LA POPULATION DE LOUISBOURG
Progressivement, l’aspect militaire de la colonie de l'Île-Royale prit le dessus sur la pêche. Louisbourg entretenait l’espoir des Canadiens et encore plus des Acadiens restés dans ce qui s’appelait désormais la Nouvelle-Écosse.
Le 2 septembre 1713, lorsque la France prit officiellement possession de l'île du Cap-Breton, un seul Français y habitait en compagnie d'une trentaine de familles Micmacs. Trois mois plus tard, 155 habitants de la colonie de Plaisance (Terre-Neuve) vinrent y trouver refuge. En 1716, on comptait déjà dans l’ile 1500 habitants, des artisans engagés pour la construction de la forteresse, des militaires, des commerçants, des matelots et des fonctionnaires, sans compter 1100 pêcheurs qui n’y résidaient que l'été.
En dehors de la ville fortifiée de Louisbourg, 900 habitants au plus ont résidé sur les côtes est et sud-est. Au total, sans compter les militaires, les pêcheurs et les travailleurs saisonniers, un recensement officiel en 1752 évalue le nombre d’habitants de l’île à 3500, dont plus de la moitié à Louisbourg même.
Parmi eux, neuf hommes pour une femme. En effet, Louisbourg attirait surtout les hommes célibataires en tant que port et de ville de garnison, avec des problèmes de prostitution, de consommation d'alcool et de jeux.
Les enfants étaient nombreux, puisqu’en 1737 ils représentaient 45% du nombre des civils. Malgré ce pourcentage élevé, le Ministre de la Marine ne s’est jamais préoccupé de construire une école pour eux, alors qu’elles étaient assez répandues au Canada. À Louisbourg, même les enfants des officiers et des gentilshommes savaient à peine lire et écrire.
L’ile avait un problème d’alimentation, car ses terres rocailleuses n'étaient guère propices à la culture. Aussi, les Acadiens qui étaient restés en Nouvelle-Écosse fournissaient-ils en denrées de première nécessité les habitants de Louisbourg tandis que tout le reste était importé de France.
Les militaires représentaient la moitié de la population de l’ile en 1758, soit 3500 hommes. Ils provenaient à l’origine des Compagnies franches de la Marine auxquels s’ajoutèrent à partir de 1755 un bataillon du régiment de Bourgogne, un autre du régiment d’Artois et juste avant le siège de 1758, un bataillon du régiment de Cambis, qui refusera de rendre ses armes lors de la capitulation de 1758. La troupe de fantassins était complétée par deux compagnies d’artilleurs comptant chacun une cinquantaine d’hommes.
La Marine française employait en outre beaucoup d'hommes, car l'exploitation du port exigeait de nombreux spécialistes, capitaine de port, pilotes, navigateurs, hydrographes et même un astronome. C'est à Louisbourg que l'on construisit en 1734 le premier phare de la Nouvelle-France.
Le clergé était en nombre très réduit à Louisbourg. L'évêque résidait à Québec et il n'y avait même pas d'église paroissiale à Louisbourg, malgré plusieurs projets pour la construire. Mais le commissaire-ordonnateur ne put jamais convaincre les habitants de Louisbourg de payer une taxe pour l'édification de l'église alors que les petites agglomérations avoisinantes en possédaient une.
La ville de Louisbourg comptait cependant un curé et trois ou quatre aumôniers. Ces derniers enseignaient en principe les rudiments de l’écriture et de la lecture en plus du catéchisme. On comptait aussi trois missionnaires français qui se consacraient à l’évangélisation des Micmacs. Deux communautés religieuses, les Frères de la Charité de Saint-Jean-de-Dieu et la Congrégation de Notre-Dame de Montréal étaient présentes. La mission des Frères de la Charité était d'assurer les soins auprès des malades et des infirmes. À l’hôpital du Roy, de 100 lits, cinq ou six frères y soignaient surtout la dysenterie, la variole et le typhus. Les six sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, venues du Canada, enseignaient le catéchisme, la lecture, l'écriture et la couture aux jeunes filles. Elles accueillirent au plus une centaine d’élèves.
Mais, contrairement à la situation qui prévalait au Canada, notamment à Québec, à Trois-Rivières et à Montréal, l'Église catholique n'a jamais exercé une influence considérable sur les habitants de Louisbourg.
En sus des militaires, des civils et du clergé, l’île comptait encore trois catégories sociales remarquables, des esclaves et des étrangers et des indiens micmacs. L’île comptait environ deux cent esclaves, 90% d’origine africaine et 10% d’Amérindiens. Ce grand nombre d'esclaves s'explique par le commerce entre l’île et les Antilles. Beaucoup furent ensuite affranchis. De plus, l’île comptait aussi des Basques, des Allemands, des Espagnols, des Suisses, des Irlandais, des Écossais et des Anglais. Les Basques pratiquaient la pêche, les Allemands et les Suisses étaient des mercenaires dans l'armée française. Les Irlandais, les Écossais et des Anglais étaient des catholiques qui avaient fui la répression religieuse pratiquée en Grande-Bretagne.
Tous les étés, l’île accueillait des centaines de pêcheurs, de marins et de marchands qui lui donnait un caractère cosmopolite. On y parlait le français du Roy (la langue administrative) et aussi le basque et le micmac.
De plus, depuis des temps immémoriaux, les deux îles de la colonie abritaient des Micmacs, qui comptait sept nations et environ sept cent personnes dans l'île Royale, qui vivait en harmonie avec les Français. Les missionnaires étaient des intermédiaires incarnant l'alliance à la foi et au roi.
La colonie comprenait deux iles, l'île Royale et l'île Saint-Jean, cette dernière jouant un rôle déterminant dans la survie de la première.