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Le blog d'André Boyer

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LE DINDON DE LA FARCE* EUROPÉEN ?

5 Mars 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ASMP-A MISSILE FRANÇAIS ATOMIQUE 300 KT  MOYENNE PORTÉE

ASMP-A MISSILE FRANÇAIS ATOMIQUE 300 KT MOYENNE PORTÉE

Les États-Unis ne fournissaient pas seulement de l'argent et des armes à l'Ukraine, ils contribuaient et contribuent toujours à la formation des soldats ukrainiens, ils fournissent aussi des données de reconnaissance et de ciblage et ils sont enfin au cœur de la planification des opérations depuis leur QG à Wiesbaden.

 

Les Européens ne pourront pas fournir l'ensemble de ces services. C'est pourquoi les dirigeants européens qui pensent en termes de poursuite de la guerre sont effrayés par l'arrivée éventuelle de Trump. Mais, quoi qu'il se passe aux États-Unis, la volonté de la plupart des dirigeants européens de faire la guerre à la Russie semble rester inébranlable.

Toutefois, la situation militaire est la suivante, en ce mois de mars 2024 : les forces ukrainiennes ont perdu leur capacité à l'offensive. Elles doivent se contenter de démontrer qu'elles existent en menant des attaques sur le territoire russe, y compris contre la population civile.  

En face, les Russes ont repris l'initiative et semblent se contenter de consolider leurs positions actuelles, mais il n'est pas exclu que Kharkiv et Odessa soient menacés. Dans ces conditions, après avoir poussé les Ukrainiens à l'offensive en 2023, les Américains leur ont dicté pour 2024 une stratégie défensive qui a pour objectif de garder le plus possible de territoire tout en limitant les pertes humaines. Pour la suite, ils espèrent que l'armée ukrainienne sera plus forte dans un an et encore plus dans dix ans. La CIA aime voir loin.

Dans une perspective du retrait, sans doute partiel, de leur engagement en Ukraine, les États-Unis ont aussi dicté aux États européens de signer avec l'Ukraine des engagements de défense bilatéraux sur dix ans, ce qui revient à faire entrer l'Ukraine dans l'Otan par une porte dérobée.

Obéissants, les principaux États européens, la Grande Bretagne, le plus fidèle allié en premier, l'Allemagne, la plus impliquée dans le conflit ensuite, puis la France, l'Italie et même le Canada ont déjà signé ces engagements.   

Pour justifier ces accords, on agite la perspective d'une Russie dont l'objectif stratégique serait non seulement de conquérir toute l'Ukraine mais aussi d’attaquer les pays baltes et la Pologne. 

Ces rumeurs ne sont que des hypothèses qui ne sont confirmées ni par les déclarations de Poutine ni par les faits antérieurs. En effet, Poutine a toujours déclaré que la crise en Ukraine n'était pas un conflit pour obtenir un territoire et que, comme la Russie était déjà le plus grand pays du monde, elle n'avait aucun intérêt à en conquérir de nouveaux. Ce qu'il veut, selon ses déclarations, c'est la Crimée, le Donbass et la neutralité de la partie de l'Ukraine qui ne sera pas sous le contrôle russe.

En outre, les faits sont les suivants : en février 2022, la Russie a déployé 190000 soldats contre 400000 soldats ukrainiens bien formés et équipés par l'Occident depuis 2014. Impossible de conquérir l'Ukraine avec des moyens aussi faibles, ni même de l'occuper une fois conquise : il lui faudrait faire stationner 1 million de soldats en permanence. Pour attaquer et occuper en sus la Pologne et les Pays Baltes, il lui en faudrait combien ?

À ce stade des évènements, la question qui se pose est celle de la négociation.

Cette dernière a déjà avorté deux fois, à Minsk et à Istanbul, la première parce que les États-Unis voulaient du temps pour préparer l'armée ukrainienne à la guerre, la seconde parce qu'ils voulaient que cette même armée lance une grande offensive avec le soutien de l’Occident, dont on peut supposer qu'ils en attendaient un succès.

C'était une fiction, visible aujourd'hui. Les Ukrainiens ont atteint tout ce que leur force armée était capable de faire avec le soutien occidental. Maintenant, on sait que l'Ukraine ne vaincra jamais militairement la Russie, qu'il n'y a pas d'arme miracle, que les forces armées ukrainiennes sont dans un état critique et qu'une défaite militaire de l'Ukraine se profile, malgré l'aide occidentale.

Si les dirigeants occidentaux ne veulent pas négocier aujourd'hui, qu'attendent-ils de la suite ? L'Europe possède des armées trop faibles pour les engager contre l'armée russe et les États-Unis n'ont jamais voulu et ne veulent pas d'une confrontation directe avec la Russie, en raison du danger nucléaire et de l'ombre de la Chine qui se profile.

Puisque les Occidentaux ont décidé que la Russie était leur ennemi à long terme, qu'ils se préparent donc à la guerre pour avoir les moyens de la gagner. Qu'ils augmentent fortement les budgets militaires, sachant qu'il leur faudra entre cinq et dix ans pour atteindre un niveau suffisant et pour convaincre leurs opinions publiques du bien fondé d'une future guerre contre la Russie.

En attendant, il leur reste encore à digérer l'humiliation d'avoir surestimé leur force, en convenant avec la Russie d'un accord de cessez le feu suivi d'une négociation de paix, avant de songer à une guerre.  

En dehors de cette démarche, ils peuvent aussi et c'est ce qu'ils laissent croire aujourd'hui, procéder à une intervention active en Ukraine pour tenter d'empêcher la défaite militaire de l'Ukraine, au risque d'une grande guerre européenne où seraient probablement utilisées des armes atomiques tactiques. Puis, après les massacres et les destructions considérables que cette grande guerre risque d’entrainer, peut-être les Européens accepteront-ils de discuter avec la Russie, entre survivants ? 

 

Les Européens doivent être nombreux à penser que, dans une situation qui est défavorable à l'Ukraine et à l'Europe, le plus tôt sera le mieux, sauf à accepter d’être le dindon de la farce.

 

 

*Être le dindon de la farce, c'est servir de dupe dans une affaire bancale ou une entreprise ratée dont on subit les inconvénients, alors que des partenaires plus habiles, ou plus chanceux, tirent leur épingle du jeu.

L'expression semble venir d'une forme de divertissement forain que l'on appelait « le ballet des dindons»: on plaçait quelques-unes de ces volailles placides sur une tôle surélevée et clôturée, formant une scène, puis on chauffait progressivement ce plancher métallique par en dessous. À mesure que la chaleur se faisait sentir dans leurs pattes, les dindons commençaient à s'agiter, à danser sur la tôle d'un air évidemment grave qui mettait en joie les badauds admis à contempler l'action. Le ballet des dindons fut interdit en 1844, par une ordonnance du préfet de police.

D'après Claude Duneton

 

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LA PATATE CHAUDE* ECHOIT AUX EUROPÉENS

29 Février 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

LA ZONE NEUTRALISÉE DANS LE PROTOCOLE DE MINSK (2015)

LA ZONE NEUTRALISÉE DANS LE PROTOCOLE DE MINSK (2015)

Après cette guerre d'Ukraine, il faudra concevoir une nouvelle configuration politique qui soit acceptable pour les États-Unis et la Russie. Il reste à savoir si l'Europe aura son mot à dire.

 

Il faudrait pour cela que l'Europe ait une capacité de défense suffisante et soit en mesure de participer à l'effort pour une paix négociée afin de mettre fin à la guerre. Mais lorsque la politique et la diplomatie sont mis hors-jeu, comme c'est le cas actuellement, la guerre n'est plus qu'un acte de violence sans limites, chacun essayant d'imposer à l'autre sa volonté, ce qui conduit à une escalade, dans laquelle notre Président s’installe clairement.

Jusqu’où ?

Les États-Unis ont pensé qu'ils imposeraient leur volonté à la Russie en arrachant l'Ukraine à son influence, avec ou sans guerre. Ils disposent en effet d'une position stratégique très favorable et ils ont longuement préparé leur affaire. Deux océans les protègent, un allié est à leur frontière nord et provisoirement un pays ami au sud, les facteurs stratégiques de l'espace et du temps ne jouent aucun rôle pour eux et ils ne peuvent pas être attaqués par des moyens conventionnels.

Dans cette guerre, Ils pouvaient mener sans risques une guerre conventionnelle et par Ukrainiens interposés. C'est ce qu'ils ont fait. Ils ont pensé la gagner. Ils se sont trompés, mais ils peuvent se retirer sans risques.

Pour sa part, la Russie est dans une position stratégique opposée : sa grande masse terrestre est entourée de nombreuses régions en crise, aussi l'espace et le temps sont d'une importance existentielle. Or, pour des raisons historiques, la Russie aspire à disposer d'une certaine sécurité militaire particulière et elle n'est ni prête à renoncer à son histoire, ni capable d'échapper à sa situation stratégique.

Or sa situation stratégique s'est dégradée. En 2002, les États-Unis ont dénoncé unilatéralement l'accord ABM;  un système de défense antimissile a été mis en place en Europe l'année suivante, qui a été perçu par la Russie  comme une menace; en 2019, les États-Unis  ont dénoncé unilatéralement l'accord INF sur les missiles nucléaires intermédiaires, permettant paradoxalement à la Russie de développer légalement de nouveaux missiles vers l'Europe; en 2020, les États-Unis ont dénoncé unilatéralement le traité sur le ciel ouvert, qui permettait des inspections réciproques; néanmoins en 2021, les accords sur les armes intercontinentales qui menacent directement les États-Unis (traité New Start) ont été prorogés pour 5 ans.

En 2008 à Bucarest, lors du sommet de l'OTAN, Georges W. Bush a mis la pression pour obtenir une adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, tandis que le directeur actuel de la CIA, William Burns, alors ambassadeur US à Moscou, mettait en garde son gouvernement contre les risques d'intervention russe que provoquerait de telles adhésions.

Mais le véritable tournant stratégique fut le coup d'état contre le gouvernement ukrainien légal, orchestré par les États-Unis à Kiev en 2014. Ce coup d'état a déclenché la guerre civile dans le Donbass et le refus du gouvernement issu du putsch d'accorder le droit des minorités à la population russophone. Le protocole de Minsk négocié par Angela Merkel et François Hollande en septembre 2014 et renouvelé en février 2015 prévoyait notamment que l'Ukraine fasse une modification constitutionnelle afin d'accorder les mêmes droits à la population russe qu'ukrainienne, mais cette modification n'a jamais eu lieu.

Nombreux sont ceux qui pensent que la guerre aurait pu être évitée si le protocole de Minsk avait été appliqué par l'Ukraine. Ils sont plus nombreux encore à penser que la guerre aurait pu s'arrêter avec le projet de traité préparé à Istanbul fin mars 2022, après six semaines de guerre.  Dans ce traité, il était essentiellement convenu que l'Ukraine renoncerait à entrer dans l'OTAN et adopterait un statut neutre. En retour, les troupes russes se retireraient à leur position du 23 février. Cet accord n'a pas été signé par l'Ukraine sous la pression des États-Unis qui voulaient la guerre, à ce moment là.

En ce début de troisième année de guerre, il est clair que le destin de l’Ukraine se décidera cette année et que ce destin est entre les mains de l'Occident. L’Ukraine a besoin d'argent et d'armes, mais elle manque surtout de soldats. La moitié du budget ukrainien est financé par l'Occident, avec une corruption omniprésente qui contribue au déficit de son budget. En outre, la reconstruction du pays nécessitera un engagement financier à long terme qui devrait être surtout assuré pas les européens.

Les Allemands ont pris la tête des États qui sont déterminés à soutenir l'effort de guerre ukrainien. Un financement de cinquante milliards d'Euros est prévu pour la période 2024 2027. Il est loin de couvrir les besoins de l'Ukraine, mais si le Congrès US refuse de libérer des fonds, il ne restera plus à l'Europe qu'à accroitre son financement à l'Ukraine.

 

C'est ainsi que l'européanisation de cette guerre, voulue par les États-Unis et la Russie, a déjà fait un bond en avant, mais ce n'est qu'un début dans la logique de guerre qui prévaut actuellement.

 

 

*Une pomme de terre entière qui vient d'être cuite à l'eau bouillante ou en papillote dans un barbecue, garde longtemps sa chaleur en raison du grand volume d'eau qu'elle contient. C'est pourquoi, lorsqu'on en prend une à la main, on est surpris et, pour éviter de se brûler, on la passe vite fait à son voisin, à charge pour lui d'en faire ce qu'il en veut, l'essentiel étant qu'on ne soit plus soi-même gêné par cette chose brûlante.

Il est à noter que cette expression vient des États-Unis aussi, comme la chose elle-même.

À SUIVRE

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UNE GUERRE SUR DEUX FRONTS

26 Février 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

UNE GUERRE SUR DEUX FRONTS

 

La stratégie des États-Unis est déterminée principalement par sa rivalité avec la Chine, la seule puissance capable de remodeler l'ordre international afin de devenir la puissance mondiale dominante à sa place.

 

Pour y faire face, les États-Unis veulent commencer par affaiblir la Russie, leur deuxième adversaire stratégique, pour pouvoir se concentrer sur la Chine et éviter que ne se forme un axe Moscou Berlin, susceptible de les concurrencer à terme.

À cet effet, il leur a fallu lourdement impliquer l'Europe dans le dessein de la couper d'une Russie affaiblie, sachant qu'ensuite l'Europe se trouverait impliquée dans le conflit suivant, avec la Chine. Cela semblait une idée logique de la part des États-Unis, d’abattre la Russie, le plus faible des deux pays du point de vue stratégique, en menant une guerre par procuration avant de se tourner vers la Chine, leur adversaire le plus fort.

Mais ils ont sous-estimé la résilience de la Russie et se retrouvent contraints de conduire  une guerre sur deux fronts face à la Russie et à la Chine. La guerre en Ukraine a en effet favorisé la formation d'un bloc géopolitique concurrent, comprenant la Chine, l'Inde, l'Iran et les pays proches comme le Pakistan, le Kazakhstan, le Kirghizstan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan. Autour des BRICS, la Chine s'est mise à collaborer avec l'Arabie saoudite sur le pétrole et l'énergie nucléaire et elle pousse à la formation d'une monnaie de réserve fondée sur les matières premières qui concurrence avec le pétrodollar, ce qui est une manière relativement douce de prendre le dessus dans la rivalité avec les États-Unis.

En outre, depuis le début de l'année, l'Arabie Saoudite, un ancien allié des États-Unis, l’Iran, l'Égypte, les Émirats Arabes Unies, l'Égypte et l'Éthiopie ont rejoints les BRICS qui rassemblent 3,8 milliards de personnes et 40 autres pays ont exprimé leur intérêt à rejoindre les BRICS, qui ne sont clairement pas favorables à la domination américaine. Parmi ces pays, on dénombre l'Algérie, l'Indonésie, le Pakistan, le Mexique, le Nicaragua, l'Uruguay, le Venezuela et même deux pays de l'OTAN, la Grèce et la Turquie.

La Chine et la Russie, sachant que cette dernière présidera cette année les BRICS, veulent officiellement contribuer à un monde multipolaire qui entrainera le déclin de l'influence américaine. La Chine, qui prend ostensiblement une position modérée sur le conflit ukrainien et sur Taiwan, affirme que les pays occidentaux sont les principaux responsables de la guerre en Ukraine et qu'elle a fait augmenter les risques de conflit généralisé.

La question de Taiwan peut devenir le point culminant de la rivalité americano chinoise. Depuis 1969, les États-Unis se sont engagés à fournir les moyens à Taiwan pour se défendre, mais avec une certaine ambivalence. Or Joe Biden a rompu avec cette ambivalence en déclarant qu'il défendrait Taiwan contre la Chine, tandis que le président chinois a répondu qu'il cherchait une réunification pacifique sauf s'il était contraint à la force.

Cependant tout le monde sait que les États-Unis n'ont pas les moyens de défendre Taiwan s'il était militairement attaqué par la Chine, parce que la Chine dispose, en dehors de son avantage stratégique, d'une force militaire croissante, d'un avantage en matière de missiles hypersoniques ainsi que d'une capacité nucléaire renforcée. La guerre pour Taiwan n'aura donc probablement pas lieu et la Chine dispose du choix du moment pour se saisir de cet avantage géostratégique.

En ce début 2024, tout se passe comme si, pendant que la Russie s’oppose frontalement aux États-Unis par Ukraine interposée, la Chine s’active discrètement à les priver d’oxygène.  

En raison de cette situation, il est particulièrement important que l'Europe s'affirme comme un acteur indépendant dans la politique internationale, car la guerre en Ukraine l'a conduit à un carrefour. Tous les pays européens sont concernés par cette guerre, notamment par ses conséquences économiques mais aussi par ses conséquences géostratégiques et les deux risquent de devenir plus lourdes et de moins en moins réversibles.

Mais il faut en revenir au déclenchement de la guerre, car Poutine n'a pas décidé d'envahir l'Ukraine en prenant son petit déjeuner. Il y a toujours des causes à une guerre, comme il y a une fin qui consiste à prendre acte d'une nouvelle configuration politique et géostratégique.

Lorsque la Russie, après l'effondrement de l'Union soviétique, a cherché à se rapprocher de l'Occident et de l’Otan, avec pour objectif de résoudre les crises qui la concernaient avec la collaboration de l’Otan, il y a eu une courte période d'entente, avant que les stratèges américains ne reprennent la position hostile qu'ils avaient élaboré face à l'URSS pour l'appliquer à une Russie plus faible.

 

Car les États-Unis n'ont jamais vu la Russie comme un pays ami mais comme une puissance concurrente, donc ennemie.

 

* Ce texte est issu d'une conférence prononcée par le général Harold Kujat, ancien chef d'état-major de l'armée allemande et ancien président du comité militaire de l'Otan. J'assume toutefois la totalité de la responsabilité de l'article.

 

À SUIVRE

 

 

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L'EUROPE, BÉQUILLE AMÉRICAINE

20 Décembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

EVACUATION DU 30 AVRIL 1975, SAIGON

EVACUATION DU 30 AVRIL 1975, SAIGON

Les États-Unis ont l'ambition clairement affirmée de conserver leur leadership mondial. Dans ce cadre, ils ont également un projet précis pour l'Europe.  

 

Sans conteste, au plan militaire, financier, économique, sur Internet comme en matière de soft power, les États-Unis dominent le monde et ils ne veulent naturellement pas perdre les avantages que ce pouvoir leur donne. Mais l'évolution de ce même monde modifie les rapports de force. Ils ont successivement pris le dessus sur les Anglais, les Indiens, les Mexicains, les Allemands et les Japonais. Désormais, après s'être confrontés à l'URSS pendant 44 ans et l'avoir éliminée sans combattre, ils considèrent que la Chine est le nouvel ennemi à abattre.

Nous avons vu dans les deux billets précédents, qu'ils commençaient à abandonner le Moyen Orient sur lequel ils ont longtemps guerroyé pour concentrer leur énergie contre la Chine. 

En même temps, il leur faut mettre les affaires en ordre, en rassemblant leurs alliés. Un premier cercle est constitué, solidarité culturelle oblige, des pays anglo-saxons, Grande Bretagne, Australie, Canada. Avec les deux premiers, les États-Unis ont constitué AUKUS, un accord de coopération militaire qui vise à contrer l’expansionnisme chinois dans l’Indopacifique.

Un deuxième cercle est formé par les alliés des États-Unis, composé des pays de l’Union Européenne rassemblés dans l’OTAN, du Japon et de la Corée du Sud. En tant qu’alliés stratégiques, certains de ces pays, dont la France et l’Allemagne, sont un peu moins sûrs que les pays du premier cercle. C’est ainsi que la France a failli vendre des porte-hélicoptères à la Russie* et que l’Allemagne a failli dépendre du gaz russe pour son approvisionnement énergétique.

La crainte des États-Unis est en effet de voir se constituer un ensemble économique reliant l’Union Européenne et la Russie qui deviendrait suffisamment puissant pour être autonome, sinon pour s’affranchir de sa dépendance et apparaitre comme un troisième « grand ».

L’extension de l’Otan a permis une première séparation. Les États-Unis ont obtenu des candidats issus de l’Europe de l’Est qu’ils adhérent à l’Otan avant de rejoindre la Terre Promise de l’UE. Bien sûr, ils ont balayé d’un revers de main la demande de la Russie d’entrer dans l’Otan en juin 2000, si bien qu’après l’adhésion des trois pays baltes et de la Pologne, la région russe de Kaliningrad s’est trouvée enserrée entre deux membres de l’Otan. Puis il a été question de faire adhérer la Géorgie et l’Ukraine à l’Otan.

L’Ukraine, pays slave tiraillé entre une attraction russe à l’est et au sud et une répulsion anti-russe en sa partie ouest, offrait aux États-Unis la possibilité de créer un foyer de discorde qui affaiblirait la Russie pour peu que soit exalté le penchant occidental de l’Ukraine.

Après huit ans d’escarmouches sur le Donbass conduites avec l’aide et les encouragements des anglo-saxons, la violente intervention militaire russe qui lui a succédé a permis de justifier la séparation totale et immédiate entre l’Europe de l’Ouest et la Russie.

Le 24 février 2022, date de l’invasion russe de l’Ukraine, les États-Unis ont donc réalisé leur objectif pour l’Europe, qui consistait à la vassaliser pour l’empêcher de constituer un ensemble autonome se rapprochant quasi-automatiquement de la Russie.

À partir de cette date, une dynamique de rupture mais aussi de modification des rapports de force s’est mise en marche, qui ne peut conduire qu’à un affaissement de la position américaine de départ.

Un pôle s’est constitué entre la Chine, l’Iran et la Russie, redoutable à terme pour les États-Unis. De nombreux pays, du Moyen-Orient comme la Turquie pourtant membre de l’Otan, de l’Asie comme l’Inde, d’Amérique du Sud comme le Brésil, d’Afrique comme les pays du Sahel et l’Afrique du Sud, refusent d’appliquer les sanctions américaines que pratique en revanche l’UE avec application, mais où des tensions croissantes se manifestent entre les partisans de la guerre perpétuelle et ceux de la négociation avec la Russie.

C’est que la puissance de la Russie ne s’est pas trouvée clairement entamée par la guerre, même si les États-Unis n’ont jamais vraiment crû que l’Ukraine allait l’emporter militairement sur la Russie, ni que les sanctions allaient affecter profondément son activité économique. Aujourd’hui hostile, ce pays est toujours présent à l’est de l’Europe, si bien que demain la tentation de l’entente entre les deux ensembles ne demandera qu’une baisse de la pression américaine pour resurgir.

C’est ainsi que loin d’avoir uni ensemble stable, amical et puissant à ses côtés, l’affaire ukrainienne a créé un foyer conflictuel dans une Europe inquiète et affaiblie. C’est aussi de la sorte que les États-Unis revitalisent le mythe de Sisyphe, reculant ici et s’affirmant là, contraints de devoir sans cesse faire face aux mutations imprévisibles du monde, comme le mouvement palestinien un temps mis sous le boisseau ou conduisant à des confrontations comme en Ukraine dont ils ne parviennent pas à maitriser les conséquences.

 

Primus inter pares plutôt que mâle dominant, voilà une mutation que les États-Unis ont donc des difficultés à accomplir, d’où un chapelet de guerres perdues, du Viêt-Nam à l’Ukraine en passant par l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan et la Libye, en attendant la suivante, Taiwan.

Si toutefois, ils parviennent encore à faire cette guerre là… 

 

*L’accord a été passé par Nicolas Sarkozy en 2010 et annulé par son successeur François Hollande en 2014.

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LES ACTEURS DU MOYEN-ORIENT À LA MANOEUVRE

15 Décembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

MBS et BACHAR AL ASSAD

MBS et BACHAR AL ASSAD

Confrontés à la perspective d’un retrait militaire américain prochain qui laisserait les mains libres à un Iran plus assuré, les alliés régionaux de Washington ont cherché à s’adapter à la nouvelle donne.

 

Lorsqu’en septembre 2019, des forces yéménites alliées à Téhéran ont mené une attaque majeure contre les installations du géant pétrolier saoudien Aramco, il n’y a eu aucune réaction de la part de Washington, ce qui a ébranlé la confiance que Riyad pouvait avoir dans la pérennité du soutien des États-Unis.

En outre, la prise pour cible de la base américaine d’al-Tanf en Syrie par des forces alliées à l’Iran ainsi que les attaques répétées contre les intérêts américains ces dernières années en Syrie et en Irak n’ont pas provoqué de réaction majeure des États-Unis. En conséquence, les pays arabes qui, depuis 2011, s’étaient montrés hostiles au régime syrien ont progressivement engagé un processus de normalisation qui a abouti à la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue Arabe. Quant à la Turquie, elle ne nourrit plus, dans un contexte où le rapport de force a évolué en faveur de Damas et de ses alliés, d’ambition de changement politique en Syrie.

Du coup, Riyad a amorcé des négociations avec Téhéran qui se sont récemment soldées par un accord, habilement conclu sous l’égide de la Chine.  

L’Irak de son côté, bien que les États-Unis y maintiennent encore une présence militaire, ne veut plus, comme le Yémen et le Liban, être un champ de confrontation entre l’Iran et l’Arabie saoudite, et le récent accord entre ces deux acteurs le soulage grandement.

Le doute a également saisi les Émirats Arabes Unis (EAU) sur une implication américaine à leurs côtés face à l’Iran. Il les a contraints, après avoir développé de fortes relations de coopération avec Israël qui se sont manifestées par la signature des accords d’Abraham le 15 septembre 2020, à maintenir un dialogue avec l’Iran.

Déjà les Émirats avaient retiré la plupart de leurs troupes terrestres du Yémen en 2019 et réengagé un dialogue avec l’Iran à la suite des attaques attribuées à Téhéran contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz ; ils avaient notamment débloqué des fonds iraniens gelés dans des banques émiraties et fournit à plusieurs reprises une aide médicale à l’Iran durant la crise sanitaire. Aujourd’hui, la guerre que conduisent les Israéliens ne fait que renforcer l’engagement des EAU auprès de la population de Gaza.

Pour sa part, Israël était très inquiet des choix stratégiques de l’administration actuelle et des dynamiques régionales qui en résultaient. Aujourd’hui, si Israël est rassuré de l’engagement américain à ses côtés, il ne l’est que pour le court terme car la guerre de Gaza n’inverse pas ces dynamiques, au contraire elle les renforcent.

Depuis le début de l’administration Biden, les Israéliens et les Américains divergent au sujet de l’Iran. Les Israéliens souhaitaient obtenir de Washington l’assurance d’un « plan d’urgence opérationnel conjoint » en cas d’échec des négociations avec Téhéran, mais les Américains sont restés muets sur les moyens à adopter dans un tel scénario. Si, dernièrement, les États-Unis ont donné leur feu vert aux Israéliens pour une attaque en cas d’urgence sur les centres atomiques de l’Iran, ils n’ont pas précisé quel serait le niveau de leur soutien.

Israël est également inquiet des relations que développent les pays du Golfe avec la Chine. Sa principale crainte est de voir les technologies israéliennes exportées vers le Golfe parvenir ensuite en Chine et, de là, en Iran. Ils voient également un risque dans les investissements des entreprises du Golfe en Israël, car ces entreprises ont des liens de plus en plus étroits avec les entreprises chinoises.

Le reflux de l’influence américaine a donc des conséquences négatives sur Israël, car il doit à la fois composer avec les nouvelles orientations stratégiques américaines et avec les nouvelles dynamiques régionales qui confortent la position de l’Iran, alors que ses inquiétudes sécuritaires s’accroissent.

Mais les États-Unis se trouvent désormais engagés sur trois fronts. Alors qu’ils veulent contenir l’expansion chinoise en Extrême Orient, ils se trouvent désormais contraints de soutenir Israël qui est sans nul doute engagé dans un conflit à long terme. Écrire que la guerre de Gaza ne les arrange pas est un euphémisme.

 

Enfin, ils ne peuvent pas subir un échec spectaculaire en Ukraine sans remettre en cause leur suzeraineté sur l’Europe, ce qui minerait leur position hégémonique mondiale…

 

À SUIVRE 

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L'AFFAIBLISSEMENT AMÉRICAIN AU MOYEN ORIENT

12 Décembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

POUTINE ET LE PRINCE MOHAMMED BEN SALMANE À RIYAD

POUTINE ET LE PRINCE MOHAMMED BEN SALMANE À RIYAD

La guerre en Ukraine agit comme un révélateur du rejet du leadership occidental, tel qu'il a été conçu et mis en œuvre par les élites américaines, en particulier au Moyen-Orient.

 

Pour comprendre la situation, je vous invite à vous arracher un instant à la lecture de ce billet pour consulter trois médias qui rendent compte de la visite récente de Poutine en Arabie Saoudite et aux EAU.

Regardez au choix :

LCI, si vous voulez vous rassurer :

https://www.youtube.com/watch?v=MwhipGdNoX4&t=129s

CGTN en français (la télé chinoise), si vous acceptez de vous inquiéter :

https://www.youtube.com/watch?v=5P8-bDpeaUg

Afrique Média si vous voulez comprendre :

https://www.youtube.com/watch?v=bv_IZZTu3YI

Quoi que vous ayez regardé, à moins que vous n'ayez rien regardé du tout, je m'accorde le droit de vous expliquer la signification de cet évènement: notez tout d'abord l'arrivée en fanfare de l'avion présidentiel russe escorté par quatre avions de chasse ultramodernes et surarmés, et les F16 D'Abu Dhabi qui tracent (le comble de l'insulte) les couleurs russes dans le ciel, un ciel que les avions américains basés dans la péninsule arabe se sont bien gardés de fréquenter au même moment.

Notez ensuite la délicate attention des dirigeants saoudiens de sortir de la naphtaline une ZIL 41052,  un véhicule blindé pesant 5,5 tonnes (et consommant 65 litres aux 100 kms), auquel s'est ajoutée une réception somptueuse rassemblant tous les princes influents d'Arabie, mais aussi le chef d'état tchéchène Ramzan Kadyrov, retransmise sur toutes les télévisions du monde, montrant que l'Arabie Saoudite, à bon entendeur salut, faisait un pied de nez aux États-Unis, qui y disposent de bases et de facilités militaires, terrestres, navales et aériennes et où résident 80000 ressortissants américains.

Au premier degré, cet évènement constitue bien sûr un hommage rendu à Vladimir Poutine, mais surtout, à un second degré aisé à comprendre, un défi aux États-Unis et à leurs vassaux. Il signifie que les pays arabes, Arabie Saoudite en tête, rejettent, au plan symbolique bien sûr, la tutelle américaine. Cette Arabie Saoudite qui vendait son pétrole aux conditions américaines en échange de sa protection militaire, non seulement n'en a plus besoin, mais n'en veut plus.

Auparavant les dirigeants de 22 pays arabes et de 57 États de l'Organisation de la Coopération Islamique réunis le 11 novembre dernier, dont le président iranien Ebrahim Raïssi, le président turc Recep Tayyip Erdogan, l'émir du Qatar cheikh Tamim ben Hamad al Thani et le président syrien Bachar al Assad réintégré à la Ligue arabe en début d'année, ont déclaré qu'ils ne permettraient pas aux États-Unis d'utiliser leurs bases pour fournir des armes ou pour aider les forces israéliennes. Et cette déclaration a été soutenue par des pays aussi vassaux des États-Unis que la Jordanie, l’Arabie Saoudite, les E.A.U., Bahrein et surtout le Qatar qui abrite 11000 soldats américains,

Bref, Les pays arabes et islamiques manifestent une hostilité ouverte contre la politique militaire américaine, que ce soit au Moyen Orient ou en Ukraine et ils sont rejoint mezzo voce par les pays africains, américains du sud et par la Chine.

Désormais, il ne fait plus aucun doute qu'une intervention américaine, quelle que soit la région où elle serait conduite, susciterait une hostilité du même ordre. Les États-Unis en tirent actuellement les conclusions en ce qui concerne leurs bases au Moyen Orient et les acteurs régionaux s’apprêtent à remplir le vide stratégique laissé par le départ des forces américaines.

Ce départ s'impose en effet par la priorité qu'accordent les États-Unis à leur souci d’endiguer la Chine via le soutien à la sécurité et à la défense du Japon, de Taïwan, de la Corée du Sud, et aussi via le dialogue stratégique et diplomatique avec l’Inde et une partie de l’Asie du Sud-Est. Ils ont donc moins de capacités militaires à consacrer au Moyen-Orient et cette redéfinition des priorités stratégiques a précipité leur retrait d’Afghanistan.  

D’autant plus que la stratégie américaine au Moyen-Orient s’est soldée par une succession d’échecs. La « guerre au terrorisme » n’a pas refaçonné le paysage régional conformément aux intérêts de Washington. Quant à la stratégie de pression maximale sur Téhéran employée par Donald Trump, elle s’est révélée politiquement contre-productive, le régime iranien ayant fait la démonstration de sa résilience.  

 

Dans la perspective de l’allègement de la présence américaine dans le Golfe, le rôle des acteurs régionaux est donc appelé à se renforcer, d’autant plus que Moscou et Pékin n’entendent pas y jouer un rôle aussi central que celui jusqu'ici tenu par les États-Unis.

 

À SUIVRE

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LA BAISSE DE FÉCONDITÉ EUROPÉENNE

1 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ÉGLISE NOTRE DAME DE LA VISITATION À CHAMPLAIN

ÉGLISE NOTRE DAME DE LA VISITATION À CHAMPLAIN

En Europe, tous les taux de fécondité nationaux sont inférieurs à celui qui serait nécessaire au maintien de la population qui y vit.

 

En France, le taux de fécondité était de 1,9 pour 100 femmes en 2022, grosso modo stable depuis une trentaine d’années et donc inférieur au maintien de la population. Mais il est important de noter qu'il en est de même dans toute l’Europe, avec des taux particulièrement bas en Italie, en Grèce, en Roumanie et en Slovaquie.

De même, à l’est de l’Europe, la Russie connait un taux de 1,5% en 2020, de 1,38% en Biélorussie et de 1,22% en Ukraine, ce qui rend plus dramatique encore les pertes humaines dues à la guerre dans ce dernier pays. En 2020, deux cents écoles ont fermé en Pologne par manque d’effectifs. Pour sa part, le Portugal pourrait perdre la moitié de sa population d’ici à 2060. Déjà les territoires de l'est de l'Union Européenne ont perdu 6 % de leur population depuis 1990, soit 18 millions de personnes, soit l'équivalent de la population des Pays Bas.

De nombreux Européens pensent que cet affaissement démographique est une bonne nouvelle, parce qu'il correspond à leurs choix de vie : "nous aurons davantage d'espace", "nous polluerons moins", "les prix baisseront". Ils ne voient pas qu'en revanche, moins de jeunes, c'est aussi moins de contribuables pour payer leurs soins médicaux et leurs futures retraites, moins de consommateurs, moins de demande, moins de croissance et plus de pression migratoire.

Quoi qu'en pensent ses habitants, comme l'Europe est à l'origine de la Révolution Industrielle, que les sociétés européennes comptent parmi les plus laïques du monde et que les femmes y jouissent culturellement d'une grande égalité en droit, il est logique que cette Europe soit à l'avant garde la décroissance démographique. C'est pourquoi les taux de fécondité sont en baisse en Europe depuis presque deux siècles, c'est à dire depuis le début de la Révolution Industrielle. Pendant cette période, on a observé des variations, telles que l'accentuation de la baisse pendant la période qui entoure la crise de 1929 et au contraire le redressement provisoire de la natalité à partir de la fin de la guerre de 1940-1945, et même pendant cette guerre.  

Mais la tendance de fond, bicentenaire, est liée à des facteurs matériels comme l’urbanisation qui rend difficile, pour une famille, d’élever de nombreux enfants et à des facteurs socio-psychologiques, avec en tout premier lieu l’autonomie croissante des femmes qui a fait baisser le taux de fécondité, génération après génération, cette autonomie psychique s'appuyant sur l'autonomie physique atteinte dans les années 1960 avec la pilule contraceptive. 

Cette autonomie a été acquise contre la religion, qui offre un exemple éclatant de la dégradation de l’influence de la société sur la fécondité. Les catholiques comme les protestants étaient opposées à la contraception, ce qui donnait de grandes familles dirigées par mari et femme dans leurs rôles traditionnels respectifs de soutien de famille et d’épouse au foyer. Mais en Europe, la messe dominicale n’est désormais plus fréquentée que par une faible minorité de la population, l’influence de l’Église a baissé et l’union libre, sans mariage religieux, devient majoritaire. L'exemple de la France indique que la messe dominicale n'est fréquentée que par 6% des Français selon leurs déclarations* contre 31% en 1961.

Si l'on élargit nos observations en regardant vers le Québec, parce qu'il est particulièrement marqué par l'influence de l'Église sur la société, le taux de natalité y était de 39,5 pour 1000 en 1900, il était encore de 24 pour 1000 en 1962 pour s'effondrer brutalement en 4 ans, passant à 17 pour 1000 en 1968 : la "révolution tranquille" du gouvernement Jean Lesage était passée par là. Et ce taux de natalité a continué de baisser régulièrement par la suite pour n'atteindre plus que 9,3 pour 1000 en 2022, soit 80700 naissances, alors que la même année le Québec accueillait 70000 immigrés réguliers.

Sans l'immigration, l'immense Québec, trois fois la France, deviendrait en quelques dizaines d'années une zone quasi désertique, tout simplement parce que l'injonction faite aux familles et en particulier aux femmes de faire des enfants pour maintenir la société traditionnelle québécoise catholique n'est plus entendue, ni même plus du tout formulée...

Revenons à l'Europe pour constater que tous les chiffres vont dans le même sens: le taux de nuptialité (nombre de mariages civils pour mille habitants) baisse partout, avec un record de faiblesse pour la France: 2,3 pour 1000 habitants en 2021 alors qu'il était de 7,8 pour 1000 habitants en 1970. Quant au taux de divorce de ces mariages dont le nombre est déjà en chute libre, il dépasse désormais 50%.

 

Inutile de vous abreuver d'autres chiffres, puisqu'ils convergent dans le même sens que la donnée fondamentale que constitue la baisse de la fécondité en Europe.

 

Doit-on en conclure que la population européenne actuelle va disparaitre, submergée qu'elle va être par la population immigrée, à moins qu'il soit possible de pratiquer des politiques natalistes qui inverseront la tendance ?

 

A SUIVRE

 

* Jérôme Fourquet, L'archipel français, Seuil, 2019

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DES PRÉVISIONS JUSTES, DES RÉSULTATS FAUX

15 Septembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

ORGUEIL EXCESSIF OU PIED DE NEZ AU FUTUR?

ORGUEIL EXCESSIF OU PIED DE NEZ AU FUTUR?

Lors de mon avant dernier billet, intitulé « L’ORIGINE DE LA BAISSE DE LA FERTILITÉ » j’ai fait peser tout le poids de cette baisse de la fertilité sur la volonté des femmes de réduire le nombre des enfants qu’elles souhaitent, désormais non entravée aux plans physique et social.

 

Je maintiens cette assertion, et, pour conforter mon argumentation, je vous propose d’analyser le décalage que l’on a constaté dans le passé entre les projections démographiques et la réalité des faits observés.

Le film « le Soleil Vert » a été réalisé en 1973 et il décrit une humanité de 80 milliards d’habitants en 2022, réduite à se nourrir avec ses propres cadavres. En 2022, factuellement, il n’y avait QUE 8 milliards d’habitants sur Terre et la nourriture restait plus variée que dans le film.  

Or le thème du Soleil Vert découle directement de Malthus, un économiste injustement accusé d’avoir un cœur sec, alors qu’il était profondément préoccupé par le sort des déshérités. Plus tard, la même injustice touchera Taylor, mais dans les deux cas, cette injustice s’expliquera par le décalage entre les intentions des auteurs et les conséquences négatives de leurs théories respectives.

Pour Malthus donc, il existe un décalage fondamental entre la croissance forcémentgéométrique de la population et la croissance arithmétique de la production. Concentrons-nous sur le premier terme de sa proposition : la croissance géométrique de la population s’explique par l’appétence pour le sexe qui conduit les êtres humains à avoir beaucoup d’enfants, comme les lapins dont les effectifs explosent avant de s’effondrer sous l’effet de la pénurie de nourriture et la voracité des prédateurs.

Or, Malthus ne prévoyait pas qu’allaient s’inscrire dans les comportements humains la capacité de pratiquer la contraception et donc la possibilité de découpler plaisir sexuel et nombre d’enfants.

Paul Elrich, dans La bombe P publiée en 1968, maintenait encore la contradiction entre croissances démographique et économique en l’appliquant aux pays « sous-développés ». Selon lui, les progrès médicaux et agricoles avaient permis la baisse de la mortalité dans ces pays, mais les limites de ces progrès étaient désormais atteintes. Une fois posé ce postulat, il ne restait plus qu’à recommander aux États de forcer les populations à baisser leur taux de natalité ou à subir une augmentation du taux de mortalité par maladies, famines ou même guerres.

Quarante-cinq ans plus tard, ces prédictions ne se sont pas réalisées et nul n’a forcé les populations à réduire leur natalité, si ce n’est la soi-disant politique de l’enfant unique en Chine qui n’a été que très partiellement mise en œuvre. En revanche, le bien être des populations s’est accrue, si l’on en croit la réduction rapide de la proportion des personnes en situation d’extrême pauvreté[1], à 15% contre 55% en 1950.

Mais entretemps, en 1970, le best-seller mondial Les Limites à la Croissance publié par le Club de Rome et livré par le MIT et ses modèles informatiques de l’époque livre une conclusion sans appel qui résonne encore fortement dans les milieux gouvernementaux comme scientifiques, donc dans les médias et dans la malheureuse opinion publique condamnée à s’inquiéter de tout et sommée d’obéir aux injonctions qui en découlent.

Dans ce rapport du Club de Rome, tout y passe : « Si les tendances actuelles à la croissance de la population mondiale, de l’industrialisation, de la pollution, de la production alimentaire et de l’épuisement des ressources se poursuivent, nous atteindrons les limites de la croissance sur notre planète au cours des cent prochaines années ». Historiquement, nous nous en approchons et les signaux d’alarme se multiplient, désormais centrés sur le climat. La température monte, les calottes glaciaires fondent, le niveau de CO2 s’accroit et le GIEC nous lance des avertissements réguliers. Mais les populations ne s’y conforment pas, les croisières se poursuivent, les équipements en climatisation se généralisent et le remplacement des véhicules à combustion par des véhicules électriques s’effectue à pas précautionneux, tandis que la population continue à s’accroitre, pour le moment.

Autant écrire que si les prévisions sont souvent justes, les conséquences qui en sont tirées se révèlent invariablement fausses, car toutes sortes de variables interviennent, alors que les prévisionnistes n’en intègrent que quelques-unes dans leurs calculs. En d’autres termes, oui, le monde bouge, mais les hommes s’adaptent, et très vite. Encore qu’ils s’adaptent mieux au présent qu’au futur, dont ils ne voient qu’une image incertaine, floue et incomplète.

Pour le moment, dans un certain nombre de pays, surtout situés en Europe et en Extrême Orient, le taux de fécondité est insuffisant pour assurer le maintien de la population. Ailleurs, le taux de fécondité baisse. Mais dans le futur, ces taux vont-ils continuer à évoluer dans le même sens ? Personne n’en sait rien.

 

Observons donc ce qui se passe aujourd’hui, notamment en Europe, alors que l’on s’inquiète pour les conséquences d’un futur dont les contours sont incertains, sauf pour les prophètes.

 

[1] En 2022, ce seuil était fixé à moins de 2,15 $ par jour (Banque Mondiale).

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REQUIEM POUR PRIGOJINE

3 Septembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

REQUIEM POUR PRIGOJINE

Le patron du groupe Wagner, Yevgeny Prigojine est mort d'un excès de confiance en lui-même.  

 

Il a en effet commis trois erreurs :

- Tout d'abord, il a cru qu'il était un chef militaire compétent.

- Ensuite, il a tenté un coup d'État contre un ancien du KGB.

- Et, finalement il a échoué dans toutes ses tentatives.

Il est inévitable que l'on discute pour savoir qui l'a tué et comment il est mort. Il semblait raisonnable, compte tenu du temps qui s'est écoulé depuis l'échec du coup d'État de Prigojine, de conclure que le président russe Vladimir Poutine avait décidé de lui laisser la vie sauve.

Mais apparemment, cela n'a pas été le cas.

Une des premières théories sur la mort de Prigojine était qu'un missile sol-air avait abattu son avion. L'origine incertaine de ce missile pouvait permettre à Poutine de neutraliser les soupçons selon lesquels il aurait organisé l'assassinat.

La théorie du missile ouvre la possibilité de rejeter la responsabilité sur les Américains ou sur les Ukrainiens. Le problème de cette théorie est que Prigojine était plus précieux vivant que mort. Il avait effrayé Poutine en organisant un coup d'État qui s'était approché à moins de deux cent kilomètres de Moscou. Son existence pouvait amener les Russes et ses ennemis à penser que Poutine était devenu irrésolu à un moment où le président russe ne peut pas se permettre de laisser planer des doutes sur sa détermination. Un Prigojine vivant, c'était le cauchemar de Poutine et le rêve des Américains et des Ukrainiens.

Aussi est-il plus probable qu'une bombe ait été placée dans l'avion alors qu'il se trouvait sur le tarmac et s'apprêtait à quitter Moscou.

On peut également se demander pourquoi Poutine a attendu si longtemps pour éliminer Prigojine. Mais s'empresser de tuer Prigozhin aurait été un signe de peur, alors que le laisser en liberté a pu faire penser que Poutine avait d'une manière ou d'une autre autorisé ou au moins souhaité le coup d'État de Prigojine, et démontré que Poutine ne le craignait pas. En outre, la période de latence a affaibli la légende de Prigojine.  

La dernière question, la plus intéressante, est de savoir comment et pourquoi un ancien agent de Poutine est devenu le chef d'une force paramilitaire. Les États-Unis ont recours à des forces privées comme Blackwater, mais elles n'ont jamais atteint le niveau de Wagner. Elles n'opèrent pas non plus en vertu de leur propre pouvoir et remplissent les fonctions les moins importantes. Or, Wagner était une force militaire importante et à part entière. Cette force privée a été utilisée dans divers conflits de moindre importance, lorsque la Russie ne souhaitait pas y envoyer sa force principale, mais après le début de la guerre en Ukraine, Poutine l'a concentré en Russie, puis en Ukraine.

L'explication de ces localisations successives de Wagner viennent du manque de confiance de Poutine en son propre état-major.

L'ouverture de la guerre, avec des chars massés sans tenir compte de la logistique, a renforcé ses inquiétudes. Le problème était suffisamment flagrant pour que, même après le début de l'invasion, Kiev ait pu croire que l'attaque par le nord n'était qu'une diversion et que l'effort principal serait déployé ailleurs. Mais lorsque l'armée russe a attaqué, elle s'est immédiatement enlisée et elle a constamment tenté de s'emparer de villes sans importance militaire au lieu de chercher à briser les forces ennemies.

Cette erreur de départ a contraint Poutine à déployer Wagner pour montrer son mécontentement et créer une concurrence, qui a obligé l'état-major général à modifier sa stratégie. Depuis l'armée russe s'est attachée à détruire les forces ukrainiennes et la situation militaire s'est inversée, au profit des troupes russes.

Mais, pendant plusieurs mois, Il y a eu deux armées sous des commandements différents. Inévitablement, l'armée régulière et Wagner se sont fait concurrence pour les missions et le ravitaillement. Les obus d'artillerie ont notamment fait l'objet de disputes de plus en plus violentes et publiques.

Poutine n'est pas intervenu de manière décisive dans ce conflit entre les deux armées russes. C'est Prigojine qui est allé trop loin, en critiquant l'état-major et, par voie de conséquence, Poutine. Lorsque le Kremlin a finalement tenté de le réduire, Prigojine a pris les devants, mais la maladresse de son coup d'État montre qu'il n'avait pas les moyens de le gagner, et encore moins de l'exploiter.

 

Poutine a survécu et il conduit maintenant la guerre comme il l'entend.

 

 

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L'ORIGINE DE LA BAISSE DE FERTILITÉ

31 Août 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

L'ORIGINE DE LA BAISSE DE FERTILITÉ

La réduction du taux de fécondité humain à l’échelle mondiale est un phénomène majeur pour la survie de l’humanité à terme d’une dizaine de générations environ.

 

Ce n’est donc pas si lointain, d'autant plus que les conséquences de cette baisse du taux de fertilité vont se faire sentir très vite avec le vieillissement continu de la population. 

Que se passe-t-il donc ?

Le rapport de l’United Nations Population Fund l’exprime clairement dans son SWP Report 2023: The problem with « too few »[1] :

« Au niveau mondial, la fécondité est passée d'une moyenne de 5 naissances par femme en 1950 à 2,3 naissances par femme en 2021, ce qui témoigne du contrôle croissant que les individus - en particulier les femmes - sont en mesure d'exercer sur leur vie reproductive. La fécondité globale devrait tomber à 2,1 naissances par femme d'ici 2050. »

Tout y est :

-       La date (approximative) de 2050 pour atteindre le seuil à partir duquel la population humaine ne se renouvellera plus assez pour se maintenir. Cependant, elle continuera quelque temps à augmenter, faisant illusion grâce aux progrès médicaux qui maintiendront en vie des couches de population plus âgées, mais la poursuite de la baisse de la fécondité sonnera la baisse à terme de la population humaine.

-       L’explication : le contrôle croissant que les individus - en particulier les femmes - sont en mesure d'exercer sur leur vie reproductive.

En particulier les femmes ! On ne saurait mieux écrire. Il arrive simplement que les femmes ont décidé d’avoir moins d’enfants, et tout se passe comme si chacune d’entre elle s’était résolue, à son niveau, à résoudre le problème de la surpopulation et de la pollution, en limitant sa propre fécondité.

Quand les femmes ont-elles pris cette décision ? En pratique depuis 1960 et quant à leur volonté, depuis toujours, à ceci prés que cette volonté s’est heurtée à une résistance qui s’effondre peu à peu.

En pratique, à partir de 1960 : l’invention de la pilule contraceptive en 1956 n’est pas le fruit d’un pur hasard scientifique, car elle a été induite par le mouvement féministe qui en a encouragé la recherche et qui en a assuré le succès. Ainsi, deux facteurs se renforcent mutuellement pour réduite la natalité, la volonté de libération de la femme et la possibilité physique de l’obtenir.

La pilule contraceptive a été mise sur le marché américain en 1960 et en France en 1967, après la loi Neuwirth. Elle a eu un succès immédiat, ce qui signifie qu’elle répondait fortement à une attente :  dés 1965, soit cinq ans après la mise sur le marché, plus du quart des femmes américaines de moins de 45 ans l'avaient adoptée, ce qui avait entrainé une baisse de 20% du taux de fécondité par rapport à 1955.

Le succès de la pilule ne s'est pas démenti depuis, même si les développements des maladies sexuellement transmissibles et particulièrement du SIDA au milieu des années 1980, ont contribué à développer d'autres modalités de contraception, mais le principe de la séparation des actes sexuels et de la procréation a été acquis.

Car la transformation profonde du rapport de la femme à la sexualité explique l'adoption immédiate de la pilule, selon l'idée révolutionnaire qu'une sexualité débarrassée de la crainte de la grossesse permettrait de libérer la femme.

La libérer de quoi ? De la nécessité d’avoir des enfants et de s’en occuper, de les nourrir, de les éduquer. Si rien ne l’empêche de vouloir des enfants, rien  désormais ne l’oblige à subir une ou des naissances.

Et lorsque l’on essaie de savoir combien d’enfants les femmes voudraient avoir, en dehors de toute contrainte externe, homme, famille, société, culture, religion, elles disent généralement deux ou moins, rarement trois ou plus, et ceci au niveau mondial.

Les hommes, justement, les voilà compagnons avant d’être pacsés et plus rarement époux. L’homosexualité devient une autre solution, une fois que la nécessité d’avoir un enfant s’éloigne. Tout est possible, tout est tolérable, transgenre si l’on préfère, couple homosexuel avec enfant si on le souhaite, les limites étant fixées par les différentes sociétés.

Toute cette évolution est inscrite dans un mouvement individualiste de la société, selon lequel ne compte vraiment que la satisfaction ou le plaisir individuel, le reste, c’est-à-dire les exigences de la famille et de tous les groupes qui entourent l’individu n’étant que contraintes, qu’elles soient acceptées ou refusées.

Naturellement, cet individualisme est plus ou moins triomphant, selon les sociétés. Mais même s’il existe parfois des sociétés ou le contrôle de la femme est tel que cette dernière a encore plus de six enfants, il est rare que ce soit uniquement de sa propre volonté.

Il est donc cohérent que, plus l’individualisme s'affirme par rapport à une société qui continue à imposer sa volonté à l’individu et plus celle de la femme l’emportera sur les desiderata de la société. Or, c’est un fait que, lorsqu’elle la femme exerce individuellement cette volonté, elle n’a, en moyenne, pas assez d’enfants pour que le maintien de la population soit assuré.

Est-il possible de convaincre les femmes d’avoir le nombre d’enfants nécessaire pour maintenir une population satisfaisante au regard de la société ? 

C’est ce que tente sans succés Singapour, où le taux de fécondité est l’un des plus bas du monde malgré les efforts des autorités pour renverser la tendance. Le 5 octobre 2020 encore, Heng Swee Keat, le vice-premier ministre de Singapour, a annoncé une nouvelle prime à la naissance, alors que le système actuellement en vigueur à Singapour permet déjà aux parents éligibles de bénéficier d’une prime de 10 000 dollars singapouriens (6 268 euros). S’il est naturellement trop tôt pour juger des résultats de cette nouvelle prime, force est de constater que tous les indicateurs démographiques restent à la baisse à Singapour, comme en Corée, en Chine ou au Japon. 

Il semble donc que quelque chose de profond se soit modifié dans le mécanisme de reproduction de la population humaine qu’il nous faut acter pour le moment, en attendant que la croissance de la fécondité reparte à la hausse ou que des solutions alternatives soient mises en place.

 

Mais, pour les prochaines décennies, nous ne pouvons éviter d'évaluer les conséquences de la baisse de la fécondité parce qu’elles sont à nos portes, en particulier aux portes de l’Europe.

 

À SUIVRE


[1] https://www.unfpa.org › swp2023

 

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