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Le blog d'André Boyer

PARTIE D'ÉCHECS AU MOYEN-ORIENT

27 Septembre 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

PARTIE D'ÉCHECS AU MOYEN-ORIENT

On ne sait pas très bien si le jeu d’échecs a été vraiment inventé par les Perses, mais ils savent apparemment mieux y jouer que les Américains, qui paraissent préférer le poker.

 

La partie d’échecs a commencé par un premier coup amplement annoncé par Donald Trump, lorsqu’il a dénoncé le 8 mai 2018 l’accord de Vienne (PAGC) signé par son prédécesseur avec l’Iran, la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine. 

La stratégie de Trump était simple, écraser l’adversaire sous les coups financiers, « les sanctions », en supprimant toutes ses recettes pétrolières. D’après Trump, le match s’arrêterait lorsque l’Iran demanderait grâce, ce qui d’après lui ne saurait tarder. Il pourrait alors dicter ses conditions et apparaître comme le vrai défenseur des intérêts des Etats-Unis, contrairement à ce pleutre d’Obama.  

Mais l’Iran prit tout son temps pour jouer à son tour. Il respecta le traité pendant un an et fit semblant de croire que les Européens allaient  compenser les pertes que voulaient lui infliger les Américains. Cette posture lui permit de mettre les bonnes volontés de son côté et de préparer soigneusement le terrain, qui contrairement à ce que croyaient les États-Unis, n’était pas uniquement financier mais aussi politique, militaire, culturel et historique. Il renforça ses positions en Syrie et au Liban avec le Hezbollah, en Irak avec les milices chiites et au Yémen avec les Houthis.   

Puis il joua à son tour : d’une part, il annonça qu’il allait cesser progressivement de respecter le PAGC pour mettre les Européens et par ricochet Trump sous pression ; d’autre part, il commença à planter des banderilles dans le dos des États-Unis avec la destruction, le 20 juin 2019, d’un gros drone américain, un RQ4 Global Hawk.

L’Iran entendit bien Trump l’accuser d’avoir commis « une énorme erreur » mais, à part cela, il ne se passa rien. Trump refusait de risquer sa réélection en prenant l’initiative de la confrontation, d’autant plus que toute sa politique au Moyen Orient tendait à refuser les conflits armés. Il laissa jouer ses conseillers avec la saisie d’un pétrolier iranien mais lui et les Anglais comprirent vite que les Iraniens savaient répondre coup pour coup : un pétrolier contre un pétrolier, un pion contre un pion. Il essaya alors de monter une coalition, mais il n’y parvint pas. Il prétendit aussi accroître encore les « sanctions » et il le prétend encore, mais chacun sait qu’il ne fait plus qu’empiler des mesures devenues inopérantes. Bullshit. 

De fait, il ne savait plus quoi faire, au point qu’il lui fallut même subir la bonne volonté envahissante de son « ami » Macron qui eut le culot de faire venir le Ministre des Affaires Étrangères d’Iran, Mohamad Javad Zarif, à Biarritz lors du G7, le 25 août. Il clôtura cette séquence en virant Bolton le 9 septembre, afin que chacun comprenne bien, Iran en tête, que la guerre ne faisait pas partie de ses options, même s’il prétendait que c’était pour lui « la solution de facilité ».  

Il ne peut plus le prétendre aujourd’hui, car, alors qu’il se trouvait bizarrement réduit, lui le chef de l’État le plus puissant du monde, à attendre que l’Iran, théoriquement à genoux, veuille bien négocier, le ciel lui est tombé sur la tête. En effet,  le 14 septembre, à l’aide de missiles de croisière et de drones, les Iraniens, sous couvert des Houthis, ont transpercé la défense anti-aérienne du royaume saoudien, pourtant assurée par une multitude de satellites espions et un nombre considérable de Patriots, ce qui a réduit provisoirement de moitié la production de pétrole brut saoudien.

Il reste que l’évènement majeur n’est pas économique mais stratégique. Il s’agit d’un changement complet dans l’équilibre des forces en présence. Le fait que l’Iran, avec des ressources limitées et sous le coup de sanctions, soit parvenu à infliger des dommages écrasants à une Arabie Saoudite théoriquement beaucoup mieux armée et censée être défendue par les États-Unis, change totalement la donne. 

Ces deux pays hésitent à riposter parce qu’ils savent aujourd’hui, contrairement à ce qu’ils auraient pu croire il y a un an, qu’une contre-attaque de l’Iran ne serait pas une partie de plaisir. Les installations de production pétrolière et les usines de dessalement qui fournissent une grande partie de l’eau douce à l’Arabie saoudite fournissent d’excellentes cibles pour les drones et les petits missiles que possède l’Iran en quantité. 

Anthony Cordesman, expert militaire au Centre d’études stratégiques et internationales de Washington, résume de la sorte l’importance de ce changement : « Les frappes contre l’Arabie saoudite constituent un avertissement clair que l’ère américaine de suprématie aérienne dans le Golfe et son quasi-monopole sur la capacité de frappe de précision sont terminés». En effet, le coût et la simplicité de ses drones et de ses missiles font que l’Iran, directement ou par l’intermédiaire des Houthis ou du Hezbollah, est capable d’en produire assez pour venir à bout de n’importe quel système de défense anti-aérienne.

La partie d’échecs touche donc à sa fin. Les Iraniens font désormais monter les enchères en demandant comme préalable à toute négociation la levée des sanctions. La vulnérabilité de l’Arabie Saoudite et d’Israël en font des otages entre les mains de l’Iran. En outre, les enjeux sont devenus tout à coup énormes : on attendait l’effondrement de l’économie iranienne et la chute du régime des ayatollahs et voilà qu’il est question de la perte de la crédibilité militaire des États-Unis, de la survie du régime saoudien, de la neutralisation d’Israël et du maintien de la production pétrolière dans le Golfe, car Trump et les drones, chacun pour leur part, ont rendu à l’Iran sa liberté.

 

Aussi est-il difficile de trouver un fiasco plus spectaculaire, en matière de politique étrangère, que celui de « pression maximale » décidée par l’administration Trump contre l’Iranpuisqu’en quelques mois, cette politique s’est totalement retournée contre les États-Unis et leurs alliés du Moyen Orient*.

 

Désormais, le temps leur est compté : si l’Arabie Saoudite s’effondre, ils n’auront plus qu’à plier bagage, comme à Saigon…

 

*Lire « Dans le Golfe, Trump piège Trump », Le Monde du 27 septembre 2019. 

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