LE CAS ÉTUDE DE CAS
28 Février 2017 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
Après l’épreuve théorique, je pris vaguement conscience que ma prestation avait été au mieux moyenne, au pire médiocre. Je pensais qu’elle risquait d’handicaper mon classement, mais à vrai dire je n’en savais rien et plus de trente six ans plus tard, je n’en sais toujours rien.
La troisième et dernière épreuve consistait en une étude de cas portant sur le domaine de spécialité du candidat. Malheureusement, je n’avais pas vraiment de spécialité en Sciences de Gestion. J’avais fait une thèse sur la fiscalité, mais j’y avais traité de stratégie et de finance. Je m’étais intéressé à la théorie de la firme selon l’approche de l’économie industrielle. Enfin, j’avais écrit en marketing, mais en utilisant plutôt mes connaissances mathématiques.
J’hésitais à choisir la stratégie, discipline globale donc dangereuse pour me déclarer finalement spécialiste en marketing, plutôt par défaut que par conviction.
J’allais disposer de huit heures en « loge », en d'autres termes isolé, pour préparer l’épreuve de cas à partir d’un texte d’une vingtaine de pages en moyenne que l’on vous remettait, bourré de statistiques, d’opinions et d’exposés synthétiques plus ou moins utiles. L’épreuve consistait à exposer en une demi heure une solution plutôt que la solution du cas. La différence avec l’épreuve théorique résidait dans un échange de questions-réponses après l'exposé entre le jury et le candidat. Or, l’opinion du jury sur ce dernier se formait largement au cours de la discussion.
Je m’étais préparé à cette toute dernière épreuve de manière originale, on en conviendra. Cette préparation n’avait pas consisté à traiter foule de cas de marketing et à les exposer à mes collègues, mais à écrire un cas que j’avais appelé ÉTUDE DE CAS et que j’avais presque gardé par devers moi. Il commençait ainsi : « En mars 1980, Charles Schola, Assistant à l’IPGUN, Institut de Préparation à la Gestion de l’Université de Nice, s’interroge sur l’utilisation de la méthode des cas ». J’avais choisi Charles Schola comme pseudonyme et l’IPGUN cachait mal l’IAE de Nice.
Dans ce texte de 19 pages que je consacrais au cas ÉTUDE DE CAS, je procédais à toute une série d’interrogations. Cela commençait par la question existentielle suivante :
Pourquoi ne pas traiter de la démarche des études de cas sous la forme d’un cas sur les cas et « présenter un miroir de la réalité que sont censés représenter les cas, à la manière de Lewis Caroll ? »
Les interrogations sur les divers sens d’une étude de cas foisonnaient en effet dans mon article, qui se situait quelque part entre l’essai philosophique et la parodie d’étude de cas, interrogations souvent formulées avec ironie : ainsi, notais-je, les documents rassemblés pour préparer une étude de cas n’étaient-ils pas surtout destinés à égarer l’étudiant pour tester sa sagacité ? Ou bien n’étaient-ils pas artificiellement choisis en fonction du problème que voulait suggérer l’auteur, et in fine sa solution ?
J’en profitais pour décrire de manière satirique comment on se servait des cas dans l’IPGUN depuis mai 1968 : des histoires d’entreprise soi-disant « vraies », un petit côté « histoires racontées par grand-mère avant de s’endormir », une présentation souvent simpliste des comportements qui poussaient les étudiants à proposer le licenciement immédiat des responsables (de l’entreprise et de l’auteur du cas) comme opération préalable avant toute étude sérieuse du cas !
J’observais que "rares parmi les étudiants étaient ceux qui l’avaient lu et que l’animateur lui-même n’avait pas toujours lu le cas récemment". Sport traditionnel à l’université, j’en profitais pour régler perfidement mes comptes avec mes collègues des diverses disciplines de gestion, sans risque puisque j’étais quasiment le seul auteur et lecteur du cas ÉTUDE DE CAS.
En outre, je m’interrogeais sur le « pourquoi » des études de cas, sur la difficulté d’évaluer les connaissances acquises par leur truchement, sur le lien qu’elles étaient censées établir entre les « faits » et la théorie. J’en étais conduit à me demander ce que l’on enseignait vraiment en gestion, question que je me pose encore car, écrivais-je, « la gestion présuppose l’acquisition d’un certain nombre de principes simples qui s’appliquent à des faits compliqués, presque insaisissables ». J’y allais carrément : Qu’est ce que la théorie ? Et tant qu’à s’interroger, qu’est ce donc qu’un fait ?
Du coup, j’observais que « L’enseignement de la gestion hésite entre deux précipices, l’enseignement technique sans conscience et l’effroi philosophique qui paralyse toute action. Les études de cas sont-elles faites pour mettre un pied dans le vide, sans trop de risque ? »
Un peu perdu au milieu de toutes ces interrogations, Charles Schola décidait alors que « la bonne question était, peut-être, désormais : que faire pour réussir une bonne étude de cas ? ». C’était dégourdi en effet de se poser la question puisque Charles, c’est à dire moi, se devait de réussir une bonne étude de cas afin d’obtenir l’Agrégation en Sciences de Gestion !
Suivait toute une série d’analyses, adressées à moi-même, que Charles formulait à propos de deux questions basiques « Qu’est-ce qu’un cas ? » et « Comment bien s’en servir ? » qui concluaient le texte proprement dit, auquel s’ajoutaient tout de même huit annexes…
En définitive, je m’étais bien amusé à écrire ce cas ÉTUDE DE CAS. C’était déjà pas mal. Restait à vérifier que cet exercice de défoulement philosophico-humoristico-pratique me soit utile pour réussir la dernière épreuve du concours…
PS : Après le Concours, je décidais de soumettre ce document de recherche à la Revue de la FNEGE "Enseignement et Gestion" consacrée à la pédagogie, mais, pour une raison inconnue, il ne fut pas retenu pour publication.