Biélorussie, l'anti-modèle?
28 Avril 2011 Publié dans #ACTUALITÉ
Si je vous dis « Biélorussie », une seule pensée vous vient à l’esprit : « c’est une dictature de type soviétique » et vous vous rappelez peut-être d’un nom, celui de son dictateur honni, Alexandre Loukachenko.
En clair, vous ne savez rien de la Biélorussie, officiellement appelée République de Bélarus, parce que vous n’avez aucune raison de vous intéresser à ce « petit » pays de deux cent mille kilomètres carrés de plaines, de forêts et de lacs peuplé de dix millions d’habitants et entouré par la Russie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne et l’Ukraine.
Vous vous rappelez vaguement que la capitale est Minsk et que Tchernobyl est situé à dix kilomètres à peine de la frontière sud de la Biélorussie, mais vous avez oublié que la Bérézina[1], devenue synonyme de catastrophe finale, se trouve aussi en Biélorussie. Par contre, vous vous attendez à vous réjouir de la chute prochaine du dictateur, qui ne manquera pas d’être chassé par une opposition démocratique qui a le soutien du peuple biélorusse opprimé. D’ailleurs, les élections qui viennent de se dérouler en Biélorussie sont contestées par l’UE et les États-Unis qui ont, en représailles, interdit de visa chez eux le président Loukachenko et ses proches collaborateurs depuis février 2011. C’est bien fait pour eux, ils devront se résigner à prendre leurs vacances sur la mer Noire…
Il reste qu’au total, aucun media ne vous a décrit la situation économique et sociale biélorusse. Elle ne doit pas être très bonne avec un pareil régime, qui a des airs d’un Cuba ou d’une Corée du Nord implanté dans la steppe.
En plus, le pays est peu touristique, il ne possède ni gaz ni pétrole, il n’a pas d’accès à la mer, son climat est froid, ses terres se prêtent assez peu à l’agriculture. Il s’y ajoute que la Biélorussie a été fortement touchée par la catastrophe de Tchernobyl puisqu’elle a reçu 70 % des retombées radioactives de la centrale ukrainienne voisine, alors que le pays ne possède pour sa part aucune centrale nucléaire,
Or, surprise, lorsqu’on regarde les chiffres, c’est tout le contraire, le pays semble disposer d’une économie en plein développement et d’un système social que l’on pourrait envier sous d’autres cieux.
Avec un revenu par habitant qui représente le tiers de celui des Français, mais supérieur d’un tiers à celui des voisins ukrainiens, la Biélorussie rattrape rapidement son retard avec l’un des taux de croissance les plus élevés d’Europe, entre 6% et 10% selon les années. On apprend ainsi qu’en 2010, son taux de croissance a encore été de 7,6%.
En Biélorussie, il n’y a presque pas de chômage et les retraites sont beaucoup plus élevées que dans l’Ukraine voisine. La criminalité y est faible, la corruption aussi. Pour un peu, on dirait que je décris la Biélorussie comme les communistes croyants décrivaient autrefois l’URSS.
En effet, le parallèle a du sens. Car ce qui explique ces données positives, c’est que la Biélorussie n'a pas connu la brutale et violente réforme économique d'inspiration libérale qu'ont pratiqué ses voisins. Son industrie et son agriculture ont été en grande partie préservé et les inégalités n'ont pas explosé comme en Russie. On trouve toujours des kolkhozes en Biélorussie et l’État biélorusse contrôle encore les deux tiers de l’économie, y compris les banques, si bien que son éloignement du système économique mondial a permis à la Biélorussie de ne pas subir les effets de la crise de 2008-2010. Plutôt que l’URSS, est-ce que le conservatisme biélorusse n’aurait pas un certain cousinage avec celui de la Chine ?
Si l’on consulte l’avis maussade de l'ambassade de France à Moscou, ses conseillers trouvent que ces bons résultats doivent être relativisés. Ils font tout d’abord remarquer qu’il règne une forte inflation en Biélorussie en raison d’une trop forte hausse des salaires octroyée par les autorités. C’est vrai, ce n’est pas bien d’accorder de trop fortes augmentations de salaires, cela augmente le coût du travail et baisse le rendement du capital…
En plus, observe sans plaisir les conseillers de notre ambassade, l'économie biélorusse reste administrée de façon centralisée et c’est la lenteur des réformes qui a permis de conserver des structures de production quasi inchangées depuis la période soviétique.
Mais n’est-ce pas justement cette lenteur des réformes qui est à louer dans le système biélorusse ? tout détruire d’un coup n’est-il pas un choix malencontreux que nous avons recommandé imprudemment à ces pays dans notre hâte de les voir nous ressembler et dans notre refus d’envisager d’autres solutions que les nôtres ? Il se trouve que les Chinois, qui ne nous ont pas écouté aux alentours du printemps de Tian’anmen, ne semblent pas s’en porter trop mal.
On sent que cette hostilité de la France en particulier et de l’Union Européenne comme des États-Unis en général vis-à-vis de la Biélorussie a des raisons politiques, encore que l’apparente réussite de cette économie restée centralisée les agace assez violemment…
[1] La bataille de la Bérézina eut lieu du 26 au 29 novembre 1812 près de la rivière Bérézina, aux alentours de la ville de Borissov dans l'actuelle Bielorussie entre l'armée française et les armées russes de Koutosov, après l'échec de la campagne de Russie (voir un prochain blog)