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Le blog d'André Boyer

Out of Mobil

27 Février 2012 Publié dans #INTERLUDE

Au printemps 1972, je suis de moins en moins convaincu de ma mission à la Mobil Oil. En vous reportant à mon blog du 16 novembre 2011, intitulé « En passant par la Mobil Bourguignonne », vous verrez comment un repas pantagruélique à Châtillon-sur-Seine a fortement contribué à me faire douter de l’intérêt de travailler à la Mobil.

 

mobil_sign.jpgJe me sentais, en ce printemps 1972, de moins en moins en harmonie avec la logique de la Mobil. Je voyais bien comment se dessinait mon avenir, des réunions, des visites de clients, des offres de prix, des repas, un salaire correct, un plan de carrière qui pourrait me mener à des fonctions de direction. Rien de tout cela ne me faisait pas rêver. C’était une histoire banale, celle de la question d’accepter ou non de laisser les choses de la vie nous étouffer, moi et les miens. J’étais pris dans un piège conformiste dont je ne pouvais m’évader qu’en prenant des risques et en refusant d’écouter les bonnes âmes qui, dans ces circonstances, recommandent toujours la capitulation.

L’envie de tout envoyer promener, je l’avais ressentie presque dés le début, au bout de trois semaines. Je m’étais raisonné, mais maintenant, au bout de trois trimestres, je sentais qu’elle ne me quitterait plus. Pourtant, j’étais plutôt bien vu à la Mobil et mes charges de famille me poussaient évidemment à la prudence. Je m’en ouvrais à celui qui m’avait fait entrer dans l’entreprise, un ami très cher. Il me répondit, désolé de mes impressions négatives, en m’incitant bien sûr à la prudence et au statu quo. Lui, il s’y sentait bien depuis trois décennies.

Le statu quo était précisément le contraire de ce que je souhaitais. Les images du paradis perdu marocain ne s’étaient pas encore effacées, d’ailleurs elles ne se sont toujours pas  effacées. Je ne pouvais pas faire de retour dans le passé, mais je pouvais du moins retrouver mon nid, la Côte d’Azur, où ma femme et moi avions accompli nos études et d’où j’étais originaire.

C’est dans cet esprit que je repris contact au printemps 1972 avec le Professeur Jean-Claude Dischamps qui avait été mon Directeur de l’IAE lorsque j’y étais étudiant et qui était devenu depuis Président de l’Université de Nice. Je lui demandais s’il existait une possibilité de trouver un emploi d’assistant et après un temps assez court, il m’apportait une réponse positive. J’avais donc la quasi garantie de retrouver prés de chez moi un emploi fort différent certes, mais où j’avais des possibilités de logement plus faciles, susceptibles de compenser, au moins en partie, un salaire bien inférieur à celui que m’offrait actuellement la Mobil. Mon épouse de son côté, réduite à l’inaction du fait de mes affectations successives à Paris et à Dijon et de la charge d’un fils encore très jeune, envisageait de reprendre ses études. Nice et son université s’y prêtaient bien.

Il ne me restait plus qu’à sauter le pas. Les mois de juillet et d’août 1972 furent consacrés à mûrir ce choix qui consistait à abandonner le privé pour revenir au public et à passer d’un statut de cadre à celui d’un enseignant universitaire, contractuel et débutant. À posteriori, il n’y avait guère de suspense, mais sur le coup il était difficile d’être à la fois immergé dans l’activité quotidienne de la Mobil en faisant comme si c’était pour l’éternité, tout en me projetant vers une démission imminente.

J’avais une date limite à respecter, le 31 août 1972. C’était en effet le dernier jour où je pouvais me prévaloir  d’un préavis d’un mois pour démissionner. Le lendemain, le préavis passait à trois mois. Fin août, je me décidais à adresser une lettre de démission qui m’avait demandé des dizaines de rédactions successives et qui m’est pourtant apparue plus tard ridiculement grandiloquente (1).

La réaction de la Mobil à ce courrier fut spectaculaire : je fus considéré instantanément comme un pestiféré. Il me restait un mois de préavis jusqu’au 30 septembre 1972, mais il n’a jamais été question que je les accomplisse, comme c’est souvent le cas dans des situations analogues : en une dizaine de jours, je quittai effectivement la Mobil. Mon supérieur direct me rencontra dans le salon d’un hôtel anonyme où il me remit en échange des documents « Mobil » en ma possession un chèque qui soldait le reliquat de mon salaire et de mes congés. Nous échangeâmes quelques paroles assez cordiales et ce fut tout. C’est dans ces circonstances que l’on mesure le caractère superficiel des relations nouées entre collègues, qui s’effacent instantanément lorsque vous quittez le monde de l’entreprise tandis que vous devenez tout d’un coup un galeux qui a osé démissionner, alors qu’eux ne le veulent pas ou ne le peuvent pas.

 

Cela se passait vers le 10 septembre 1972. Une fois ces formalités accomplies, ma femme, mon fils et moi partîmes chez des amis à Göteborg, en Suède, afin d’occuper agréablement mes trois semaines de chômage. Ce fut une riche idée, qui allait m’inspirer, comme par "hasard", le plus créatif de tous mes projets…

 

(1) J’en ai une copie mais pour le moment, je ne l’ai pas encore retrouvée dans mes archives. 

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Les hommes et les bêtes

22 Février 2012 Publié dans #PHILOSOPHIE

Au moment où l’on apprend que, pour des raisons économico-religieuses, on abat une partie des animaux de boucherie en leur coupant la carotide et les jugulaires afin qu'ils se vident de leur sang la tête tournée vers La Mecque, tout en étant vivants, il est bon de se tourner vers le philosophe Arthur Schopenhauer (1788-1860).

schopenhauerSchopenhauer[1] s’indigne en effet de la position de philosophes comme Kant, qui considèrent que les animaux sont assimilables à des choses.  Pour Kant en effet, l’homme se situe « infiniment au-dessus de tous les autres êtres vivants sur la Terre. Par là, il est une personne, un être entièrement différent par le rang et la dignité de choses comme le sont les animaux sans raison, dont on peut disposer à sa guise… » (Anthropologie du point de vue pragmatique, I, 1)

Schopenhauer s’indigne d’une telle pensée et soutient au contraire que la « compassion sans bornes qui nous unit avec tous les êtres vivants, voilà le plus solide, le plus sûr garant de la moralité. » Quant à la condition animale, il ajoute : « On prétend que les bêtes n’ont pas de droit; on se persuade que notre conduite à leur égard ne relève pas de la morale et que l’on n'a aucun devoir envers les animaux. En philosophie, on fait reposer cette attitude sur une hypothèse admise, contre l'évidence même, d'une différence absolue entre l'homme et la bête…

« Contre ces déclarations intolérables, il suffit d'un remède: jetez un seul coup d'œil sur un animal, même le plus petit, le dernier, voyez l'égoïsme immense dont il est possédé : c'est assez pour vous convaincre que les bêtes ont bien conscience de leur moi, et l'opposent bien au monde, au non-moi…À ces sophismes des philosophes répondent les sophismes du peuple: quand il s'agit des animaux, le langage utilise des termes spéciaux pour le manger, le boire, la conception, l'enfantement, la mort afin de dissimuler, sous la diversité des termes, la parfaite identité des choses. En anglais par exemple, tous les noms d'animaux ont un genre neutre comme pour les objets inanimés »

Pourtant, s’indigne Schopenhauer : « Il faut vraiment être bouché pour méconnaître cette vérité que dans l'homme comme dans l’animal, l'essentiel est identique. Ce qui les distingue n’est pas le plus important, c’est-à-dire la volonté de l'individu, mais un élément secondaire qui se situe dans la capacité de connaître. Chez l'homme, cette capacité de connaître que l'on nomme Raison s'élève incomparablement plus haut que chez l’animal. Mais la supériorité de l’homme à cet égard ne tient qu'au développement plus ample de son cerveau. Pour le reste, l'homme et l'animal sont identiques. Faut-il donc rappeler aux gardiens de zoo comme aux adorateurs de la Raison que, si leur mère les a allaités, les chiens aussi ont eu une mère pour les nourrir ! »

Et notre philosophe de conclure : « Or, entre la pitié envers les bêtes et la bonté d'âme il y a un lien bien étroit: on peut dire sans hésiter que, quand un individu est méchant pour les bêtes, il ne saurait être homme de bien. »

Qu’ajouter de plus ? Schopenhauer s’inscrit  parfaitement dans la responsabilité de l’espèce humaine quant à la protection de la nature et partant, de celle des espèces animales.

 

Dans « Fondement de la morale », traduction d'Auguste Burdeau [1879], Le Livre de poche, 1991, p.96-98; 191 ; 194 sqq.

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Le prince Sisowath Monireth

18 Février 2012 Publié dans #HISTOIRE

Les réactions désolées qu’a suscitées mon blog, relatant comment l’Ambassade de France à Phnom Penh avait livré les principaux dignitaires du Royaume du Cambodge qui s’étaient réfugiés dans ses locaux, m’encouragent à prolonger mon blog précèdent par une brève biographie consacrée au Prince Sisowath Monireth (1909-1975), en hommage à sa mémoire.

 

monireth.jpgOn se souvient que le 17 avril 1975, le prince Sisowath Monireth se présente devant l’Ambassade de France. Le portail ne s’ouvrant pas devant lui, il comprend qu’on lui en refuse l’asile ; il n’insiste pas et repart lourdement remettre sa destinée entre les mains de ses bourreaux. 

Qui était cet homme auquel les bureaucrates de l’Ambassade refusaient  l’asile ?

Ils ne connaissaient que lui, puisqu’il était le fils de Preah Bat Sisowath Monivong (1875-1941), roi du Cambodge de 1927 à sa mort. Lorsque le Cambodge fut occupé par les Japonais en 1941 et que la Thaïlande s'empara de ses provinces occidentales, le roi Sisowath Monivong se retira à Kampot où il mourut le 22 avril 1941. Son fils, Sisowath Monireth était l’héritier du trône, mais les autorités françaises lui préférèrent son petit-fils, neveu de Sisowath Monireth, Norodom Sihanouk âgé de 19 ans et estimé plus docile que son oncle par l’administration coloniale française. 

Sisowath Monireth a effectué, comme moi, ses études secondaires au Lycée Felix-Faure (l’actuel Lycée Masséna) à Nice, avant d’intégrer l’École spéciale militaire de Saint-Cyr. En 1934, il crée le premier mouvement scout cambodgien, « Angkar Khemarak Kayarith ». Début 1939, il entre dans la Légion Étrangère comme sous-lieutenant et participe aux combats de la seconde guerre mondiale en France, puis en Afrique du Nord, ce qui lui vaut d’être nommé Chevalier de la Légion d’Honneur. Écarté sous le protectorat français du Cambodge, il devient en 1945 Premier ministre, ministre de l’intérieur et de la défense nationale. Il crée alors, avec le soutien des autorités françaises, la première armée cambodgienne moderne composée des anciens bataillons coloniaux et l’école d’officiers du Cambodge. Lorsque le Cambodge devient indépendant en 1954, il en est le premier ambassadeur à Paris. Après avoir assumé de multiples responsabilités, il redevient inspecteur général de l’armée royale cambodgienne et conseiller militaire auprès de Norodoma Sihanouk jusqu’en 1970.

Lorsque Lon Nol chasse Sihanouk et prend le pouvoir, il est mis aux arrêts par le nouveau régime qui s’effondre le 17 avril 1975, alors que les khmers rouges investissent Phnom Penh. 

C’est à cet homme-là, qui avait consacré ses soixante-six années de vie au service du Cambodge et de la France, auquel notre Ambassade refusa l’asile.

 

« De mes souvenirs, surgit l’image d’un portail…Fait de deux battants qui hantent mes songes, d’un treillis de fer soudé sur un châssis tubulaire, il fermait l’entrée principale de l’ambassade de France quand les khmers rouges sont entrés dans Phnom Penh, en avril 1975. » (François Bizot, Le portail)

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L'ambassade de France les a livrés aux Khmers rouges

15 Février 2012 Publié dans #HISTOIRE

Douch, de son vrai nom Kaing Guek Eav, le directeur de la prison Tuol Sleng de Phnom Penh sous le régime des Khmers rouges, où quinze mille personnes ont été torturées et exécutées entre 1975 et 1979, a été récemment condamné dans la même ville à la prison à perpétuité par un tribunal parrainé par les Nations unies.

Côté français, on apprend, par le biais d’un procès en cours intenté par Billon Ung Boun Hor  qui accuse depuis des années les autorités françaises d’avoir livré son mari aux Khmers rouges et de lui avoir volé une mallette contenant la bagatelle de 300000$, que le comportement  des diplomates français de l’époque n’a pas été brillant au plan de la morale sinon franchement répréhensible au plan pénal.

Voici les faits, tels que nous les connaissons :

 

cambodge-khmers_3.jpgCela se passe sous la présidence de Giscard d’Estaing, Jacques Chirac étant Premier Ministre. En ce funeste mois d’avril 1975, le Cambodge plonge dans le chaos. De nombreux  ressortissants français et d'étrangers se ruent vers l'ambassade de France à Phnom Penh  pour y trouver refuge. Le consul, Jean Dyrac, n'est pas préparé à gérer pareille crise, alors que le chargé d'affaires a été prudemment retiré du Cambodge par le Quai d'Orsay qui demande au consul de prendre contact avec le nouveau pouvoir.

Le 20 avril 1975, il pleut sur Phnom Penh lorsque quelques personnalités cambodgiennes quittent les lieux. Le petit groupe qui sort (volontairement ?) de l’enceinte de l’Ambassade de France comprend le prince Sirik Matak et ses deux gardes du corps, la princesse Manivann, sa fille, son gendre et ses petits-enfants, le ministre de la Santé, Loeung Nal, et le président de l'Assemblée nationale, Ung Boun Hor. Ils avancent vers les grilles sous le contrôle du consul et de ses collaborateurs. Deux gendarmes en civil veillent à la bonne marche de l'opération. Le portail s'ouvre, les passagers montent à bord des véhicules. La mort les attend, ils le savent.

Que s’est-il passé depuis leur arrivée dans l’ambassade quatre jours auparavant ? Les télégrammes échangés entre l’Ambassade de France et le Ministère des Affaires Étrangères (MAE) nous apprennent que la présence des dignitaires cambodgiens était jugée indésirable par Paris. Si la question se pose de savoir si la France aurait pu les sauver, il reste que ses diplomates les ont livré aux Khmers rouges sans barguigner. Les éléments d’information qui suivent sont extraits du dossier judiciaire instruit au tribunal de Créteil. Ils ont été publié dans la presse (les termes en italiques sont ceux des télégrammes diplomatique. Lorsqu’ils sont en gras, c’est de mon fait. Mes commentaires sont entre parenthèses) :

Le 17 avril 1975, Jean Dyrac annonce au MAE  qu'Ung Boun Hor, président de l'Assemblée nationale, a « forcé l'entrée » de l'ambassade de France à 10 heures (la photo ci-dessus montre les gendarmes en civil en train de le ceinturer). « Il a excipé du droit d'asile pour la protection immédiate de sa vie, écrit le diplomate. Avec l'assistance des gardes de sécurité, j'ai tenté, mais en vain, de le refouler. Il est actuellement maintenu sous notre contrôle dans un de nos locaux. Par ailleurs, le prince Sirik Matak a cherché à me joindre par communication téléphonique pour obtenir également le droit d'asile. Je serais reconnaissant au département de bien vouloir me faire savoir d'extrême urgence la conduite à adopter à leur égard dans l'hypothèse où les nouvelles autorités demanderaient à ce que ces personnalités leur soient livrées. »

Le 17 avril à 12 h 50, Jean Dyrac au MAE : « Le prince Sirik Matak a réussi à pénétrer dans l'enceinte de notre ambassade en franchissant les grilles, avec deux de ses gardes du corps en tenue civile. »

Le ministre des Affaires étrangères, Jean Sauvagnargues a laissé carte blanche à Maurice Ulrich, qui dirigeait son cabinet, et à Claude Martin pour gérer cette crise.  Maurice Ulrich joue aujourd’hui les Ponce-Pilate : « la question de savoir que faire en cas d'ultimatum des Khmers rouges ne s'est pas posée, puisque les personnalités ont quitté d'elles-mêmes l'ambassade. À aucun moment l'ordre de les livrer n'a été donné. ». Claude Martin est un jeune diplomate de 31 ans, qui a fait par la suite une grande carrière diplomatique. Il sait qu’en envoyant le télégramme qui suit, il les condamne à mort au nom du peuple français (notez le « et » comme si une seule raison ne suffisait pas) :

Le 17 avril à 14 h 09, du Cabinet du MAE à Jean Dyrac: « Le fait que le droit d'asile ne soit pas reconnu en droit international et le caractère particulier de votre mission ne nous permettent pas de donner satisfaction aux demandes du prince Sirik Matak et de M. Ung Boun Hor, ou de toute autre personne qui se présenterait à l'ambassade dans les mêmes conditions. Vous ferez savoir aux intéressés que nous ne sommes pas en mesure d'assurer la protection qu'ils attendent. Il leur reste dès lors à apprécier s'il n'est pas de leur intérêt de chercher refuge en un autre lieu et de quitter en tout état de cause rapidement le territoire de notre établissement ». (En un autre lieu ???? Quelle abominable hypocrisie.)

Le 18 avril à 15 h 18, de Jean Dyrac aux Directeurs du Quai : le consul explique que l'entretien avec les représentants Khmers rouges a été « d'une cordialité réservée » (encore heureux qu’elle soit réservée!). Ces derniers ont exprimé leur « vive satisfaction » que le nouveau pouvoir soit reconnu par le gouvernement français (ben, voyons). Ils ont demandé à visiter l'ambassade. « Ce à quoi nous leur avons répondu par la promesse d'établir dans les trois jours la liste de toutes les personnes présentes. » (belle résistance, que peuvent-ils demander de plus ?) Le consul ajoute que « suite ultimatum de la délégation du comité de la ville, je me trouve dans l'obligation, afin d'assurer la sauvegarde de nos compatriotes, de faire figurer sur la liste des personnes présentes dans l'ambassade :

1) le prince Sirik Matak et deux de ses officiers ;

2) la princesse Mom Manivong d'origine laotienne (troisième épouse du prince Sihanouk), sa fille, son gendre et petits-enfants;

3) M. Ung Boun Hor, président de l'Assemblée nationale ;

4) M. Loeung Nal, ministre de la santé.

Sauf ordre exprès et immédiat du département m'enjoignant d'accorder l'asile politique, je devrai, dans un délai qui ne pourra excéder 24 heures, livrer le nom de ces personnalités. »

En réponse, Le cabinet décide explicitement de livrer les personnalités figurant sur la liste précédente, y compris les enfants.  

Le 18 avril à 18 h 10, le cabinet du ministre à Jean Dyrac : « Vous voudrez bien établir la liste nominative des ressortissants cambodgiens qui se trouvent dans les locaux de l'ambassade, afin d'être prêt à communiquer cette liste à l'expiration du délai qui vous est fixé. »

Le texte est signé par Geoffroy Chodron de Courcel, secrétaire général du Ministère des Affaires Étrangères. 

Le 20 avril à 11 h 55, de Jean Dyrac au MAE : « Après intervention de ma part, le comité de la ville a autorisé ce matin les ressortissants cambodgiens qui s'étaient réfugiés dans notre ambassade à en sortir librement, à l'exception des personnalités de l'ancien régime. Ces derniers feront partie d'un autre groupe. ». (En pratique le « comité de la ville » les a autorisé à se faire assassiner par leurs soins).

Le 20 avril à 13 h 26, de la Direction Politique Asie du MAE à Jean Dyrac : « Veuillez préciser conditions départ envisagées pour groupe personnalités ancien régime. »

Le 20 avril 1975 à 14 h 44, de Jean Dyrac au MAE : « Le prince Sirik Matak et les personnalités citées en référence se sont présentés de façon très digne cet après-midi à un comité non identifié (Funk ou ANL) venu les accueillir en Jeep devant les grilles de l'ambassade. »

Ce qui est établi, c’est que les Khmers rouges ne sont venu les « accueillir » que pour les conduire à la mort. Un petit détail révélateur réside dans le fait qu’ils ne sont pas montés dans des Jeeps mais à l'arrière d'un camion à ordures. 

Pour terminer cette triste histoire, il reste à évoquer le cas dramatique du prince Sisowath Monireth, saint-cyrien, ancien combattant de 1939, ex-légionnaire et chevalier de la Légion d'honneur. Il s’est présenté lui aussi devant l’ambassade le 17 avril 1975 pour demander l'asile, mais le portail est resté désespérément clos. Sous les regards des membres de l’Ambassade de France, il s’est détourné pour repartir à pas lents vers la mort…

 

Je tire un double enseignement de cette histoire:

1 Dans l’histoire récente, il n’y a pas que les harkis que les autorités françaises se sont crues autorisées à livrer à la torture et à la mort.

2 En cas de besoin, ne comptez jamais sur l’Ambassade de France pour vous aider. J’en ai fait l’expérience…

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Des héros grecs

11 Février 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

C’est entendu, les hommes passent leur vie à exploiter les hommes, les êtres humains à exploiter les autres espèces animales, les êtres vivants à se nourrir de la matière inanimée, c’est la condition humaine, c’est la vie, ce sont les lois de l’univers. La justice, la morale, l’éthique ne sont que des paravents ou des lots de consolation pour les faibles abusés par les forts.

heros-grec-copie-1.jpgSi vous n’êtes pas d’accord avec cet avant-propos, j’attends de votre part une intéressante explication à propos du cas grec. Le gouvernement grec vient d’accepter les conditions posées par le FMI, l’Union Européenne et la BCE pour que ces derniers condescendent à lui prêter de l’argent afin de rembourser les dettes que l’État grec a contractées.

J’écris « le gouvernement grec a accepté », ce serait plus réaliste d’écrire qu’il a cédé sous l’énorme pression qu’a exercée sur lui la « Troïka » au prix de la démission de quatre ministres et de violentes manifestations devant le Parlement.

La suite est connue, le temps que je publie ce texte, elle sera déjà en marche : au prix de quelques protestations, démissions et votes hostiles, le Parlement grec finira par approuver le principe des mesures exigées par les bailleurs de fond. Puis les crédits seront débloqués progressivement tandis que le Parlement votera les textes d’application qui ne seront que très imparfaitement administrés. Aussi ne donneront-ils que des résultats décevants pour les bailleurs de fond qui en feront peser la faute sur le mauvais état d’esprit du peuple grec, fainéant et tricheur. Entretemps, des élections auront eu lieu, la coalition actuelle aura été battue, un nouveau gouvernement grec amorcera des négociations avec les préteurs qui refuseront dans un premier temps de discuter, des manifestations de plus en plus violentes auront lieu à Athènes et dans toutes les villes grecques, le niveau de vie de la population grecque continuera à baisser, les jeunes fuiront le pays, les plus faibles se suicideront…

Mais le petit monde des financiers sera content. Un peu inquiet, parce qu’un financier tranquille est un financier mort, mais content en fin de compte. Bon, les Grecs ont du mal à rembourser, mais enfin ils parviennent quand même à payer une partie de leurs dettes, qui sont d’ailleurs composées en grande partie d’intérêts accumulés, avec des taux usuraires imposés par des créanciers « effrayés » par le risque grec. Mais surtout, puisque la digue grecque n’a pas cédé, les autres digues européennes et mondiales ne céderont pas, ni la digue portugaise ou irlandaise, ni la digue espagnole ou italienne, ni la digue française, ni la digue des pays en voie de développement. Les financiers continueront à recevoir les intérêts qu’ils ont eux-mêmes déterminé en fonction des risques dont le « marché », c’est-à-dire un arbitrage qu’ils opèrent entre eux, a évalué le prix.

Le temps sera alors celui de la rigueur pour les citoyens européens. Ils verront leurs revenus disponibles diminuer avec l’augmentation des impôts et la réduction des dépenses imposées pour rembourser les emprunts et en souscrire d’autres. À leurs protestations, on opposera l’exemple grec, puisqu’ils ont supporté et supportent bien pire. C’est ainsi que se maintiendra le transfert de revenus entre le monde de la finance et ceux qui produisent des services et des biens avec leur travail et leur argent.

Juste, injuste ? inégal en tout cas avec sa masse d’individus qui souffrent physiquement de leurs conditions de vie comparé au petit nombre de ceux qui jouissent du pouvoir financier. Le plus fort est que ces Grecs ne se rendent même pas compte qu’ils sont des héros pour les financiers du monde entier. Tant qu’ils négocient et réempruntent, c’est parfait, ils servent de bouclier à la finance internationale. Si jamais l’État grec s’avisait de se déclarer en cessation de paiement, ce serait une catastrophe pour cette dernière car cette décision entraînerait des décisions analogues chez d’autres débiteurs, ce qui obligerait les prêteurs à renégocier toutes les créances et à baisser les taux, sous peine de tout perdre. Le rapport de force changerait de camp.

 

Si j’ai une prière à adresser aux Grecs, pour leur bien et pour le nôtre qui sommes des emprunteurs comme eux, c’est de reprendre leur destin en main le plus vite possible en refusant de payer pour négocier ensuite. C’est le b.a.-ba de la négociation que de prendre un gage avant de marchander, non ?

 

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Distance hierarchique

7 Février 2012 Publié dans #ACTUALITÉ

Distance hiérarchique

Sans aucun recul, David Revault d'Allonnes, dans Le Monde daté du 1er février 2012, raconte avec déférence la mise en place d’un service de sécurité « renforcé » autour de François Hollande :

 

Hollandefarine.jpg« C'est ce qui s'appelle jouer de malchance. Le jour même où François Hollande, à la fin de son allocution au forum organisé par la Fondation Abbé Pierre, était enfariné par une femme, mercredi 1er février, une équipe renforcée de policiers entrait en fonction pour assurer la sécurité du candidat socialiste... mais n'était pas encore opérationnelle.

Un dispositif renforcé : deux équipes de sept fonctionnaires du Service de protection des hautes personnalités (SPHP), chacune dirigée par un capitaine et toutes deux pilotées par une "commandante fonctionnelle" (commandante ayant fonction de commissaire), la seule femme de l'équipe, assureront désormais, à tour de rôle, la protection de M. Hollande.

Alors que seuls deux fonctionnaires du SPHP étaient présents autour du candidat au Parc des Expositions de la Porte de Versailles, mercredi, l'ensemble de la nouvelle équipe se trouvait au siège de campagne, avenue de Ségur, pour un briefing sur la sécurité du candidat socialiste, en présence notamment du secrétaire général de la campagne, le préfet Nacer Meddah. Cette équipe élargie n'accompagnera le candidat du PS qu'à partir du jeudi 2 février. Elle sera notamment équipée d'une voiture suiveuse, de type monospace. Après des hésitations, en novembre, sur le profil des fonctionnaires de ce service d'élite initialement proposés par la Direction générale de la police nationale, c'est Daniel Vaillant, ancien ministre de l'Intérieur de Lionel Jospin, et son entourage qui se sont chargés de faire le tri pour sélectionner les gardes du corps de M. Hollande. Ceux-ci ont été "choisis pour leur professionnalisme et leur discrétion", indique un socialiste. Ainsi que pour leur non-appartenance à un syndicat proche de l'UMP.» Ce « choix » a été opéré avec l’accord de la DGPN, qui laisse ainsi le PS décider qui, au sein du service public, doit protéger celui qui n’est encore officiellement qu’un candidat. Connivence…

En symbiose avec Le Monde, le 2 février 2012, un journaliste du Figaro, Christophe Cornevin, ajoute, avec la même tonalité déférente, les précisions suivantes : «…Placés sous les ordres d'une femme commandant fonctionnel de police nommée «chef de groupe», quatorze policiers d'élite entourent donc le député de Corrèze, en deux équipes de sept hommes mobilisés en permanence. Outre le «conducteur», qui prend le volant de sa voiture, deux gardes du corps postés au «siège» se relaient à la place passager. Leur mission est claire: ne jamais quitter la «personnalité» d'une semelle, la prendre le matin à la sortie de son domicile et l'y ramener en fin de journée. Par ailleurs, une voiture «suiveuse» du SPHP, embarquant trois ou quatre hommes super entraînés, accompagne le convoi dans tous ses déplacements tandis que d'autres policiers sont déployés en «précurseurs» sur les différents points où doit se rendre François Hollande. Désormais, ces « précurseurs » prennent contact avec les autorités préfectorales pour évaluer l'état de la menace au niveau local et les dispositifs de maintien de l'ordre mise en place, précise-t-on au SPHP…Lors des meetings, François Hollande est protégé par la technique dite du «triangle», composée d'un ange gardien qui lui ouvre la marche et de deux autres qui surveillent ses côtés gauche et droite. Un quatrième bodyguard défend ses arrières avec une valise anti projectile en kevlar. À l’occasion des bains de foule, la protection des abords du candidat sera renforcée par la création d'un solide «carré tireur», sorte de bulle inviolable, assuré par trois ou quatre autres fonctionnaires à oreillette au contact discret du public. Habituellement, ce cas de figure est utilisé lors de visites de chefs d'Etat étrangers très exposés, comme les présidents américain ou russe. (sic)

«Quinze est le nombre de garde du corps protégeant le candidat censé arriver au second tour de la présidentielle, précise un spécialiste. En 2007, douze policiers étaient au départ aux côtés de Ségolène Royal et les service de sécurité avaient trouvé cela un peu juste» (re-sic).

Les commentaires des lecteurs de ces deux articles ont été nombreux et critiques, sur le thème de « qui paye ? » et sur celui de l’intronisation précipitée de François Hollande comme candidat de second tour, sans se donner la peine d’attendre que les électeurs se soient prononcés au premier tour.

Le mien sera un peu différent : ce qui me frappe, c’est ce que montrent l’énormité du dispositif de sécurité, les connivences des services de police et la déférence des journalistes, c’est-à-dire l’énorme distance, le gouffre, le précipice, que dis-je, les abysses, qui séparent les candidats officiels du peuple ordinaire, en France. Cela donne le vertige, si l’on y regarde de trop prés.  

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La rugueuse tendresse du Marsupilami

3 Février 2012 Publié dans #INTERLUDE

Le 31 janvier dernier, j’ai découvert que le Marsupilami avait 60 ans. L’occasion de vérifier que mon exemplaire personnel en latex avait toujours bon pied et bon œil.

 

marsupilami.com.nid.jpgC’est que le marsupilami est un animal peu commun qui vit dans la jungle amazonienne de la Palombie et qu’a brillamment réussi à observer la tenace  exploratrice Seccotine. Il mesure environ un mètre et possède un pelage jaune avec des points noirs. Sa queue préhensile mesure jusqu'à 8 mètres, encore que celle de la femelle soit plus courte que celle du mâle. Cette queue joue un grand rôle dans sa capacité de survie, car elle lui sert à se déplacer à grande vitesse et elle peut être aussi utilisée comme un ressort. Elle lui permet en particulier de se surélever au-dessus de la cime des arbres pour avoir une vue d'ensemble de son biotope.

Tout en étant un remarquable grimpeur arboricole, le marsupilami est également amphibie et il se sert dans ce cas de sa queue en godille pour avancer. Mais elle lui sert aussi bien d’instrument de jeu, de balançoire par exemple, que de moyen de séduction ou d’arme. Elle se transforme alors en poing surpuissant, à moins qu’elle ne lui serve à immobiliser ses prédateurs. Car le marsupilami tue peu, sauf les piranhas, les fourmis carnivores et les poux récoltés sur les tapirs qu'il immobilise avec sa queue.

On sait que les moyens d’expression vocaux du marsupilami sont malheureusement limités. Il se contente souvent de prononcer « Houba, houba » quand ce n’est pas « Houba, houba, hop ! ». Il dispose tout de même d’un mode interrogatif avec « Houba ? ». La fréquentation, sans doute excessive, des êtres humains a entrainé au cours du temps le marsupilami à faire part de ses sentiments en faisant suivre le cri « Houba ! » d'une onomatopée caractéristique.

Contrairement au male, la femelle marsupilami marche sur la pointe des pieds, à petits pas, un peu comme si elle portait des chaussures à talon. Son nombril est remarquable puisqu’il lui sert de moyen de transmission du savoir : lorsqu'un petit marsupilami décide de faire son nid, il colle son oreille contre le nombril de sa mère et l’on peut observer qu’il est ensuite capable de construire par lui-même un tissage végétal pour faire son nid. La femelle marsupilami utilise un cri plus doux que le mâle avec son « Houbi ! », qu’elle peut répéter à satiété. Lorsqu’elle est vraiment très contente, elle émet une sorte de babil, « Doudlidoudli… », parfois « Doubedouba… » ou plus rarement « Houlala ! ».

En revanche, le cri du petit marsupilami est en général  très faible avec un discret « Bi… », quoi qu’il arrive que ses pleurs deviennent  très puissants sous la forme d’un « BABABAÏ !!!! », qui résonne très loin dans la forêt alentour.

Les mœurs du marsupilami sont particulièrement fascinantes. La famille du marsupilami vit dans un nid fabriqué à partir de lianes selon la forme d'un mollusque bivalve, fixé par des nœuds. Ce nid est tapissé de plumes et de duvet d'ara et orné de fleurs odorantes. En cas de besoin, le nid peut se refermer instantanément. Le marsupilami est d’ailleurs doté d'un sens aigu de la famille. Celui qu’a observé Seccotine avait une compagne et trois enfants : Bubu, un petit marsupilami jaune à taches noires qui est très proche de sa maman avec qui il partage le goût de la décoration et des fleurs, Bobo, un petit marsupilami tout noir qui manifestement ne dort pas assez et Bibi, une petite marsupilamie toute jaune, très gourmande et bonne nageuse, à qui sa maman a transmis le goût de la toilette décorative. À leur naissance, les bébés marsupilami possèdent tous une queue pleine de nœuds que les parents marsupilami ont le devoir et le défi de démêler. Un symbole, sans doute…

Lorsqu’on le provoque, le marsupilami se montre volontiers vindicatif, ce qui le rend très dangereux. On voit alors son pelage se hérisser tout d’un coup et c’est le moment où jamais de prendre le large, s’il vous en laisse toutefois le temps. Fait remarquable, le marsupilami est au contraire un des rares animaux capable de rire, et qui ne s’en prive pas.

 

Finalement, c’est un animal aussi rare qu’attachant, d’ailleurs j’y suis toujours attaché et je partage bon nombre de ses valeurs, à défaut de ses aventures.

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