurs. Ainsi la consommation de fruits mûrs est-elle particulièrement élevée le matin, les individus se mettant ensuite à la recherche des insectes. Il faut y ajouter que la dispersion des ressources alimentaires, des points d'eau et des sites de repos diurnes ou nocturnes conduisent les animaux à une exploration journalière, toujours dangereuse, d'une aire plus ou moins étendue de leur habitat.
L’organisation des Primates est aussi déterminée par la durée de gestation, qui est plus grande, à poids égal, que celle de tous les autres Mammifères, ce qui semble lié à la taille relativement forte du cerveau et à l'état de développement du nouveau-né. Ces naissances ont lieu au sein d’une structure familiale très variable, qui va du couple monogame aux groupes multi mâles et femelles, en passant par le harem. Ces variations dépendent de la dispersion desressources et de la densité des populations. Ainsi, lorsque cette densité est faible, les structures en harem sont les plusprobables. Au reste, ces groupes sont souvent fluides, soit pour mieux exploiter les ressources, soit pour mieux se protéger des prédateurs, soit en raison de conflits internes.
Ces conflits entrainent souvent l’émigration des mâles, qui permettent de maintenir des unités reproductrices, tout en évitant les risques de consanguinité.
Chez la plupart des Primates, les femelles ne mettent au monde qu'un bébé à la fois et le rapport entre le poids du nouveau-né et le poids de la mère est de 8% chez l’homme, ce qui est une valeur moyenne par rapport à l’ensemble des Primates. En revanche, le poids du cerveau du bébé est particulièrement faible chez l’homme, comparé au cerveau adulte, avec 30,7%, ce qui implique que la précocité du bébé homme est la plus faible de tous les Primates, ou encore que le bébé homme, avec des capacités sensorimotrices fort peu développées, a plus besoin que les autres Primates d’être protégé, encadré et éduqué.
Le développement des capacités motrices est très variable selon les Primates, le macaque ayant un développement quatre fois plus rapide que l'enfant humain. La période d'immaturité est aussi particulièrement longue chez l’Homme. Au cours de cette période s’effectue l'essentiel de la socialisation permettant d’acquérir des capacités d'expression, de perception et de mettre en place un réseau de relations sociales.
La précocité des jeunes Primates conduit à la création d’une dépendance physiologique et affective du jeune primate avec sa mère, suivi d'une prise d'indépendance liée au développement des interactions avec les autres membres du groupe, qui est particulièrement lente chez les Anthropoïdes, en particulier chez l’Homme.
Chez les Primates, la diminution des contacts physiques entre une mère et son enfant ne signifie pas nécessairement une émancipation affective: lorsque la mère met au monde un nouveau-né, l'aîné qui venait juste de manifester une certaine indépendance recherche de nouveau une proximité étroite avec sa mère. De même, alors qu'il avait accru de lui-même la distance qui le séparait de celle-ci, il lutte pour rétablir ce contact lorsque la mère, vers six ou huit mois, lui refuse ce contact et le repousse. Au-delà de six mois, la prise de la mamelle n'a plus de fonction nutritionnelle mais une fonction psychologique, qui peut se maintenir chez les jeunes chimpanzés jusqu'à cinq ans !
Même après l'abandon total de la mamelle, la relation mère-enfant ne subit qu'un changement qualitatif, car lamère reste pour l’enfant, la personne de référence dans la construction de son propre réseau relationnel.
Elle peut aussi bien transmettre à son enfant un pouvoir coercitif en obligeant l'adversaire à fuir ou au contraire l’inciter par son exemple, à fuir.
MÊME LES PIERRES CRIERONT...
Le 31 mars dernier, une éternité depuis l’incendie du toit de Notre-Dame, cinq pensionnaires d’un Ehpad dont il est inutile de donner le nom, sont morts, sans doute victimes d’une intoxication alimentaire.
On imagine les raisons de ces décès. Une erreur « humaine », que l’on a aussitôt imputée aux économies que cet Ehpad a dû faire pour permettre aux actionnaires de l’établissement d’obtenir une rentabilité suffisante, compte-tenu des critères en vigueur dans le système financier global.
J’ai entendu ce que l’on affirmait dans les medias. C’est la faute à la voracité des financiers qui cherchent à s’enrichir aux dépens du malheur. Ce malheur qui oblige les familles à confier les dernières années de la vie de leurs parents dépendants à des établissements où l’on s’occupe souvent plus mal d’eux qui s’ils s’en occupaient eux-mêmes. Mais voilà, ils n’ont pas le temps, ils n’ont pas l’argent, ils n’ont pas la place, ils n’ont pas envie, quoi !
Et de condamner ces financiers voraces, qui osent exiger 15% de rendement du capital investi pour s’occuper, à leur place, de leurs vieux parents !
Cette hypocrisie me révulse, car elle permet de se laver les mains à bon compte de sa propre responsabilité aux dépens de ces financiers.
Il est vrai que les financiers sont voraces ! Mais ils ne sont que l’avant garde de l’humanité toute entière, dont la voracité est la première caractéristique. Qui nous empêche de décider que le secteur des Ehpad est purement public ? Ou tout simplement de prendre nos parents chez nous ? Mais cela ne nous arrange pas, car nous ne pensons qu’à toujours plus consommer.
Je sais, il existe des degrés dans la voracité, il y a des très riches qui abusent et des très pauvres qui ne parviennent pas à satisfaire leurs appétits, mais finalement toute l’humanité, personne par personne, essaie de consommer le plus possible aux dépens des autres êtres humains, des autres êtres vivants, animaux et plantes et de toute la Terre, son eau, son air, son sol, ses océans.
Désormais, l’humanité le sait clairement, cette voracité la conduit à sa perte, par la destruction de son environnement. Elle réagira donc, plutôt tard que tôt, pour limiter les effets de sa gloutonnerie. Elle consommera différemment, elle limitera sa démographie, elle vivra des conflits de partage des ressources, bref elle essaiera de durer le plus longtemps possible. L’essentiel de la future histoire de l’humanité est connue d’avance, une lutte qui finira d’autant plus vite que la voracité l’emportera sur l’instinct de survie.
L’intérêt de ce futur se situe dans les détails. Pour l’instant, le couple américano chinois mène le bal des rapaces. Quand va t-il capoter et comment ? L’Afrique est en demande, et avec sa démographie exceptionnelle, elle peut faire basculer le monde dans toutes sortes de conflits. Quand est ce que la philosophie écologiste l’emportera sur la société de consommation ? L'histoire n'est pas écrite.
Dans les interstices de ces détails, nous avons le choix de notre position personnelle :
Si nous sacrifions notre vie à la consommation, épargnons nous le ridicule de faire la morale aux financiers des Ehpad.
Si nous faisons des efforts pour limiter cette consommation, ne nous faisons pas d’illusion sur l’effet de nos actions individuelles sur l’avenir de l’humanité.
Et si nous croyons que ce que nous faisons est bien, ne nous chargeons pas de la responsabilité excessive de l’avenir de l’humanité, puisque nous savons vers où elle se dirige. Regardons placidement les marionnettes nous délivrer leur amphigouri et jouer les jocrisses et contentons nous tout simplement de vivre, selon notre choix.
LES PRIMATES, NOTRE FAMILLE
Ce billet est destiné à rehausser le niveau intellectuel de mon blog, aux dépens des singes, du moins en apparence.
On se moque des singes, et à raison. La plupart de ces primates sont bien au-dessous de l’homme, référence ultime de l’évolution de l’espèce, ultime, c’est bien le cas de le dire. Mais classer les hommes tout au sommet des primates est une phylogénèse en pleine évolution, sauf si l’on classe les différents primates uniquement en fonction de la taille du cerveau. En effet, certains considèrent que de nouveaux critères, résultant de l’analyse chromosomiques et de caractéristiques liées au développement des communautés, sont aussi à prendre en compte.
Il reste que les primates, dans leur ensemble, ont une série de caractéristiques physiologiques communes.
En premier lieu, ce sont des mammifères placentaires euthériens plantigrades. Il faut ajouter que leur neurocrâne est développé, que les orbites sont orientées vers l’avant, que la denture est de type diphyodonte et hétérodonte avec une mandibule qui a des mouvements adaptés au régime frugivore, phytophage ou omnivore. Ils possèdent une colonne vertébrale qui comprend de 26 à 33 éléments et une longue queue, même si sa réduction affecte un certain nombre de genres de primates ou si elle est totalement absente dans d'autres.
En revanche, la clavicule est toujours présente, même si son importance est variable. L'extrémité des membres est pentadactyle, avec le pouce de la main toujours opposable et celui du pied pseudo opposable, sauf pour l’homme. Le radius et le cubitus sont mobiles l'un par rapport à l'autre, permettant à la main d'amples mouvements de supination et de pronation, caractéristiques de l’adaptation primordiale à l'arboricolisme.
Enfin, le tibia et le péroné sont toujours séparés et, chez la plupart des Primates, des ongles plats, au lieu de griffes, terminent les doigts.
Voilà pour les caractéristiques physiques communes, mais il existe, en relation avec ces dernières, une série de comportements communs aux Primates, homme compris bien sûr.
Leur première caractéristique est l'absence ou le faible niveau de spécialisation comportementale, liée à la grande plasticité que leur confère une ontogenèse lente au sein d'un environnement social qui constitue le réservoir des acquisitions antérieures. Parmi ces Primates, l’homme est sans doute la seule espèce qui essaie de comprendre le comportement des autres espèces. Pourtant, il n’est pas sûr qu’il en est le temps, puisqu’il est en train de les faire toutes disparaître, du fait des modalités de sa propre adaptation à l’environnement qui engendre d’une part une explosion démographique de l’espèce humaine et corrélativement l’effacement progressif des autres espèces de Primates.
En effet, soixante quinze espèces de Primates sur cent quatre vingt huit sont actuellement menacées par la dégradation de leurs habitats provenant de l'exploitation des forêts, de leur conversion en terres agricoles ou en zones d'élevage, de la construction de projets hydroélectriques ou de voies de communications. En outre, nombre de Primates, dont l’espèce humaine ne fait pas partie actuellement, sont chassés pour leur viande ou capturés à des fins commerciales.
Pendant que les hommes se rassemblent dans des villes de plus en plus peuplées, les autres Primates colonisent toujours les forêts tropicales primaires ou secondaires, les marais d'eau douce et la mangrove. Comme ces milieux naturels sont en voie de régressions, ils se risquent désormais dans les milieux urbains et les plantations agricoles, où ils sont considérés comme « nuisibles », aux hommes, bien sûr.
C’est que les Primates en général, et pas seulement l’espèce humaine, ont de gros besoins. La richesse en espèces végétales ne suffit pas à rendre un milieu naturel adéquat pour supporter une population de Primates. Il faut aussi que ce milieu soit capable de fournir tout au long de l'année les ressources nécessaires à la survie d’une communauté et cela dépend de la taille des Primates. S’ils sont lourds, ils ont tendance à manger de grandes quantités d'aliments de faible qualité nutritionnelle mais très agrégés dans l'espace, tandis que les espèces légères se spécialisent dans des aliments dispersés mais de haute valeur énergétique.
On a un peu honte à l’écrire, mais la plupart des Primates passent entre quarante et soixante pour cent de leur temps, au cours d'une année, à consommer une ou plusieurs des six catégories suivantes d’aliments, ce qui leur laisse peu de temps pour la philosophie : des insectes, des gommes ou des sèves, des fruits, des graines, des feuilles d'arbre et des herbes.
Mais il faut préciser que les fruits constituent l’aliment favori des Primates, et dans les fruits, les graines sont souvent la partie la plus appréciée, en particulier si ces graines disposent d'un arille.
Malheureusement, les Primates doivent résoudre la question de l’obtention de sources de protéines. L’espèce humaine l’a résolu en commençant par dévorer le gibier, qu’elle a remplacé et augmenté par la consommation d’une énorme quantité de volailles, porcs, bovins et ovins. Et les autres Primates, comment font-ils ?
À SUIVRE
EXPLIQUER LA VIOLENCE HUMAINE
Avec ce billet, ne croyez pas que je mette fin à la série que je viens de consacrer à la liquidation de l’industrie française, mais pour ne pas limiter le contenu de mon blog à ce seul sujet, aussi important soit-il, je vais la poursuivre à des intervalles de publication plus espacés.
Revenons donc à l’explication de la violence, après le premier billet que j'ai consacré au phénomène de la violence, le 6 février dernier.
L'Homo erectus, il y a deux millions d'années, était surtout carnivore. C'était donc un prédateur qui chassait aussi bien les animaux que ses semblables et c’est pourquoi la chasse, en influençant son comportement psychologique, social et territorial, revêt une grande importance dans l'emploi de la violence par l'espèce humaine.
En effet, au lieu d'une attitude de retrait et de fuite, les hommes ont très tôt adopté un comportement de prédation et d'attaque. Mais cette agressivité n’a pris un caractère destructeur qu’avec la révolution du Néolithique, dans une période qui se situe entre dix mille et six mille ans avant J.-C., car c’est à cette époque que les hommes sont passés de la cueillette et de la chasse à l'exploitation de la nature, s’organisant hiérarchiquement avec les plus agressifs, les guerriers, en haut et les plus pacifiques, les agriculteurs, en bas.
Au niveau collectif, la violence serait née de l’exploitation des richesses issues de l’agriculture, mais cela n’empêche pas de lui chercher une explication psychologique au niveau individuel. L’apprentissage de la violence trouverait son origine au sein de l’histoire familiale, en particulier lorsqu’elle contient des facteurs traumatiques, tels que des crises et des ruptures, qui sont à la fois violences et sources de violences à venir. Ces violences qui font les choux gras des sociologues qui expliquent, le cœur sur la main, que la violence a son utilité dans la mesure où elle joue un rôle d'initiation, d'intégration et d'expression dans les groupes de jeunes délinquants, les bandes de supporters ou les marginaux.
En somme, chacun s’accorde à reconnaître que la violence est la compagne fidèle de l’homme, à commencer par les philosophes. Déjà, Héraclite, au Vesiècle avant JC, l’avait justifiée par la nature antagonique de l'Etre, un pauvre Etre sans cesse traversé par le conflit. Et, vingt-quatre siècles plus tard, Hegel s’est inscrit dans cette tradition. Pour lui, l'Etre se réalise dans un mouvement dialectique de conflit et de violences entre individus et sociétés et Marx lui a emboité le pas en faisant de la lutte des classes le moteur d’un processus historique d'évolution de la lutte société, une lutte des classes qui est supposée prendre fin avec l’équilibre retrouvé des rapports sociaux de production dans une société communiste idéale.
La violence était donc justifiée par la nature humaine comme par l'évolution des sociétés, mais elle a fini par s'inviter au cœur du principe de l'évolution qui oblige chaque être à lutter pour sa vie et qui conduit à la sélection des mieux armés, selon la théorie de Darwin que Spencer s’est empressé d’appliquer à la société humaine, pour justifier intellectuellement l’écrasement du faible par le fort.
Mais c’est l’inverse de ce que pensait plus subtilement Nietzsche. Il a bien reconnu que la vie véhiculait des luttes et des drames, mais loin de saluer le succès des plus forts, il s’inquiètait au contraire des ruses qui permettent aux plus faibles, malheureusement nombreux et organisés, d'asservir les plus forts.
Revenant à une vision plus individuelle de la violence, Sartre a montré, dans sa Critique de la raison dialectique, que la reconnaissance par autrui n'était pas une affaire d'amour ou de bons sentiments, mais d'affrontement. Si bien que lorsque René Girard, auquel nous avons consacré un billet récent, introduit la rivalité dans le désir comme moteur de conflit, on ne s’étonne plus que des efforts séculaires aient été consacrés à limiter les conséquences de cette violence qui traverse depuis toujours les sociétés humaines, à l’aide du bouc émissaire.
D’autant plus, on en revient à son aspect collectif, que cette violence inhérente à la nature humaine doit être canalisée pour que les sociétés deviennent des communautés. Thomas Hobbes en a fait l’analyse saisissante dans son Léviathan (1651), en montrant dans l'état théorique de nature que l'absence de règles communes rendait les comportements imprévisibles, faute de réciprocité, car la bienveillance n’est pas forcément payée de retour, loin de là. Il en a conclu que n’importe quelle autorité valait mieux que la violence de tous contre tous, justifiant à l’avance les pires des dictatures. On est cependant obligé de convenir que la théorie de Hobbes, avait déjà trouvé racine dans Le Prince de Machiavel, lequel avançait déja que la violence ne pouvait être contenue que par une autre violence, celle de l'autorité.
Mais la justification de la violence ne s'est pas arrétée là. Des philosophes contemporains n’ont pas eu peur d’afficher leur fascination intellectuelle pour la violence. Georges Sorel en a fait l’éloge au travers d’une philosophie de la révolte, ce qui a inspiré Frantz Fanon, idolâtre de la violence totale, qu’il justifie par la nécessité pour l'opprimé de retrouver son humanité, à l’aide de meurtres et de tortures, délicates chambres de défoulement.
Ainsi la violence humaine est-elle partout, dans la vie comme chez les penseurs. Il reste à se demander si ce n’est pas lui faire trop d’honneur que de lui trouver des justifications théoriques…
DE LA VIOLENCE
La violence, au sens immédiat, consiste à employer la force contre quelqu'un.
La notion de violence dépend cependant des normes en vigueur à une époque donnée. S'il y a des faits que chacun considère comme violents, comme les coups ou la torture, il existe d’autres formes de violence telles que la violence domestique qui ont été́ longtemps considérées comme normale, ce qui rend difficile d'en proposer une définition normative.
Il reste cependant possible de caractériser la violence par son aspect chaotique, transgressif et imprévisible qui introduit un dérèglement. En effet, en remettant en cause l'ordre des choses, la violence est avant tout un acte de transgression des règles.
De plus, on peut classer les formes de violence en distinguant la violence issue des guerres, celle provenant de l'activité politique et celle résultant de la criminalité́.
Si les guerres sont une des constantes de l'histoire humaine, il faut noter qu'elles ont pris au XXe siècle une ampleur sans précèdent. Les guerres anciennes étaient logiquement moins meurtriéres que les plus récentes puisque la violence militaire se règle sur les moyens de destruction disponibles.
De son côté, la violence politique possède deux faces, celle qui est tournée contre le pouvoir et celle en provenance du pouvoir, auxquelles on peut ajouter la violence issue de l'effondrement d’une communauté́ politique, qui génère la guerre civile.
La violence tournée contre le pouvoir concerne tout d'abord la violence socio politique diffuse qui reste circonscrite à des rixes, des bagarres entre groupes, ou des émeutes populaires contre la vie chère, sans oublier le brigandage et le banditisme. Peu organisée et largement spontanée, elle n'entraine pas de réorganisation de pouvoir même si ses ravages peuvent être paroxystiques.
Mais il existe aussi une violence contre le pouvoir qui vise à sa réorganisation par le moyen de soulèvements et de révolutions. L'histoire mentionne à cet égard les révolutions anglaises de 1642 et 1688, la révolution française de 1789 ou la révolution russe de 1917. De telles révolutions supposent d'une part que le pouvoir central soit occupé́ par des groupes aux intérêts antagonistes et d'autre part que des groupes conscients mettent en avant des projets touchant à l'organisation de la société́ et du pouvoir.
À cette violence contre le pouvoir s'oppose toujours une violence d'État exercée par les forces de l’ordre lorsque les mécanismes de ritualisation des conflits destinés à pacifier la compétition pour le pouvoir ne fonctionnent plus. À cet égard, on ne sait pas encore si les Gilets Jaunes relèvent de la violence sociopolitique diffuse ou de la violence révolutionnaire.
Si la violence du pouvoir vise à̀ établir le pouvoir politique, à le maintenir et à le faire fonctionner, il peut prendre des formes despotiques avec un tyran qui fait régner la terreur dans le cercle restreint de ses proches et qui s'assure de la faveur du peuple par des mesures démagogiques. Le pouvoir vénézuelien reléve t-il de cette catégorie?
Il arrive aussi que la terreur se propose, non d'établir ou de maintenir l'État, mais de renouveler la société́ à travers des purges de grande ampleur. C'est le cas de la Terreur de 1793-1794 en France, de la Terreur soviétique tout au long du pouvoir stalinien ou de la Terreur exercée par les Khmers rouges au Cambodge à partir de 1972.
Face à l'État, le terrorisme se propose de mettre en œuvre un changement de pouvoir ou de faciliter la négociation. C'est ainsi que le terrorisme contemporain a aussi bien cherché à se faire le relais d'une avant-garde consciente et organisée auprès de masses qui restent à sensibiliser que de peser sur les évolutions politiques en éliminant les chefs d'État encombrants, tels qu'Anouar El Sadate en Égypte en 1981, Mohamed Boudiaf en Algérie en février 1992 ou Itzhak Rabin en Israël en 1995. Peut-on classer dans la même catégorie l'assassinat de Mouammar Khadafi en Libye en 2011?
De leur côté, les guerres civiles sont l'occasion de violences illimitées, tortures, exécutions sommaires, épurations, caractéristiques de l'effondrement d'une communauté́. Les guerres liées à la disparition de la Yougoslavie (1991-2001) relèvent de cette situation.
Reste la criminalité et son corollaire, le sentiment d’insécurité, qui relèvent du nombre et de la gravité des crimes commis, mais aussi des normes à partir desquelles les phénomènes criminels sont appréhendés. Or, à la différence de périodes passées pendant lesquelles la violence criminelle et l'insécurité́ étaient omniprésentes, les sociétés modernes sont parfois parvenues à un haut degré de sécurité, aussi bien physique que social.
Il en résulte que la réapparition de la violence suscite de nombreuses interrogation sur son origine et sa perennité.
À SUIVRE