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Le blog d'André Boyer

LES NOËLS

24 Décembre 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

PUGET-THENIERS EN HIVER

PUGET-THENIERS EN HIVER

La brume descendait du Gourdan exprès pour noyer Puget-Théniers, privé de soleil jusqu'au 21 janvier, comme s'il était puni chaque année d'avoir voulu se nicher au déboulé de la Roudoule dans le Var.

 

Arrivant au village en ce mois de décembre, devant notre maison désormais vide et froide, entourée de son jardin figé, je me suis souvenu avec nostalgie des Noëls que nous y avons vécus.

Il n'en a pas toujours été ainsi. Auparavant, nous logions dans un appartement au-dessus de la Fabrique* et je ne me souviens pas des Noëls de très jeune enfant que j'y ai passés, sauf d'un émerveillement, la descente sur le centre de Nice avec d'incroyables Galeries Lafayette aux vitrines décorées de pères Noël, de crèches et de jouets et puis le quatrième étage des mêmes Galeries bruissant des cris des enfants et des ronronnements des jouets, dans un festival de lumières et de couleurs.

Mais, dans ce qui fut notre véritable maison familiale où ma mère a passé soixante-dix ans de sa vie et mon père quarante, nous avons commencé à fêter Noël lorsque j'avais sept ans. Nous étions en vacances quelques jours auparavant et ma mère nous attendait pour aller chercher de la mousse et du gui dans la forêt de l'autre côté du Var, une forêt bien humide que nous atteignions par un chemin qui partait de l'Usine Brouchier**. Il faisait froid, nous avions les mains gelées mais nous nous sentions des aventuriers intrépides, longtemps accompagnés par notre chien qui folâtrait tout autour.

De retour à la maison, ma mère finissait la crèche en l'entourant de mousse et ajoutait du gui dans l'arbre de Noël, qui  avait été coupé dans la colle Saint Michel par l'un des employés qui faisaient la tournée du Haut Verdon, Louis Rosie en général. L'arbre, de bonne taille, était cloué sur une croix de bois et installé dans le salon.

Pour concevoir sa crèche, ma mère s'était inspirée d’une crèche réalisée par un ami de la famille, Jo Boggio, qui représentait des maisons de Puget, l'église, une maison du vieux village, une autre à moitié détruite et même la gare, tout cela en contreplaqué peint. Elle y plaçait ses santons de Provence, un peu plus nombreux chaque année autour de la crèche proprement dite où se nichaient tous les personnages qui attendaient Jésus, y compris l'âne et le bœuf. Jésus, lui, ne venait naturellement s'installer au centre de la crèche que le 25 décembre au petit matin.

Le plus remarquable reste que toute la crèche, bien rangée, subsiste toujours. En outre, ma sœur a eu la magnifique idée d'en faire une copie et je ne doute pas qu'elle ressorte un beau jour, un très beau jour.

Le soir de Noël, ma mère, mon père enfin libéré de son travail, ma sœur, mon frère, longtemps ma grand-mère, quelquefois une invitée comme Jeanne*** et moi, plus tard mon fils Thierry et ma femme, partagions le repas avec ses traditionnels treize desserts pugétois, dont la tourte de blettes, la tarte à la confiture, les fruits confits, les ganses et les nougats, écoutions "Petit Papa Noël" de Tino Rossi et allions à la messe à l'Église du Village dont ma mère tenait l'orgue.

Parfois il neigeait, toujours il faisait froid y compris à l'Église, mais tout était si singulier, la nuit, la foule, les chants de Noël que nous criions à tue-tête (Il est né le divin enfant !) et la perspective pour le lendemain matin d'une pluie de cadeaux nous transportaient d'allégresse dans un village de rêve. Et le lendemain matin, les escaliers descendus à toute vitesse, les jouets, la joie mêlée de chamailleries, le repas de Noël, le film de l'après-midi dans la salle que tenait Loulou Passeron le grand-oncle d'Anthony****, entretenaient la rêverie.

Je ne sais plus très bien quand notre mère a cessé d'installer l'arbre de Noël et la crèche. Sans doute quand elle n'a plus vu ses enfants et petits-enfants venir fêter Noël chez elle. J'imagine que cela a été un crève-cœur, tant cette période était importante pour elle.

Heureusement, depuis 1981 et pendant dix ans, Mireille, Jean-Bernard et leurs enfants venaient une année sur deux et l'autre année nos parents les rejoignaient chez les parents de Jean-Bernard, à Sarcelles. Puis notre père est mort en 1992 et notre mère est allée passer les mois de décembre et de janvier chez ma sœur où elle a retrouvé l'atmosphère familiale enchantée des Noëls qu'elle avait maintenu au cours de toutes ces années. À Puget, son retour autour du printemps était ponctué de joyeux "Madame Boyer est revenue !" tant elle manquait dans le paysage pugétois. Ce Noël est le premier où elle manque partout. 

Cependant nous avons toujours maintenu la tradition. Il y a plus de trente ans qu'ils se déroulent dans notre maison de Nice, sauf quelques interruptions. Le soir de Noël, nous partageons en famille un excellent repas. Rien n'y manque, ni foie gras, ni gibier, ni Gewurztraminer vendanges tardives, ni les treize desserts de Provence. Puis, un peu lourd, je me rends à la Messe de Minuit, j'y tiens. Le lendemain matin, un peu trop tôt, les enfants, aujourd'hui les petits enfants, arrivent devant le sapin de Noël qui brille chez nous depuis quelques jours mais qui est alors assiégé de paquets multicolores. Le temps de la distribution des cadeaux est celui de l'émerveillement, suivi d'un temps plus indécis ou chacun se retrouve face à ses découvertes, à la recherche de piles électriques et de modes d'emploi.

 

Puis, jusqu'à l'année prochaine, Noël s'éloigne dans le rétroviseur du temps qui passe, souvenir merveilleux de partage, de joie enfantine et d'innocence...

 

* La Fabrique de Pâtes que mon grand-père avait créée en 1907 et que mon père exploitait tout en cherchant à l'adapter aux vagues du progrès technique qui menaçaient de l'ensevelir.

**L'Usine Brouchier, c'est toute une histoire, une usine de meubles, le principal employeur du village, un canal et une chute d'eau pour l'électricité, des Allemands qui y mettent le feu en 1944, l'Usine qui repart, qui est vendue et qui se meurt.

***Jeanne Cotton, l'employée de toujours de mon père et surtout l'amie de la famille.

****Anthony Passeron, Les Enfants endormis, Globe, 2022.

LA RUE DU 4 SEPTEMBRE QUI MÈNE À L'ÉGLISE

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