LA PATATE CHAUDE* ECHOIT AUX EUROPÉENS
29 Février 2024 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ
Après cette guerre d'Ukraine, il faudra concevoir une nouvelle configuration politique qui soit acceptable pour les États-Unis et la Russie. Il reste à savoir si l'Europe aura son mot à dire.
Il faudrait pour cela que l'Europe ait une capacité de défense suffisante et soit en mesure de participer à l'effort pour une paix négociée afin de mettre fin à la guerre. Mais lorsque la politique et la diplomatie sont mis hors-jeu, comme c'est le cas actuellement, la guerre n'est plus qu'un acte de violence sans limites, chacun essayant d'imposer à l'autre sa volonté, ce qui conduit à une escalade, dans laquelle notre Président s’installe clairement.
Jusqu’où ?
Les États-Unis ont pensé qu'ils imposeraient leur volonté à la Russie en arrachant l'Ukraine à son influence, avec ou sans guerre. Ils disposent en effet d'une position stratégique très favorable et ils ont longuement préparé leur affaire. Deux océans les protègent, un allié est à leur frontière nord et provisoirement un pays ami au sud, les facteurs stratégiques de l'espace et du temps ne jouent aucun rôle pour eux et ils ne peuvent pas être attaqués par des moyens conventionnels.
Dans cette guerre, Ils pouvaient mener sans risques une guerre conventionnelle et par Ukrainiens interposés. C'est ce qu'ils ont fait. Ils ont pensé la gagner. Ils se sont trompés, mais ils peuvent se retirer sans risques.
Pour sa part, la Russie est dans une position stratégique opposée : sa grande masse terrestre est entourée de nombreuses régions en crise, aussi l'espace et le temps sont d'une importance existentielle. Or, pour des raisons historiques, la Russie aspire à disposer d'une certaine sécurité militaire particulière et elle n'est ni prête à renoncer à son histoire, ni capable d'échapper à sa situation stratégique.
Or sa situation stratégique s'est dégradée. En 2002, les États-Unis ont dénoncé unilatéralement l'accord ABM; un système de défense antimissile a été mis en place en Europe l'année suivante, qui a été perçu par la Russie comme une menace; en 2019, les États-Unis ont dénoncé unilatéralement l'accord INF sur les missiles nucléaires intermédiaires, permettant paradoxalement à la Russie de développer légalement de nouveaux missiles vers l'Europe; en 2020, les États-Unis ont dénoncé unilatéralement le traité sur le ciel ouvert, qui permettait des inspections réciproques; néanmoins en 2021, les accords sur les armes intercontinentales qui menacent directement les États-Unis (traité New Start) ont été prorogés pour 5 ans.
En 2008 à Bucarest, lors du sommet de l'OTAN, Georges W. Bush a mis la pression pour obtenir une adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie à l'OTAN, tandis que le directeur actuel de la CIA, William Burns, alors ambassadeur US à Moscou, mettait en garde son gouvernement contre les risques d'intervention russe que provoquerait de telles adhésions.
Mais le véritable tournant stratégique fut le coup d'état contre le gouvernement ukrainien légal, orchestré par les États-Unis à Kiev en 2014. Ce coup d'état a déclenché la guerre civile dans le Donbass et le refus du gouvernement issu du putsch d'accorder le droit des minorités à la population russophone. Le protocole de Minsk négocié par Angela Merkel et François Hollande en septembre 2014 et renouvelé en février 2015 prévoyait notamment que l'Ukraine fasse une modification constitutionnelle afin d'accorder les mêmes droits à la population russe qu'ukrainienne, mais cette modification n'a jamais eu lieu.
Nombreux sont ceux qui pensent que la guerre aurait pu être évitée si le protocole de Minsk avait été appliqué par l'Ukraine. Ils sont plus nombreux encore à penser que la guerre aurait pu s'arrêter avec le projet de traité préparé à Istanbul fin mars 2022, après six semaines de guerre. Dans ce traité, il était essentiellement convenu que l'Ukraine renoncerait à entrer dans l'OTAN et adopterait un statut neutre. En retour, les troupes russes se retireraient à leur position du 23 février. Cet accord n'a pas été signé par l'Ukraine sous la pression des États-Unis qui voulaient la guerre, à ce moment là.
En ce début de troisième année de guerre, il est clair que le destin de l’Ukraine se décidera cette année et que ce destin est entre les mains de l'Occident. L’Ukraine a besoin d'argent et d'armes, mais elle manque surtout de soldats. La moitié du budget ukrainien est financé par l'Occident, avec une corruption omniprésente qui contribue au déficit de son budget. En outre, la reconstruction du pays nécessitera un engagement financier à long terme qui devrait être surtout assuré pas les européens.
Les Allemands ont pris la tête des États qui sont déterminés à soutenir l'effort de guerre ukrainien. Un financement de cinquante milliards d'Euros est prévu pour la période 2024 2027. Il est loin de couvrir les besoins de l'Ukraine, mais si le Congrès US refuse de libérer des fonds, il ne restera plus à l'Europe qu'à accroitre son financement à l'Ukraine.
C'est ainsi que l'européanisation de cette guerre, voulue par les États-Unis et la Russie, a déjà fait un bond en avant, mais ce n'est qu'un début dans la logique de guerre qui prévaut actuellement.
*Une pomme de terre entière qui vient d'être cuite à l'eau bouillante ou en papillote dans un barbecue, garde longtemps sa chaleur en raison du grand volume d'eau qu'elle contient. C'est pourquoi, lorsqu'on en prend une à la main, on est surpris et, pour éviter de se brûler, on la passe vite fait à son voisin, à charge pour lui d'en faire ce qu'il en veut, l'essentiel étant qu'on ne soit plus soi-même gêné par cette chose brûlante.
Il est à noter que cette expression vient des États-Unis aussi, comme la chose elle-même.
À SUIVRE