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Le blog d'André Boyer

LES DOUZE (Двенадцать) D'ALEXANDRE BLOK

30 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #CULTURE

LES DOUZE (Двенадцать) D'ALEXANDRE BLOK

À contre-pied de la russophobie, je commence ici une série de billets sur les œuvres des écrivains russes et ukrainiens.

 

Dans un décor de soir noir et de neige blanche, dans la tourmente et le blizzard douze soldats de l’Armée rouge avancent, pillent, assassinent et se soûlent. Ivres d’une liberté « sans croix ni loi », ces gardes rouges abjurent le vieux monde et s’exhortent à tirer sur la Sainte-Russie. Défilant sous l’étendard, sans rien voir dans le blizzard, ils suivent une ombre et…

Voilà la neige, siffle le vent

Douze hommes s’en vont en rangs.

À leurs fusils-bretelles noires.

 

Autour des feux, les feux du soir…

Mégot au bec, casquette de chic,

Ils sont foutus comme l’as de pique.

 

Liberté, liberté !

Eh, sans croix, ni loi,

Taratata !

………………………………

Ils vont au loin, démarche altière…

-Qui va là ? Allons, qui bouge ?

C’est le vent près des gouttières

Qui joue avec le drapeau rouge…

 

Devant eux, un tas de neige.

Qui se cache là, viens ici !

Seul un chien galeux y piège

Il se lève et il le suit…

…………………………

Ils s’en vont, démarche altière,

En arrière, un chien galeux,

En avant, un drapeau rouge,

À la main, une ombre bouge,

Invisible à tous les yeux,

Imprenable pour les balles,

Sur la neige perlée d’opales,

Par-delà les avalanches,

Dans les brumes, dans le vent,

Couronné de roses blanches,

Jésus-Christ, marche en avant*.

Les sonorités du poème créent en elles-mêmes l’atmosphère. Le traducteur et poète Angelo Maria Ripellino a décrit ainsi le style génial et déroutant de ce poème : « L'écriture, violemment secouée de syncopes et de ruptures, de sautes métriques, d'âpres dissonances (sifflements, aboiements du vent, piétinement, balles qui crépitent), mêle dans une pâte lexicale insolite des slogans d'affiche politique et des formules de prière, des constructions d'odes solennelles et des injures des rues, les termes grossiers de l’argot prolétarien et des accents de romance »

C’est dans une période hallucinatoire que Blok écrit Les Douze, du 8 au 28 janvier 1918. L’œuvre est le témoignage de la Révolution en cours en Russie, écroulement du vieux monde mais aussi appel au salut messianique du monde.

Le poème, publié le 3 mars 1918 eut un immense retentissement en Russie, déclamé dans la rue et au théâtre, certains de ses vers se retrouvant sur des affiches, des banderoles et sur des étendards des soldats.

Le 1er avril 1920, Blok, publiant une note qui décrit les conditions dans lesquelles il écrivit ce poème, déclare : « Les mers de la nature, de la vie et de l’art étaient déchainées. Les embruns s’élevaient en arc-en-ciel au dessus d’elles. Lorsque j’écrivis Les Douze, je regardais cet arc-en-ciel »

Alexandre Blok est né en 1880 à Saint-Pétersbourg, d’une famille aisée. Ce poeme témoigne de la vie tourmentée qu’il mène au sein d’une période toute aussi tourmentée. Il meurt en 1921.

Voilà la neige, siffle le vent

Douze hommes s’en vont en rangs.

À leurs fusils-bretelles noires.
…………………………………………….

*Traduction de G. Arout, Seghers, 1958

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LA RÉPONSE RUSSE À L'HUBRIS ÉTATSUNIEN

25 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

MIG 31 PORTANT UN MISSILE KINJAL

MIG 31 PORTANT UN MISSILE KINJAL

Le 13 mai 2020, Il y a bientôt deux ans, je publiais un billet intitulé " Aux confins de la peur" dans lequel je présentais les différents vecteurs hypersoniques développés par la Russie. Voilà qu'elle vient de les utiliser pour la première fois.

 

Dans ce billet annonciateur, j'écrivais et je réécris en gras : " les États-Unis se trouvent pour la première fois de leur histoire dans une situation d’infériorité technologique face à la Russie sur le plan militaire."

Le message envoyé par Poutine aux États-Unis et à ses vassaux, Europe, monde anglo-saxon et Japon, avec la première utilisation dans un conflit d'un missile hypersonique est donc parfaitement clair : "vous n'avez pas les moyens de m'empêcher d'agir à ma guise et, comme vous pouvez le constater, je ne me gêne pas de le faire."

Les États-Unis n’ont toujours pas rattrapé leur retard sur la Russie relativement aux  missiles hypersoniques et ils ne sont donc plus en mesure ni de se protéger d'une attaque russe, conventionnelle ou atomique, par ces missiles, ni, à fortiori, de protéger leurs alliés.    

Si vous en doutez par habitude, observez l’attitude très prudente d’Israël et de la Turquie, théoriquement alliés aux États-Unis, sans compter, à l’exception du Japon, les positions des pays asiatiques et africains. Bien sûr, les États-Unis déplacent la nature de leur confrontation avec la Russie du niveau militaire, où ils en sont réduits à faire des discours et à livrer du matériel susceptible d'alimenter une guérilla comme en Syrie, à l'aspect économique sous forme de "sanctions" qui sont des armes boomerang tant elles ont des effets négatifs sur l'Europe et tant elles contribuent à réorganiser le commerce mondial à leur propre détriment. L'histoire du Blocus Continental ne leur a rien appris.

Comment les États-Unis se sont-ils engagés dans cette impasse ? Auparavant, l’équilibre de la terreur était fondé sur les accords Saltdevenus ensuite les accords Start, qui fixaient un nombre maximum de bombardiers, de missiles et d’ogives pour les deux signataires et sur le traité ABM qui interdisait les défenses contre les missiles balistiques adverses, sauf sur un seul site. Mais la disparition de l’URSS et les progrès de la défense contre les missiles changèrent la donne, alors que l’ensemble des rapports de force, économiques, militaires et stratégiques évoluaient en la défaveur de la Russie. 

Conscients de la faiblesse de leur position, les Russes essayèrent en vain de se rapprocher des États-Unis jusqu’à ce que l’abandon du traité ABM par Georges W. Bush en 2002, les réveille : tandis que l’Otan accueillait toujours plus de nouveaux membres en Europe de l’Est, Poutine préparait la riposte. 

Il annonça dès 2004 que, si les États-Unis poursuivaient l’encerclement de la Russie par des systèmes ABM pour la neutraliser, il développerait des systèmes d’armes hypersoniques et de haute précision qui rendraient impuissants tout système ABM.

Avec suffisance, les experts étasuniens jugèrent que c’était pure rodomontade de la part des Russes puisque les États-Unis estimaient qu’il leur faudrait pour leur part plusieurs décennies pour y parvenir ; dès lors, comment les Russes pourraient-ils progresser technologiquement plus vite que les États-Unis, le phare du monde ? Proprement impensable. Ici apparait l’hubris qui rend aveugle et qui poussa les experts à recommander l’encerclement de la Russie par un réseau de missiles antimissiles qui la réduirait à l’impuissance. 

Ils se trompaient. 

L'équilibre en faveur des États-Unis a été officiellement rompu le 1er mars 2018, lorsque, devant la réunion des deux chambres du Parlement russe, Vladimir Poutine a déclaré : « À ceux qui, au cours des quinze dernières années, ont essayé d’accélérer la course aux armements et de rechercher un avantage unilatéral contre la Russie, je dirai ceci : tout ce que vous avez essayé d’empêcher a fini par se produire. Personne n’a réussi à contenir la Russie. »

Naturellement, le gouvernement américain nia, et nie toujours, le sérieux de la menace et la presse française unanime le suivit à l’époque en minimisant, à l’aide de guillemets ironiques l’annonce de Poutine sur ces armes « invincibles » ou même « soi-disant invincibles ». Ces dénégations étaient naturellement destinées à endormir les opinions publiques des pays de l’Otan, mais ce déni semble avoir aussi touché leurs dirigeants qui viennent à peine de se réveiller avec l’invasion de l'Ukraine.

Or, il est un fait avéré, observé, vérifié, que depuis quatre ans déjà, la Russie a commencé à équiper ses forces d’une nouvelle génération d’armements qui lui procure progressivement un avantage stratégique croissant face aux États-Unis. Cette génération comprend déjà quatre composantes, deux autres étant en préparation :

  • Le missile hypersonique Kinjal (Dague) qui atteint une vitesse de mach 10 tout en changeant de trajectoire et qui est doté d’ogives conventionnelles ou nucléaires lancé depuis un chasseur, avec une portée d’au moins deux mille kilomètres. Ces missiles sont en service dans les forces aérospatiales russes depuis 2018 et ont été récemment utilisés en Ukraine.
  • Le planeur hypersonique Avangard, sans limite de portée (sic) capable de dépasser mach 20, tout en changeant de cap et d’altitude, avec une charge nucléaire de deux mégatonnes.  Les deux premiers engins ont été mis en service en janvier 2020. 
  • Le missile intercontinental lourd Sarmat de plus de 200 tonnes, sans restriction de portée, qui peut être équipé d’ogives nucléaires mises sur orbites et dotées de vecteurs hypersoniques. Il serait entré en service depuis 2020 ou 2021.
  • Le drone sous-marin à propulsion nucléaire Poseidon, capable d’atteindre les côtes américaines sans être détecté en transportant une charge nucléaire. Sa vitesse serait de 200 nœuds dans l’eau, et sa charge le rendrait capable de déclencher, par exemple sur les côtes californiennes, un tsunami de 100 mètres de haut sur plusieurs dizaines de kilomètres et son rayon d’action est de l’ordre de dix mille kilomètres, à mille mètres de profondeur. Il doit être mis en service à l'été 2022. 

Si la Russie décidait d’utiliser ses armes hypersoniques, aucune défense ne pourrait la contrer, ni en Europe ni aux États-Unis où l’énorme système de défense ABM est désormais obsolète. En revanche, les États-Unis (pas plus la France bien sûr) ne seraient certains de toucher la Russie avec leurs missiles périmés. Il est donc plus que temps de prendre conscience des conséquences en terme stratégique de la vulnérabilité militaire des États-Unis et de leurs alliés, en particulier européens, et inversement de reconnaitre que la Russie est devenue militairement quasi invulnérable, au moins pour quelques années.

 

Alors que la Russie semble aujourd’hui s’embourber dans le conflit ukrainien sur le terrain, cette aventure militaire signe un changement d'équilibre stratégique en sa faveur, démontré par sa liberté d’action. Il faut donc en tenir compte dans les négociations de paix, en reconnaissant, même si c’est difficile à admettre, que les exigences de la Russie ne peuvent pas être traitées avec mépris.

 

À SUIVRE 

 

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UKRAINE, LAISSER POURRIR OU NÉGOCIER

18 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

UKRAINE, LAISSER POURRIR OU NÉGOCIER

La situation est désormais assez claire. L'Ukraine subit aujourd'hui une pression militaire permanente des armées russes qui avancent progressivement vers de nouvelles villes, sans chercher à les prendre de vive force pour l'instant.

 

Les Européens, accompagnés cyniquement par les Américains, protestent vivement contre l'invasion russe, prennent des sanctions économiques et livrent des armes.

Pour comprendre la suite des évènements, on peut largement s'inspirer de ceux de Syrie parce qu’ils révèlent le modèle d'action russe, la réponse occidentale et les conséquences de la combinaison des deux . En Syrie, les Russes ont utilisé leur supériorité aérienne pour traquer les rebelles et des troupes au sol avec de l’artillerie et des missiles longue portée pour réduire à merci les troupes retranchées dans les villes, comme Alep.

Les Américains et les Européens ont violemment critiqué Bachar El Assad (« il ne mérite pas de vivre » disait Fabius) mais ont progressivement cessé de soutenir les rebelles syriens, dont la cause leur a paru perdu dès lors que les troupes russes étaient entrées en action. Il s’y est ajouté les interventions turque, iranienne et israélienne qui ont contribué à brouiller le jeu stratégique.

Le résultat pour la Syrie, après onze ans de guerre, a été de faire fuir du pays plusieurs millions de Syriens sur une population originelle de 22 millions, de détruire la majeure partie de ses infrastructures qu’il faut désormais reconstruire et que les Occidentaux, vindicatifs, refusent de financer.

Ce processus est à comparer avec la situation ukrainienne d’aujourd’hui et ses prolongations possibles. L’offensive russe semble plus lente que prévue, avec des lacunes aériennes et des échecs locaux. Personne ne peut cependant compter sur une défaite de l’armée russe face à la résistance ukrainienne mais plutôt sur l'enlisement du conflit, ce qui laisse prévoir un affrontement de longue durée.

Côté Américain et Européen, on compte sur le poids des sanctions économiques et du soutien à la résistance ukrainienne pour affaiblir la résolution de Poutine, mais personne ne croit que ces mesures suffiront à entrainer la défaite de la Russie. Pour se consoler, l’opinion publique se met à faire des hypothèses sur l’état mental de Poutine ou sur la révolte des populations russes qui permettrait de renverser le régime. Mais personne non plus ne se risque, pour le moment, à recommander une intervention immédiate des armées européennes et à fortiori américaine, intervention américaine que Biden a exclu d’avance, pour mettre en échec l’armée russe.

On retrouve donc le schéma syrien avec des réfugiés par millions, une économie ukrainienne détruite, auquel s’ajoute, dans le cadre du conflit ukrainien, une économie russe en grande difficulté et une économie européenne déprimée.

Puisque la Russie a fait le choix d’attaquer, c’est au tour de l’Europe de faire désormais son choix, car les États-Unis semblent s’accommoder d’un conflit long.  Puisque l’Europe condamne fermement l’attaque russe et qu’elle soutient l’Ukraine tout en se refusant à une confrontation militaire directe, il lui faut accepter un long affaiblissement de son économie et une crise sociale, ainsi que la destruction de l’économie ukrainienne et la fuite d’une bonne partie de sa population vers l’Europe.

En résumé, il s’agit d’accepter un résultat catastrophique pour l’Europe « de l’Atlantique à l’Oural » sur une période de plusieurs années.

D’évidence, deux autres décisions s’offrent aux décideurs européens :

  • Faire la guerre à la Russie, en acceptant les risques de la confrontation. On s’achemine lentement vers ce choix qui deviendra de plus en plus probable avec le prolongement du conflit dans le temps et la succession d’incidents plus ou moins contrôlés qu’il va générer.
  • Négocier avec Poutine, en acceptant de lui faire des concessions. On sent bien que les Américains sont contre toute concession à la Russie au travers du pilotage des négociateurs ukrainiens. Surtout, l’on sent bien que plus la guerre durera, plus les griefs s’accumuleront et plus la recherche d’un compromis sera ardue. Mais il s’agit certainement pour l'Ukraine, la Russie et l’Europe de l’option la moins coûteuse des trois.

 

Les jours qui viennent sont donc particulièrement cruciaux pour notre avenir à tous, Ukrainiens, Russes et Européens. Il ne nous reste plus qu’à espérer que le courage et la raison inspirent les dirigeants européens et qu’ils soient en mesure d’influer sur le cours des négociations !

À SUIVRE

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HANOÏ ET LA NOSTALGIE

16 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

HANOÏ ET LA NOSTALGIE

Avant la campagne électorale infructueuse en vue de la direction de l’IUT conduite à l’automne 1989, je m’étais rendu à Hanoï, afin d’étudier le lancement d’une École de Gestion pour le compte du Ministère des Affaires Étrangères et de la FNEGE.

 

Je m’en souviens avec une assez grande précision, je suis arrivé à Hanoï en passant par Hong-Kong, avec deux compagnies aériennes successives et fort dissemblables, la Thai embaumée d’orchidées remises par des hôtesses avenantes et l’austère compagnie aérienne du Viet Nam qui n’avait que faire, bien dans le caractère national, de ces fantaisies commerciales.

Le but de mon voyage était d’évaluer les possibilités de créer une école de gestion à Hanoï, sur le modèle de ce qui s’était fait en Chine. Mais je me suis aperçu très rapidement que l’ambassadeur de France était hostile à ce projet pour des raisons classiquement corporatistes. En effet, il était parisien, issu de l’ENA et d’HEC et il ne jurait que par cette dernière école. Il n’était pas question qu’une université, et certainement pas celle de Nice, même appuyée par le ministère des Affaires Étrangères et la FNEGE, crée une école de gestion au Vietnam. Ce projet appartenait de droit divin à la Chambre de Commerce de Paris et l’ambassadeur est resté assez longtemps en poste dans ce pays pour l’imposer.

On le constate, avec le lancement acrobatique du CAAE de Tianjin, mon échec à l’IUT et cette rebuffade à Hanoï, sans mentionner d’autres affaires complexes et pénibles qui allaient suivre, l’année 1989 fut une année difficile pour moi.

Plus tard, je pris doublement ma revanche de la rebuffade de l’ambassadeur et en attendant je profitais de mon inaction forcée pour rencontrer le responsable d’une réplique vietnamien de notre CNRS. Il vint me chercher sur une motocyclette pour me conduire dans une sorte de ferme mal reliée à l’électricité, qui constituait la totalité de son centre de recherche dans les circonstances incertaines de l’époque. Nous convînmes de coopérer et lorsque je revins à Hanoï quelques années plus tard, il eut la fierté de me recevoir dans un bureau luxueux tout en haut d’un immeuble de 15 étages ! Le monde changeait.

Et puis il restait la nostalgie et le tourisme pour justifier ce déplacement.

La nostalgie. Tout d’abord, j’étais logé dans le légendaire hôtel Métropole construit en 1901 dans la rue Paul Bert, alors quelque peu décati mais depuis totalement rénové. La nostalgie a resurgi lorsque je visitais l’ancien bâtiment qui abritait l'École Française d'Extrême Orient, pas très loin de l'ambassade, et aussi le garage SIMCA qui subsistait encore hardiment, puis elle était présente aussi lorsque je vis le vieux tramway qui avançait à une vitesse de sénateur à la retraite, laissant le temps à des enfants facétieux de déposer des insectes sur le rail, juste devant ses roues.

Il y eut surtout le soir du mardi 10 octobre 1989. J'étais à Hanoï depuis trois jours et je m'étais familiarisé avec le centre d'Hanoï et le Petit Lac, au débouché de la rue anciennement Paul-Bert. Bordé d’arbres et de larges avenues, il offrait aux promeneurs un lieu pittoresque avec ses eaux qui reflétaient, le soir, les lumières électriques. Au centre de cette cuvette on y avait construit le Pagodon surmonté par une réduction de la statue de la Liberté éclairant le monde.

J’étais sorti, comme tous les soirs, faire une petite promenade. J’entendis des flonflons émis par des hauts parleurs nasillards installés autour du Petit Lac.

Je m’en approchais dans le noir, car Hanoï était très peu éclairé à cette époque. Et je découvris autour du lac une course cycliste fantasmagorique, sans spectateurs et sans lumières, simplement honorée par cette sono incertaine. De retour à l’hôtel, j’appris la raison de cette course nocturne dans un ambiance digne de Fellini. Il s’agissait de fêter le 45e anniversaire du départ des troupes françaises de Hanoï, après le traité qui suivit la chute de Diên Biên Phu.

Cela ne fit qu’ajouter à mes impressions nostalgiques. Je me souvenais, enfant, que mon père suivait tous les soirs, sur son gros poste de radio d’avant les transistors, la résistance désespérée pendant presque trois mois des positions fortifiées de Diên Biên Phu et sa chute inéluctable, le 7 mai 1954, qui firent huit mille morts côté français. Je me souvenais de la peine et de l’humiliation ressentie, car elle signifiait la fin d’un Empire dont les tâches roses emplissaient les planisphères de nos salles de classe. Diên Biên Phu, c’est mon premier ressenti politique et voilà qu’il s’invitait à Hanoï, ce 10 octobre 1989.

Je ne savais pas qu’Hanoï m’offrait ses derniers reflets de l’ex Indochine française, car il allait être bouleversé en quelques années par la marche inexorable de sa modernisation qui ferait disparaitre le vieux tramway comme le garage SIMCA, dans un élan irrésistible capable de refaire une rue en une nuit, dans l’odeur acre du goudron, le fracas des pelleteuses et les braillements des ouvriers.

Le tourisme. J’ai pu m’évader d'Hanoï pour aller visiter la Baie d'Along en passant par Haiphong, le grand port du nord du Vietnam. J'ai ainsi vu les rizières au milieu desquels on découvrait encore d'anciens fortins qui dataient de la guerre d’Indochine, la ville portuaire d’Haiphong assez peu attractive et surtout, en jonque, l’atmosphère mystérieuse de la baie avec ses presque deux mille îlots de calcaire et de schiste émergeant de l’eau dans la brume.

Au retour vers Hanoï, j’ai dû faire étape le soir à Haiphong où j’ai découvert une face plus dure et plus réaliste de la vie vietnamienne.

 

Puis, au bout de cette semaine infructueuse pour mes projets et ceux de la FNEGE, empli des images nostalgiques d’un Hanoï qui allait s’effacer pour toujours afin de laisser la place au Hanoi actuel, je revins à Nice où m’attendaient des combats aussi incertains qu’imprévus…

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L'EUROPE AMPUTÉE

9 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

L'EUROPE AMPUTÉE

Il est fascinant d'entendre les commentaires des médias sur la guerre en Ukraine destinés à endormir une opinion publique qui ne demande qu'à s'indigner, tandis que ces vaines passions sont aux antipodes du destin qui nous attend.

 

Je comprends que les dirigeants politiques accordent leur priorité à cacher la vérité à leur population qui est celle de leur impuissance, puisqu'il leur faut la cacher à l’aide de rodomontades coûteuses.

J'entends les objections. La première est celle de l'efficacité à terme des représailles économiques en cours contre la Russie. Or, ces représailles ont toujours démontré leur inefficacité dans le passé et ce n'est pas aujourd'hui, alors que la Chine soutient la Russie, qu'elles pourraient avoir le moindre effet.

Lorsque les commentateurs essaient de nous faire croire que ces sanctions vont entrainer la chute de Poutine, ils nous trompent. Vous avez devant les yeux le résultat des sanctions que pratiquent avec obstination les États-Unis suivis servilement par leurs puissances vassales, contre Cuba, la Corée, l’Iran ou le Venezuela, et j'en passe. Elles n’ont servi qu’à martyriser les populations de ces pays, jamais à renverser leurs régimes.  

Au contraire, ces représailles économiques contribuent à accroitre le ressentiment de la Russie, tout en ajoutant aux difficultés de l'Europe. Il suffit de songer aux effets de la raréfaction du gaz ou du blé sur l'économie européenne. Il est vrai que j'oublie les effets dévastateurs sur le moral de sa population de l'exclusion de la Russie du Concours Eurovision de la Chanson...

La seconde objection, plus sérieuse en apparence, est celle de l'existence de l'OTAN à laquelle nous appartenons et qui nous protège. J'entends même certains, amoureux forcenés des paradoxes, soutenir que l'OTAN sort renforcée de la guerre en Ukraine.

Mais, en pratique, l'OTAN observe l'invasion de l'Ukraine l'arme au pied. Il y a des risques d'incidents, mais aucun pays européen n'a ni les moyens ni la volonté de faire la guerre à la Russie. Quant aux États-Unis, tous leurs objectifs sont déjà atteints puisqu’ils ont séparé la Russie de l'Europe. Reste à éviter, de leur point de vue, que la Russie ne se rapproche par trop de la Chine.

Mais au regard des considérations précédentes, la conséquence la plus importante à long terme de la guerre d’Ukraine est que l'Europe de l'Ouest vient de s'amputer de sa partie est.

Il est vrai que l’Europe voulait furieusement cette coupure depuis 1989, une fois récupérés en son sein, les ex-pays de l’Est à l’exception de la Russie.

En effet, on a observé en plusieurs occasions, malgré les efforts de la Russie pour se rapprocher de l’Europe, que cette dernière faisait tout pour la repousser du pied. Pensez au mépris européen pour le régime politique russe. Regardez le nain Hollande annuler la vente de deux porte-hélicoptères. Observez surtout l’insistance avec laquelle l’OTAN, qui n’est qu’une alliance anti-russe lorsqu’elle ne sert pas de supplétif aux États-Unis en Afghanistan, a cherché obstinément à fédérer tous les pays voisins de la Russie contre cette dernière.

Maintenant, l’Europe a ce qu’elle veut, la reconstitution du rideau de fer, mais cette fois de son fait et plus à l'est, ce qui lui permet de se séparer de la Russie avec toute la bonne conscience nécessaire.

Mais, bonne conscience ou pas, cette coupure reste un crime stratégique, d’autant plus qu’elle n’isolera pas la Russie. La Chine, l’Inde, l’Iran, nombre de pays asiatiques, africains et sud-américains ne manqueront pas de faire appel à la Russie lorsqu’ils voudront faire échec au bloc américano-européen.

Certes, la Russie y perdra un certain nombre d’avantages, mais l’Europe y gagnera quoi ? Ne voit-on pas que seuls les Américains et les Chinois sont les gagnants de ce conflit ?

À ce stade, au delà de Poutine et Zelensky, la Russie et l’Ukraine restant nos voisins, comment ne pas voir que tous nos efforts, en Europe, devraient être fait pour recoller les morceaux plutôt que de les consacrer à pulvériser toutes les possibilités d’entente au nom de la morale ?

 

Mais aujourd’hui, je crains fort qu’il faille beaucoup de temps pour retrouver le chemin de l’entente avec la Russie, une entente qu’on lui a si longtemps refusée qu’elle la piétine désormais avec rage sur le malheureux sol de l’Ukraine…

 

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LE POUVOIR ROYAL FACE AU PROTESTANTISME

5 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

EN 1565, LE SAC DE LYON PAR LES CALVINISTES

EN 1565, LE SAC DE LYON PAR LES CALVINISTES

Contrairement à ce que l’on retient généralement de François 1er, à savoir sa magnificence et la fameuse bataille gagnée de Marignan en 1515, François 1er fut un roi assez catastrophique pour la France et les Français.

 

Jugez en : défait à Pavie en 1525 et prisonnier de Charles Quint, il signe le traité de paix de Madrid le 14 janvier 1526 au prix de la vente d’une partie du Trésor du Royaume, du doublement de la taille, du renoncement à ses ambitions territoriales et de la livraison en otage de ses deux garçons aînés, âgés de 9 et 7 ans, qui se morfondront plusieurs années dans une forteresse.

Et à peine est-il libéré qu’il relance la guerre contre Charles-Quint en s’alliant avec lesProtestants allemands et le sultan Soliman le Magnifique !

Son décès, en 1547, n’arrange guère les affaires de la France, au contraire. C’est l’époque de l’avènement du protestantisme et du combat qu’engagent les rois de France pour contenir et expurger de leur royaume, les tenants de la nouvelle religion. 

De 1547 à 1610 règnent successivement cinq rois, Henri II, François II, Charles IX, Henri III et Henri IV. Fils de François Ier, Henri II hérite du plus puissant et du plus riche royaume européen. Il en profite pour continuer la guerre contre Charles-Quint jusqu'à ce que les troupes françaises subissent l’écrasante défaite de Saint-Quentin qui le contraint à signer le traité de Cateau-Cambrésis (1559) qui ferme la porte à l’hégémonie du Royaume de France sur l’Europe pour un siècle.

Or, les dépenses militaires ont entraîné la multiplication des impôts et des emprunts onéreux. Le protestantisme accroît son influence. Il a fait son apparition politique en France sous le règne de François Ier avec l’affaire dites des placards : dans la nuit du 17 octobre 1534, de petites affiches, des « placards » contre la messe catholique furent apposés en plusieurs endroits, y compris sur la porte de la chambre du Roi au château d’Amboise, ce qui entraina la colère du Roi qui y vit un crime de lèse-majesté.

À sa suite, les rois de France successifs sentent que le protestantisme met leur pouvoir en danger car les Protestants contestent les fondements religieux du pouvoir royal, exigent plus de libertés locales et instillent dans les esprits le dangereux ferment de la liberté des consciences.

Vers 1560, la France comptait environ dix pour cent de protestants que l’on retrouvait plutôt chez les artisans, les bourgeois et les nobles que chez les paysans. De  plus en plus de grandes familles aristocratiques se convertissaient au protestantisme. La tension entre les Catholiques et le pouvoir royal d’une part, les nobles et les bourgeois protestants d’autre part, atteignit son paroxysme en 1562 lorsque se produisit un soulèvement général des Protestants qui prirent le contrôle de nombreuses villes.

C’est le 18 août de la même année que fut déclenché le massacre de la Saint-Barthélemy dont Charles IX accepta officiellement la responsabilité. Ce faisant, il inaugurait le début des guerres de religion qui durèrent trente ans.

C’est alors que se développa la revendication d’un pouvoir local capable de faire front face à l’autorité du roi, que s’organisa une union des provinces protestantes du Midi, que fut publié le « Franco Gallia » de François Hotman qui contestait la « puissance absolue, excessive et infinie » des rois, et que la France basculait dans l’anarchie, partagée qu’elle était entre ligueurs catholiques et forces protestantes.

Finalement, lorsque tous les protagonistes du conflit furent suffisamment épuisés pour aspirer à la paix, Henri IV parvint à se faire sacrer roi en 1594 en abjurant la foi protestante.

Il entreprit la reprise en main du royaume en s’appuyant sur les trois forces politiques en présence, le parti protestant, les catholiques royalistes et les catholiques ligueurs qui étaient toutes trois convaincues que la paix devait revenir afin que les affaires reprennent et que seul Henri IV pouvait incarner ce consensus.

Le retour du pouvoir royal se traduisit aussitôt par l’alourdissement de son emprise sur les richesses du pays. L’administration du royaume envoya systématiquement des commissaires du roi, les ancêtres des intendants : la monarchie centralisatrice s’installa et les paysans furent écrasés de charges.

Tandis que le discours idéologique de l’époque distillait l’image du paysan trouvant chaque dimanche sa « poule au pot », l’ambassadeur anglais Carew écrivit en 1609 : « On tient les paysans de France dans une telle sujétion qu’on n’ose pas leur donner des armes [...]. On leur laisse à peine de quoi se nourrir. ».

Heureusement pour sa postérité, Henri IV finit par se faire assassiner le 14 mai 1610 au moment où il s’apprêtait à reprendre la guerre contre l’Espagne.

 

L’histoire officielle s’est servie de cet assassinat afin de lui octroyer l’image d’un roi consensuel et martyr plutôt que celle d’un roi guerroyeur et affameur, image qui lui correspondrait pourtant mieux que la précédente.

 

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THE WAR IN UKRAINE WILL NOT HAPPEN

1 Mars 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ENGLISH VERSION

THE WAR IN UKRAINE WILL NOT HAPPEN

Even the most bewildered of our fellow citizens have become aware that Putin gave the order, on February 24, 2022, to invade Ukraine to bring it back into line. Following this event, it may or may not be the occasion to put our ideas back in place.

 

The media is working hard to provide us with a suitable reading of the events: Putin is crazy, the Ukrainians are resisting, and we have taken sanctions that will hurt the Russian population, which will inevitably turn against the dictator.

It is a question of reassuring us by telling that what is happening in Ukraine is not normal and that we will return, after a more or less long time of crisis, to the previous situation. Thank you for trying to reassure us, but this reading of the "Ukrainian crisis" seems to me totally unrealistic.

On the contrary, it is a shift from a situation in which we were dozing quietly to a much less comfortable state of wakefulness.

We were asleep, when we thought that Putin would never dare to attack the whole Ukraine, at most a small part of the Donbass. I thought so myself, including when I heard the CIA announcing an imminent attack: those CIA morons, I sneered! Putin will never do it because it's too risky... I was wrong.

Yet I knew that Putin had greatly improved his military tool, including developing hypersonic weapons, which he is the only one to possess to date. On May 3, 2020*, in a post titled "On the Edge of Fear" I wrote, among other things, the following, already in bold: "The United States finds itself for the first time in its history in a situation of technological inferiority to Russia on the military level."

And I concluded by noting that "without even imagining that such weapons could never be used, the consequences of their mere existence are yet to come, in terms of power relations and therefore alliances, the premises of which we can see in the Middle East."

We were indeed seeing these premises in Syria.

But I had not been able to draw the consequences of what I wrote nearly two years ago, namely that Russia had the military means to act as it wished, especially since it now possessed the second largest conventional army in the world, behind the United States, but ahead of China, India and France.

On the other hand, it had not escaped me that the Russians in general, and Putin in particular, had been greatly humiliated by the events that followed the fall of the USSR, at the end of 1991, the time of Gorbachev and Yeltsin, the deep distress of the Soviet people, the pensions paid in monkey money, the famine and Russia scorned by the United States, which had never respected its commitment not to extend NATO to Russia's borders.

I also observed how this contempt for Russia was translated into the bombing of Serbia, until the latter consented, bloodless, to the detachment by force of Kosovo, which was both a part of its territory and the founding place of its identity. But it also gave Putin a license to intervene militarily wherever he wished, in Syria, Georgia and now Ukraine.

I have observed how the Russians have continually been treated with condescending contempt, first by the British. They have been successively accused of being cheats, with their exclusion for doping in international sports competitions, murderers through disturbing accusations of poisoning, usurpers because of the role of oligarchs. Russia was only a vulgar gas supplier, whose GDP, hardly higher than Italy's, did not give it a voice on the world stage. 

In Ukraine, I observed how the West unashamedly organized a coup d'état in 2014**, with the active complicity of Laurent Fabius, accompanied by the German and Polish foreign ministers who persuaded President Yanukovych to give in to the opposition. The latter accused him of resisting the EU, which wanted to force him to renounce a friendship treaty with Russia. Faced with a riot strongly supported by the Europeans and Americans, he was forced to flee to Russia before being illegally deposed. 

I have observed how Ukraine, led since 2014 by pro-Western governments, has waged a permanent battle on the Donbass front where it has mobilized up to one hundred thousand troops, cut off the water to Crimea since 2014, signed the Minsk agreements on September 5, 2014*** and then stubbornly refused to implement them, these agreements including a ceasefire, a demilitarized zone on the line of contact, and a dialogue for the creation of a special status related to the conflicting regions of Donetsk and Lugansk.

I observed how the European stakeholders, France and Germany, made no effort to ensure that these agreements were implemented by Ukraine. The conclusion of my post was: "The country still needs to be stabilized with legitimate political power and a good neighbor agreement with Russia. So another regime."

 

As a result of all these events, here we are with a war and its consequences, which are yet to be understood. 

 

* In a post entitled "On the edge of fear"

** See my post "Coup in Kiev" of February 24, 2014

*** See my post "Ukraine on the brink of the Rubicon" of February 19, 2017

 

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