PAROLES ARMÉES II
J’ai essayé de montrer dans le blog précédent quel était l’enjeu de la bataille qui s’engage, en ayant pour objectif la destruction de l’État Islamique. À partir de cet enjeu, nous pouvons approfondir notre analyse à partir de l’ouvrage de P.J. Salazar.
Face à une conscience européenne, et singulièrement française, endormie par un demi-siècle de paix qui n’a été que vaguement troublée par des combats périphériques, Dae’ch a surgi au cœur de Paris pour assassiner de tranquilles citadins attablés aux cafés ou des spectateurs de chanteurs rocks et de matchs de foot.
Confronté au chaos provoqué par Dae’ch, P.J. Salazar s’attache à nous montrer où se situe ses forces, qu’il serait bien avisé de connaître avant de l’affronter.
Le discours de Dae’ch est un mélange de prédication religieuse et de harangue militaire qui galvanise, entraine et mobilise au nom de valeurs transcendantales, ignorées, voire niées par l’Occident qui s’en trouve empêché de comprendre ces « terroristes ».
Car ces derniers ne se qualifient naturellement pas ainsi. Ils se perçoivent comme des soldats de Dieu et de ses valeurs qui doivent maintenir puis élargir le Dar al-islam destiné à accueillir les musulmans opprimés ailleurs. Élargir, car la logique de son combat implique que ce territoire doive être agrandi par la conquête en fonction des opportunités, ce qui implique de mener en permanence une guerre « sainte » contre tous ceux qui ne se rallient pas à leurs thèses, musulmans sunnites mous, musulmans chiites et bien entendu non-musulmans.
Il est improductif de qualifier les Européens qui les rejoignent de « paumés », car ces derniers se voient plutôt comme des héros. Des héros parce qu’ils s’engagent pour une cause qui les transcende et qu’ils y mettent toute leur force et leur volonté au point d’y sacrifier leur vie. D’ailleurs, ceux qui les combattent sont frappés par leur absolue détermination.
Il faut donc être conscient de ce hiatus entre leur monde et le nôtre. Face à leur détermination d’une violence inouïe, nous recommandons le dialogue, la tolérance, l’amour. Face à leur grand dessein, nous prêchons pour le carpe diem et la consommation individuelle. Face à l’impératif de respect des commandements divins tels qu’ils les voient, nous sommes les avocats de la diversité, de la coexistence, du vivre-ensemble.
Comme nous nous refusons à reconnaître qu’il existe une différence fondamentale entre eux et nous, nous cherchons à tout prix à les inclure dans notre monde en les classant dans la catégorie des malades mentaux, fragilisés par les tares de notre société, le chômage, la discrimination, tares qu’il suffirait de corriger pour faire disparaître cette aberration : plus de crédits pour les banlieues ferait disparaître les partisans de Dae’ch qui deviendraient, ou redeviendraient, de doux pratiquants d’une religion musulmane apaisée ou « intégrée ».
Ce refus de reconnaître la différence, plus qu’une paresse intellectuelle, se niche dans la peur de ce monde d’affrontement et de violence qu’il faudrait identifier, justifier et organiser, un nouveau monde qui suppose de ranger dans les greniers de l’histoire notre période « bisounours ». Y consentir reviendrait à nous renier, à leur donner raison, nous dit-on.
En effet, nous sommes confrontés à un choix cornélien, nous adapter pour les combattre ou nous y refuser et capituler. Car P.J. Salazar relève que toutes les explications préfabriquées par les bisounours ne permettent pas de comprendre pourquoi des dizaines de milliers de personnes sont prêtes à mourir pour des idées que l’Occident croyait disparues.
Puis, parce qu’il est professeur de rhétorique, il s’emploie à décrypter l’arsenal de propagande de Dae’ch, ses vidéos sophistiquées, ses magazines sur papier glacé, ses sites Internet. Il explique le rituel de ce qu’il appelle le porno politique, ces scènes monstrueuses d’égorgement, de décapitation et de crucifixion. Il montre que, contrairement aux nazis qui cachaient leurs crimes, Dae’ch les diffuse en visant d’un côté à effrayer ses adversaires et d’un autre côté à enrôler de futurs combattants pour une lutte implacable. Montrer l’absolue violence démontrerait que la détermination sera absolue…
Il évoque la fascination des chants djihadistes, les nachids, psalmodiés d’une voix sourde par des chœurs masculins. Il note que la communication de Dae’ch utilise souvent un langage châtié, poétique et lyrique, loin de celui des banlieues. Voici par exemple un extrait de la revue Dar al-islam de janvier 2015, que l’on croyait réservé à Bossuet :
« Qu’en est-il donc de ceux qui s’allient à ces hommes sans foi, s’attristent de leur mort, se désavouent des héros qui ont appliqué le jugement du Seigneur sur ses ennemis ? Ils n’ont fait que faire apparaître leur hypocrisie, leur manque de foi et leur absence d’amour envers l’envoyé du Seigneur. »
Notez au passage qu’ « Allah » a été remplacé par « Seigneur » et notez aussi, songeur, à « leur absence d’amour ». Leur absence d’amour…
Afin que nous ne restions pas désarmés, P.J. Salazar nous incite donc au réalisme, avant de nous questionner sur les valeurs que nous voulons défendre, et défendre jusqu’à quel point ? La liberté de conscience ? La laïcité ? La chrétienté ? L’Europe ? La France ?
Puis il conclut en proposant une stratégie de négociation avec le califat. Car « que le calife meure, assassiné par un drone, ne changera rien : il aura un successeur. » En ce sens, dit-il, « le califat nous remet dans la realpolitik: apprendre à coexister belliqueusement avec l’ennemi et non seulement le contrecarrer sur le terrain avec la force qui s’impose, mais aussi le contrecarrer sur le terrain de la persuasion. ».
« Paroles Armées » nous rappelle ainsi qu’il faut tout d’abord identifier Dae’ch, inventorier ses forces et ses faiblesses et reconnaître en même temps les nôtres. Puis qu'il nous faut rassembler nos moyens pour le vaincre, avant de trouver un modus vivendi avec un integrisme qui aura abjuré le terrorime, car une forme ou une autre d'intégrisme restera, mais nous aussi nous resterons.
En somme « Paroles Armées » est une sorte de contrepoint à « Soumission » de Houellebecq, un livre qui ne nous renvoie pas une image névrotique de notre société prête à toutes les soumissions mais qui nous incite à la lucidité et à la mobilisation pour retrouver enfin le chemin de la puissance, avant de cohabiter en position de force.