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Le blog d'André Boyer

L'ORIGINE DE LA BAISSE DE FERTILITÉ

31 Août 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

L'ORIGINE DE LA BAISSE DE FERTILITÉ

La réduction du taux de fécondité humain à l’échelle mondiale est un phénomène majeur pour la survie de l’humanité à terme d’une dizaine de générations environ.

 

Ce n’est donc pas si lointain, d'autant plus que les conséquences de cette baisse du taux de fertilité vont se faire sentir très vite avec le vieillissement continu de la population. 

Que se passe-t-il donc ?

Le rapport de l’United Nations Population Fund l’exprime clairement dans son SWP Report 2023: The problem with « too few »[1] :

« Au niveau mondial, la fécondité est passée d'une moyenne de 5 naissances par femme en 1950 à 2,3 naissances par femme en 2021, ce qui témoigne du contrôle croissant que les individus - en particulier les femmes - sont en mesure d'exercer sur leur vie reproductive. La fécondité globale devrait tomber à 2,1 naissances par femme d'ici 2050. »

Tout y est :

-       La date (approximative) de 2050 pour atteindre le seuil à partir duquel la population humaine ne se renouvellera plus assez pour se maintenir. Cependant, elle continuera quelque temps à augmenter, faisant illusion grâce aux progrès médicaux qui maintiendront en vie des couches de population plus âgées, mais la poursuite de la baisse de la fécondité sonnera la baisse à terme de la population humaine.

-       L’explication : le contrôle croissant que les individus - en particulier les femmes - sont en mesure d'exercer sur leur vie reproductive.

En particulier les femmes ! On ne saurait mieux écrire. Il arrive simplement que les femmes ont décidé d’avoir moins d’enfants, et tout se passe comme si chacune d’entre elle s’était résolue, à son niveau, à résoudre le problème de la surpopulation et de la pollution, en limitant sa propre fécondité.

Quand les femmes ont-elles pris cette décision ? En pratique depuis 1960 et quant à leur volonté, depuis toujours, à ceci prés que cette volonté s’est heurtée à une résistance qui s’effondre peu à peu.

En pratique, à partir de 1960 : l’invention de la pilule contraceptive en 1956 n’est pas le fruit d’un pur hasard scientifique, car elle a été induite par le mouvement féministe qui en a encouragé la recherche et qui en a assuré le succès. Ainsi, deux facteurs se renforcent mutuellement pour réduite la natalité, la volonté de libération de la femme et la possibilité physique de l’obtenir.

La pilule contraceptive a été mise sur le marché américain en 1960 et en France en 1967, après la loi Neuwirth. Elle a eu un succès immédiat, ce qui signifie qu’elle répondait fortement à une attente :  dés 1965, soit cinq ans après la mise sur le marché, plus du quart des femmes américaines de moins de 45 ans l'avaient adoptée, ce qui avait entrainé une baisse de 20% du taux de fécondité par rapport à 1955.

Le succès de la pilule ne s'est pas démenti depuis, même si les développements des maladies sexuellement transmissibles et particulièrement du SIDA au milieu des années 1980, ont contribué à développer d'autres modalités de contraception, mais le principe de la séparation des actes sexuels et de la procréation a été acquis.

Car la transformation profonde du rapport de la femme à la sexualité explique l'adoption immédiate de la pilule, selon l'idée révolutionnaire qu'une sexualité débarrassée de la crainte de la grossesse permettrait de libérer la femme.

La libérer de quoi ? De la nécessité d’avoir des enfants et de s’en occuper, de les nourrir, de les éduquer. Si rien ne l’empêche de vouloir des enfants, rien  désormais ne l’oblige à subir une ou des naissances.

Et lorsque l’on essaie de savoir combien d’enfants les femmes voudraient avoir, en dehors de toute contrainte externe, homme, famille, société, culture, religion, elles disent généralement deux ou moins, rarement trois ou plus, et ceci au niveau mondial.

Les hommes, justement, les voilà compagnons avant d’être pacsés et plus rarement époux. L’homosexualité devient une autre solution, une fois que la nécessité d’avoir un enfant s’éloigne. Tout est possible, tout est tolérable, transgenre si l’on préfère, couple homosexuel avec enfant si on le souhaite, les limites étant fixées par les différentes sociétés.

Toute cette évolution est inscrite dans un mouvement individualiste de la société, selon lequel ne compte vraiment que la satisfaction ou le plaisir individuel, le reste, c’est-à-dire les exigences de la famille et de tous les groupes qui entourent l’individu n’étant que contraintes, qu’elles soient acceptées ou refusées.

Naturellement, cet individualisme est plus ou moins triomphant, selon les sociétés. Mais même s’il existe parfois des sociétés ou le contrôle de la femme est tel que cette dernière a encore plus de six enfants, il est rare que ce soit uniquement de sa propre volonté.

Il est donc cohérent que, plus l’individualisme s'affirme par rapport à une société qui continue à imposer sa volonté à l’individu et plus celle de la femme l’emportera sur les desiderata de la société. Or, c’est un fait que, lorsqu’elle la femme exerce individuellement cette volonté, elle n’a, en moyenne, pas assez d’enfants pour que le maintien de la population soit assuré.

Est-il possible de convaincre les femmes d’avoir le nombre d’enfants nécessaire pour maintenir une population satisfaisante au regard de la société ? 

C’est ce que tente sans succés Singapour, où le taux de fécondité est l’un des plus bas du monde malgré les efforts des autorités pour renverser la tendance. Le 5 octobre 2020 encore, Heng Swee Keat, le vice-premier ministre de Singapour, a annoncé une nouvelle prime à la naissance, alors que le système actuellement en vigueur à Singapour permet déjà aux parents éligibles de bénéficier d’une prime de 10 000 dollars singapouriens (6 268 euros). S’il est naturellement trop tôt pour juger des résultats de cette nouvelle prime, force est de constater que tous les indicateurs démographiques restent à la baisse à Singapour, comme en Corée, en Chine ou au Japon. 

Il semble donc que quelque chose de profond se soit modifié dans le mécanisme de reproduction de la population humaine qu’il nous faut acter pour le moment, en attendant que la croissance de la fécondité reparte à la hausse ou que des solutions alternatives soient mises en place.

 

Mais, pour les prochaines décennies, nous ne pouvons éviter d'évaluer les conséquences de la baisse de la fécondité parce qu’elles sont à nos portes, en particulier aux portes de l’Europe.

 

À SUIVRE


[1] https://www.unfpa.org › swp2023

 

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LA GUILLOTINE ET LA FAIM

18 Août 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LA GUILLOTINE ET LA FAIM

La « loi des suspects » permettait aux comités révolutionnaires de surveillance d’arrêter qui bon lui semblait. 

 

Jugez-en, puisque cette loi proclamait qu’étaient déclarés suspects :

« Ceux qui par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté ;

« Ceux qui ne pourront justifier de leurs moyens d'existence et de l'acquit de leurs devoirs civiques ;

« Ceux qui n'auront pu obtenir de certificat de civisme ;

« Les ci-devant nobles qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution,

« Les émigrés, même s'ils sont rentrés,

« Les prévenus de délits, même acquittés… »

Depuis « l’inauguration » de la guillotine sur un voleur de grand chemin, Nicolas-Jacques Pelletier, le 25 avril 1792, la première utilisation politique de la guillotine concernera l’exécution de Laporte, le 23 août 1792. Puis le nombre d’exécutions s’accrut régulièrement pour atteindre trente par jour à Paris après la loi sur le tribunal révolutionnaire du 10 juin 1794.

On procéda notamment à l’exécution de Marie-Antoinette le 15 octobre 1793 après un procès odieux où Hébert essaya de l’accuser de crimes sexuels sur son fils, et à celle de Philippe Égalité le 6 novembre 1793, bien mal récompensé de son zèle révolutionnaire.

La guillotine, présentée à l’Assemblée Constituante le 28 novembre 1789 par le docteur Joseph Guillotin, avait été conçue par le chirurgien Antoine Louis, lui-même inspiré d’un dispositif utilisé en Italie et perfectionné par un mécanicien allemand, Tobias Schmidt, qui inventa le couperet en forme de trapèze. Elle avait pour but d’assurer une mort immédiate et sans souffrance, une invention humanitaire en somme. Le docteur Guillotin y voyait, pour se situer dans l’air du temps, un moyen d’introduire l'égalité de tous les citoyens face à la peine capitale.

Le 3 juin 1791, l'Assemblée constituante édicta que « tout condamné à mort aura la tête tranchée », mais les députés eurent tout d’abord à repousser une proposition de loi abolissant la peine de mort, émanant de Robespierre !

De septembre 1793 à juillet 1794, environ cinquante guillotines furent installées en France, fonctionnant jusqu'à 6 heures par jour à Paris. On estime que soixante-deux mille personnes furent guillotinées pendant cette période de neuf mois.

C’était donc la Terreur, mais pour quoi faire ? Ce n’était pas pour le bien du peuple en tout cas, car la misère s’accroissait. La Convention ne pouvait ni l’ignorer ni la réduire, et sa réponse administrative la conduisit à sa perte.

En février 1793, elle répondit aux affamés qu’il fallait qu’ils se contentent de l’égalité pour nourriture : « La ruine du despotisme, le règne de l'égalité, le triomphe des principes de l'éternelle justice reconnus, voilà une partie de nos dédommagements »

Trois mois plus tard, sous la pression de l’émeute, La Convention finissait par céder, en instituant un maximum pour le prix du grain.

Aussitôt les paysans cessèrent d'apporter leurs produits sur les marchés, augmentant encore la pénurie, et provoquant en retour de la part de la Convention un prurit réglementaire encore plus violent, qui se traduisit par la loi du 29 septembre 1793. Cette loi instituait le maximum général sur toutes les denrées de première nécessité et les salaires.

Le blocage des salaires ! ce fut l’erreur fatale, comme l’on en commet toujours lorsque l’on surréglemente.

À l’automne 1793, ce furent des femmes du peuple qui attaquèrent les chariots chargés de nourriture entrant dans Paris. La Convention y répondit par l’invention des cartes de rationnement qui bénéficiaient en priorité aux patriotes, deux mois après avoir institué les « cartes de civisme », qui attestaient de la pureté révolutionnaire du détenteur. Les autorités locales reçurent les pleins pouvoirs pour enquêter, perquisitionner et appliquer la peine de mort pour les thésauriseurs.

Les listes d’habitants affichées à l’entrée des maisons n’empêchaient pas les perquisitions des commissaires du peuple, prétextant la recherche de nourriture stockée. Les contemporains décrivent comment les inspecteurs fouillaient dans tous les coins, forçant les coffres-forts, brisant les sceaux des lettres, des testaments, sautant sur la moindre feuille de papier dont les phrases banales étaient censées dissimuler des codes secrets, saisissant les assignats, l’or, l’argent, les bijoux.

La plupart des perquisitions étaient fondées sur la délation, une délation encouragée dans les termes suivants par le député de la Convention, Jean-Pierre André Amar, ce riche reconverti dans la surenchère terroriste  : « Dénoncez, dénoncez ! le père doit dénoncer son fils, le fils son père. Il n’y a pas de patriotisme sans dénonciation ».  

  

Mais la famine menaçait le pouvoir de la Montagne.

 

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C'EST CORRECT

12 Août 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

C'EST CORRECT

D’autres contacts ? J’en avais beaucoup au Canada, de Québec jusqu’à Vancouver, mais il s’agissait souvent de relations superficielles. Il restait les Palda, père et fils, mais ce n’était hélas pas le moment de les solliciter.

 

Parmi les collègues au Canada, bon nombre, à Montréal et à Québec, étaient d’origine française, et j’avais même parfois travaillé en France avec eux. Une de mes collègues avait fait sa carrière à l’école de gestion Telfer, université d’Ottawa. Elle m’indiqua que je ne pouvais pas y obtenir de cours, en tant que vacataire ou de professeur associé, mais que je pouvais toujours me présenter sur un poste de professeur en marketing, actuellement vacant.

Ce que je fis, tout en sachant que si j’étais choisi, ce serait un défi considérable, mais je m’en sentais la force.

Pour déposer ma candidature à Telfer, le dossier était vraiment impressionnant, depuis les nombreuses recommandations nécessaires jusqu’au formatage particulier du CV en passant par des exigences spécifiques pour les pièces à fournir. J’estime que j’y ai consacré environ un mois de travail à temps plein, fin 2014.

Une fois l’accusé de réception reçu, j’attendis la réponse.

Elle ne vint jamais.

Compte tenu des énormes exigences de Telser pour le dossier de candidature, il me semblait qu’un mail m’informant que ma candidature n’avait pas été retenue aurait relevé de la courtoisie minimale. Mais non, la coutume à Telser consistait à ne rien dire du tout. Le candidat retenu était connu d’avance, comme dans toutes les universités du monde. Mon dossier avait juste servi à montrer qu’ils avaient fait un choix.

Pour ajouter à mes désillusions, un article co-écrit avec une collègue qui avait été retenu pour une publication fut retoqué au dernier moment, sans explication.

L’année 2014 s’achevait ainsi sur une remarquable et inattendue série de rebuffades, comme si mes tentatives pour continuer mon activité universitaire sous d’autres formes étaient rejetées de toutes parts.

À moi le jeu de boule et la belotte ?

Mais depuis mon plus jeune âge, je n’avais jamais cessé d’être têtu et, en 2015, il m’a semblé que c’était le bon moment de l’être.

Au début de cette année-là, à Montréal, comme dans un ultime épisode d’une série, j’ai fracassé ce qui me restait de volontarisme sur la carapace d’une association qui se déclarait admirative de mon CV mais qui se révéla incapable de me proposer la moindre activité cohérente. Cela me permit d’acquérir une compréhension profonde de la mentalité québécoise*, mentalité qui lui a permis et lui permet toujours de résister à toute tentative d’invasion, anglosaxonne, française ou de toute autre nationalité : ne vous attendez pas à vous confronter de face aux Québécois. C’est toujours « correct », en d’autres termes « tout va bien ». Mais en réalité... 

Je n’ai pas passé toute l’année 2015 au Québec, d’autant plus que ce fut l’année durant laquelle j’ai fait soutenir les deux dernières thèses de ma carrière, les quarante et une nième et quarante deuxième.

Entre 2010 et 2015, j’avais ainsi fait soutenir neuf thèses, ce qui m’avait demandé un effort considérable :

En 2010, Orelien Berge : Séance Cinéma ou soirée télévision ? Le rôle médiateur de l’expérience sur l’intention des consommateurs.

En 2011, Ridha Chakroun : Publicité trompeuse des médicaments : la place de la régulation par les prescripteurs et les consommateurs au regard de la régulation par la tutelle et Amélie Fiorello : Le comportement de tri des déchets ménagers : une approche marketing.

En 2012, Séverine Dalloz : De la défaillance de service touristique à la perception d’injustice. Approche par la disconfirmation.

En 2013, trois thèses :

Mouna Bounaouas, La perception de l’image des marques de luxe via une approche expérientielle : le cas d’une cible jeune grand public.

Nathalie Maumon, L’intention du consommateur de s’immerger dans les mondes virtuels : L’influence de la présence d’interactions sociales, de la persistance et de l’avatar ».

Faranak Farzaneh : L’effet de l’insécurité de l’emploi sur le comportement innovateur des personnels : le rôle des attentes en matière de performance et d’image.

En 2014 : rien. C’était décidemment une mauvaise année !

En 2015, enfin : Romain Lazzarini, L’effet de l’orientation marché sur l’établissement de la stratégie de segmentation-ciblage-positionnement : le cas de la Société Marseillaise de Crédit et Jeanette Mc Donald, The Role of Ethics on Tourist Destination Image Formation : An Analysis of the French Student Market.

 

Cette affluence de thèses, qui était moins due à la qualité de mon encadrement qu’à la pénurie de professeurs de marketing à Nice, m’avait contraint à organiser une véritable organisation pour les gérer.

 

* J’ai consacré un livre entier, en voie de parution, sur la guerre qu’ont mené les Français pour conserver, sans succès, le Canada à la France. Cette guerre a du moins appris aux Québécois à résister, et à ce titre je leur rends hommage. 

 

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LA VALEUR DU DOUTE

8 Août 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LA VALEUR DU DOUTE

Le doute est la seule activité humaine susceptible de contrôler l'usage du pouvoir de manière positive.

 

Le doute est nécessaire à la compréhension, face à des élites qui définissent le leadership comme étant la capacité de savoir quoi faire, ce qui délégitime le doute des simples citoyens.

Face à une question à trancher, la réponse logique consiste à commencer par douter, puis à examiner la question sous plusieurs angles et à délibérer avant de prendre une décision. En effet, la plupart des activités humaines peuvent être scindées en trois étapes, l'acte de douter étant la deuxième étape et étant aussi la seule étape qui demande une application consciente de son intelligence.

Quant à la première étape, elle consiste à prendre conscience de la réalité à laquelle il va être nécessaire de faire face. Cette étape consiste toujours en un mélange confus de la prise de conscience d’une situation qui semble hors contrôle et d'attitudes qui sont largement déterminées, et embrumées, par des idées reçues ainsi que des solutions simplistes.

La troisième étape, la prise de décision, est supposée être le résultat d'une solution qui a été produite par une réponse correcte au problème initial. En pratique, la prise de décision est une activité souvent surévaluée, alors qu’elle n’est souvent guère mieux qu’un mécanisme quasi-automatique.

La mise en avant du leadership, et au fond, la peur de douter, poussent à faire de la prise de décision un acte de première importance. Cette étape du management est souvent présentée comme étant de la première importance, alors qu’elle n’a aucune valeur si elle n’a pas été précédée par le doute.

Le doute se situe entre la réalité et l'application d'une idée. Il doit être soumis à l’appréciation de l’expérience, de l’intuition, de la créativité, de l’éthique, du bon sens et bien sûr du savoir et il doit conduire à des considérations équilibrées sur ce qui doit être fait. Plus cette étape du doute se prolonge et plus nous pouvons utiliser pleinement notre intelligence de la situation.

Je ne suis pas certain que les concepteurs de l’Intelligence Artificielle aient pris pleinement la mesure du rôle crucial de cette étape du doute, dans la mesure où ils sont sans doute trop influencés par les théories du management qui mettent en avant la prise de décision et peut-être trop anxieux de voir leurs machines passer à l’acte, plutôt que de tout arrêter sous l’emprise du doute.

Les élites, la part de nos sociétés qui détient le pouvoir, cherchent presque automatiquement à sauter directement de la réalité à la solution, de l'abstraction à l'application, de l'idéologie à la méthodologie. Elles ne veulent laisser à personne le temps de douter, c’est pourquoi elles présentent la délibération comme une faiblesse et elles effectuent l’examen de la situation à la va-vite, quand elle n’est pas purement et simplement éliminée. La conséquence de ce comportement des élites est de ramener la capacité de compréhension des citoyens à des idées reçues, à des procédures inconscientes ou secrètes et à des actions mécaniques. On le voit bien lorsque l’on interroge des citoyens sur leur compréhension des évènements : elle s’évade rarement des idées reçues.

On mesure la bonne santé des démocraties à accueillir le doute comme un plaisir paisible, tandis que les démocraties malades sont obsédées par les réponses et par le management : c’est ainsi qu’elles perdent leur raison d'être.

 

Cependant, il reste que le doute est la seule activité qui fasse profondément usage des qualités spécifiques de l’être humain.

 

D’après l’ouvrage de John Ralston Saul (1995), The Doubter’s Companion, Penguin Book, Londres.

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AFRIQUE, ADIEU?

3 Août 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

AFRIQUE, ADIEU?

Le coup d’État, les manifestations de Niamey, le sommet de Saint-Pétersbourg sonnent trois glas de l’influence de la France en Afrique. Il serait temps d’en comprendre les raisons.

 

Le premier achève de chasser l’armée française de la plus grande partie du Sahel, où elle n’est plus la bienvenue, ni au Mali, ni au Burkina-Faso, ni en République Centre-Africaine, ni désormais au Niger. Reste le Tchad, pour le moment.

Le deuxième révèle à la population française attristée que la France n’est plus la bienvenue en Afrique. Plus exactement, que l’influence de la France officielle, celle des ambassades, n’est plus tolérée en Afrique. J’ai écrit en Afrique et pas au Niger, car je suis convaincu, et il est facile de le vérifier, que toute l’Afrique francophone est vent debout face à la politique des ambassades, qui consiste à diriger les gouvernements africains depuis l’ambassade de France qui se trouve dans le pays. Je voudrais témoigner de mon étonnement, mais aussi de ma compréhension, en discutant avec un franco-togolais qui m’expliquait que le pouvoir n’appartenait pas au Président, Faure Gnassingbé, le fils du défunt président Gnassingbé Eyadema, mais à l’ambassadeur de France à Lomé, sans lequel le Président ne prenait aucune décision importante. Et il ajoutait : « vous croyez que le peuple togolais va supporter indéfiniment d’être dirigé par des dictateurs adoubés par la France ? ».

Le troisième a été présenté, le 27 juillet dernier, par le Figaro lorsqu’il titra, atteignant ainsi un sommet en matière de désinformation : « la Russie, très isolée, ouvre le 25e forum économique de Saint-Pétersbourg » ! dix sept mille participants, cent trente pays représentés, drôle d’échec. Et il s’y est ajouté le sommet Russie Afrique, les 27 et 28 juillet 2023 avec des délégations venues de presque tous les pays d’Afrique, dont une quarantaine de dirigeants africains. Un autre échec pour la Russie ?

Nous pouvons observer a contrario du Figaro que les Africains sont venus saluer à Saint-Pétersbourg l’actuelle résistance victorieuse de la Russie à l’Occident. Ils y ont exprimé leur frustration de subir eux-mêmes le diktat du modèle occidental, diktat qu’ils déclarent vouloir rejeter, à l’exemple de la Russie. Car la résistance russe leur donne le courage d’agir, tandis qu’ils n’accordent aucune considération pour le modèle ukrainien, pur succédané occidental.

Il est très simple de comprendre le rejet du modèle que propose l’État Français en Afrique. Il faut commencer par reconnaitre que l’Afrique a changé depuis l’indépendance. Entre 1960 et 2020, la population du Niger est passée de 3 à 21 millions d’habitants, dont la moitié est âgée de moins de 15 ans, ce qui permet de réaliser que le rapport de force démographique a totalement changé entre la France et l’Afrique et du coup le rapport de force tout court.

Ensuite les puissances occidentales ont fait des déclarations surannées. Face aux maladresses de Mohamed Bazoum, qui bien que représentant d'une ethnie ultra minoritaire au Niger, n’hésita pas à irriter sa propre armée en appelant les troupes françaises, américaines, allemandes, italiennes à venir s’installer massivement au Niger pour lutter contre les rebelles, un Mohamed Bazoum qui  en est à subir sa troisième tentative de coup d’État en deux ans, les pays occidentaux ont fait pitoyablement appel au respect de l’état de droit. Comme s’ils étaient en charge de le faire respecter au Niger, quoi qu’en pense la population nigérienne. Mais où sont les foules nigériennes qui manifestent à Niamey pour le respect de l’état de droit réclamé par les occidentaux ?

Les dirigeants, mais aussi l’opinion publique occidentale, ne comprennent donc pas encore que les interventions militaires, économiques et par-dessus tout morales de l’Occident, à commencer par celles de la France, exaspèrent les opinions africaines. Un ministre d’un pays du Sahel affirmait récemment que si la France voulait conditionner son aide au développement au soutien de la cause LGBT ou à l’écologie, il ne serait pas étonné que l’on mette le feu aux ambassades françaises en Afrique.

Et Moscou ? Les Africains s’appuient sur le modèle russe de résistance à l’Occident pour se libérer du joug de l’Occident, du FMI et de ses accords conditionnels, comme du Franc CFA aligné sur l’Euro. Ils ne veulent plus de cadre imposé pour qu'on leur octroie des fonds, mais des négociations à égalité et ils ne veulent plus d’une lutte contre des rebelles qui, selon eux, ont été générés par l’Occident lorsqu’il a détruit la Libye de Kadhafi.

Il apparait ainsi qu’une retombée inattendue de l’échec de la tentative de déstabilisation de la Russie par la guerre serait la perte d’influence occidentale, française en particulier, en Afrique. Cela ne s’inscrit sûrement pas dans une détestation des Français mais dans celle de la politique de la France.

Pour revenir en Afrique, il faudra s’y rendre sans poser de conditions et sans imposer de principes. Par exemple, je suis sûr que si la France proposait simplement au Niger, qui dépend à 70% du Nigeria pour son alimentation électrique alors qu’il fournit 30% de l’uranium utilisé par les centrales nucléaires en France, d’y financer et construire un mini réacteur nucléaire, aucun gouvernement nigérien ne le refuserait.  

 

Alors, Afrique, Adieu ?

Plus exactement, adieu à l’arrogance en Afrique…

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