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Le blog d'André Boyer

histoire

LES VALEURS CONTRE LA DEMOCRATIE

17 Mai 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LE DIRECTOIRE

LE DIRECTOIRE

S’il y a une leçon à tirer de la Terreur, c’est que ce sont des politiciens qui se voulaient très vertueux qui ont commis les pires crimes politiques jamais accomplis en France.

 

Les successeurs de Robespierre, Hitler, Staline, Pol Pot étaient tous des hommes qui proclamaient vouloir le bien de leur peuple ; comme par hasard, ils font aussi partie de la liste des meurtriers les plus monstrueux que l’humanité ait jamais connu.

Car les politiciens de la Terreur ont renié les principes fondamentaux de la démocratie qui leur avait pourtant permis de recevoir délégation de leurs électeurs pour gouverner en leur nom.Dans une démocratie, on n’attend pas des dirigeants qu’ils aient une idée géniale pour sauver le pays mais qu’ils soient attentifs aux volontés exprimées par les différentes catégories de la population; qu’ils transmettent les informations nécessaires aux citoyens pour former leur jugement et non qu’ils les cachent sous couvert de « raison d’État »; qu’ils permettent aux médias de jouer un rôle d’intermédiaires entre eux et le public et non celui d’outil de propagande  et qu’ils se soumettent aux verdicts des urnes au lieu de chercher à en travestir les résultats.

Si en France, on se permet tant d’entorses à la démocratie, c’est au nom de valeurs que l’on prétend infliger au peuple français, qui relèvent d’un magistère moral et non du pouvoir politique.

C’est en quoi « les valeurs républicaines », que la Terreur avait l’intention vertueuse d’imposerau peuple français comme une purge sanglante, différent de celles des démocraties pour lesquelles le pouvoir vient par définition du peuple et non de ses dirigeants et de leur soi-disant "valeurs": la République ou la démocratie, il faut choisir, voilà l’enseignement de la Terreur.

À la Terreur et à son retour de flamme que fut la Convention thermidorienne, succéda le Directoire dont les mœurs républicaines furent également pleines d’amers enseignements.

 S’ils se faisaient des illusions sur leur popularité, les élections qui suivirent démontrèrent aux Jacobins qu’ils avaient eu au moins raison de craindre leur résultat. La composition des deux assemblées indiquait nettement que la volonté des électeurs était ignorée par les anciens conventionnels, alors que les nouveaux élus comptaient 120 royalistes pour seulement 45 républicains.

Malgré le décret des Deux Tiers et les pressions exercées par la Convention sur les électeurs, seulement 376 Conventionnels sur les 500 qu'imposait le décret furent réélus, ce qui obligea la Convention à désigner elle-même les 124 députés manquants.

Élu le 31 octobre 1795, le Directoire était composé de La Révellière-Lépeaux pour  l'instruction et la religion, de Reubell pour la diplomatie, de Barras pour les affaires intérieures, de Carnot pour la guerre et de Le Tourneur, ce dernier jouant un rôle mineur dans le groupe. Ces cinq hommes qui composent le Directoire, trois avocats et deux soldats, méritent l’attention car ils fournissent un tableau fidèle du pouvoir issu de la Révolution.

Louis Marie de La Révellière-Lépeaux (1753-1824) est avocat à la veille de la Révolution, grand partisan de l’égalité. Il vote la mort du roi, s’oppose à Robespierre et à Danton et soutient la Gironde contre Marat. Proscrit, il revient à la Convention après la chute de Robespierre.

Quand la Révolution éclate, Jean-François Reubell (1747-1807) est également avocat. À la Constituante, il soutient les droits des hommes de couleur et se spécialise dans la dénonciation des tyrans, des privilèges du clergé et des juifs. Membre du Directoire, il se consacre à la diplomatie de la « Grande Nation ».

Paul François Jean Nicolas, vicomte de Barras (1755-1829), qui a laissé l’image d’un libertin et d’un corrompu, entre dans l’armée à seize ans dont il démissionne à la fin de la guerre d’Indépendance. Il est député à la Convention, où il siège à la Montagne et vote la mort de Louis XVI. Il met la « Terreur à l’ordre du jour » à Marseille et à Toulon, où il remarque Bonaparte. Au soir du 9 Thermidor, il commande l’action militaire qui permet la prise de l’Hôtel de Ville et la fin de Robespierre.

Il est supposé avoir des opinions de gauche, ce qu’il montre en s’opposant aux poursuites contre les conspirateurs babouvistes ainsi qu’à toute tentative de restauration royaliste, notamment lorsqu’il organise le coup d’État de Fructidor.

Lazare Carnot (1753-1823) est le fils d’un avocat qui devient militaire. Il est élu à la Législative et à la Convention où il siège à gauche. Il vote la mort de Louis XVI, mais se tient à l’écart des Jacobins. Membre du Directoire, il prend l’initiative des poursuites contre Babeuf et ses amis. Il se rapproche des royalistes, ce qui l’oblige à s’enfuir lors du coup d’État de Fructidor. Il continuera cependant sa carrière d’organisateur sous le Consulat et l’Empire. Ses fils et petits-fils seront également des hommes politiques et des scientifiques importants.

Le Tourneur ou Letourneur (1751-1817) est capitaine quand il est élu à la Législative. Réélu à la Convention, il vote la mort de Louis XVI, mais est hostile à Robespierre.

 

La composition politique du Directoire montre que le nouveau régime était dirigé par les mêmes hommes et confronté aux mêmes problèmes que la Convention thermidorienne. Il devait se garder à gauche des Jacobins et des Royalistes à sa droite.

À SUIVRE

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JULES FERRY ET LA VOLONTÉ DE PUISSANCE

10 Mai 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LE GÉNÉRAL BRIÈRE DE LISLE (SÉNÉGAL, CHINE) ET SON ÉTAT-MAJOR

LE GÉNÉRAL BRIÈRE DE LISLE (SÉNÉGAL, CHINE) ET SON ÉTAT-MAJOR

Jules Ferry en arrive alors à la question clé, qui justifie à ses yeux définitivement l'expansion coloniale, la politique de puissance qui permettra à la France d'exercer une forte influence en Europe et dans le monde, une politique qui conduira inévitablement à la guerre avec les rivaux que l'on a suscités, comme le lui fait remarquer M. Paul de Cassagnac.

 

M. Jules Ferry. Voilà ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Pelletan sur le second point qu'il a touché.

Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m'expliquer en toute franchise. C'est le côté politique de la question.

[...]

Messieurs, dans l'Europe telle qu'elle est faite, dans cette concurrence de tant de rivaux que nous voyons grandir autour de nous, les uns par les perfectionnements militaires ou maritimes, les autres par le développement prodigieux d'une population incessamment croissante ; dans une Europe, ou plutôt dans un univers ainsi fait, la politique de recueillement ou d'abstention, c'est tout simplement le grand chemin de la décadence !

Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l'activité qu'elles développent ; ce n'est pas « par le rayonnement des institutions »... (Interruptions à gauche el à droite) qu'elles sont grandes, à l'heure qu'il est.

M. Paul de Cassagnac. Nous nous en souviendrons, c'est l'apologie de la guerre !

M. de Baudry d'Asson. Très bien ! la République, c'est la guerre. Nous ferons imprimer votre discours à nos frais et nous le répandrons dans toutes les communes de nos circonscriptions.

M. Jules Ferry. Rayonner sans agir, sans se mêler aux affaires du monde, en se tenant à l'écart de toutes les combinaisons européennes, en regardant comme un piège, comme une aventure, toute expansion vers l'Afrique ou vers l'Orient, vivre de cette sorte, pour une grande nation, croyez-le bien, c'est abdiquer, et dans un temps plus court que vous ne pouvez le croire, c'est descendre du premier rang au troisième ou au quatrième. (Nouvelles interruptions sur les mêmes bancs. - Très bien ! très bien ! au centre.) Je ne puis pas, messieurs, et personne, j'imagine, ne peut envisager une pareille destinée pour notre pays.

Il faut que notre pays se mette en mesure de faire ce que font tous les autres, et, puisque la politique d'expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l'heure qu'il est toutes les puissances européennes, il faut qu'il en prenne son parti, autrement il arrivera... oh ! pas à nous qui ne verrons pas ces choses, mais à nos fils et à nos petits-fils ! il arrivera ce qui est advenu à d'autres nations qui ont joué un très grand rôle il y a trois siècles, et qui se trouvent aujourd'hui, quelque puissantes, quelque grandes qu'elles aient été descendues au troisième ou au quatrième rang. (Interruptions.)

Aujourd'hui la question est très bien posée : le rejet des crédits qui vous sont soumis, c'est la politique d'abdication proclamée et décidée. (Non ! non !) Je sais bien que vous ne la voterez pas, cette politique, je sais très bien aussi que la France vous applaudira de ne pas l'avoir votée ; le corps électoral devant lequel vous allez rendre n'est pas plus que nous partisan de la politique de l'abdication ; allez bravement devant lui, dites-lui ce que vous avez fait, ne plaidez pas les circonstances atténuantes ! (Exclamations à droite et à l'extrême gauche. - Applaudissements à gauche et au centre.) ... dites que vous avez voulu une France grande en toutes choses...

Un membre. Pas par la conquête !

M. Jules Ferry. ... grande par les arts de la paix, comme par la politique coloniale, dites cela au corps électoral, et il vous comprendra.

M. Raoul Duval Le pays, vous l'avez conduit à la défaite et à la banqueroute.

M. Jules Ferry. Quant à moi, je comprends à merveille que les partis monarchiques s'indignent de voir la République française suivre une politique qui ne se renferme pas dans cet idéal de modestie, de réserve, et, si vous me permettez l'expression, de pot-au-feu... (Interruptions et rires à droite) que les représentants des monarchies déchues voudraient imposer à la France. (Applaudissements au centre.)

M. le baron Dufour. C'est un langage de maître d'hôtel que vous tenez là.

M. Paul de Cassagnac. Les électeurs préfèrent le pot-au-feu au pain que vous leur avez donné pendant le siège, sachez-le bien !

M. Jules Ferry. Je connais votre langage, j'ai lu vos journaux... Oh ! l'on ne se cache pas pour nous le dire, on ne nous le dissimule pas : les partisans des monarchies déchues estiment qu'une politique grande, ayant de la suite, qu'une politique capable de vastes desseins et de grandes pensées, est l'apanage de la monarchie, que le gouvernement démocratique, au contraire, est un gouvernement qui rabaisse toutes choses...

M. de Baudry d'Asson. C'est très vrai !

M. Jules Ferry. Eh bien, lorsque les républicains sont arrivés aux affaires, en 1879, lorsque le parti républicain a pris dans toute sa liberté le gouvernement et la responsabilité des affaires publiques, il a tenu à donner un démenti à cette lugubre prophétie, et il a montré, dans tout ce qu'il a entrepris...

M. de Saint-Martin. Le résultat en est beau !

M. Calla. Le déficit et la faillite !

M. Jules Ferry. ...aussi bien dans les travaux publics et dans la construction des écoles... (Applaudissements au centre et à gauche), que dans sa politique d'extension coloniale, qu'il avait le sentiment de la grandeur de la France. (Nouveaux applaudissements au centre et à gauche.)

Il a montré qu'il comprenait bien qu'on ne pouvait pas proposer à la France un idéal politique conforme à celui de nations comme la libre Belgique et comme la Suisse républicaine, qu'il faut autre chose à la France : qu'elle ne peut pas être seulement un pays libre, qu'elle doit aussi être un grand pays exerçant sur les destinées de l'Europe toute l'influence qui lui appartient, qu'elle doit répandre cette influence sur le monde, et porter partout où elle le peut sa langue, ses moeurs, son drapeau, ses armes, son génie. (Applaudissements au centre et à gauche.)

Quand vous direz cela au pays, messieurs, comme c'est l'ensemble de cette oeuvre, comme c'est la grandeur de cette conception qu'on attaque, comme c'est toujours le même procès qu'on instruit contre vous, aussi bien quand il s'agit d'écoles et de travaux publics que quand il s'agit de politique coloniale, quand vous direz à vos électeurs : « Voilà ce que nous avons voulu faire » soyez tranquilles, vos électeurs vous entendront, et le pays sera avec vous, car la France n'a jamais tenu rigueur à ceux qui ont voulu sa grandeur matérielle, morale et intellectuelle (Bravos prolongés à gauche et au centre. - Double salve d'applaudissements - L'orateur en retournant à son banc reçoit les félicitations de ses collègues.)

Aujourd'hui, la France en est toujours, avec ses moyens, à justifier la politique qu'elle conduit par des considérations stratégiques et économiques, mais elle n'a toujours pas abandonné l'idée qu'elle disposait d'un droit moral sur les anciennes colonies françaises, suscitant au pire l'ire des Africains et au mieux leur sourire. Que la Russie ou la Chine interviennent en Afrique apparait souvent en France comme un crime de lèse-majesté: mais enfin la France est une démocratie, le pays des droits de l'homme, aller frayer avec ces pays impurs est parfaitement illégitime...

 

Si les diplomates et les journalistes français connaissaient vraiment l'Afrique et un peu l'histoire, ils se tairaient.

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LA POLITIQUE COLONIALE DE LA FRANCE

5 Mai 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LA POLITIQUE COLONIALE DE LA FRANCE

Il est peu probable que vous ayez déjà lu le compte-rendu de la séance parlementaire du 28 juillet 1885. Or, il le mérite, car il décrit avec un cynisme roboratif la politique coloniale française jusqu’à ces dernières années, qui ont été marquées par l’échec total de notre politique africaine.

 

Depuis le début des années 1880, la France cherche à coloniser de nouveaux territoires : la Tunisie, en 1881, l’Annam en 1883 et le Tonkin en 1885 deviennent des protectorats français. La séance parlementaire du 28 juillet 1885 est consacrée à la discussion d’un projet de crédits extraordinaires pour financer une expédition à Madagascar où la France tente d’imposer son protectorat, en concurrence avec les Anglais. Jules Ferry, ancien maire et député de Paris,joue  à cette occasion un rôle majeur devant l’Assemblée Nationale, car il est le porte-parole de cette nouvelle politique de conquête coloniale défendue par la gauche moraliste de l’époque. Face à un adversaire tel que Georges Clemenceau, il défend dans le langage fleuri alors en usage, dans l’ordre les bienfaits économiques, humanitaires ensuite et stratégiques enfin, du colonialisme français qui sera effectivement appliqué par lui et ses successeurs. Il fait face à deux types d’opposition, l’une de principe à gauche qui invoque les grands principes de la République qui risquent d’être bafoués par le processus de colonisation et l’autre, plus timide à droite, qui trouve que la colonisation coûte trop cher. Vous pourrez ainsi constater que le débat est finalement moderne.

.

M. Jules Ferry. Messieurs, je suis confus de faire un appel aussi prolongé à l'attention bienveillante de la Chambre, mais je ne crois pas remplir à cette tribune une tâche inutile. Elle est laborieuse pour moi comme pour vous, mais il y a, je crois, quelque intérêt à résumer et à condenser, sous forme d'arguments, les principes, les mobiles, les intérêts divers qui justifient la politique d'expansion coloniale, bien entendu, sage, modérée et ne perdant jamais de vue les grands intérêts continentaux qui sont les premiers intérêts de ce pays.

Je disais, pour appuyer cette proposition, à savoir qu'en fait, comme on le dit, la politique d'expansion coloniale est un système politique et économique, je disais qu'on pouvait rattacher ce système à trois ordres d'idées ; à des idées économiques, à des idées de civilisation de la plus haute portée et à des idées d'ordre politique et patriotique.

Sur le terrain économique, je me suis permis de placer devant vous, en les appuyant de quelques chiffres, les considérations qui justifient la politique d'expansion coloniale au point de vue de ce besoin de plus en plus impérieusement senti par les populations industrielles de l'Europe et particulièrement de notre riche et laborieux pays de France, le besoin de débouchés.

Est-ce que c'est quelque chose de chimérique ? est-ce que c'est une vue d'avenir, ou bien n'est-ce pas un besoin pressant, et on peut dire le cri de notre population industrielle ? Je ne fais que formuler d'une manière générale ce que chacun de vous, dans les différentes parties de la France, est en situation de constater.

Oui, ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigé dans la voie de l'exportation, ce qui lui manque de plus en plus ce sont les débouchés.

Pourquoi ? parce qu'à côté d'elle l'Allemagne se couvre de barrières, parce qu’au-delà de l'océan les États-Unis d'Amérique sont devenus protectionnistes et protectionnistes à outrance ; parce que non seulement ces grands marchés, je ne dis pas se ferment, mais se rétrécissent, deviennent de plus en plus difficiles à atteindre par nos produits industriels parce que ces grands États commencent à verser sur nos propres marchés des produits qu'on n'y voyait pas autrefois. Ce n'est pas une vérité seulement pour l'agriculture, qui a été si cruellement éprouvée et pour laquelle la concurrence n'est plus limitée à ce cercle des grands États européens pour lesquels avaient été édifiées les anciennes théories économiques ; aujourd'hui, vous ne l'ignorez pas, la concurrence, la loi de l'offre et de la demande, la liberté des échanges, l'influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s'étend jusqu'aux extrémités du monde. (Très bien ! très bien !)

C'est là une grande complication, une grande difficulté économique.

[...]

C'est là un problème extrêmement grave.

Il est si grave, messieurs, si palpitant, que les gens moins avisés sont condamnés à déjà entrevoir, à prévoir et se pourvoir pour l'époque où ce grand marché de l'Amérique du Sud, qui nous appartenait de temps en quelque sorte immémorial, nous sera disputé et peut-être enlevé par les produits de l'Amérique du Nord. Il n'y a rien de plus sérieux, il n'y a pas de problème social plus grave ; or, ce programme est intimement lié à la politique coloniale.

[...]

Messieurs, il y a un second point, un second ordre d'idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c'est le côté humanitaire et civilisateur de la question.

Sur ce point, l'honorable M. Camille Pelletan raille beaucoup, avec l'esprit et la finesse qui lui sont propres ; il raille, il condamne, et il dit : qu'est-ce que c'est que cette civilisation qu'on impose à coups de canon ? Qu'est-ce sinon une autre forme de la barbarie ? Est-ce que ces populations de race inférieure n'ont pas autant de droits que vous ? Est-ce qu'elles ne sont pas maîtresses chez elles ? Est-ce qu'elles vous appellent ? Vous allez chez elles contre leur gré ; vous les violentez, mais vous ne les civilisez pas.

Voilà, messieurs, la thèse ; je n'hésite pas à dire que ce n'est pas de la politique, cela, ni de l'histoire : c'est de la métaphysique politique... (Ah ! ah ! à l'extrême gauche.)

Voix à gauche. Parfaitement !

M. Jules Ferry. et je vous défie - permettez-moi de vous porter ce défi, mon honorable collègue, monsieur Pelletan -, de soutenir jusqu'au bout votre thèse, qui repose sur l'égalité, la liberté, l'indépendance des races inférieures. Vous ne la soutiendrez pas jusqu'au bout, car vous êtes, comme votre honorable collègue et ami M. Georges Perin, le partisan de l'expansion coloniale qui se fait par voie de trafic et de commerce.

[...]

Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures... (Rumeurs sur plusieurs bancs à l'extrême gauche.)

M. Jules Maigne. Oh ! vous osez dire cela dans le pays où ont été proclamés les droits de l'homme !

M. de Guilloutet. C'est la justification de l'esclavage et de la traite des nègres !

M. Jules Ferry. Si l'honorable M. Maigne a raison, si la déclaration des droits de l'homme a été écrite pour les noirs de l'Afrique équatoriale, alors de quel droit allez-vous leur imposer les échanges, les trafics ? Ils ne vous appellent pas ! (Interruptions à l'extrême gauche et à droite. - Très bien ! très bien ! sur divers bancs à gauche.)

M. Raoul Duval. Nous ne voulons pas les leur imposer ! C'est vous qui les leur imposez !

M. Jules Maigne. Proposer et imposer sont choses fort différentes !

M. Georges Périn. Vous ne pouvez pas cependant faire des échanges forcés !

M. Jules Ferry. Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures... (Marques d'approbation sur les mêmes bancs à gauche - Nouvelles interruptions à l'extrême gauche et à droite.)

M. Joseph Fabre. C'est excessif ! Vous aboutissez ainsi à l'abdication des principes de 1789 et de 1848... (Bruit), à la consécration de la loi de grâce remplaçant la loi de justice.

M. Vernhes. Alors les missionnaires ont aussi leur droit ! Ne leur reprochez donc pas d'en user ! (Bruit.)

M. le président. N'interrompez pas, monsieur Vernhes !

M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures...

M. Vernhes. Protégez les missionnaires, alors ! (Très bien ! à droite.)

Voix à gauche. N'interrompez donc pas !

M. Jules Ferry. Je dis que les races supérieures ont des devoirs...

M. Vernhes. Allons donc !

M. Jules Ferry. Ces devoirs, messieurs, ont été souvent méconnus dans l'histoire des siècles précédents, et certainement, quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l'esclavage dans l'Amérique centrale, ils n'accomplissaient pas leur devoir d'hommes de race supérieure. (Très bien ! très bien !) Mais, de nos jours, je soutiens que les nations européennes s'acquit­tent avec largeur, avec grandeur et honnêteté, de ce devoir supérieur de civilisation.

M. Paul Bert. La France l'a toujours fait !

M. Jules Ferry. Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu'un peut nier qu'il y a plus de justice, plus d'ordre matériel et moral, plus d'équité, plus de vertus sociales dans l'Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions oeuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ? Est-il possible de nier que, dans l'Inde, et malgré les épisodes douloureux qui se rencontrent dans l'histoire de cette conquête, il y a aujourd'hui infiniment plus de justice, plus de lumière, d'ordre, de vertus publiques et privées depuis la conquête anglaise qu'auparavant ?

M. Clemenceau. C'est très douteux !

M. Georges Périn. Rappelez-vous donc le discours de Burke !

M. Jules Ferry. Est-ce qu'il est possible de nier que ce soit une bonne fortune pour ces malheureuses populations de l'Afrique équatoriale de tomber sous le protectorat de la nation française ou de la nation anglaise ? Est-ce que notre premier devoir, la première règle que la France s'est imposée, que l'Angleterre a fait pénétrer dans le droit coutumier des nations européennes et que la conférence de Berlin vient de traduire le droit positif, en obligation sanctionnée par la signature de tous les gouvernements, n'est pas de combattre la traite des nègres, cet horrible trafic, et l'esclavage, cette infamie. (Vives marques d'approbation sur divers bancs.)

[...]

M. Jules Ferry. Voilà ce que j'ai à répondre à l'honorable M. Pelletan sur le second point qu'il a touché.

 

Il est ensuite arrivé à un troisième, plus délicat, plus grave, et sur lequel je vous demande la permission de m'expliquer en toute franchise. C'est le côté politique de la question.

[...]

 

À SUIVRE

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BONAPARTE SAUVE ENCORE LA CONVENTION

31 Mars 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

MASSACRE DEVANT L'EGLISE SAINT-ROCH

MASSACRE DEVANT L'EGLISE SAINT-ROCH

Bonaparte sauve encore la Convention

Le 10 mars dernier, je vous ai présenté la constitution « tordue » des Thermidoriens. Elle n’est pas passée comme une lettre à la poste…

 

Comme d’habitude, le referendum au suffrage universel qui fut organisé pour approuver cette constitution se caractérisa par une forte abstention et de nombreuses irrégularités.

Les résultats officiels firent état de 1.057.390 voix en faveur de la Constitution dite de l’An III et de 49.978 voix contre. Pour sa part, le décret des deux tiers ne fut approuvé que par 205.498 voix pour et 108.754 voix contre.

Il faut noter, alors que l’on déplore en ce début de XXIe siècle des taux d’abstention « records » de 60%, que le taux d'abstention du referendum de l'époque s’éleva à 78% pour la Constitution de l’An III et à 94% pour le décret des deux tiers !

Cela n’empêcha pas cette nouvelle constitution d’être proclamée le 23 septembre 1795. Elle impliquait d’élire ensuite le corps législatif. Mais, avant que les élections législatives ne se déroulent, les royalistes parisiens formèrent un comité insurrectionnel, s’estimant lésés, à Just titre, par le décret des deux tiers et les fraudes.

L'épreuve de force eut lieu 4 octobre 1795.

Une petite armée commandée par le général Danican chercha à encercler les Tuileries pour faire capituler sans combat la Convention, protégée par les troupes du général Menou qui plièrent face aux royalistes. C'est alors  que Barras remplaça le général défaillant par Bonaparte qui, aidé par Murat, récupèra des pièces d'artillerie avec lesquelles il fit mitrailler les forces royalistes sur les marches de l'église Saint Roch, faisant 200 tués avant de disperser les survivants. 

Napoléon s'imposait une deuxième fois, en tant que défenseur des régicides. La première fois, il avait déjà repris Toulon aux Anglais pour le compte de la Convention de la Terreur, et, cette fois, il sauvait la Convention thermidorienne.

Le 14 vendémiaire (6 octobre 1795), Paris était occupé militairement et l'émeute étouffée, sans que ne soit toutefois exercée une répression excessive qui aurait trop renforcée les partisans de la Terreur. Le 16 octobre, Bonaparte était élevé par Barras au grade de général de division et le 26 octobre, tandis qu'entrait en vigueur la nouvelle Constitution, il devenait commandant en chef de l'armée de l'intérieur en remplacement de son mentor qui faisait son entrée au Directoire.

En se séparant, la Convention prononça une amnistie générale dont elle excluait les révoltés de Vendémiaire, les prêtres réfractaires et les immigrés. Elle décidait également que la Place de la Révolution deviendrait la Place de la Concorde, un excellent choix puisqu’il a perduré jusqu’à ce jour…

Reste pour nous à tirer le bilan de la TerreurPeu se risquent à la glorifier mais nombreux sont ceux qui lui trouvent des excuses: elle aurait été provoquée par l’état d’extrême tension du pays; les menaces austro-prussiennes auraient déclenché le processus; le roi a joué la politique du pire; il fallait sauver la République; la Terreur a échappé à la volonté des responsables qui ont essayé d'en punir ses excès ; Robespierre voulait le bonheur du peuple…

Du point de vue politique, elle a tout simplement été une stratégie de prise et de contrôle du pouvoir et elle s'est appuyée sur une idéologie qui prétendait vouloir faire respecter, au travers du pouvoir politique, de grands principes philosophiques.

La recette pratique de la Terreur a consisté à faire place nette de tout ce qui faisait obstacle au pouvoir d’un État chargé d’unifier une nation, les privilèges provenant de la naissance, des charges, des corporations et des vœux religieux, pour installer les préfets, les commissaires, les juges, les bourreaux qui allaient appliquer de grands principes à la pauvre matière humaine.

L’horreur était en vue, car les acteurs de la Terreur ont organisé une oppression systématique, accru sans cesse les pouvoirs des tribunaux, supprimé tous les droits de la défense, envoyé des commissaires pour exciter l’ardeur des bourreaux et des délateurs. Ces hommes ont promulgué l’incroyable loi des suspects: étaient suspects tous « ceux qui, par leur conduite, leurs relations, leurs propos ou leurs écrits se sont montrés partisans de la tyrannie, du fédéralisme et ennemis de la liberté; ceux qui ne pourront justifier de leurs moyens d'existence et de l'acquit de leurs devoirs civiques ; ceux qui n'auront pu obtenir de certificat de civisme; les ci-devant nobles qui n'ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution, les émigrés, même s'ils sont rentrés, les prévenus de délits, même acquittés… ». Délit d’opinion, délit de faciès, délit de classe, tout y est.

La Terreur a engendré les deux cent mille morts du génocide vendéen, les soixante-deux mille guillotinés, les dizaines de milliers de personnes livrées à la mitraille dans les villes révoltées et tout un pays soumis à des tyrans qui se croyaient tout permis au nom de leurs principes.

Face à ce passif monstrueux, on cherche en vain le moindre actif, à moins que l’invention du totalitarisme ne soit considérée comme une gloire nationale.

 

À SUIVRE

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LA CONVENTION NE MAITRISE QUE LE PRÉSENT

10 Mars 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LA CONVENTION THERMIDORIENNE

LA CONVENTION THERMIDORIENNE

Nous avons laissé le 9 février dernier (mon blog intitulé « En même temps la Convention) tout faire et son contraire…

 

Le danger qui menaçait les Thermidoriens au pouvoir se situait toujours dans les faubourgs, base des sans-culottes, dont le combustible provenait de la faim qui tenaillait les grandes villes, à commencer par Paris où d’énormes queues se formaient devant les boulangeries, alors que la ration de pain passait de 1 livre et demie en février 1795 à un quart de livre en mai 1795, six fois moins!

Le 1er avril 1795, les sans culottes, saisissant le prétexte des accusations portées contre Barère, Collot d’Herbois et Billaud-Varenne qui passaient pour leurs défenseurs, envahirent la salle de la Convention en réclamant du pain.

Ils furent évacués par les gendarmes tandis que les trois accusés étaient déportés, que Paris était mis en état de siège avec le général Pichegru chargé de réprimer l'agitation dans les faubourgs. C’est dire qu'elle était la nervosité des Thermidoriens.

Une deuxième alerte intervint trois mois plus tard, le 20 mai 1795, alors que la Convention était envahie à nouveau aux cris de : « Du pain et la Constitution ! ». Les députés s’enfuirent, à l’exception de ceux d’entre eux, que l’on appelait les Crétois parce qu’ils siégeaient à la crête de la Montagne et étaient favorables aux sans-culottes,

Les forces militaires de la Convention reprirent le contrôle des Tuileries et passèrent à l’offensive dans les faubourgs, arrêtant soixante-deux députés et cinq mille jacobins.

Pendant ce temps, la paix des cimetières s’installait dans l’ouest de la France. Hoche avait fini par signer une amnistie avec Charrette et les Chouans, en leur garantissant la restitution de leurs biens confisqués, la liberté de culte et la dispense du service militaire.

Mais comme le génocide pratiqué par les troupes républicaines ne pouvait être rayé d’un trait de plume. la guérilla contre les troupes républicaines se poursuivait en Bretagne et en Normandie. Une attaque coordonnée entre immigrés et Chouans fut organisée à la fin du mois de juin 1795. Une armée de quatorze mille Chouans se rassembla dans la région de Quiberon, Charrette reprit les hostilités en Vendée et quatre mille émigrés furent débarqués dans la baie de Carnac par une flotte anglaise. Cependant, ils n’étaient pas assez organisés et soutenus par la croisière anglaise pour faire face à Hoche, qui les battit et les captura le 21 juillet 1795.

Sur le front de la guerre étrangère, il était aussi difficile pour les Thermidoriens de mécontenter les généraux que de se passer des revenus des conquêtes.

D’où l’invasion de la Hollande le 10 octobre 1794, qui fut transformée en République Batave. C’est à cette occasion que la cavalerie de Pichegru réalisa un exploit sans précèdent en capturant la flotte hollandaise bloquée par la glace au Helder. La Hollande fut aussitôt amputée de la Flandre Hollandaise pour être rattachée à la Belgique, elle-même annexée à la France, cette dernière étant reconnue par un traité de paix conclu entre la République Française et la Prusse, pressée de retourner ses troupes contre la Pologne.

Selon l’habitude de ces années-là, la Convention thermidorienne saisit l’opportunité d’une situation politique apaisée pour préparer une nouvelle constitution destinée à remplacer celle qui, souvenez-vous, reposait, inappliquée, au milieu de la salle de ses délibérations.

La nouvelle Constitution représentait un effort remarquable pour éviter les écueils qui avaient marqué la Révolution. Par certains côtés, elle était trop sophistiquée. Elle retournait à un régime électoral restreint, qui réduisait le corps électoral aux notables : les citoyens nés et résidents en France de 21 ans qui payaient une contribution directe, réunis en assemblée primaire par canton élisaient les électeurs du deuxième degré à raison de un pour deux cents citoyens.

Ces grands électeurs devaient avoir 25 ans et disposer d'un revenu personnel important. Ils élisaient les membres du corps législatif ainsi que les différents juges. Le législatif était formé de deux chambres, le conseil des Cinq Cents qui avait l'initiative des lois, et le conseil des Anciens, composé de 250 membres âgés d’au moins 40 ans et mariés ou veufs, qui approuvait ou rejetait les propositions des Cinq Cents.

Le corps législatif élisait l'exécutif, mais ne pouvait pas le révoquer. Ce dernier exécutif, le Directoire, était
 composé de cinq membres, renouvelé par cinquième tous les ans, choisis à bulletins secrets par les Anciens, parmi une liste qui devait contenir le décuple des postes à pourvoir, liste établie par le Conseil des Cinq Cents.

Les Directeurs sortants ne pouvaient pas être réélus avant cinq ans et les décisions du Directoire devaient être prises à la majorité de trois membres sur cinq.

Les attributions de l'exécutif étaient limitées par la nouvelle constitution à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat, la disposition de la force armée, la nomination des généraux et des ministres.

Le Directoire n'avait pas le droit de dissolution sur les chambres ni le droit de veto sur les lois. De plus, la Trésorerie échappait au Directoire pour être confié à cinq commissaires élus dans les mêmes conditions que le Directoire et le pouvoir judiciaire étaient séparé du législatif et de l'exécutif, avec des mandats courts, 2 ans pour les juges de paix, 5 ans pour les juges départementaux et du tribunal de cassation.

Échaudés par les changements permanents de la Constitution, les conventionnels mirent en place une procédure de révision qui s'étalait sur neuf ans.

 

Comme les Conventionnels ne tenaient pas à être balayés par les élections à venir, ils votèrent, avec un culot roboratif, le décret dit « des deux tiers » qui imposait le maintien de cinq cents anciens conventionnels parmi les sept cent cinquante députés des Conseils des Cinq Cents et des Anciens, dispensés donc des élections.  

 

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EN MÊME TEMPS, LA CONVENTION...

9 Février 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

MERVEILLEUSES ET INCROYABLES

MERVEILLEUSES ET INCROYABLES

À la surprise générale, la chute de Robespierre provoqua la fin de la Terreur.

 

Ce n'est pas que la Convention renia la Terreur, notamment en décidant de transférer, le 21 septembre 1794, les restes de Marat au Panthéon. Mais dans l'opinion, les esprits évoluaient plus rapidement qu’à la Convention si bien que cette dernière dut se résoudre à expulser du Panthéon ces restes devenus entretemps odieux.

Les députés du Marais furent les premiers à comprendre le nouveau rôle que l’on attendait des Conventionnels : devenir des libérateurs. On écarta les Montagnards les plus impliqués dans la Terreur et, par un jeu d'équilibre bien politique, la droite de la Convention. Puis, début août 1794, plus de cinq cents suspects furent libérés, tandis que des milliers de personnes sortaient de leurs cachettes.

Une campagne de presse était lancée contre les Jacobins et les sans-culottes et, au théâtre, des pièces anti jacobines étaient applaudies. Le refus de la Terreur et le rejet de la Révolution s’exprimaient par des tenues vestimentaires et des modes de vie symbolisés par les muscadins qui portaient dix-sept boutons de nacre pour évoquer Louis XVII et un collet noir autour du cou pour rappeler la mort de Louis XVI. Les merveilleuses n’étaient pas en reste qui protestaient contre la rigueur révolutionnaire par des tenues savamment déshabillées, blanches et vaporeuses.

Le refus de la Terreur engendra une contre terreur qui ajouta deux mille morts aux quarante mille victimes directes de la Terreur. Les muscadins ne se gênaient pas pour molester les sans-culottes, les bonnets rouges et les colporteurs des derniers journaux jacobins. En province, la réaction anti jacobine fut souvent violente, singulièrement dans le Sud-Est. Dans le Midi, à Lyon et à Tarascon, il y eut des émeutes sanglantes. La Compagnie de Jéhu mena la chasse contre les Jacobins compromis par la Terreur et contre les acheteurs de biens nationaux.

La Convention procéda à la réintégration des Girondins et ferma le club des Jacobins. Elle cherchait un impossible équilibre en proposant une amnistie à la Vendée tout en célébrant le 21 janvier comme le jour de « la juste punition du dernier roi des Français ». Elle se refusait à payer les prêtres et les frais d'entretien des bâtiments religieux, mais restaurait la liberté des cultes le 21 février 1795 selon la proposition de Boissy d’Anglas, tout en interdisant les processions, les sonneries de cloches et les habits ecclésiastiques.

Si la Terreur comme système politique était achevée, son système économique subsistait. Ce n'est qu’à la fin du mois de décembre 1794 que la Convention se résigna à supprimer la loi sur le maximum, inefficace face au marché noir. Du coup la valeur de l’assignat chuta brutalement. Le terrorisme, la lutte contre la religion, la pénurie organisée s'effondraient par pans.

Il restait que les paysans étaient les grands bénéficiaires économiques de la vente des biens nationaux et de l’affranchissement des droits seigneuriaux, mais que le principal appui du pouvoir était constitué par la masse des soldats de la Révolution qui considéraient comme un acquis de la Terreur d’être parvenus en quelques mois à des grades inespérés sous l'Ancien Régime. Mais nostalgiquement, le peuple rêvait du bon vieux temps de la royauté comme les résultats des élections l’ont montré de manière éclatante.

Du fait d'un pouvoir très centralisé, les Conventionnels régicides gouvernaient contre le peuple. Car, parmi les 387 conventionnels qui avaient voté la mort de Louis XVI en janvier 1793, il en restait environ trois cents qui étaient unis pour sauver leur peau. En 1795, ces trois cents devaient se garder à gauche et à droite, à gauche contre les Jacobins « non nantis » et à droite contre les soutiens de Louis XVIII qui les menaçaient de l'échafaud en cas de Restauration.

Ils craignaient enfin les revendications d’un peuple affamé qui, comme le note Mallet en décembre 1794 « est devenu indifférent à la République comme à la Royauté, et ne tient qu'aux avantages locaux et civils de la Révolution ».

 

Les Conventionnels régicides allaient montrer qu’ils s’accrochaient becs et ongles au pouvoir, mais que la situation ne serait pas tenable très longtemps.

 

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LA FIN INOPINÉE DE LA TERREUR

11 Janvier 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LA FIN INOPINÉE DE LA TERREUR

Le 26 décembre dernier, j’ai décrit l’arrestation de Robespierre sous le titre « La fin de l'aventure de Robespierre ». Le voici en route vers son exécution.

 

Maximilien Robespierre, blessé à la mâchoire, fut installé dans un fauteuil de cuir rouge. Sa mâchoire inférieure étant détachée, on passa une bande sous son menton qui fut nouée sur sa tête. Vers six heures et demie du matin, on le conduisit au Comité de sûreté générale où on l’étendit sur une table (on le voit représenté ainsi dans le tableau qui illustre le billet précédent). Blessés ou pas, les vingt-deux accusés, dont Robespierre, furent ensuite conduits à la Conciergerie pour que leur identité soit constatée, avant qu’ils ne soient jugés et condamnés sans possibilité de se défendre, puisqu'ils avaient été mis hors-la-loi par la Convention. Ce fut le célèbre Fouquier-Tinville* qui fut chargé de la mise en scène macabre qui consistait à condamner ceux qui étaient ses maitres quelques heures auparavant.

Le 28 juillet 1794, à 16 heures 30, les charrettes qui transportaient les condamnés, dont Robespierre, sortirent de la cour du Tribunal et débouchèrent sur les quais. Elles traversèrent Paris aux cris de « Foutu le maximum » : c’était le blocage des salaires que dénonçaient les ouvriers parisiens, qui n’étaient en revanche guère reconnaissants à Robespierre du blocage des prix.

Ils gagnèrent le lieu de l'exécution, place de la Révolution, l'actuelle place de la Concorde, où les charrettes les transportant arrivèrent à 18h15.Prenant place sur la liste de la longue cohorte des soixante-deux mille suppliciés des neuf derniers mois, Maximilien de Robespierre fut ce jour-là le dixième exécuté sur vingt-deux. Un des aides du bourreau arracha sans ménagement les linges qui soutenaient sa mâchoire, puis il fut placé sur la bascule et le couperet tomba. Sa tête fut montrée aux assistants qui, bon public, applaudirent !

Les vingt-deux têtes furent placées dans un coffre en bois et les corps furent rassemblés sur une charrette qui se dirigea vers le cimetière des Errancis**. On jeta les têtes et les troncs dans une fosse commune et on répandit de la chaux vive pour que le corps de Maximilien Robespierre ne laisse aucune trace.

Le lendemain, soixante et onze autres Jacobins furent exécutés et le surlendemain douze autres encore passèrent à l'échafaud. Des rafles furent ensuite opérées parmi les membres du Conseil général de la Commune, conduisant à d’autres exécutions.

Paradoxalement, alors que Robespierre était tombé pour s’être attaqué à la gauche du Comité de Salut Public, il incarnait tellement la Terreur que sa mort y mis fin, sans que les membres de la Convention l’aient vraiment décidé. Cela commença le matin du 28 juillet 1794, lorsque les députés de la Convention, surpris, furent accueillis par des acclamations à leur sortie des Tuileries.

En quelques semaines, la chute de Robespierre provoqua le démantèlement du gouvernement révolutionnaire, emporté par la réaction thermidorienne : les comités furent renouvelés, les comités de salut public et de sûreté générale virent leurs compétences limitées aux domaines de la guerre, de la diplomatie et de la police, la loi de Prairial qui privait les accusés du droit de défense et de recours fut supprimée, les comités de surveillance révolutionnaire furent en pratique fermés aux sans-culottes. 

 

Les bourreaux d'hier étaient devenus les libérateurs d’aujourd’hui !

 

*Antoine Fouquier-Tinville sera pour sa part guillotiné neuf mois plus tard, le 7 mai 1795. Il avait acheté la charge de Procureur du Roi en 1774 qu’il avait revendu en 1783, croulant sous les dettes spéculatives. À l’amorce de la période de la Terreur, il devint, grâce au « piston » de son cousin Camille Desmoulins, directeur d'un jury d'accusation du tribunal extraordinaire, créé en août 1792 pour juger les partisans du roi.

Puis, le 10 mars 1793, il fut nommé accusateur public du Tribunal Révolutionnaire créé par la Convention. Il fut notamment chargé de mettre en accusation nombre de femmes comme Charlotte Corday, Marie-Antoinette, madame du Barry, la sœur de Louis XVI, Élisabeth, les Carmélites de Compiègne mais aussi des milliers de Girondins, d’Hébertistes et de Dantonistes. 

Au lendemain du 10 thermidor, ayant accompli sa tâche, il fut renouvelé dans ses fonctions, avant de subir un décret d’arrestation trois jours plus tard, étant accusé de nombreuses irrégularités qui consistaient à avoir fait exécuter des personnes qui n'avaient été ni jugées ni condamnées.

Il se défendît en se présentant classiquement comme un exécutant, mais on jugea sans doute que le nombre énorme de personnes qu'il avait fait guillotiner faisait désordre, qu’il fallait un coupable et que l’accusateur public l’était, assurément.

 

** Le cimetière des Errancis était situé dans le 8e arrondissement actuel. Il tire son nom d'un lieu-dit, qui signifiait en ancien français « les estropiés » parce que s'y trouvait auparavant une Cour des Miracles où les malheureux y simulaient des infirmités de toute espèce pour exciter la pitié des passants qui en retour les appelaient des errancis, des estropiés.

 

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LA FIN DE L'AVENTURE DE ROBESPIERRE

26 Décembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

ROBESPIERRE, BLÈSSÈ ET ARRÈTÉ

ROBESPIERRE, BLÈSSÈ ET ARRÈTÉ

LA FIN DE L’AVENTURE DE ROBESPIERRE

 

Nous avons quitté le 24 novembre dernier (Robespierre perd la main), les évènements du 9 thermidor (27 juillet) 1794, alors que Louis Louchet, député de l’Aveyron, avait eu le premier le courage de demander un décret d’arrestation contre Robespierre…

 

C'est alors que Maximilien et Couthon essaient de se faire entendre, mais leurs voix sont couvertes par les clameurs.

Le président de séance met aussitôt aux voix la motion de Louchet, qui est déclarée adoptée à l’unanimité, tandis que toute l’Assemblée, debout, crie « Vive la République ! ».

Fréron monte alors à la tribune pour accuser Robespierre, Saint Just et Couthon de vouloir former « un triumvirat dictatorial ». À Fréron succède Barère qui propose d’adopter un décret provenant du Comité de Salut Public qui demande l’arrestation des deux frères Robespierre, de Saint-Just, de Couthon, de Le Bas mais aussi de Dumas, Hanriot, Boulanger, Lavalette, Dufresse, Daubigny et Sijas. Le décret est aussitôt voté, mis à exécution et les députés arrêtés sont conduits au Comité de Sûreté Générale vers 16 heures.

La réaction de la Commune de Paris ne tarde pas, avec la convocation immédiate de son Conseil Général à l’Hôtel de Ville où se rejoignent quatre-vingts personnes qui seront presque toutes guillotinées par la suite.

Ce Conseil Général de la Commune de Paris vote une « motion d’insurrection » tout en faisant sonner le tocsin pour appeler les patriotes aux armes. De son côté, le général de la Garde Nationale, Hanriot, court aux Tuileries avec ses aides de camp pour délivrer les prisonniers, mais ils sont arrêtés par les gendarmes qui les transfèrent vers 19 heures dans des prisons séparées, pour plus de sureté.

Robespierre qui a été conduit à la mairie de Paris, quai des Orfèvres, est libéré par les insurgés de la Commune, si bien qu’au coucher du soleil, le rapport des forces est en sa faveur, car les troupes à la disposition de la Commune s'avérent supérieures en nombre à celles de la Convention.

Vers 21 heures, une forte colonne de canonniers et de gendarmes à cheval, commandée par Jean-Baptiste Coffinhal*, le vice-président du Tribunal Révolutionnaire, délivre Hanriot, toujours retenu au Comité de Sûreté Générale.

Dans ces circonstances, Robespierre hésite. Dans un premier temps, il se refuse à diriger le soulèvement, par crainte d’être mis hors la loi par la Convention jusqu'à ce qu'il apprenne que c'est déja le cas sur proposition de Barère et qu'il se décide à agir, vers 23 heures.

Il se rend à la Commune, rejoint par Le Bas et Saint-Just qui ont également été libérés, pour soutenir la décision du Comité d’Exécution de la Commune qui donne l’ordre d’arrêter les députés Collot, Amar, Bourdon, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancé, Vadier, Dubarran, Fouché, Granet et Bayle. Barère est curieusement oublié, alors qu’il est un acteur important de cette journée cruciale du 27 juillet 1794.     

La décision du Comité d’Exécution se révèle trop tardive, car c’était compter sans l’activité de Barras. Ce dernier a été chargé du commandement militaire de la Convention, dont il a renforcé les troupes par quelques sections bourgeoises, tandis que l’insurrection piétine du fait du mécontentement bougon de la masse des sans-culottes qui n’ont toujours pas digéré la décision de bloquer les salaires dans le cadre de la loi du maximum général. Comme quoi une loi économico-fiscale peut se révéler à l'usage fatale au pouvoir !

C’est ainsi que, pendant les délibérations des Jacobins, deux à trois mille sans culottes, renforcés d’une trentaine de canons, demeurent l’arme au pied place de Grève**. Sans ordres clairs, inactifs et hargneux, les sans culottes se dispersent progressivement dans la nuit, d’autant plus qu’il s’est mis à pleuvoir.

Aussi, lorsqu’à deux heures du matin, deux colonnes de la Convention, l'une conduite par Barras venant par les quais, et l'autre menée par l’adjoint de Barras, Bourdon, venant de la rue Saint-Martin, arrivent sur la place de Grève, ils la trouvent quasiment désertée.

Il ne leur reste plus qu'à pénétrer dans l’Hôtel de Ville, qui est sérieusement gardé. Mais les hommes de Bourdon sont aidés par un aide de camp d'Hanriot qui leur souffle le mot de passe. Aussi peuvent-ils entrer sans coup férir dans l’Hôtel de Ville, où ils rencontrent Le Bas qui se suicide d’une balle dans la tête dès qu’ils les voient, Augustin Robespierre qui se jette par la fenêtre sans autre dégât qu’une jambe cassée, Couthon, infirme, tombe (ou est poussé ?) dans l’escalier sans toutefois se blesser trop sérieusement et enfin Maximilien Robespierre qui reçoit une balle dans la mâchoire, sans que l’on sache encore aujourd’hui si c’est lui qui s’est tiré une balle de pistolet dans la bouche ou si c’est le gendarme Merda (oui, Merda) qui lui a tiré dessus.

Seul Saint-Just est fait prisonnier sans avoir été blessé.

Tous savent que c’est la fin…

*Cela ne lui portera pas bonheur. Recherché par la troupe de la Convention, il s’enfuit de l’Hôtel de Ville, se cache mais est dénoncé par l’un de ses débiteurs, arrêté, condamné et exécuté le 5 aout 1794. Juge, Confinhac, avant de condamner à mort Antoine Lavoisier, lui avait lancé « la République n’a pas besoin de chimistes ! ». Une rue porte tout de même son nom à Aurillac.

**Depuis 1803, Place de l'Hôtel de Ville.

 

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ROBESPIERRE PERD LA MAIN

24 Novembre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

ROBESPIERRE PERD LA MAIN

Peu ou prou, chacun des Conventionnels présents s’était senti visé par les imprécations de Robespierre.

 

La réponse de Cambon et le silence de Robespierre, empêché de parler par Thuriot qui présidait ce jour-là la Convention, firent que d’autres Conventionnels prirent assez de courage pour se ruer à la tribune, comme Billaud-Varenne qui hurla : « Il faut arracher le masque ! J'aime mieux que mon cadavre serve de trône à un ambitieux que de devenir par mon silence complice de ses forfaits ! ».

Il fut suivi par Panis qui se fit un devoir d’avertir la Convention qu'une liste de proscrits avait déjà été dressée, puis par Challier qui somma Robespierre de se dévoiler : « Quand on se vante d'avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la vérité. Nommez ceux que vous accusez ! » Le silence de Robespierre entraina sa désapprobation par la Convention. Il quitta derechef la séance pour se rendre au Club des Jacobins où il se fit acclamer en dénonçant la gauche du Comité de Salut Public, mais Collot d’Herbois et Billaud-Varenne partirent de leur côté aux Tuileries pour avertir le Comité de Salut Public, hostile en majorité à Robespierre, de la fronde de la Convention. 

À la fin de la séance de la Convention, le 26 juillet 1794, Robespierre avait été ouvertement soutenu par un seul député, Georges  Couthon*, avec qui il se rend au club des Jacobins. C’est encore Couthon qui demande l’exclusion du Club des Jacobins de tous les conventionnels qui ont voté dans l’après-midi contre le discours de Robespierre à la Convention. Une trentaine de députés montagnards présents sont ainsi exclus du Club sous les coups et les cris de « À la guillotine ! ».

Robespierre n’a pas encore perdu la partie. Il a pour lui la majorité des Jacobins, l’état-major de la Garde nationale dirigée par Hanriot et la Commune. Il espère bien pouvoir ressaisir la majorité parlementaire à la Convention le lendemain, avant de régler ses comptes avec ses ennemis.

Mais, dans la même nuit du 26 au 27 juillet, ses ennemis se sont réunis dans la salle des délibérations du Comité de Salut Public ou s’est installé Saint-Just, proche de Robespierre, qui prépare un discours qu’il doit prononcer le lendemain devant la Convention.

Les hommes qui sont assis à côté de lui, Billaud et Collot, se demandent s’il n’est pas en train, sous ses airs studieux, de préparer benoîtement leur acte d’accusation.

De son côté, Barère, craint une insurrection de la Commune en faveur de Robespierre. Pour la prévenir, il fait convoquer le maire de Paris, Lescot-Fleuriot, qu’il retient pendant quatre heures afin de désorganiser les préparatifs d’une éventuelle insurrection.

Au lever du jour, Saint-Just quitte le Comité de Salut Public en rassurant ses collègues à qui il promet de revenir leur lire son discours vers 10 heures du matin avant de le prononcer. Ses collègues l’attendront en vain jusqu’à midi, heure à laquelle Saint-Just leur fait parvenir un billet pour les prévenir qu’il lira son discours directement à la Convention. Il ne sait pas que ce billet le condamne à mort, car, dès qu’ils sont prévenus, ses collègues, furieux et inquiets, se précipitent à la Convention dont la séance a commencé à onze heures.

Mais le Comité de Salut Public, la Convention et à fortiori le Club des Jacobins ignorent qu’une conspiration s’est nouée dans la nuit, qui leur ôte les cartes des mains.

Le discours de Robespierre a indirectement dénoncé et donc menacé Barras, Fouché, Tallien, Lebon et Carrier. Ces hommes se sont précipités auprès des chefs de la Plaine, Boissy d’Anglas, Durand-Maillane et Palasne-Champeaux, en leur promettant la fin de la Terreur en échange de leur soutien. Ces derniers sont inquiets des risques qu’implique une conspiration contre Robespierre, mais ils finissent par s’y rallier, rassurés par la participation de Carnot et Barère au complot.

Pour contrer la puissance manœuvrière de Robespierre à la Convention, ils mettent au point une tactique qui va se révéler payante : l’empêcher de prendre la parole en couvrant ses déclarations par des hurlements.

À onze heures, le 27 juillet 1794 (9 thermidor an II), la séance est ouverte par le Président Collot d’Herbois. Les tribunes, prévues pour neuf cents personnes, sont pleines à craquer depuis cinq heures du matin. Le match sanglant peut commencer.

Saint-Just, vingt-sept ans, très élégant dans son habit chamois et son gilet blanc, monte à la tribune. Il entame à peine son discours que Tallien, qui a compris qu’il va se prononcer en faveur de Robespierre, l’interrompt, l’accusant de parler en son nom personnel et non en celui du Comité de Salut Public. À ce moment précis arrivent, essoufflés, les membres du dit Comité, dont Billaud-Varenne qui  escalade la tribune et accuse Saint-Just de ne pas avoir respecté son engagement de soumettre son discours aux membres du Comité de Salut Public.

Comme Saint-Just ne répond pas, Billaud-Varenne s’attaque à Robespierre et lorsque celui-ci veut répondre, les conjurés, comme convenu, crient « À bas le tyran ! » pour couvrir sa voix, tandis que Saint-Just, qui n'a pas quitté la tribune, se contente de regarder.

Billaud-Varenne, dans le vacarme et la confusion, en rajoute en demandant l’arrestation d’Hanriot, de son état-major et aussi celle de Dumas, le président du Tribunal révolutionnaire, provoquant la réaction de Robespierre qui monte à la tribune mais qui ne peut toujours pas s’exprimer, sa voix étant couverte par la clameur des « À bas le tyran ! » qui fusent de l’assemblée et des tribunes.

Le président Collot d’Herbois donne alors la parole à Barère qui fait voter un décret ôtant à Hanriot le commandement de la garde nationale.

Vadier et Tallien lui succèdent, auxquels Robespierre tente de répondre, mais dès qu’il ouvre la bouche les cris couvrent sa voix. On l’entendra néanmoins prononcer cette adresse à Thuriot : « Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole » à laquelle Thuriot, qui a remplacé Collot d’Herbois à la présidence, répond platement qu’il n’aura la parole qu’à son tour.

 

Dans ce tohu-bohu, c’est un député de l’Aveyron, Louis Louchet**, montagnard et ami de Danton que Robespierre avait fait guillotiner le 5 avril précèdent, qui ose demander un décret d’arrestation contre Robespierre...

 

* Georges Couthon sera logiquement guillotiné avec Robespierre et Saint-Just, le 28 juillet 1794, le surlendemain des faits relatés ici.

** Louis Louchet a continué sa carrière sous le Directoire et l’Empire comme Receveur des Impôts dans le département de la Somme…

 

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ROBESPIERRE VACILLE

6 Octobre 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

PIERRE-JOSEPH CAMBON (1756-1820)

PIERRE-JOSEPH CAMBON (1756-1820)

Dans mon billet du 18 août dernier, je notais que la famine menaçait le pouvoir de la Montagne.

 

Oui, la Montagne était menacée d’être débordée sur sa gauche, un temps par les « enragés » puis par les Hébertistes qui s’emparèrent à leur tour de la question des subsistances.

Les Hébertistes étaient dangereux car ils étaient soutenus par la Commune, ils étaient très populaires auprès des sans-culottes et ils disposaient de deux appuis au Comité de Salut Public, avec Billaud-Varenne et Collot d’Herbois. Il s’y ajoutait que le club des Cordeliers leur était acquis et qu’ils pouvaient compter sur l'armée révolutionnaire.

Hébert réclamait non seulement la mort pour les accapareurs, mais exigeait la déchristianisation forcée du pays, provoquant l’inquiétude de la Convention qui craignait de susciter une opposition radicale de la part des catholiques.

Aussi, lorsqu’en mars 1794, Hébert tenta de prendre la direction de l'agitation contre le coût des subsistances, la Convention le fit exécuter, lui et ses lieutenants, sans provoquer, à son grand soulagement, de réactions dans les faubourgs.

La Convention avait aussi des opposants de droite, « Les Indulgents » qui estimaient que le processus de la Terreur allait trop loin. Elle les fit également exécuter, dont Camille Desmoulins et Danton, guillotinés le 5 avril 1794.

À cette étape de la Terreur, Robespierre dominait le Comité de salut public. Il fit remplacer tous les tribunaux révolutionnaires de province par le seul Tribunal Révolutionnaire de Paris, afin d’accélérer le rythme des supplices :

  • le 18 avril 1794, dix-sept hommes et femmes accusés d'affamer le peuple sont exécutés, 
  • le 20 avril 1794, vingt-quatre parlementaires passent à la guillotine, 
  • le 22 avril, c'est au tour de Malesherbes, Le Chapelier et Thouret,
  • le 8 mai, les vingt-sept fermiers généraux, dont Lavoisier, sont exécutés, puis deux jours après, Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.

Pour Robespierre, cela n’allait pas assez vite. La loi du 22 prairial an II ( 10 juin 1794) s’efforça d’y remédier, inaugurant la période dite de la « Grande Terreur » : la loi déclarait que « le Tribunal Révolutionnaire de Paris a en charge de punir les ennemis du peuple dans les délais les plus courts, que la peine portée contre tous les délits dépendant dudit tribunal est la mort, que, s'il existe des preuves soit matérielles soit morales, il ne sera pas entendu de témoins, que la loi donne pour défenseur aux patriotes calomniés des jurés patriotes ; elle n'en accorde point aux conspirateurs. »

On vit alors des prisons entières vidées et conduites à l'échafaud, avec toutes sortes d’erreurs. on vit apparaitre une sorte de trou noir qui aspirait tous les acteurs de la Terreur vers la guillotine, se rapprochant toujours plus du centre du pouvoir.

Au cœur du système, l’Incorruptible concoctait une nouvelle « épuration », cette fois-ci à sa gauche, tandis que ses collègues le soupçonnaient de vouloir accéder à la dictature depuis la cérémonie de l’Être Suprême.

Pour préparer ce nouveau coup de filet, Robespierre ne parut plus au Comité de Salut Public à partir du 29 juin 1794, tout en continuant à fréquenter régulièrement le Club des Jacobins dont il faisait exclure ses ennemis. Ceux qui se sentaient menacés par Robespierre se rapprochèrent et s'unirent pour faire face à l'épreuve de force, et c'est alors qu'il se décida à passer à l’attaque le 26 juillet 1794, en montant à la tribune de la Convention. 

Désorientant les députés, il appela à épurer sans plus attendre les deux Comités, le Comité de Salut Public et le Comité de Sûreté Générale. Pour s’assurer du soutien de la droite, Robespierre n'omit pas de signaler au cours de sa harangue qu'il avait sauvé soixante-quinze Girondins, avant de s’attaquer à la gauche de l'hémicycle en la stigmatisant pour son système financier suspect, son exécrable conduite de la guerre et le mauvais usage qu’elle faisait de la Terreur.

Il déclara notamment : « La contre-révolution est dans l'administration des finances... Quels sont les administrateurs suprêmes de nos finances ? Des Brissotins, des Feuillants, des aristocrates et des fripons connus : ce sont les Cambon, les Mallarmé, les Ramel. »

Stupéfaite, l'Assemblée commenca par approuver Robespierre, sauf qu'il venait de mettre en cause nommément Pierre Joseph Cambon. Ce dernier n’était pas un député anonyme : négociant en toiles à Montpellier et député de l’Hérault, il faisait partie du Comité de Salut Public depuis avril 1793. Sa réputation d’expert financier lui avait valu de devenir Président du Comité des Finances. Il avait présidé plusieurs fois la Convention. C’est lui qui avait fait voter le Décret sur l’administration révolutionnaire française des pays conquis, à propos duquel il a écrit au Général Dumouriez chargé d’administrer la Belgique conquise : « Quand on aura ruiné les Belges*, quand on les aura mis au même point de détresse que les Français, alors on les admettra comme membres de la République ».

Ce n’était donc pas un tendre ! C’est lui aussi qui avait fait approuver la loi sur la confiscation des biens du clergé et qui avait créé le 24 août 1793 le  Grand-Livre de la Dette publique par lequel  la Convention reconnaissait les dettes de l’Ancien Régime, afin de se rallier les rentiers à la Révolution,

Mais juste après que Robespierre l'eut désigné à la vindicte publique, sa peau ne valait plus très cher et c’est pourquoi il eut le courage de monter à la tribune pour contrer Robespierre à qui il déclara dans un silence de mort : « Avant d'être déshonoré, je parlerai à la France, un seul homme paralyse la volonté de la Convention : Cet homme c'est Robespierre ! ».

* L’ironie de l’histoire voulut que Pierre Joseph Cambon fût contraint de s’exiler sous la Restauration chez les Belges, ceux la même qu’il voulait affamer: il est mort à Bruxelles le 15 février 1820…

 

 

À SUIVRE

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