Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer
Articles récents

Transition

23 Août 2010 Publié dans #INTERLUDE

Comme vous avez pu le constater, ce blog a pris avec moi quelques jours de vacances. En attendant de faire paraître dans quelques jours un nouvel article, je souhaite vous présenter les modifications que je vais lui apporter, en fonction de mes préoccupations et de mes sources de documentation.

bibliotheque.jpgDepuis le début, en janvier 2009, j’ai fait paraître dans ce blog 148 articles qui se répartissent comme suit :

49 articles dans la série « Trajectoire »

42 articles dans la série « Oligarchie »

34 articles dans la série « Actualité »

23 articles dans la série « Interlude »

Je considère que deux de ces séries, « Trajectoire » et « Oligarchie », ont désormais atteint leur terme et que la troisième, intitulé « Actualité » peut être intégrée à  un thème plus structuré. Pour les deux premières, il s’agit en effet d’articles qui étaient issus, après correction et adaptation, de deux ouvrages que j’ai écrit (et que je n’ai pas publié), intitulés respectivement « L’orphelin » et « Trente trois ans d’arrogance ». L’un concernait une réflexion autour de la notion de vérité, dans le cadre de ce que notre condition humaine nous permet de comprendre. L’autre était une réflexion menée sur la nature de la société française, à partir des événements politiques qui se sont déroulés depuis l’élection de Valery Giscard d’Estaing.

À partir du prochain blog, je présenterai mes articles autour des quatre thèmes suivants :

- Le premier intitulé « Scénarios » rassemblera les articles qui présenteront, notamment à partir de l’actualité mais pas seulement, les scénarios possibles qui pourraient permettre à nos sociétés humaines, la société française en premier lieu mais aussi les autres, d’évoluer vers plus d’harmonie et d’efficacité.

- Le second traitera de l’histoire, en particulier française, en vue de faire comprendre quels sont les soubassements de la situation actuelle, dans ses rapports de force et ses imperfections.

- La troisième traitera clairement de philosophie, pratique si possible, au sens de comment vivre, comment gérer au moins mal notre condition humaine.

- Le quatrième sera plus léger, heureusement, plus ouvert, il traitera de ce qui me viendra à l’esprit et qui sera souvent plus personnel, lectures, films, expériences, aventures. Il s’intitulera toujours « Interlude ».

À dans quelques jours, avec un article de la série « Scénario » sur les endroits où la vie est la meilleure.

 

Lire la suite

Finalement, assumer notre condition humaine

15 Août 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

Dans l’article que j’ai publié mercredi dernier, intitulé « la tolérance comme capitulation de l’esprit », j’ai situé la tolérance comme une des conséquences du doute qui a progressivement envahi la pensée scientifique. Ce doute, et cette tolérance vis à vis de la vérité de l’autre impliquent que si chacun détient sa propre  vérité, et que toutes les vérités sont également bonnes ou mauvaises, nous ne pouvons plus avoir de confiance dans notre système de pensée puisque sa valeur est limitée à un groupe restreint de personnes, voire à notre seule personne. Et que construire sur ces fondements incertains ?

y1pT Wrz7GZcj3Fo54E5HjLel4CU4g3BL8Tkj7wfxaXu2OAZIAonRLBXNMAutrefois les hommes vivaient dans l’idée que le monde tournait autour d’eux, ce qui leur donnait un sentiment de sécurité. Depuis environ vingt générations, la science a fait pièce à cette prétention. Il a fallu que l’espèce humaine chasse de son esprit les vérités léguées par ses ascendants et à peine s’y était-elle résolu que la science avoue les limites de sa capacité à comprendre le monde.  

Nous voilà à nouveau seuls au bord du chemin, nos dieux piétinés par cette science qui nous abandonne, incapables de retrouver le gîte qu’elle nous a convaincu de quitter. Il nous faut une troisième fois, après avoir adhéré aux religions monothéistes puis à la science, réévaluer notre situation sur cette Terre.

La science, à force de prétendre pouvoir tout comprendre, tout savoir, tout faire, nous avait érigé en démiurges. Nous sommes maintenant obligés de reconnaître que nous ne le sommes pas. La science nous a appris que n’avons aucun rôle particulier à jouer dans le monde et, pour faire bonne mesure,  mais elle ajoute désormais qu’elle se sent incapable d’éclairer pour nous le mystère de l’Univers, que ce soit celui de sa nature, de son existence ou de son origine.

Il reste que la conscience que nous avons du monde exige toujours que nous acceptions notre condition de mortels. Elle nous impose de prendre position sur le sens de notre présence dans ce monde. Ou bien nous refusons de lui en donner un et nous pouvons dès lors considérer que notre vie n’est qu’une illusion. Ou bien nous donnons à nos pensées, nos paroles et nos actes un sens, sur lequel nous avons donc à nous prononcer. Ce choix du sens de notre vie est la source du désarroi qui nous guette en permanence et qui menace notre capacité de changer, de progresser, de nous améliorer. Il explique pourquoi nous avons besoin d’un être qui nous guide, qui nous protège et qui justifie notre existence.

Il reste que la seule véritable expérience humaine est celle de la vie. Elle oblige l’homme à s’organiser pour y faire face, sans que la raison ne lui soit d’aucun secours. C’est elle qui nous crie à chaque instant qu’aucun système ne nous libérera du cachot dans lequel nous sommes enfermés. La seule liberté qui nous reste consiste à décider si nous acceptons ou si nous refusons notre condition. Alors même que nous tentons héroïquement de nous engloutir dans l’amour, la vie nous apprend que nous sommes par essence dans l’impossibilité de partager avec autrui notre expérience. C’est encore la vie qui nous rappelle sans cesse que nous ne pouvons pas nous passer de rechercher la vérité, notre vérité.

Car, sans lucidité, que pouvons-nous construire ? Nous savons que la raison et la science n’apportent aucune réponse au drame de la condition humaine. Nous savons que notre tentation naturelle consiste à fuir notre condition. D’autre part, la nécessité de nous organiser en société et l’exploitation de nos extraordinaires capacités techniques nous offrent toutes les opportunités de faire la fête en nous bouchant yeux et oreilles, afin de retarder le plus longtemps possible le moment du dernier acte.

Pouvons-nous pour autant nous satisfaire du mensonge et de l’indéterminé ? Si nous choisissons de nous approcher le plus possible de la vérité, ce qui fait la grandeur de l’esprit humain depuis l’origine de l’espèce, il nous faut accepter de la regarder en face, cette vérité unique, rebelle et magnifique. Car, plus nous saurons, et plus nous serons en mesure d’accepter notre condition. Plus nous accepterons notre condition, et plus nous saurons. Plus nous saurons…

…Cet article constitue le point final de la série intitulée « Trajectoires». Les articles de cette série sont extraits, après avoir été modifié, d’un ouvrage non publié intitulé « L’orphelin ». Je tiens cet ouvrage à votre disposition sous forme de document PDF.

 

 

 

Lire la suite

La tolérance comme capitulation de l'esprit

11 Août 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

Il y a un mois, plus précisément le 8 juillet dernier, j’ai écrit un blog intitulé « Que faire ? » dans lequel je soutenais que l’homme me semblait  fort capable de maîtriser les techniques qui lui permettront de survivre sur la Terre. En revanche, le fétichisme pour les outils intellectuels forgés dans le passé risque fort de freiner le nécessaire changement de vision du monde que cette adaptation aux nouvelles conditions de vie implique pour l’espèce humaine.

VirtualSubjectivity.jpgDans le passé, la pensée scientifique a représenté un extraordinaire bond en avant de la pensée humaine, puisqu’elle lui a permis de se libérer de tout préjugé sur ce qui est vrai ou faux. Avec elle, l’observation et la mesure sont devenus l’alpha et l’oméga de toutes les constructions scientifiques, au point d’être considérées comme indépassables. C’est tout juste si les scientifiques concèdent, à regret, qu’il subsiste quelques rares domaines, comme l’amour ou l’art, qui ne relèvent pas de la science. Et encore…   

Or, à partir du moment où la vérité ne peut être que scientifique, la démarche scientifique devient une doctrine. Mais cette doctrine est contredite par les scientifiques eux-mêmes. D’un côté, la pensée scientifique postule que tout, absolument tout, est explicable pour l’homme armé de sa conscience et d’un autre côté les scientifiques, armés de leurs méthodes, ont constaté avec beaucoup d’honnêteté et quelque stupeur, qu’ils étaient incapables de tout expliquer. Au cours du dernier siècle[1], ils ont en effet remis en cause l’objectivité de leurs expériences et de leurs découvertes en observant que les chercheurs choisissaient par convention les hypothèses qui leur convenaient, ce qui déterminait largement les résultats qui en découlaient. De plus, au cœur de l’outil scientifique, il est apparu que la logique était dans l’incapacité de déterminer si une proposition était vraie ou fausse. Aussi, les résultats scientifiques sont-ils devenus plus incertains, les conclusions que les scientifiques en ont tirés plus subjectifs, donc de plus en plus sujettes à caution. Les idéologies s’en apparent désormais fréquemment, comme en témoigne le débat scientifique suspect sur le réchauffement de la planète[2]. Il en résulte que la confiance dans les recherches scientifiques s’érode progressivement tandis que l’humanité est toujours sommée d’adhérer sans réserve à un raisonnement scientifique saisi par le doute. C’est faire fi du besoin profond, du besoin immémorial, du besoin fondamental de l’espèce humaine pour la vérité.

La vérité justement, c’est que la science domine toujours la pensée humaine parce que personne ne peut proposer de système alternatif pour la remplacer. Une autre démarche est pour le moment inconcevable pour nos esprits façonnés par la science, comme cela est déjà arrivé, pendant la Renaissance, aux esprits façonnés par la religion dont le principe central était la croyance : ils ont eu un mal fou à le remplacer par le principe d’expérience. 

Aujourd’hui, le monde actuel est entièrement façonné par la pensée scientifique. Où que l’on se tourne, la quasi-totalité des principes d’analyse et d’action qui nous sont proposés est directement issue de la pensée scientifique. Par exemple, et ce n’est pas un exemple mineur, il suffit d’observer que l’individualisme, si représentatif de l’état d’esprit moderne, est le pur produit de l’esprit scientifique. En effet, pour que l’individu s’affirme dans les mœurs et dans les lois, il a fallu que la science postule que l’esprit humain était capable, par la grâce de la raison, de faire la différence entre ce qui est juste ou faux et que la vérité émergeait de l’individu, et de lui seul. Il en est résulté, entre autres, la doctrine juridique des droits de l’homme et la doctrine économique du laissez faire ; cette dernière a engendré l’économie de marché actuellement qualifiée de mondialisation.

Lorsque le doute saisit la science, il contamine les systèmes qu’elle a forgé. Le postulat posant que l’individu est par définition doté de la raison n’est plus très solide, après trois ou quatre siècles d’expériences in vivo. Il a fallu admettre que l’individu pouvait être déraisonnable, ce qui remettait en cause la doctrine de l’individualisme. Or, personne ne sait au profit de quelle improbable raison collective il convient de la remplacer. C’est pourquoi il est apparu nécessaire aux scientifiques, pour maintenir un semblant de cohérence dans la vision de l’être humain qu’ils s’efforcent d’imposer à l’humanité, de mettre le concept de tolérance au centre du fonctionnement des sociétés. Il s’agit en effet d’accepter la déraison, la sienne et celle des autres, sans remettre en cause l’individualisme. C’est ainsi que la tolérance s’impose comme un élément du doute scientifique appliqué aux sociétés humaines. Elle fait que nous n’avons plus le droit de dire ce qui nous paraît juste ou faux, bon ou mauvais, parce qu’exprimer notre vérité, que plus personne n’ose affirmer comme étant LA vérité, offense la vérité de l’autre qui est, par définition, ni plus ni moins contingente que la nôtre.

Du coup, la confiance dans nos systèmes de pensée s’effrite et, par contrecoup, notre foi dans l’avenir s’effondre.

 

[1] Voir mes blogs précédents sur la notion de vérité, dans la série « trajectoire », notamment l’article intitulé « L’incertain scientifique », publié le 21 juin 2009.

[2] Voir mon blog intitulé « Coup de froid sur le réchauffisme », publié le 7 février 2010.

Lire la suite

L'éternel retour

6 Août 2010 Publié dans #INTERLUDE

Il y a trois jours, je vous racontais que le décès de M. FitzGeorge laissa Lady Slane dans une grande solitude, car elle avait noué avec lui de profonds liens d’amitiés.

dyn00412.jpgVivant comme un anachorète, elle n’attendait désormais rien d’autre de la vie que la paix. Cela ne l’empêchait pas d’observer de loin les faits et gestes de ses enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants, comme si, malgré son détachement, elle se sentait encore responsable de leur existence. Elle savait bien pourtant que tous finiraient par se couler dans le moule que le monde avait préparé à leur intention.

Alors qu’elle se rendait compte qu’elle perdait peu à peu le sens des réalités, elle reçu la visite inattendue d’une de ses arrières petites filles, Deborah.

Lady Slane était inquiète de cette visite, car elle craignait de ne plus disposer de l’agilité mentale pour participer à une conversation qu’elle imaginait banale, convenue et probablement  décousue. Elle ne s’attendait pas du tout à ce que Deborah commence par s’agenouiller à ses  pieds, et la remercie de sa décision de faire don de l’héritage de M. FitzGeorge aux hôpitaux. Trop émue pour prononcer un mot, elle se contenta de poser sa  main sur la tête de la jeune fille et de l’écouter.

Deborah s’épancha auprès d’elle. Ses fiançailles avaient été une erreur, expliqua-t-elle. Elle n’y avait souscrit que pour complaire à son grand-père. C’était lui qui rêvait de la voir un jour Duchesse, pas elle ! Cela n’avait aucun sens, alors qu’elle, Deborah, rêvait de devenir musicienne ! Bon, elle n’avait rien contre le mariage, à condition de partager sa vie avec un homme qui ait les mêmes valeurs qu’elle! Mais comment s’entendre avec quelqu’un qui ne visait qu’à une réussite matérielle ? Elle avait failli céder sous la pression de sa famille, mais le déclic qui l’avait fait réagir était venu de la décision de son arrière-grand-mère de renoncer à la fortune de M. FitzGeorge. C’était son arrière-grand-mère qui lui avait donné la force de rompre ses fiançailles !

Deborah continuait de se confier à son arrière-grand-mère. Ce qu’elle voulait, c’était prendre ses distances avec un monde qu’elle trouvait fou ! Elle avait l’impression que tous ces gens s’étaient mis d’accord pour lui imposer leurs idées, au lieu de l’écouter ! Au contraire, elle appréciait les rares personnes qui consentaient à l’écouter et à comprendre qu’elle était animée d’une foi qui donnait un sens à sa vie.

« Pourquoi devrais-je accepter les idées des autres ? Qui a raison, grand-maman, le monde ou moi ? »

Lady Slane se laissait bercer par le discours impétueux de son arrière-petite-fille. Dans son esprit, une confusion se produisait entre Deborah et elle. Elle rêvait que sa vie recommençait, qu’au lieu d’épouser Henry, elle  s’était enfuie de chez elle pour réaliser sa vocation. Elle murmura :

«  Continue, ma chérie, j’ai l’impression que tu parles à ma place.

-       Donc, grand-maman, est-ce moi qui aie tort, ou eux qui se trompent ? »

Dans le crépuscule qui envahissait son esprit, Lady Slane sentait une jeune fille décidée, ferme, invincible. Elle comprit confusément que Deborah n’attendait d’elle qu’un encouragement et trouva la force de lui répondre :

« Oui, ma chérie, c’est toi qui as raison. »

Elle perçut que Deborah se détendait en se laissant aller contre son arrière-grand-mère, qui semblait la protéger, la réchauffer pour lui donner la force de se lancer dans la vie. Faisant mine de rester lucide, elle se lança dans un confus soliloque ponctué de pénétrantes observations sur la vie, puis se tut.

Deborah craignit de l’avoir fatiguée : la vieille dame était endormie, le menton penché sur ses dentelles, ses mains fines reposant sur ses genoux. Elle se leva très lentement, quitta le salon silencieux, prenant bien soin de ne pas claquer la porte.

Un moment plus tard, apportant le plateau chargé d’une théière et de petits gâteaux, sa servante la découvrit morte…

Ce fut son logeur, Monsieur Buckrout qui fit son épitaphe, en observant qu’elle ne s’était jamais sentie à l’aise dans ce monde et que si elle avait eu tout ce qu’il y avait de mieux, en fait elle n’en avait jamais voulu.

Lire la suite

La vocation contrariée

3 Août 2010 Publié dans #INTERLUDE

Nous avons quitté Lady Slane, le 28 juillet dernier, alors qu’un vieux monsieur vient de lui faire une déclaration d’amour, avec un demi-siècle de retard.

peinture-artiste-copie-1.jpgEncouragé par le silence de Lady Slane, FitzGeorge n’hésita pas à lui asséner une « vérité » supplémentaire :

« Il me semblait que vous étiez mal assortis. Certes, vous jouiez votre rôle de manière admirable, si admirable que cela a éveillé mes soupçons. Franchement, Lady Slane, qu’auriez-vous fait de votre vie, si vous n’aviez pas épousé ce charlatan ? »

-      Un charlatan, Monsieur FitzGeorge ?

-      Je sais, il s’est  même arrangé pour être un très honorable Premier ministre! Il possédait plus de charme qu’aucun homme que j’ai connu, un atout dont justement tout homme  raisonnable évite d’abuser. Et lui en a largement abusé. Lady Slane, vous avez dû beaucoup en souffrir? »

Lady Slane se rappela combien cela avait été difficile de partager la vie d’un être aussi charmant, aussi truqueur, aussi glacial, et de l’aimer. Elle finit par avouer :

«  J’aurais voulu être peintre. 

-      Ah ! Merci. Vous me donnez la clef que je cherchais. Vous étiez donc une artiste ! Je comprends maintenant pourquoi vous aviez parfois l’air si tragique lorsque vous croyiez que l’on ne vous observait pas.

-      Mon cher Monsieur FitzGeorge ! s’écria Lady Slane, ne parlez pas de moi comme si ma vie avait été une tragédie ! J’ai eu tout ce dont les femmes rêvent : la situation, le confort, les enfants, un mari que j’aimais. Je n’ai à me plaindre de…Rien.

-      Sauf que vous avez été volée de la seule chose qui importait pour vous, puisque rien ne compte plus pour un artiste que l’accomplissement de ses dons ! Regardez les choses en face, Lady Slane ! Vos enfants, votre mari, votre belle situation n’étaient que les barrières qui vous détournaient de vous-même. Vous les avez choisis comme substituts à votre vocation. Le jour où vous vous êtes engagée sur ce chemin, même si vous n’en étiez pas consciente, vous avez péché contre votre propre vérité. »

Lady Slane mit ses mains sur les yeux. 

« Oui, dit-elle faiblement, oui, vous avez raison. Mais ne soyez pas cruel ! j’ai payé. Et ne blâmez pas mon mari !

-      D’accord. Il vous a donné ce que vous pouviez désirer. Il vous a presque tuée, c’est tout. L’homme tue la femme. La femme aime être tuée. Savez-vous que j’ai tout compris à Fathipur Sikhri ? Et cette conversation n’est que la conséquence de celle que nous n’avons pas eu autrefois »

Lady Slane chuchota :

« oui, une conversation interrompue pendant cinquante ans... 

-      Et que nous ne reprendrons plus jamais. Certaines choses doivent être dites. Celle-ci en faisait partie. Maintenant nous pouvons être amis. »

Ayant ainsi établi les bases de leur amitié, Monsieur FitzGeorge considéra comme acquis qu’il était le bienvenu, l’accompagnant dans ses lentes et incertaines promenades vers Hampstead Heath. Il sentait encore vivre l’amour qui aurait pu le détruire, s’il n’avait pas été assez sage pour y renoncer, mais en même temps assez fou pour y rester fidèle pendant cinquante ans.

Un jour, pour s’excuser de rappeler à Lady Slane un nouveau détail de leur lointaine rencontre, Monsieur FitzGeorge remarqua qu’à vingt, trente ou quarante ans, on peut encore remettre ce que l’on a à faire ou à dire au lendemain, mais qu’à partir d’un certain âge, remettre à plus tard ce que l’on doit faire aujourd’hui, c’est provoquer le destin.

En effet !

Il ne fallut pas attendre plus longtemps que le lendemain de cette ultime conversation pour que la nouvelle de la mort brutale de Monsieur FitzGeorge n'atteigne Lady Slane de plein fouet. 

Quand elle apprit qu’il lui avait légué toute sa considérable fortune, entièrement constituée d’œuvres d’art, elle comprit  que l’ultime cadeau qu’il lui faisait était celui de lui permettre d’être enfin elle-même, non en devenant riche mais en rejetant cet héritage tentateur. Ce qui fut fait au travers d'un don aux hôpitaux publics , au grand dam de ses enfants qui, en représailles, cessèrent tout à fait de lui rendre visite.  

Lire la suite

Le secret d'une vie

28 Juillet 2010 Publié dans #INTERLUDE

Nous avons quitté Lady Slane juste avant son mariage, alors qu’elle se sentait piégée par Henry lorsqu’elle lui déclarait souhaiter faire sérieusement de la peinture. Ce dernier avait pris sa déclaration à la légère et ajouté, qu’à son avis, elle aurait bien d’autres activités pour occuper son temps. Lady Slane avait aussitôt  compris que c’était lui signifier qu’un rôle lui était assigné dans sa vie, qui avait peu de choses à voir avec ses désirs, ses aspirations ou sa volonté personnelle.

1829362369_small_1.jpgQuand elle regardait sa vie au moment où elle s’achevait, elle comprenait bien que son rôle avait été d’être l’épouse d’Henry. S’était-il vraiment occupé d’elle ? Certes, elle devait bien reconnaître qu’elle avait mené une vie protégée. Mais Henri ne compensait-il pas ainsi ce qu’il lui avait imposé, le renoncement à sa liberté ? Ce qui la poussait à s’interroger, avec un détachement qui l’effrayait, sur la véritable nature de leur entente à tous deux ?

Le terme qui lui venait à l’esprit était celui de « confusion ». Pourtant, ses proches jugeaient que son mariage avait été une réussite parfaite et sa vie, une belle vie, qu’elle avait eu une vie heureuse. Heureuse ? qui pouvait vraiment affirmer qu’elle l’avait été ! Heureuse ! C’est un terme qui ne veut rien dire parce qu’il n’exprime en rien la complexité, la variété, la subtilité d’une vie !

Pour commencer, pouvait-elle affirmer qu’elle avait vraiment aimé son mari ? Ce n’était pas si simple à exprimer. En pensant à cet amour, elle voyait une longue ligne droite traversant sa vie, qui l’avait souvent blessée mais dont elle ne s’était tout simplement jamais sentie capable de s’éloigner. Elle avait tout abandonné pour lui, ses ambitions, sa vie personnelle, et, pour cette raison, elle pouvait bien en conclure qu’elle l’avait aimé, sans l’ombre d’un doute. Par contre, Ils avaient été comme deux versants d’une même colline, Henry l’homme d’action et elle, la contemplative. Or Henry l’avait privée de sa vraie vie pour vivre complètement la sienne et elle s’y était soumise à contrecoeur. Certes, il lui avait offert une autre vie, plus vaste. Certes, elle devait bien convenir qu’une part au moins de son être l’avait accepté puisqu’elle s’était donnée à ses enfants comme s’ils comptaient plus qu’elle-même. Mais au total elle n’avait jamais pu vivre sa propre existence, à laquelle s’était substituée celle qu’Henri et leurs enfants lui avaient imposée, à elle !

 

L’été avait pris fin. Au lieu de séjourner dans le jardin, Lady Slane effectuait de petites promenades sur Hampstead Heath, magnifié par ses arbres brunis et son horizon bleuté. Les visiteurs pour Lady Slane étaient rares ainsi qu’elle l’avait souhaité ; somme toute elle menait une existence agréable, faite de routines et de petites douleurs. La vie se limitait à de tout petits événements, un coup de sonnette, un colis de livres, des muffins pour le thé. Elle avait oublié que jusqu’à son terme, la vie réserve des surprises.

Cette dernière vint de l’irruption inattendue d’un certain FitzGeorge, qui lui rendit un jour visite en se présentant comme l’ami de l’un de ses fils et qui lui expliqua qu’il l’avait autrefois rencontré en Inde. Apparemment, avec un certain sans gêne, comme en jugea Lady Slane, il tenait à lui en rappeler les circonstances. C’était il y a bien longtemps et Monsieur FitzGeorge était alors un tout jeune homme. Doté d’une lettre d’introduction auprès du gouverneur, qui n’était autre que l’époux de Lady Slane, il n’avait reçu qu’une vague invitation à dîner. C’est alors qu’il l’avait rencontré et il gardait encore le souvenir d’une vive et ardente jeune femme. Lady Slane l’écoutait, surprise, ne sachant quoi penser, tandis que FitzGeorge ne pouvait s’empêcher d’être aujourd’hui encore fasciné par la beauté de Lady Slane, son raffinement, sa fragilité, sa svelte silhouette blottie dans son fauteuil. Il lui lança tout à trac : 

« Lady Slane, je ne suis pas sûr que vous étiez vraiment heureuse d’être vice-reine?». Devant son air un peu interloqué, il poursuivit :

« J’ai été vraiment choqué de vous voir au milieu de tous ces pantins. Bien sûr, vous teniez fort bien votre rôle, mais en même temps il me semblait que vous étiez en train de renier votre nature profonde »

C’est alors que Lady Slane se souvint de la scène qu’évoquait FitzGeorge. Elle se revit sur la terrasse de la ville indienne  de Fatihur Sikhri, au Cachemire, avec ce jeune homme qui se tenait à ses côtés. Un vol de perruches bleu les avait frôlés et FitzGeorge, elle s’en souvenait maintenant, lui avait fait remarquer l’harmonie de leur plumage. Il avait ensuite observé ce qu’il considérait comme une étrangeté, toutes ces mosquées, ces cours, ces palais où ne vivaient que des oiseaux et d’autres animaux. Maintenant, elle se rappelait qu’elle lui avait rétorqué qu’il n’était qu’un romantique, le regard qu’il lui avait alors lancé qui lui avait donné la  sensation physique qu’il lisait au travers elle. Ce n’est qu’après son départ du palais pour un voyage qui devait le conduire à constituer une extraordinaire collection d’œuvres d’art, qu’elle avait eu l’impression qu’une charge de dynamite venait littéralement d’exploser dans les profondeurs de son être.

Comment pouvait-il se faire qu’un simple regard ait suffi à révéler d’un coup le secret de son être, un secret qu’elle avait toujours voulu préserver?

 

 

 

Lire la suite

mon blog le plus court

22 Juillet 2010 Publié dans #INTERLUDE

RainJoan.jpgEn plus d'être le plus court, on peut dire aussi que ce blog est le plus sexiste de ceux que j'ai publié, parce que la lecture que je recommande ne s'adresse vraiment qu'aux hommes. Ces derniers sont priés de se précipiter sur la nouvelle de Somerset Maugham intitulée "LE FLEAU DE DIEU". Ceux qui ne se font pas, ou plus, d'illusion sur leur capacité à résister à la rouerie féminine, seront littéralement pliés de rire en lisant les aventures de Ted le Rouquin. Du moins, il y a longtemps qu'une lecture n'avait provoqué chez moi des larmes de rire! 

Quant aux dames, la lecture peut aussi leur être recommandée, à condition d'accepter de rire jaune... 

Lire la suite

Le droit de vivre comme on l'entend?

19 Juillet 2010 Publié dans #INTERLUDE

Pour Lady Slane, le temps était enfin venu de faire le bilan de sa vie.

chevaux013-1-.jpgElle se rappela donc le jour lointain de ses fiançailles avec Henry. Le moment où elle avait suivi son futur époux dans le jardin, l’instant où il s’était assis à ses côtés prés du lac et  celui où il s’était penchée vers elle en lui parlant tout d’un coup d’un ton grave pour lui demander de devenir sa femme. Soudainement, il s’était situé dans un autre monde, celui des gens qui se marient, conçoivent, portent et élèvent des enfants, donnent des ordres aux domestiques, payent leurs impôts, jonglent avec les dividendes. Et il voulait l’entrainer dans ce monde !

C’était impossible qu’elle accepte ! c’était ridicule ! Elle lui avait lancé un regard apeuré qu’il interpréta dans vergogne comme une approbation. Du coup, il la prit dans ses bras et l’embrassa sur les lèvres ! Avant d’avoir vraiment réalisée ce qui lui arrivait, elle vit sa mère sourire avec des  larmes dans les yeux, son père poser la main sur l’épaule d’Henri, ses sœurs lui demander d’être ses demoiselles d’honneur et Henri la regarder avec un air de propriétaire. Un sentiment de panique l’envahit qui lui enleva tous ses moyens. Qui était donc cette Deborah que l’on venait de demander en mariage?

À 88 ans, elle pouvait enfin s’offrir ce luxe suprême de contempler sa vie sans aucune retenue.

Elle revit la jeune fille qu’elle était, marchant à pas lents, songeuse, les yeux baissés. Fraiche comme la rosée, fragile, impatiente. Elle revit sa peau tendre, ses courbes délicates, son regard profond et brillant. Elle ressentit sa jeunesse d’autrefois, pleine d’espoirs immenses. Ses rêves de fuite, de déguisements, sa vocation de peintre qu’elle sentait encore aujourd’hui vibrer en elle. Elle pensait toujours que la vie de créateur était la seule qui valait la peine d’être vécue, la vie de quelqu’un qui saurait pénétrer au cœur des choses. Elle se rappela les mois pendant lesquels elle avait secrètement vécu sa passion, préparant avec soin la réalisation de son projet. Pour que la lumière l’inonde à nouveau lorsqu’elle se sentait faiblir, il lui suffisait d’imaginer à quel point sa vie serait vide sans la peinture. Elle se remémora le soin extrême qu’elle avait mis à cacher son projet, l’image docile qu’elle s’efforçait de donner à son entourage.

C’est cette Deborah qui se sentit brutalement écrasée par les principes établis, au nom desquels on lui demandait de se marier pour vouer toute son existence à son futur époux. Sur ces principes, l’unanimité était totale, au point qu’elle en était presque convaincue elle-même. Elle sentait une sorte de toile d’araignée se tisser autour d’elle, en elle. Lorsque Henry revint avec  une bague et que sa mère lui remit, brodé par des D et H entrelacés, suffisamment de linge pour gréer un voilier, elle se sentit définitivement perdue. Elle devint alors indifférente à toute l’agitation faite autour de son mariage. Et surtout elle ne comprenait toujours pas pourquoi elle devait renoncer à sa vie personnelle. Une timide tentative de dialogue avec Henry finit de l’édifier. Verrait-il un inconvénient à ce qu’elle fasse de la peinture ? Mais non, mais non ! il n’y voyait aucune objection ! Mais lorsqu’elle lui avoua qu’elle songeait à quelque chose de plus sérieux qu’un simple passe-temps, il se mit à sourire et lui déclara avec tendresse et un petit air supérieur, qu’à son avis, elle aurait bien d’autres activités pour occuper son temps !

Elle se sentit alors totalement piégée, et le détesta pour sa suffisance et la tranquille assurance avec laquelle il prenait la tête de la conspiration générale qui visait à l’empêcher de vivre comme elle l’entendait.

Elle avait bien compris que cette conversation marquait la fissure profonde qui venait de s’ouvrir entre le monde et elle. Ce qu’on lui signifiait, c’est qu’elle avait un rôle à jouer dans la vie et qu’elle n’avait qu’à s’y conformer, et avec grâce si possible. 

 

Lire la suite

Quel choix est le bon?

16 Juillet 2010 Publié dans #INTERLUDE

Le texte ci-après est inspiré d’un livre de Vita Sackville-West, « Toute passion abolie ». Il raconte l’histoire d’une vieille dame de 87 ans qui nous pose à tous, jeunes et vieux, la question du sens de notre vie.

Vita-Sackville-West-copie-1.jpgDans la vie, quel choix est le bon ? faut-il faire le choix que tous attendent autour de nous, parents, amis, opinion ? Ou faut-il prendre la voie qui est celle de notre intime conviction? Naturellement, nous sommes  tenté de penser que la seconde solution est la bonne, mais quel courage elle suppose, quel égoïsme elle nécessite, quelle solitude elle engendre ! Tandis que la première solution, nourrie de conformisme et de lâcheté, permet de nous évader de nous-mêmes en faisant ce que les autres nous demandent et en nous consacrant à eux. C’est la question que nous pose lady Slane, quel choix est le bon, celui de notre inclinaison ou le poids des convenances ?

À la mort de son mari, le comte de Slane, un homme fort important, les enfants de la vieille dame, désormais veuve et âgée de 87 ans, confèrent sur le sort de leur mère, qu’ils n’imaginent pas avoir des idées personnelles. Pour eux, il faut vendre la maison devenue trop lourde pour elle et l’héberger à tour de rôle. Devant le corps à peine froid de leur père, leur réalisme fait plaisir à voir, on sent qu’ils ont pensé à tout cela depuis fort longtemps.

La surprise vient de Lady Slane qui, tout en acceptant de vendre et de donner tout ce que l’on voudra, déclare tout de go qu’elle ira vivre seule à Hampstead, dans une maison qu’elle a vue et aimée du premier coup d’œil il y a trente ans. Tout en étant inquiets pour la santé mentale de la vieille dame finissante, ses enfants n’osent pas s’y opposer. Car ses motifs ne sont pas si stupides : après tout, elle s’est trop longtemps  préoccupée de l’opinion des autres pour ne pas prendre enfin le temps de vivre. Elle souhaite se comporter désormais comme une égoïste.

Contre toute attente, la maison que vise Lady Slane est à louer et cette dernière s’y installe en compagnie de sa servante ; le propriétaire des lieux se révèle charmant, à l’instar de son homme à tout faire. C’est que ce propriétaire, Monsieur Buckrout, fut autrefois un implacable et respecté homme d’affaire (« plus vous êtes implacable, Lady Slane, plus on vous respecte ! »). Il sait que ni la douceur, ni la modestie, ni la gentillesse ne payent dans ce monde construit sur la compétition, tant et si bien que seuls les poètes et les personnes très âgées peuvent encore s’opposer au modèle qui gouverne le monde. Or qui peut dire si cette fameuse compétition n’est pas une simple convention plutôt qu’une réelle nécessité, une simple illusion plutôt qu’une loi naturelle ? Qui sait si un jour les hypothèses qui fondent la compétition n’apparaîtront pas délirantes ?

Du coup, en la seule compagnie de ces deux vieux messieurs et de sa servante, Lady Slane se sent bien, sans doute pour la première fois de sa vie. Pour sa part, elle n’a jamais remis en question les lois qui gouvernent le monde, les partis politiques, les conflits internationaux, l’industrie ou la naissance. Elle a toujours cru que c’était un jeu nécessaire puisque les gens qui semblaient intelligents s’en nourrissaient, mais en même temps elle avait toujours eu l’impression de vivre  dans une humanité immergée dans les illusions, embarquée dans des rêves dérisoires. Elle observait avec tristesse que ses propres enfants, nourris malgré elle de cette philosophie, vivaient dans un univers stérile basé sur l’effort et la compétition. Ils ne pouvaient jamais se contenter d’être, d’être tout simplement !

 

C’est alors qu’elle se rappela cette nuée de papillons jaunes et  blancs qui voletaient autour de la voiture dans le désert persan, dansant autour d’eux. Dansant dans la lumière, ils personnalisaient ses pensées les plus insolentes, ses rêves les plus fous. 

 

Lire la suite

Que faire?

8 Juillet 2010 Publié dans #PHILOSOPHIE

Que faire ?

Dans l’article du 26 juin dernier, intitulé «  Qui est ce sage qui prétend décider pour moi ? », j’observais que j’avais beaucoup de mal à distinguer un sage, dans la foule des insensés, des ignorants et des escrocs qui dirigent les sociétés humaines. De plus, s’il est vrai que je suis sûr de presque rien, je sais au moins qu’il est inimaginable que j’abandonne à qui que ce soit la responsabilité de ma vie, car ce serait en complète contradiction avec le sens même de la condition humaine.

Laurent Terzieff Photo J VAUCLAIRCar l’homme, depuis qu’il a superposé la conscience à l’instinct, se trouve par définition contraint de prendre ses responsabilités. Alors, que faire ? La conscience que nous avons de notre condition humaine nous répond : il n’y a pas de guide, nous avons l’entière liberté et la totale responsabilité de nos pensées et de nos actes.

Lorsque nos affaires prospèrent, nous reconnaissons volontiers que c’est grâce à notre intelligence, notre activité, notre chance. Seuls les vrais philosophes vont bien parce que le soleil se lève à l’horizon, et que les oiseaux gazouillent. Lorsque nous allons mal, c’est la faute de la science, de l’argent, de la société ou de notre prochain. Ce n’est pas parce que nous avons mal agi. Il nous faut résoudre cette attitude schizophrène qui nous écartèle, accepter de reconnaître que le mal, notre mal existe.

Puisque nous sommes irrémédiablement seuls, orphelins perdus dans l’Univers, notre guide reste encore et toujours la conscience de notre condition, qui nous oblige à donner un sens à notre vie. Nous avons impérieusement besoin de lui donner une valeur qui la transcende. Ni les développements merveilleux de la technique, ni les querelles de la vie en société, ni même les fulgurances de l’art ne nous permettent d’échapper à cette nécessité.

Encore et toujours, il nous reste l’entière et lourde charge de donner un sens à notre vie. Sur quelles fondations ?

En raison de sa conscience aiguë d’être vivant, l’homme est pris entre deux feux. D’un côté, il a sans cesse l’obsession de perfectionner ses outils, de contrôler au mieux sa biosphère, et d’un autre côté il lui insupporte de ne pas être le créateur de ce monde.  Il en conçoit une angoisse devant la mort, l’infini et l’incompréhensible, qui le conduit notamment à sacrifier aux vertiges de la consommation pour oublier toutes ces horreurs.

Pourtant, une sorte de force s’impose à lui, selon une logique qui le dépasse et qui emporte les sociétés qu’il a fabriquées au fil du temps. C’est cette logique autonome qui l’a contraint malgré lui à dépasser l’ère de la chasse, et toutes les ères suivantes. Il a avancé de la sorte, en élaborant des systèmes de plus en plus complexes qui ont pour vertu de libérer les individus des contingences physiques, au point de leur permettre de vivre dans l’espace et pour vice de rendre ces systèmes de plus en plus dépendants de l’écosystème.

On commence à entrevoir le moment ou l’interférence entre la technologie et la nature deviendra si prégnante qu’elle menacera la survie de l’humanité tout entière. On peut pourtant se rassurer sur ce point, qui inquiète tant nos sociétés, en observant qu’il s’agit du risque qui menace tout système en expansion, un risque que l’homme est fort capable de maîtriser en inventant de nouvelles techniques orientées vers le maintien de sa biosphère. Mais de mon point de vue, le danger principal qui guette l’espèce humaine réside dans le fétichisme pour les outils intellectuels forgés par les hommes dans le passé.

Ce fétichisme les empêche de modifier leur vision d’un monde, un monde qui a changé, précisément sous l’influence de ces outils qui sont aujourd’hui dépassés. 

 

Lire la suite