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Le blog d'André Boyer
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MACHIAVEL, LE MODERNE

3 Février 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

MACHIAVEL, LE MODERNE

MACHIAVEL, LE MODERNE

 

La Renaissance s'efforce de voir les choses telles qu'elles sont et non plus à travers l'illusion chrétienne. À partir de ce principe, Dieu ne créa plus les rois et Machiavel se résolut à écrire le Prince.

 

Il s'y résolut après une longue expérience des choses. Sur l'échiquier dont il parle et sur lequel il a joué de nombreuses parties, il n'y a pas de pièces vertueuses. En proie avec les tours, les cavaliers, les canons, les soldats et l'Assassin, le Roi ne peut pas se dégager en faisant appel à la clémence, la générosité ou la bonté de l'adversaire. Ces pièces morales n'existent dans aucun camp, car il s'agit de prendre possession d'un royaume qui n'est plus au ciel mais sur la terre ferme.

Pendant la Renaissance, on a découvert l'Amérique et la route des Indes par le Cap, et, de ce fait, les richesses ne sont plus fabuleuses. Auparavant, toutes les cailles que l'on avait manquées dans ce monde ci tombaient rôties dans l'autre. Maintenant, l'on sait qu'il faut s'occuper soi-même, le plus vite possible, de toutes les jouissances que l'on désire.

Plus de calendes grecques.

On est désormais entre êtres humains et rien d'autre.

Le monde est devenu petit.

Nous avons plusieurs façons de lire Machiavel. L'une d'elles consiste à chercher dans ses écrits un traité de politique. Mais, au fond, instruits par l'expérience et la masse d'information que nous recevons, nous en savons plus que Machiavel. Nous pouvons viser le même but que lui et plus vite que lui.

Simplement, nous avons moins de franchise, car, à vrai dire, c'est sa franchise qui nous étonne, pire encore, qui nous intimide.  

De nos jours, l'honnête homme parle volontiers des droits de l’homme. Il s'offusque lorsqu'ils ne sont pas respectés. Mais en réalité, ces droits nécessitent la contrainte pour ne pas être totalement bafoués.  Car, même sous la contrainte, la plupart du temps ces droits sont tournés, retournés, détournés. Déjà, dans les simples rapports de commerce, on a recours au contrat à chaque instant, on signe à qui mieux mieux, on multiplie les signes d'engagement, car on sait à quel point les engagements sont précaires.

Et que dire alors des contrats de travail, dont les procédures doivent être respectées à la lettre sous peine de nullité ? C'est que dans le domaine social, le contrat n'a jamais cessé d'être tourné, malgré toutes les protestations de bonne foi.

Il y a même certitude de mauvaise foi dès qu'il y a affirmation répétée de bonne foi.

Dans ce monde, un démenti confirme.

Sur ce point, Machiavel apporte une franchise d'acier. Dès que le contrat se discute, il déclare qu'il sera tourné et quand il est signé, il démontre que la signature ne vaut rien, qu'elle n'engage rien de réel, que l'on vient, tout simplement de perdre son temps. Il défend que l'on parle de bonne foi ; il a même la loyauté de proclamer, avant que les débats ne commencent, qu'ils seront essentiellement présidés par la mauvaise foi.

En cela, il ne s'occupe que de la stricte vérité et à ce titre il est le premier écrivain moderne.

Une autre façon de lire Machiavel est de l'accompagner dans son étude de l'homme, puisqu'il cherche à comprendre comment l'homme peut être gouverné par l'homme, Machiavel est logiquement amené à étudier l'homme et c’est sur ce chemin que nous pouvons aussi l’accompagner.

Pour qui subit la politique plutôt qu'il ne la fait, être berné est chose commune ; en revanche, ce qui importe est que nous croyons à un pouvoir sans limite de l'homme. Non seulement, nous croyons à une valeur de l'homme, mais à la valeur de l'homme. Nous dressons des plans pour une super-humanité, des plans orgueilleux. Nous sommes dans le paroxysme de l'ambition humaine.

L'homme de Machiavel, ce n'est pas le méchant, c'est n'importe quel homme dès qu'il pose en principe que le monde matériel perceptible par ses sens est la seule réalité et qu'en dehors de cette réalité, il n'y a rien.

 

C'est l'homme d'aujourd'hui.

 

À suivre.

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DEUX CONFLITS ET UNE ASCENSION

26 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

DEUX CONFLITS ET UNE ASCENSION

Diriger, c'est faire face aux conflits, petits et grands. L'IECS en a connu deux mémorables pendant les quatre années de ma direction (1991-1994), du moins selon mon souvenir.

 

Le premier de ces conflits est lié à la nomination de Kostas Nanoupolos en tant que directeur adjoint de l'IECS. On se souvient peut-être que ce dernier n’était pas en odeur de sainteté auprès de Henri Lachmann, le Président de la Fondation IECS, qui m’avait demandé de l’écarter, sinon de le licencier.

Mais de mon côté, je n’ai jamais aimé obéir aveuglément aux ordres et surtout, Kostas et moi, nous nous sommes compris tout de suite. Kostas connaissait parfaitement le milieu universitaire et le milieu strasbourgeois. Il avait une vision stratégique claire et à longue portée, deux qualités rarissimes. Il l’a montré lorsque je l’ai chargé d’organiser le déplacement futur de l’IECS au 61 avenue de la Forêt Noire où il se trouve actuellement, tenant la dragée haute à nos partenaires pour obtenir le meilleur emplacement pour l’école.

Je l’ai rapidement nommé directeur adjoint, ce qui a déplu à Henri Lachmann et aux personnels de l’IECS qui lui étaient inféodés et qui ont vu dans cette décision une possibilité de m’affaiblir.

À partir d’une question pédagogique quelconque, que j’ai oubliée aujourd’hui, ils ont réussi à déclencher une grève des étudiants dont la revendication assez curieuse était d’ordre administratif, et non pédagogique, dans la mesure où elle avait pour objectif d’obtenir la démission de Kostas Nanopoulos de sa fonction de directeur adjoint.  

Naturellement, je n’ai jamais cédé, ni donné l’impression que je pouvais céder. On m’a promis mon propre départ, la disparition de l’IECS, que sais-je encore, mais j’ai refusé toute négociation et même tout dialogue, ce qui a abouti, au bout de quelques jours, à la fin de la grève par la vacuité de son objectif, clairement hors de portée.

Le deuxième conflit s’est réglé rapidement, mais il a été plus brutal dans ses conséquences. J’étais à Boston, Massachussetts (the snob state), pour signer un accord de double diplôme avec cette excellente université qu’est Boston College. J’étais tout fier de cet accord quand le Secrétaire Général de l’IECS a douché mon enthousiasme en m’informant par fax que la responsable de la promotion de l’école, dont j’ai opportunément oublié le nom, avait fait signer pendant mon déplacement une incroyable pétition.

Cette pétition protestait contre la politique de l’IECS en matière de recrutement et demandait ma démission. Notre responsable de la promotion de l’école (sic) l’avait diffusée auprès des professeurs des classes préparatoires dont nous attendions plutôt qu’ils nous soutiennent pour recruter les nouveaux étudiants qu’ils se révoltent contre notre organisation.

J’étais, on s’en doute, stupéfait que la responsable des relations extérieures de l’IECS organise une pétition contre sa propre école ! Cette audacieuse initiative s’expliquait par l’intention de cette dame de me remplacer dans ma fonction de directeur, forte de ses appuis dans le milieu politique et industriel strasbourgeois. C’était donc elle ou moi et ce fut elle qui perdit.

Dès que j’ai pu, j’ai regagné Strasbourg et j’ai organisé son licenciement le jour même de mon arrivée, acceptant, pour ne pas laisser les évènements s’envenimer, de ne pas invoquer l’argument de « faute lourde » alors qu’elle aurait pu difficilement en commettre une plus lourde, sinon me larder de coups de couteau !

Le plus drôle de l’affaire réside dans son attitude, lorsque je la revis quelques années plus tard : elle m’a remercié de lui avoir permis de trouver un travail plus intéressant à la Chambre de Commerce de Paris. Tout était donc pour le mieux dans le meilleur des mondes !

Ceci posé, je me trompe, un évènement encore plus drôle s'est déroulé, qui est directement lié à ce licenciement. Jugez-en, ce qui n’est pas facile compte tenu des limites que m’impose le récit ci-après.

J’ai dû embaucher dare-dare un remplaçant sur le poste de « responsable de la communication ». Le licenciement s’est passé en début d’été et compte tenu des délais, nous n’avons reçu qu’une seule candidature sérieuse. Nous avons donc dû la retenir malgré les avertissements, que je ne détaillerais pas, de Jean Cartelier qui était professeur à Amiens et que j’avais bien connu à Nice.

Nous avons recruté Pia Imbs, mais au bout d’une année, je l’ai laissé prendre un poste à la Faculté de Droit plutôt qu’à l’IECS, compte tenu des informations dont je disposais.

Pia Imbs s’est accrochée, elle a réussi à devenir Directeur de l’IAE de Strasbourg, le concurrent que l’IECS a ensuite absorbé et elle a poursuivi en s’appuyant sur le milieu politique jusqu’à être aujourd’hui Présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, Maire de Holtzheim où ses parents étaient agriculteurs, et Vice-Présidente du Mouvement pour l’Alsace.

 

Il est certain que ce poste à l’IECS lui a permis de revenir en Alsace et je suis sûr qu’elle a beaucoup appris à l’école, elle qui a fait des débuts difficiles à Amiens. Jusqu’où montera-t-elle ? Je suis curieux, vraiment curieux, de le voir…

 

À SUIVRE

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LA ROYAUTÉ DISPARAIT

20 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

LA ROYAUTÉ DISPARAIT

Le 10 août 1792, le royaume de France, sa constitution et la légalité de son régime politique ont vécu. Comment un régime politique enraciné depuis un millénaire dans le pays a-t-il pu s’effondrer en trois années ?

 

Les causes des tensions politiques étaient connues depuis la fin du règne de Louis XIV. Elles tenaient avant tout au déséquilibre financier de l’État et son ambition à vouloir régenter toute la société, ce qui le poussait à introduire un système égalitaire dans une société de vieilles hiérarchies, selon une idéologie qui justifiait une Révolution dont le but était en profondeur conforme aux désirs du pouvoir royal.

Sans doute la faiblesse du roi Louis XVI a-t-elle été pour quelque chose dans les circonstances de la Révolution, mais il semble que la mécanique totalisante de l’État français l’y menait de toute manière.

Revenons au processus de la chute du Royaume: après l’émeute, le coup d’État.

L'assemblée qui ne comptait plus que 285 députés sur 750, les autres ayant fui l’insurrection et on les comprend, s’allie à la commune insurrectionnelle pour former un Conseil exécutif provisoire dominé par Danton.

Ce qui reste de l’assemblée législative prononce sa propre dissolution et son remplacement par une nouvelle assemblée constituante, la Convention. Le 11 août, les assemblées primaires sont convoquées pour élire cette constituante croupion.

Selon la constitution royale de 1791, ces assemblées primaires constituent la réunion des « citoyens actifs », formée des Français âgés de vingt-cinq ans au moins qui paient une contribution égale à trois journées de travail et qui n'étaient ni domestiques ni employés à gages. Ces derniers nommaient ensuite des électeurs, à raison d'un électeur pour cent citoyens actifs, qui nommaient à leur tour les députés. Le nombre de citoyens actifs s'élevait à quatre millions trois cent mille tandis que les citoyens passifs représentaient deux millions sept cent mille personnes. On ne pouvait donc pas qualifier les citoyens actifs de "riches" mais plutôt de classe moyenne. Les conjurés balaient tout cela. Le décret du 11 août 1792 supprime la distinction entre citoyens actifs et passifs. 

Désormais, pour être électeur, il suffisait d’être français, âgé de vingt et un ans, de vivre de son revenu ou du produit de son travail et pour être éligible, outre les conditions précédentes, d’avoir vingt-cinq ans au moins. Il résulte de ce changement du corps électoral que le nombre d’électeurs était porté à sept millions. 

Mais le nombre de votants ne dépassera pas sept cent mille ! C’est cette petite minorité qui élit la Convention, qui décapite le Roi, qui supprime la Royauté et qui institue la Terreur.

Mais, dès que la nouvelle de la sédition fut connue en province, des révoltes royalistes éclatèrent dans le Dauphiné, à Lyon, en Bretagne, en Mayenne et en Vendée. Rappelons-nous, tant l’histoire officielle inverse les rôles, que la royauté était le régime légal de la France et que les Conventionnels de l’automne 1792 n’étaient que des putschistes, qui, pour lutter contre cette résistance légaliste, décidèrent d’envoyer des commissaires dans tous les départements.

Puis, regardez comme les événements vont vite, le 17 août 1792, à la demande de la Commune insurrectionnelle, la minorité des 285 députés de l'Assemblée nationale législative inventa un tribunal criminel extraordinaire, composé de juges élus par les sections parisiennes, devant lequel devaient être traduits les « contre-révolutionnaires ».

La suite du calendrier des Conventionnels est extrêmement tendue :

Le 19 août, la garde nationale est purgée des opposants à la Commune.

Le 21 août a lieu la première exécution politique, avec Collenot d’Angremont, chef du bureau de l'Administration de la Garde Nationale, qui est guillotiné.

Le 26 août, les prêtres réfractaires sont condamnés à la déportation.

Le 29 août, la Commune insurrectionnelle impose le vote à haute voix et en public aux électeurs parisiens.

Le 30 août, la Commune inaugure les visites domiciliaires : elle arrête six cents « suspects ».

 

Du 2 au 5 septembre, le Conseil exécutif « laisse » se produire les massacres de plus de mille deux cents prisonniers, dont de nombreux prêtres réfractaires, dans l’abbaye de Saint-Germain.

 

À SUIVRE

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CHEVAUCHER LE CYGNE NOIR

15 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CHEVAUCHER LE CYGNE NOIR

Popper ne s'est pas contenté de traiter de la falsification, relative à la vérification ou la non-vérification d'une affirmation, il a inscrit plus généralement sa démarche dans une approche sceptique des assertions humaines.

 

Pour ce faire, Popper a écrit un ouvrage qu'il a intitulé Misère de l'historicisme. L'argument central du livre est qu'il est impossible de prévoir les évènements historiques parce que cela impliquerait de prédire l'innovation technologique, ce qui lui semblait radicalement imprédictible. Pour ce faire, il en appelle à la "loi des espérances itérées" qui pose que si l'on s'attend à voir arriver un événement dans le futur, c'est que l'on s'attend d'ores et déjà à cet événement. Par exemple, l'homme préhistorique, capable de prédire l'invention de la roue, savait donc déjà à quoi elle ressemblait et savait en conséquence comment la construire : en somme, il était en chemin pour construire la roue.

En d'autres termes, si nous connaissons la découverte que nous allons faire dans l'avenir, nous l'avons déjà presque faite.

Donc, selon Popper, les vraies découvertes sont imprévisibles, et il ne nous reste plus, soit à nous y résigner (Mektoub, c'est le destin), soit à nous obstiner à mettre en lumière quelques structures du futur. Poincaré fait partie de ces obstinés.

Alors que, à son époque, on pouvait encore espérer expliquer tout l'univers comme l'on démonte une horloge, ce qui bien sûr permettrait de prévoir progressivement le futur, Poincaré doucha cet enthousiasme en introduisant le concept de non-linéarité, qui consiste à prendre en compte des effets mineurs entrainant des conséquences importantes.

Ce concept a ensuite été popularisé sous le nom de la Théorie du Chaos, qui prétend, avec un optimisme dangereux, résoudre les problèmes de la prévision à long terme.

Poincaré s'est contenté de montrer qu'à mesure où l'on se projette dans l'avenir, on a besoin d'un niveau de précision de plus en plus fort sur la dynamique du processus que l'on modélise, car le taux d'erreur augmente très rapidement avec le temps. Il l'a illustré par l'exemple du mouvement des planètes, mais je me contenterai ici de celui la modélisation du mouvement d'une boule de billard.

Lorsque le joueur percute une boule de billard, s'il peut évaluer la force de l'impact, la résistance de la matière sur laquelle roule la bille et les paramètres de la boule au repos comme sa masse, il est tout à fait possible de prévoir l'endroit de la table qu'elle va percuter. Après ce premier impact, le résultat du second impact contre la table est plus difficile à prévoir: il faut être plus connaisseur des conditions initiales et faire preuve de plus de précision dans le premier impact pour prévoir le troisième. Mais, pure théorie, supposons que la balle rebondisse huit fois contre la table après le premier impact: pour savoir où se produira le dixième impact, il faudra tenir compte d'informations telles que la poussée gravitationnelle sur la boule en mouvement exercée par une personne qui regarde le jeu à côté de la table. Et ainsi de suite. Pour prévoir où se produirait le cinquante-sixième impact, il faudrait intégrer toutes les particules élémentaires de l'univers dans nos hypothèses de calcul !

Cet exemple signifie que la moindre erreur dans nos hypothèses de calcul rend rapidement caducs nos résultats, dès le troisième ou quatrième impact. En d'autres termes, nous sommes sûr de nous tromper, pour peu que nous cherchions à faire des hypothèses sur un futur non immédiat.  

Et ceci, notez-le, est une avancée pour la recherche du Cygne Noir, car nous savons désormais que ce type de prévision conduit immanquablement à l'erreur.  

Si nous revenons aux Cygnes Blancs que nous avons observé dans le passé, nous savons donc que l'arrivée d'un Cygne Noir dans le futur est, non pas probable, mais certaine.

Il est par conséquent faux d'imaginer que le futur sera similaire au passé, puisque ce serait poser que le futur est prédictible. Par exemple, la différence fondamentale entre le passé et le futur se traduit par le fait certain de la connaissance de la date de notre naissance et de l'ignorance de la date de notre mort.

Finalement, dans la pratique, nous devons lutter contre notre cécité prévisionnelle qui nous pousse fatalement à voir le futur comme un prolongement déterministe de notre perception du passé plutôt que comme un processus où le hasard joue un rôle important, en respectant quelques principes simples :

- Tout d'abord, et tout le texte précédent l'affirme, Il est inutile et même nuisible d'essayer de prévoir l'advenu d'un Cygne Noir précis : c'est impossible.

- Ensuite, il faut rechercher les contingences positives et fuir les négatives; ce qui implique de ne pas se placer dans des situations où le moindre Cygne Noir peut vous détruire mais plutôt dans celles où un Cygne Noir peut vous aider et où vous n'avez pas un grand risque de perdre.

- Enfin, il faut saisir n'importe quelle opportunité, lorsqu'un Cygne Noir qui peut être positif se présente. Ce n'est pas un choix évident, car il existe une proportion importante de personnes qui regardent passer les trains de Cygnes Blancs, sans se rendre compte qu'un Cygne Noir vient de s'arrêter juste devant eux, qu'il est reparti, que c'est fini et qu'il ne repassera jamais plus. En d'autres termes, il faut appliquer le Pari de Pascal* en le généralisant à toutes les circonstances de la vie :

 

"Le juste est de ne point parier.

— Oui, mais il faut parier ; cela n'est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez-vous donc ? Voyons. Puisqu'il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. (...). Votre raison n'est pas plus blessée, en choisissant l'un que l'autre, puisqu'il faut nécessairement choisir. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte, en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est, sans hésiter."

(Blaise Pascal, Pensées, fragment 397, extrait)

 

FIN PROVISOIRE

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ACCEPTER L'IMPRÉVISIBLE?

8 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

ACCEPTER L'IMPRÉVISIBLE?

ACCEPTER L'IMPRÉVISIBLE?

Accepter l'imprévisible? Comme il est plus difficile que l'on croit de faire des prévisions, il semble logique de faire appel à des experts.

 

Le problème avec les experts, c'est qu'ils ignorent l'étendue de leur ignorance et souvent ils la sous-estiment. Ils sont excellents pour prévoir les évènements routiniers, mais ce sont malheureusement les évènements extraordinaires qui nous intéressent.

C'est ainsi que Tetlock* a interrogé 300 experts qui ont fourni 27000 prévisions consistant à estimer les chances de réalisations d'évènements d'ordre politique, économique et militaires pour les cinq prochaines années. Il a observé que les experts se trompaient très souvent, plus encore que ce qu'il prévoyait. Il a donc cherché à comprendre pourquoi les experts ne se rendaient pas compte qu'ils étaient moins bien informés qu'ils ne le croyaient. Il les a interrogé sur l'origine des erreurs qu'ils avaient commises et, naturellement, ils se sont trouvés des excuses, puisque leur amour propre et leur réputation était en jeu. 

Tetlock a répertorié les types d'excuses invoquées par les experts, révélant de la sorte les biais de leurs prévision:

- L'expert invoque la duplicité des acteurs : "L'URSS s'est effondrée sans que je ne puisse le prévoir, bien que je connaissais fort bien le système politique soviétique, mais ils nous ont caché l'extrême faiblesse de leur économie. Si je l'avais su, j’aurais prévu la chute du système. Mes compétences ne sont donc pas en jeu, Il m'a simplement manqué les bonnes données". Simple.

- L'expert invoque l’aberration : "L'évènement était absolument imprévisible et il échappe à ma spécialité. Comment voulez-vous que je prévois les attentats du 11 septembre 2011 à New-York? Impossible". Mais comme il s'agit d'un événement très improbable, je prévois tout de même qu'il ne se reproduira plus, puisqu'il s'est produit déjà une fois." Absurde.

- L'expert a "presque" eu raison : "Les communistes purs et durs ont failli renverser Gorbatchev. Cela s'est presque produit, car un rien l'a fait échouer, comme le courage d'Eltsine ou le manque de détermination des insurgés." Dans ce dernier cas, l'expert essaie de noyer le poisson pour éviter de reconnaitre que ses capacités de prévision étaient limitées.

Mais, chaque fois, les experts restent dans le cadre de leurs disciplines. Ils n'en remettent en cause ni les limites en se demandant s’il ne faudrait pas intégrer, peut-être, des données provenant d'autres disciplines, ni leur capacité à prévoir. Car, si ce n'est quelques petites erreurs, le modèle était correct pour eux ; sauf que dans l'environnement complexe actuel, il y a toujours quelque chose qui échappe à la prévision routinière. Je me demande d'ailleurs s’il n’y a jamais eu, dans l'histoire, un environnement non complexe...

Encore que le problème central des prévisions réside moins dans la tendance de l'homme à surestimer ses capacités de prévision qu'à la nature même des informations nécessaires à la prévision, qui montrent clairement que le Cygne Noir est structurellement imprévisible.

Le processus de la découverte scientifique est, par nature me semble t-il, imprévisible, alors que des armées de chercheurs sont sommées de "trouver" des découvertes dans des laboratoires de plus en plus nombreux, couteux et structurés. Mais le Cygne Noir ne se laisse pas attraper sans résistance, ce qui fait que les chercheurs se transforment souvent en Christophe Colomb, car ils trouvent souvent une nouvelle manière de penser ou de faire, alors qu'ils ne la cherchaient pas, pour se demander ensuite pourquoi il leur a fallu autant de temps pour arriver à quelque chose d'aussi évident.

Voici deux exemples qui l'illustrent. Le premier est célèbre:

Alexander Fleming était un chercheur brillant mais négligent qui avait la réputation d’oublier régulièrement ses boîtes à culture. Rentrant de vacances, il eut la surprise de découvrir dans l’une d’elles qu’une forme de moisissure avait empêché le développement des bactéries. Il isola l'extrait de moisissure et l'identifia comme appartenant à la famille du penicillium. Il venait de découvrir la pénicilline. Cette forme de découverte est fréquemment citée pour illustrer une forme de disponibilité intellectuelle qui permet de tirer de riches enseignements d’une trouvaille inopinée ou d’une erreur que l'on appelle "sérendipité"**.

Un autre exemple, vraiment spectaculaire, est celui de la découverte du fond cosmique de micro-ondes. Ce sont deux astronomes de Bell Labs qui ont entendu un bruit parasite alors qu'ils installaient une antenne parabolique. Convaincus que ce bruit venait de la parabole et qu'il provenait des fientes d'oiseaux, ils la nettoyèrent avec entrain sans parvenir à faire cesser ce bruit. Ensuite, on comprend qu'il leur fallut pas mal de temps pour passer des fientes d'oiseaux à l'explication qui fut finalement retenue, à savoir qu'ils avaient par hasard découvert la trace sonore de la naissance de l'univers, relançant la théorie du big-bang.

Ainsi, tandis que Ralph Alpher, à l'origine de la théorie du big-bang, cherchait en vain des preuves pour l'étayer, deux personnes à la recherche de fientes d'oiseaux trouvaient ces preuves, par le plus grand des hasards.

 

D'où une sixième règle : n'attendons aucun avenir qui soit programmé, ni par les experts, ni par les scientifiques, incapables les uns et les autres d'embrasser la complexité du futur derrière laquelle se cache les Cygnes Noirs.

 

* Tetlock Ph. E., Expert Political Judgment: How Good it is? How can we know, P.U.P, Princeton, NJ, 2005

**Le terme "sérendipité" est un emprunt de l’anglais serendipity, ou don de faire par hasard des découvertes fructueuses. Le terme anglais a été créé par Horace Walpole et tiré d’un conte oriental, Les Trois Princes de Serendip (1754), Serendip est une ancienne transcription anglaise de Sri Lanka, combinaison de sanscrit et de grec qui désigne une terre bénie des dieux où la fortune semble être offerte à chacun.

 

À SUIVRE

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CROIRE SAVOIR PRÉVOIR

1 Janvier 2023 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

CROIRE SAVOIR PRÉVOIR

Si vous voulez rester maitre de vos décisions, exercez vos facultés de raisonnement, ce qui implique d'ignorer les médias pour apprendre sans œillères.

 

Sans œillères : il s'agit de ne pas se faire piéger par les prévisions dont on nous abreuve, car elles sont fausses la plupart du temps puisqu'elles sont impossibles à faire.

Cette impossibilité tient à la complexité croissante du monde, d'où de forts obstacles à la prévision identifiés par un certain nombre de penseurs comme Jacques Hadamard, Henri Poincaré, Friedrich Von Hayek ou Karl Popper. Lorsque nous nous obstinons à croire qu'il est facile de comprendre le passé (voir Le Problème de Diagoras), nous risquons d'en faire de même pour l'avenir, estimant que n'importe quel journaliste peut nous en fournir les clés.

Dès lors, nous perdons toute chance d'apercevoir un Cygne Noir.

Si vous êtes allé à Sydney, en Australie, vous avez certainement admiré son Opéra*. C'est un magnifique bâtiment, mais c'est aussi un monument dédié à l'arrogance de la prévision financière puisque sa construction, de 1958 à 1973, a couté 102 millions de dollars, et encore en faisant des économies sur le projet initial, au lieu des 7 millions prévus !

Nous nous trouvons face à ce type d'erreur catastrophique à peu prés chaque fois que l'on fait une prévision un peu longue ou un peu complexe, si bien que respecter ses prévisions est un exploit rarissime. Demandez leur avis sur ce sujet aux ingénieurs qui construisent l'EPR de Flamanville, dont le coût de construction a été multiplié par trois et les délais de mise en service par 3,5, à supposer, ce qui est logiquement plus que douteux, que les dernières prévisions soient correctes. 

On a pu démontrer que nous avons presque toujours tendance à surestimer notre capacité à faire des prévisions. Alpert et Raiffa** ont ainsi découvert, et beaucoup d'expérimentateurs après eux, que les personnes à qui l'on demande de faire des prévisions sont excessivement confiantes dans leurs capacités à trouver le résultat exact.

Plus précisément, leurs travaux ont révélé qu'une personne appelée à fournir un intervalle de confiance de 50% à l'intérieur duquel elle estime qu'une certaine valeur est vraie, surestime le plus souvent sa capacité à prévoir. Albert et Raiffa ont en effet constaté qu’un pourcentage nettement plus faible d'intervalles, 33% au lieu de 50%, contenaient la vraie valeur, montrant par-là que les prévisionnistes avaient une confiance excessive dans la qualité de leurs estimations. Toutes les expérimentations qui ont suivies sont allées dans le même sens.

Comme l'humanité sous-estime la possibilité que l'avenir prenne un autre cours que celui qu'elle avait initialement envisagé, ce biais a un impact sur la vie des gens. Par exemple, tout le monde sait que 45 % des mariages conduisent à un divorce en France mais évidemment fort peu de couples envisagent une telle issue, surestimant leur capacité personnelle à y échapper, tant mieux d'un certain côté.

Dans ces conditions, comment faire confiance à l'expert qui prévoit l'évolution démographique du siècle à venir, le rendement de la Bourse les dix prochaines années, le déficit de l'assurance maladie en France dans dix ou vingt ans où la valeur du m2 à Paris dans cinq ans ?

Parce que c'est un expert ? En tout cas, pas en fonction de la quantité d'informations qu'il détient, car toute connaissance supplémentaire des détails d'une opération peut se révéler inutile et même nocive.

Inutile: un psychologue sur lequel nous reviendrons, Paul Slovic***, a demandé à des bookmakers de sélectionner les variables les plus utiles pour calculer les probabilités de victoire des chevaux, parmi quatre vingt huit variables qui avaient été utilisées dans d'anciennes courses de chevaux. Il communiqua ensuite les dix variables les plus utiles, selon eux, pour prévoir la victoire des chevaux et leur demanda de faire des prévisions pour les prochaines courses. Puis on communiqua aux bookmakers les dix variables suivantes, mais cela n'améliora pas la qualité de leurs prévisions. Il en advint de même lorsqu'on leur communiqua les suivantes. On constata finalement que plus on leur communiquait d'informations, moins elles étaient utiles.

Nocive: en revanche, plus on leur communiquait d'informations, plus le décalage augmentait entre la confiance que les bookmakers avaient dans les informations qu'ils utilisaient et leurs performances réelles. Or, l'accroissement de la confiance dans ses choix implique que l'on a moins tendance à changer d'avis lorsqu'une information inattendue nous parvient. En d'autres termes, plus on a confiance dans ses choix, plus on ne voit partout que des Cygnes Blancs.  

Je peux donc vous proposer une cinquième règle : Les prévisions sont plus complexes que vous le croyez ; pour en faire, évitez donc d'accumuler les informations, prenez du recul et usez de vos capacités d'analyse.  `

* Construit grâce, entre autres, aux 30 000 équations posées par un ingénieur d'origine corse, Joe Bertony.

** Alpert, M., & Raiffa, H. (1982). A progress report on the training of probability assessors. In D. Kahneman, P. Slavic, L A. Tversky (Eds.), Judgment under uncertainty: Heu- ristics and biases (pp. 294-305). Cambridge, England: Cambridge Univ. Press.

*** Paul Slovic, Baruch Fischoff and Sarah Lichtenstein, Behavioral Decision Theory, Annual Review of Psychology, 1977

 

À SUIVRE

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LES NOËLS

24 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

PUGET-THENIERS EN HIVER

PUGET-THENIERS EN HIVER

La brume descendait du Gourdan exprès pour noyer Puget-Théniers, privé de soleil jusqu'au 21 janvier, comme s'il était puni chaque année d'avoir voulu se nicher au déboulé de la Roudoule dans le Var.

 

Arrivant au village en ce mois de décembre, devant notre maison désormais vide et froide, entourée de son jardin figé, je me suis souvenu avec nostalgie des Noëls que nous y avons vécus.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Auparavant, nous logions dans un appartement au-dessus de la Fabrique* et je ne me souviens pas des Noëls de très jeune enfant que j'y ai passés, sauf d'un émerveillement, la descente sur le centre de Nice avec d'incroyables Galeries Lafayette aux vitrines décorées de pères Noël, de crèches et de jouets et puis le quatrième étage des mêmes Galeries bruissant des cris des enfants et des ronronnements des jouets, dans un festival de lumières et de couleurs.

Mais, dans ce qui fut notre véritable maison familiale où ma mère a passé soixante-dix ans de sa vie et mon père quarante, nous avons commencé à fêter Noël lorsque j'avais sept ans. Nous étions en vacances quelques jours auparavant et ma mère nous attendait pour aller chercher de la mousse et du gui dans la forêt de l'autre côté du Var, une forêt bien humide que nous atteignions par un chemin qui partait de l'Usine Brouchier**. Il faisait froid, nous avions les mains gelées mais nous nous sentions des aventuriers intrépides, longtemps accompagnés par notre chien qui folâtrait tout autour.

De retour à la maison, ma mère finissait la crèche en l'entourant de mousse et ajoutait du gui dans l'arbre de Noël, qui  avait été coupé dans la colle Saint Michel par l'un des employés qui faisaient la tournée du Haut Verdon, Louis Rosie en général. L'arbre, de bonne taille, était cloué sur une croix de bois et installé dans le salon.

Pour concevoir sa crèche, ma mère s'était inspirée d’une crèche réalisée par un ami de la famille, Jo Boggio, qui représentait des maisons de Puget, l'église, une maison du vieux village, une autre à moitié détruite et même la gare, tout cela en contreplaqué peint. Elle y plaçait ses santons de Provence, un peu plus nombreux chaque année autour de la crèche proprement dite où se nichaient tous les personnages qui attendaient Jésus, y compris l'âne et le bœuf. Jésus, lui, ne venait naturellement s'installer au centre de la crèche que le 25 décembre au petit matin.

Le plus remarquable reste que toute la crèche, bien rangée, subsiste toujours. En outre, ma sœur a eu la magnifique idée d'en faire une copie et je ne doute pas qu'elle ressorte un beau jour, un très beau jour.

Le soir de Noël, ma mère, mon père enfin libéré de son travail, ma sœur, mon frère, longtemps ma grand-mère, quelquefois une invitée comme Jeanne*** et moi, plus tard mon fils Thierry et ma femme, partagions le repas avec ses traditionnels treize desserts pugétois, dont la tourte de blettes, la tarte à la confiture, les fruits confits, les ganses et les nougats, écoutions "Petit Papa Noël" de Tino Rossi et allions à la messe à l'Église du Village dont ma mère tenait l'orgue.

Parfois il neigeait, toujours il faisait froid y compris à l'Église, mais tout était si singulier, la nuit, la foule, les chants de Noël que nous criions à tue-tête (Il est né le divin enfant !) et la perspective pour le lendemain matin d'une pluie de cadeaux nous transportaient d'allégresse dans un village de rêve. Et le lendemain matin, les escaliers descendus à toute vitesse, les jouets, la joie mêlée de chamailleries, le repas de Noël, le film de l'après-midi dans la salle que tenait Loulou Passeron le grand-oncle d'Anthony****, entretenaient la rêverie.

Je ne sais plus très bien quand notre mère a cessé d'installer l'arbre de Noël et la crèche. Sans doute quand elle n'a plus vu ses enfants et petits-enfants venir fêter Noël chez elle. J'imagine que cela a été un crève-cœur, tant cette période était importante pour elle.

Heureusement, depuis 1981 et pendant dix ans, Mireille, Jean-Bernard et leurs enfants venaient une année sur deux et l'autre année nos parents les rejoignaient chez les parents de Jean-Bernard, à Sarcelles. Puis notre père est mort en 1992 et notre mère est allée passer les mois de décembre et de janvier chez ma sœur où elle a retrouvé l'atmosphère familiale enchantée des Noëls qu'elle avait maintenu au cours de toutes ces années. À Puget, son retour autour du printemps était ponctué de joyeux "Madame Boyer est revenue !" tant elle manquait dans le paysage pugétois. Ce Noël est le premier où elle manque partout. 

Cependant nous avons toujours maintenu la tradition. Il y a plus de trente ans qu'ils se déroulent dans notre maison de Nice, sauf quelques interruptions. Le soir de Noël, nous partageons en famille un excellent repas. Rien n'y manque, ni foie gras, ni gibier, ni Gewurztraminer vendanges tardives, ni les treize desserts de Provence. Puis, un peu lourd, je me rends à la Messe de Minuit, j'y tiens. Le lendemain matin, un peu trop tôt, les enfants, aujourd'hui les petits enfants, arrivent devant le sapin de Noël qui brille chez nous depuis quelques jours mais qui est alors assiégé de paquets multicolores. Le temps de la distribution des cadeaux est celui de l'émerveillement, suivi d'un temps plus indécis ou chacun se retrouve face à ses découvertes, à la recherche de piles électriques et de modes d'emploi.

 

Puis, jusqu'à l'année prochaine, Noël s'éloigne dans le rétroviseur du temps qui passe, souvenir merveilleux de partage, de joie enfantine et d'innocence...

 

* La Fabrique de Pâtes que mon grand-père avait créée en 1907 et que mon père exploitait tout en cherchant à l'adapter aux vagues du progrès technique qui menaçaient de l'ensevelir.

**L'Usine Brouchier, c'est toute une histoire, une usine de meubles, le principal employeur du village, un canal et une chute d'eau pour l'électricité, des Allemands qui y mettent le feu en 1944, l'Usine qui repart, qui est vendue et qui se meurt.

***Jeanne Cotton, l'employée de toujours de mon père et surtout l'amie de la famille.

****Anthony Passeron, Les Enfants endormis, Globe, 2022.

LA RUE DU 4 SEPTEMBRE QUI MÈNE À L'ÉGLISE

LA RUE DU 4 SEPTEMBRE QUI MÈNE À L'ÉGLISE

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LE PROBLÈME DE DIAGORAS

22 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

Jusqu'ici, nous savons que rien ne nous garantit contre l'apparition d'un Cygne Noir, ni une longue cohorte de Cygnes Blancs, ni une avalanche de "preuves" en leur faveur. Qu'est ce qui nous fait encore défaut pour voir venir ce Cygne Noir?

 

Lisez l'histoire de Diagoras que nous conte Cicéron. Ce Diagoras n'était qu'un fichu athée que ses amis croyants essayaient de convertir. Pour y parvenir, ils lui montraient des tablettes peintes représentant d'un côté des dévots en train de prier et de l'autre côté les mêmes dévots qui avaient réussi à survivre au naufrage de leur navire.

"Tu vois, disaient ses amis à Diagoras, ils ont prié et ils ont survécu !". Certains étaient plus directs : " C'est parce qu'ils ont prié qu'ils ont survécu !". Diagoras les écouta tous quelque temps sans rien dire, puis il plissa son front en signe de réflexion avant de les interroger :  "Mais où sont les portraits de ceux qui avaient prié et qui sont morts noyés ?".

Cette terrible question est double. D'une part, les vainqueurs quels qu'ils soient, rescapés d'un accident, gagnants en affaires, sportifs triomphants ou même vainqueurs au Loto, ont une fâcheuse tendance, et le bon public avec eux, à attribuer leurs succès à leurs mérites, rarement à la chance. On peut même généraliser et postuler que les hommes, parce qu'ils sont à la recherche forcenée d'une explication, ont tendance à relier un peu trop simplement les effets à une cause, que ce soient des succès ou des échecs. Surtout les succès*.

D'autre part, si on entoure volontiers les gagnants et si l'on scrute les raisons de leur succès, on regarde avec moins d'acuité le sort des perdants. "Vae victis " : si l'on a perdu, c'est qu'il y a une raison, parce que l'on était plus faible, moins intelligent ou parfois, mais on le mentionne peu volontiers, moins chanceux que les vainqueurs.

C'est ainsi que, longtemps, j'ai été impressionné par le tout petit nombre d'ouvrages consacrés en France à la défaite de 1940, à l'exception du livre de Marc Bloch, écrit sur le coup, "L'Étrange défaite". En revanche les ouvrages anglo-saxons pullulaient sur le sujet. Pourquoi donc les historiens français ne voulaient-ils pas tirer les leçons de cette retentissante défaite stratégique, militaire et même sociétale de la France ? La réponse tenait dans la question : ils ne tenaient pas du tout à en tirer les leçons, des leçons trop lourdes de conséquences, tant l'échec français était patent. Ils se refusaient tout bonnement à l'analyser. En revanche, les anglo-saxons s'en gargarisaient, y trouvant toutes sortes de justifications à leur supposée supériorité, oubliant souvent de mentionner l'existence de la Manche comme la raison principale de leur survie...

C'est très ennuyeux de se refuser à analyser d'analyser les raisons de l'échec, en particulier du sien, lorsque l'on veut comprendre d'où viendra le prochain Cygne Noir. J'aurais rêvé, après mai 1940 qui a vu la plus grande défaite de l'histoire de France, qu'une conférence nationale se réunisse pour en déterminer les causes et en tirer les conséquences. Au contraire, on n'a eu de cesse de pousser la poussière du désastre sous le tapis. C'était pourtant l'usage des Romains de la République de tirer les leçons de leurs échecs, avec la volonté d'en analyser sérieusement les causes tout en n'hésitant pas à reconnaitre le rôle du hasard, afin d'en tirer les conséquences...pour gagner.

Mais lorsque nous attribuons des causes simplistes à des évènements complexes, ne nous étonnons pas de voir débouler un Cygne Noir là où nous n'attendions que des Cygnes Blancs.  

En posant que les Ardennes étaient infranchissables aux chars allemands, Gamelin les a vu tronçonner ses armées en deux. Mais, si à la suite de cette immense faute stratégique, les Français attribuent au seul Gamelin la perte de la guerre de 1940, ils commettent une erreur d'analyse tout aussi monumentale.  Car ni Gamelin, ni les Français n'ont sérieusement pris les moyens de voir venir le Cygne Noir : le premier en a bu les conséquences jusqu'à la lie, les seconds sont encore et toujours les victimes de leur refus d'analyser les causes de la défaite.

 

Nous proposons donc une quatrième règle, la règle de Diagoras, pour ne pas être surpris par l'irruption d'un Cygne Noir inattendu : sans sous-estimer le rôle du hasard, regardez les vaincus comme les vainqueurs dans toutes leurs dimensions avant d'attribuer une cause simple à un échec ou à un succès.

 

* Essayez de publier le livre dont le titre serait le suivant : " Ce que j'ai appris en perdant un million d'Euros". Bonne chance pour trouver un éditeur.

 

À SUIVRE 

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S'ACCROCHER MORDICUS À SA VISION DU MONDE

17 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

KARL POPPER

KARL POPPER

Vu par la dinde, la privation de nourriture qui a lieu le mille et unième jour est un Cygne Noir. Pas pour le boucher, toutefois.

 

Car le Cygne Noir est une histoire de dupe. La dinde est victime de sa naïveté. Si elle l'était moins, on n'arriverait pas à engraisser les dindes, ce qui signifie que l'on peut éliminer un Cygne Noir grâce à sa capacité d'analyse des données.

Or nous nous trompons nous-même, en raison de notre volonté farouche de voir confirmée par les faits notre vision du monde. Cela se traduit par la recherche d'exemples qui apportent de l'eau à notre moulin. Les scientifiques, c'est leur péché, véniel ou mortel c'est selon, testent des hypothèses qui leur conviennent à l'aide d'exemples, qu'ils n'ont aucun mal à trouver. Je peux témoigner qu'au cours de ma carrière universitaire, j'ai rarement* rencontré des chercheurs qui testaient leurs hypothèses avec pour objectif de les invalider!

Mais une succession de faits confirmatifs ne constituent pas une preuve, tandis qu'un fait négatif, en d'autres termes un Cygne Noir, est lui bel est bien une preuve. Pour la dinde, mille journées d'observation ne prouvent rien, mais une seule journée à la diète prouve qu'elle avait tort d'être confiante.

Karl Popper** a élaboré une théorie à propos de cette asymétrie de l’information, qui est fondée sur la technique de la "falsification", ou en bon français sur la technique de la "réfutation", destinée à faire la différence entre les affirmations scientifiques et celles qui ne le sont pas.

Même s'il n'est pas toujours facile de "falsifier", c'est à dire de déclarer que quelque chose est faux avec une certitude absolue, il n'en reste pas moins que l'on est beaucoup plus sûr de ce qui est faux que de ce qui est vrai.

Le mécanisme de vérification fonctionne ainsi selon Popper : vous formulez une hypothèse et vous vous mettez en quête de faits qui la réfutent, au lieu de rechercher des exemples confirmatifs. Tant que vous n'avez pas trouvé des faits qui contredisent votre hypothèse, elle est réputée "vraie". Provisoirement.

Il faut reconnaitre que Georges Soros*** illustre bien cette démarche lorsqu'il fait un pari financier et qu'il passe son temps à chercher des exemples qui réfuteraient (et non qui illustreraient) sa théorie initiale. Mais, pour le commun des mortels, lorsque l'esprit est habité par une certaine vision du monde, il a tendance à considérer uniquement les exemples qui lui donnent raison. Le paradoxe vient de l'observation que, plus on a d'informations et plus on a l'impression que nos opinions sont justifiées.

La guerre entre la Russie et l'Ukraine l'illustre parfaitement qui fait que toutes les informations corroborent notre conviction que Poutine est le méchant et les médias, qui, ne pouvant aller à contre-courant de tous, font en sorte qu'aucune information n'aille en sens inverse. Si bien que plus vous êtes informé, moins vous comprenez ce qui se passe puisque le moindre Cygne Noir est abattu en vol, tandis que les Cygnes Blancs sont préservés de tout croisement intempestif. Cela présente l'avantage de vous permettre de rester confortable avec vos opinions, mais ne vous laisse aucune chance d'apercevoir le moindre Cygne Noir.

Certes, tous les faits corroborent votre opinion, mais le problème est que les preuves confirmatives, cela n'existe tout simplement pas, car un rien, un souffle suffit à les balayer. Imaginez par exemple qu'apparaisse soudainement une rumeur, seulement une rumeur, de négociation entre la Russie et les États-Unis ou de fuite de Poutine en Argentine et le jour même, le prix du gaz s’effondre et toutes vos certitudes avec.   

Pourtant, nous ne sommes pas si naïfs. Nous ne croyons pas n'importe quoi, nous possédons, issus de nos gènes, un instinct inductif dès la petite enfance, mais il semble que la complexité du monde s'accroisse plus vite que notre instinct, qui semble avoir appris à faire des déductions rapides en se focalisant sur un petit nombre de causes de Cygnes Noirs.

 

D'où une troisième règle pour ne pas voir arriver des Cygnes Noirs inattendus : quel que soit leur nombre rien ne peut vous garantir qu'il n'existe que des Cygnes Blancs, mais un rien peut l'infirmer.

 

* Tout de même quelques-uns parmi mes collègues et doctorants se reconnaitront.

** Karl Popper, la logique de la découverte scientifique, 1935, 2017, Payot.

*** Georges Soros, L'Alchimie de la Finance, 1998, Valor. 

 

À SUIVRE

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RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

12 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

RECONNAITRE UN CYGNE NOIR

Un Cygne Noir est un évènement aberrant, qui a un fort impact sur les évènements futurs et que nous cherchons, à posteriori, à rendre explicable, donc prévisible.

 

Par exemple, la guerre de 1914 était imprévisible, ou plus exactement son avènement, son ampleur et ses conséquences étaient imprévisibles et de multiples historiens ont cherché à l'expliquer, après.

Je me suis souvent attaché à prévoir la survenance de Cygnes Noirs. Par exemple, j'ai écrit en 1981 un article sur la future chute de l'URSS, intitulé "L'URSS de papier", qui n'a eu aucun succès malgré mes nombreux efforts pour le publier. Presque tout le monde pensait, avant sa chute, que l'URSS était installée pour l'éternité et les mêmes, à ma grande indignation, m'ont expliqué ensuite pourquoi elle était inévitable et prévisible ! J'avais également prévu dans ce blog, dès le début de la guerre en Syrie, qu'Assad ne tomberait pas et j'ai expliqué pourquoi. Cependant le but de ce billet n'est pas de m’auto glorifier mais de montrer que les Cygnes Noirs sont parfois prévisibles.

La première règle à poser est qu'aucune vérité unanimement reconnue par tous ne doit être acceptée à priori.

Il arrive cependant que ce que tout le monde pense soit vrai, mais il s'agit d'évidences sans intérêt. Par exemple, "le soleil se lève chaque matin" est un "Cygne Blanc" qui ne mérite pas d'être discuté, du moins au moment où j'écris ces lignes.

En revanche l'issue de la guerre en Ukraine mérite de l'être. Ce qu'écrivent les commentateurs en Europe est par définition partial, puisqu'ils sont en désaccord total avec l'un des acteurs majeurs, Poutine. Il nous faut donc examiner la question plus au fond, sous les angles stratégiques, politiques, culturels, économiques et recueillir des données. Mais, pour le moment, j'avoue que je n'ai pas recueilli assez d'informations pertinentes pour écrire quelque chose d'utile sur le sujet et donc je n'écris pas. Car, tant que je ne vois pas apparaitre de Cygne Noir, à quoi cela servirait de répéter à mon tour que tous les cygnes sont blancs ?

L'histoire est opaque. Nous croyons comprendre le monde parce que nous le simplifions. Comme sa complexité nous échappe, nous sommes contraints de nous contenter de l’analyser à posteriori et selon nos schémas pré établis, si bien qu'à la fin nous n'avons rien appris des évènements. Car l'histoire n'est pas linéaire, elle saute de fracture en fracture. Quels Romains ont prévu que le christianisme deviendrait la religion dominante en Méditerranée et que, sept siècles plus tard, une escouade de cavaliers étendrait la loi islamique de l'Espagne ou sous-continent indien et qu'elle y serait toujours en vigueur treize siècles plus tard ?

Le premier problème que l'on rencontre lorsque l'on essaie de prévoir l'avenir est celui du passé. L'homme observe les expériences de sa vie et en déduit ce qui l'attend dans ce monde. La dinde aussi, comme l'observe Russel*. Comme elle est nourrie tous les jours, elle en déduit que la règle générale de la vie consiste à être nourrie quotidiennement par de sympathiques êtres humains qui veillent sur ses intérêts. Cette croyance de la dinde se renforce chaque jour un peu plus, au fur et à mesure où elle constate qu'on la nourrit sans relâche amicalement, si bien que sa confiance s'accroit jusqu’au jour où, le mille unième jour, il lui arrive quelque chose d'inattendu, le « gentil » fermier cessant de la nourrir.

On peut tirer de la triste histoire de la dinde des conséquences sur la nature de la connaissance empirique : quelque chose fonctionnait dans le passé jusqu'à ce que, contre toute attente, ce ne soit plus le cas. C'est ce qui nous guette lorsque nous formulons des conclusions sur la seule base des données concernant le passé.

Un exemple d'actualité : les Français se croyaient à l'abri de toute pénurie énergétique avec leurs 56 centrales nucléaires et tout d'un coup ils apprennent que l'électricité risque de manquer, tandis que les artisans découvrent que les prix de l'électricité vont quintupler pour eux. Quelque chose leur a échappé dans le passé qui a un impact surprenant pour eux aujourd'hui.

Un autre exemple, célèbre : en 1907, E.J. Smith, futur capitaine du Titanic, fit la déclaration suivante :

" Pendant toutes ces années passées en mer, je n'ai vu qu'un seul navire en détresse. Je n'ai jamais vu de bateau échoué et je n'ai jamais échoué moi-même, ni été dans une situation difficile qui menaçait de tourner au désastre"

En 1912, il l'a vu.

 

D'où notre deuxième règle pour avoir une chance de reconnaitre le Cygne Noir avant qu'il ne produise ses effets, négatifs ou positifs : nous ne connaissons tout simplement pas la quantité d'information que recèle le passé.

 

*"L'homme qui a nourri le poulet tous les jours de sa vie finit par lui tordre le cou, montrant par là qu'il eût été bien utile au dit poulet d'avoir une vision plus subtile de l'uniformité de la nature" (Bertrand Russell, Problèmes de Philosophie, 1989)

 

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