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Le blog d'André Boyer

LE PROBLÈME DE DIAGORAS

22 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

LE GÉNÉRALISSIME GAMELIN

Jusqu'ici, nous savons que rien ne nous garantit contre l'apparition d'un Cygne Noir, ni une longue cohorte de Cygnes Blancs, ni une avalanche de "preuves" en leur faveur. Qu'est ce qui nous fait encore défaut pour voir venir ce Cygne Noir?

 

Lisez l'histoire de Diagoras que nous conte Cicéron. Ce Diagoras n'était qu'un fichu athée que ses amis croyants essayaient de convertir. Pour y parvenir, ils lui montraient des tablettes peintes représentant d'un côté des dévots en train de prier et de l'autre côté les mêmes dévots qui avaient réussi à survivre au naufrage de leur navire.

"Tu vois, disaient ses amis à Diagoras, ils ont prié et ils ont survécu !". Certains étaient plus directs : " C'est parce qu'ils ont prié qu'ils ont survécu !". Diagoras les écouta tous quelque temps sans rien dire, puis il plissa son front en signe de réflexion avant de les interroger :  "Mais où sont les portraits de ceux qui avaient prié et qui sont morts noyés ?".

Cette terrible question est double. D'une part, les vainqueurs quels qu'ils soient, rescapés d'un accident, gagnants en affaires, sportifs triomphants ou même vainqueurs au Loto, ont une fâcheuse tendance, et le bon public avec eux, à attribuer leurs succès à leurs mérites, rarement à la chance. On peut même généraliser et postuler que les hommes, parce qu'ils sont à la recherche forcenée d'une explication, ont tendance à relier un peu trop simplement les effets à une cause, que ce soient des succès ou des échecs. Surtout les succès*.

D'autre part, si on entoure volontiers les gagnants et si l'on scrute les raisons de leur succès, on regarde avec moins d'acuité le sort des perdants. "Vae victis " : si l'on a perdu, c'est qu'il y a une raison, parce que l'on était plus faible, moins intelligent ou parfois, mais on le mentionne peu volontiers, moins chanceux que les vainqueurs.

C'est ainsi que, longtemps, j'ai été impressionné par le tout petit nombre d'ouvrages consacrés en France à la défaite de 1940, à l'exception du livre de Marc Bloch, écrit sur le coup, "L'Étrange défaite". En revanche les ouvrages anglo-saxons pullulaient sur le sujet. Pourquoi donc les historiens français ne voulaient-ils pas tirer les leçons de cette retentissante défaite stratégique, militaire et même sociétale de la France ? La réponse tenait dans la question : ils ne tenaient pas du tout à en tirer les leçons, des leçons trop lourdes de conséquences, tant l'échec français était patent. Ils se refusaient tout bonnement à l'analyser. En revanche, les anglo-saxons s'en gargarisaient, y trouvant toutes sortes de justifications à leur supposée supériorité, oubliant souvent de mentionner l'existence de la Manche comme la raison principale de leur survie...

C'est très ennuyeux de se refuser à analyser d'analyser les raisons de l'échec, en particulier du sien, lorsque l'on veut comprendre d'où viendra le prochain Cygne Noir. J'aurais rêvé, après mai 1940 qui a vu la plus grande défaite de l'histoire de France, qu'une conférence nationale se réunisse pour en déterminer les causes et en tirer les conséquences. Au contraire, on n'a eu de cesse de pousser la poussière du désastre sous le tapis. C'était pourtant l'usage des Romains de la République de tirer les leçons de leurs échecs, avec la volonté d'en analyser sérieusement les causes tout en n'hésitant pas à reconnaitre le rôle du hasard, afin d'en tirer les conséquences...pour gagner.

Mais lorsque nous attribuons des causes simplistes à des évènements complexes, ne nous étonnons pas de voir débouler un Cygne Noir là où nous n'attendions que des Cygnes Blancs.  

En posant que les Ardennes étaient infranchissables aux chars allemands, Gamelin les a vu tronçonner ses armées en deux. Mais, si à la suite de cette immense faute stratégique, les Français attribuent au seul Gamelin la perte de la guerre de 1940, ils commettent une erreur d'analyse tout aussi monumentale.  Car ni Gamelin, ni les Français n'ont sérieusement pris les moyens de voir venir le Cygne Noir : le premier en a bu les conséquences jusqu'à la lie, les seconds sont encore et toujours les victimes de leur refus d'analyser les causes de la défaite.

 

Nous proposons donc une quatrième règle, la règle de Diagoras, pour ne pas être surpris par l'irruption d'un Cygne Noir inattendu : sans sous-estimer le rôle du hasard, regardez les vaincus comme les vainqueurs dans toutes leurs dimensions avant d'attribuer une cause simple à un échec ou à un succès.

 

* Essayez de publier le livre dont le titre serait le suivant : " Ce que j'ai appris en perdant un million d'Euros". Bonne chance pour trouver un éditeur.

 

À SUIVRE 

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