DOUBLE PUGILAT À L'IUT
J’ai été professeur à l’IUT de Nice (département des Techniques de Commercialisation) de 1983 à 1987, avant d’être nommé à l’Université de Nice et plus précisément à l’IAE de Nice.
Le retour à l’IAE n’était qu’un retour aux sources, puisque j’y avais été auparavant étudiant (1968-1969) et assistant (1972-1980). Mais entretemps, vers 1985, j’ai tenté d’accéder à la direction de l’IUT de Nice.
Mon premier pugilat, électoral, m’opposa au Directeur de l’IUT sortant, Jean Saide. Autant que je me souvienne, il gérait consciencieusement l’IUT de Nice, sans toutefois faire l’unanimité. Incité à me présenter par quelques amis, je savais au départ que j’avais peu de chances d’être élu, mais l’illusion lyrique qui accompagne toujours une campagne électorale me fit croire de plus en plus fortement à mes chances à mesure que le jour de l’élection approchait. Ce jour-là je revins brutalement sur terre, après avoir commis un discours agressif contre le directeur en place qui obéra complètement mes chances d’être élu.
Jean Saide fut donc réélu et je retournais sans trop d’amertume à mon travail de professeur qui connut alors un incident marquant, unique dans toute ma carrière. Ce fut mon deuxième et dernier pugilat, physique celui-là.
Jean Saide avait pris au sérieux les injonctions hypocrites du gouvernement de l’époque à pratiquer la discrimination positive. Il est vrai que nous avions la mauvaise habitude de donner la préférence aux lycéens qui obtenaient une mention au Bac et qui possédaient un bon livret scolaire. Il décida donc de nous recommander au contraire de donner la préférence dans le recrutement aux lycéens sans mention et encombrés d’un mauvais livret : je vous rassure, il ne se livra à cette expérience originale qu’une seule année, mais c’est justement cette année-là que j’acceptais malencontreusement de donner le cours d’introduction au marketing en 1ereannée.
Ce cours avait lieu chaque semaine, par séances de deux heures. J’avais en face de moi un amphi de 150 étudiants, assez agité. Je décidais de faire une pause d’un quart d’heure au milieu du cours et je distribuais durant cette pause trois ouvrages usagés de marketing afin que les étudiants se rendent concrètement compte du contenu de l’enseignement dans cette matière.
À la fin de la pause, les trois ouvrages avaient disparu. Si je me réjouissais du fort intérêt pour le marketing que ce vol signifiait, je ne manquais pas moins de rappeler aux étudiants que le marketing n’était pas fondé sur le vol (quoique…) mais sur l’échange et je leur demandais instamment de me rendre les trois ouvrages.
Ces derniers ne revinrent pas entre mes mains pendant ou après le cours. Je dois à la vérité de préciser que j’ai ensuite retrouvé les trois livres dans mon casier au cours de la semaine. J’aurais donc pu considérer que l'incident était clos, mais j’étais d’humeur vindicative, ce qui m’entraina vers une confrontation avec les étudiants.
La semaine suivante, je décidais d’imposer à tout l’amphi une épreuve surprise, composée de quatre questions relatives à l’analyse du comportement face au vol, selon une approche marketing qu’ils étaient bien incapables de pratiquer compte tenu du faible avancement du cours. J’ajoutais, pour renforcer le caractère frontal de l’affrontement, que cette épreuve compterait pour la note finale de l’examen, alors qu’en réalité je n’en avais pas l’intention. Mais mon but était de les provoquer au maximum pour leur montrer ma volonté de m’imposer au groupe, après l’incident de la semaine précédente.
J’ai été servi.
Tout de suite une étudiante au dernier rang en haut à droite, contesta mon droit à imposer une épreuve comptant pour l’examen dans ces conditions. Elle n’avait pas tort sur le fond, mais ce n’était pas le moment pour moi de le reconnaitre. Je lui demandais donc de quitter l’amphi, ce qu’elle fit sans barguigner, entrainant toute la rangée avec elle.
Divers autres étudiants élevèrent la même objection et je les excluais de même, sans incident. Je fis ainsi sortir de l’amphi une trentaine d’étudiants sur cent cinquante, avant qu’un étudiant contestataire ne finisse par refuser de sortir.
On s’en doute, la tension était à son comble.
Je fis à l’étudiant récalcitrant un discours selon lequel je ne faisais pas partie des professeurs qui prenaient prétexte du moindre incident pour quitter l’amphi et s’éviter à bon compte la fatigue de donner un cours. Personnellement, lui déclarais-je, je ne quitterai pas cet amphi et c’était donc à lui d’obtempérer à ma demande de quitter la salle. Comme il s’y refusait toujours, je montais encore d’un cran, en lui indiquant que s’il cherchait un rapport de force avec moi, il le perdrait, parce que j’étais totalement déterminé à le faire sortir. Et comme il ne bougeait toujours pas, je quittais l’estrade en bas de l’amphi, montait les marches, traversait le rang où il se trouvait, au milieu de l’amphi, pour le faire sortir de force.
Lorsque je voulus le prendre par le bras, il se débattit, je reçus sans doute un coup et je répliquais en lui assénant un uppercut du gauche qui l’assomma immédiatement. Je le rattrapais, le trainais sur les marches à moitié lucide et le fis sortir hors de l’amphi où je trouvais un appariteur à qui je demandais de l’accompagner à l’extérieur de l’IUT.
Après cet incident, l’épreuve et le cours eurent lieu dans une ambiance étrange, faite d’incrédulité et d’hostilité. J’étais évidemment inquiet des suites de cette altercation, je me préparais à faire face à une plainte de l’étudiant et à tout ce qui s’ensuivrait, du point de vue juridique, administratif et relationnel. Je mettais même au point une stratégie plutôt offensive pour y répondre.
À ma grande surprise et soulagement, rien de fâcheux ne se produisit. Les trente étudiants que j’avais exclus revinrent en cours la semaine suivante, y compris l’étudiant boxé. Puisqu’ils n’avaient pas participé à l’épreuve, je leur donnais en compensation un résumé de trente-six pages d’un ouvrage de marketing à faire. Puis les cours reprirent sans autre incident, encore que l’ambiance ne fût plus jamais satisfaisante en raison de l’incident de départ qui m’avait définitivement coupé des étudiants, au plan affectif.
J’imagine votre réaction, puisque je l’ai souvent entendue : cette histoire ne pourrait plus se dérouler aujourd’hui…
À SUIVRE