Le cas SciencesPo
4 Novembre 2012 Publié dans #ACTUALITÉ
Sciences Po est une institution prestigieuse, capitale pour le recrutement des élites de l’Etat. On peut donc s’attendre à ce qu’elle constitue une vitrine du management public de la France.
« Sciences Po, résume un ancien élève, produit des énarques comme un pommier produit des pommes ». Pour les élèves présentant le concours externe, Sciences Po demeure en effet le passage quasi obligé en vue de la réussite du concours d’entrée. En 2010, trente-cinq des quarante étudiants admis au concours externe de l’ENA provenaient de la « Prep Ena » de Sciences Po, qui en présentait 200, tandis que les 724 autres candidats se partageaient les cinq places restantes, ne laissant que quelques miettes aux Instituts d’Études Politiques de province.
On explique ce permanent succès de Sciences Po par les accointances qu’il entretient avec l’ENA. Sciences Po, pour les candidats à l’ENA, c’est la machine à être conforme. À Sciences Po, on mime les manières de faire et de penser de professeurs, eux-mêmes issus du moule « Sciences Po ENA ». Dans ses locaux de la rue Saint Guillaume, Sciences Po porte donc la responsabilité d’être la matrice des cadres supérieurs de l’État. On imagine que ce dernier soit particulièrement attentif à son bon fonctionnement : c’est à Sciences Po que les jeunes étudiants s’initient aux arcanes du service public et comprennent de quelle manière ils peuvent se mettre au service de l’État, avant que l’ENA ne les introduise au cœur de la machine.
Est ce pour cette raison qu’une incroyable structure ait été mise en place depuis 1945 pour y veiller ? L'institution « Sciences Po » est en effet composée de deux structures juridiques :
L'Institut d'Études Politiques de Paris (IEP) est un grand établissement public qui assure la formation et délivre les diplômes. En sus d’une préparation aux concours administratifs, c’est-à-dire avant tout à l’ENA, l’IEP propose sur sept campus à près de neuf mille étudiants, un « collège universitaire », en pratique des licences en sciences humaines, seize masters allant des affaires internationales à l’urbanisme en passant par le journalisme et les affaires publiques, et une école doctorale.
Mais, ce qui a fait la réputation de Sciences Po depuis 1975, et même depuis 1872 par la création de l’École Libre des Sciences Politiques qui l’a précédée y compris dans son appellation familière « Sciences Po », reste la capacité de l’école à fournir à l’État ses cadres supérieurs. C’est cette réputation qui a permis à l’IEP de devenir aujourd’hui une business school mondialisée, car, comme l’indique sa plaquette « Science Po has cultivated the mind of leading government officials ».
Or ce grand établissement public, d’une si haute importance pour l’Etat et ses élites, n’est pas autonome : il est curieusement contrôlé, comme le manipulateur contrôle la marionnette, par un organisme privé, la Fondation Nationale des Sciences Politiques.
La Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP) est une fondation privée d'utilité publique, sans but lucratif, qui gère l’Institut d’Études Politiques de Paris et ses activités annexes. Elle reçoit l'ensemble des ressources financières de Sciences Po provenant de l'État, des collectivités locales, de l'Union européenne, des entreprises ou des élèves. C’est la FNSP qui est propriétaire ou locataire de l'ensemble des immeubles de Sciences Po. Disposant de ses recettes, elle contrôle entièrement l’IEP, fixant indirectement les droits de scolarité des formations de l’IEP comme le montant des bourses ou les salaires du personnel, enseignants et administratifs.
Cette étonnante structure bicéphale, pour ne pas écrire cette structure contre nature, est le résultat d’un compromis initial suivi d’une bataille continue de la FNSP pour contrôler toujours plus l’IEP, tout en recevant de plus en plus de subventions de l’Etat.
À l’origine, en 1945, Roger Seydoux, André Siegfried et Jacques Chapsal, responsables de l’École Libre de Sciences Politiques remportent le bras de fer engagé avec Michel Debré et Jean-Marcel Jeanneney, chargés par Charles De Gaulle de nationaliser l’école. Ils obtinrent en effet une nationalisation en trompe l’œil qui ne concernait qu’une structure vide de biens, l’IEP, tandis qu’une structure privée, la FNSP, conservait le patrimoine de l’Ecole Libre de Sciences Politiques et recevait les revenus, droits, subventions et dons. Dans un premier temps, l'Université de Paris délégua par convention la gestion administrative et financière de l'IEP à la FNSP, puis en 1969, le démembrement de l’Université de Paris, à la suite de la loi Edgar Faure, permit à l'IEP de devenir autonome. La FNSP obtint alors, à la place de la convention, un solide décret qui lui confiait la gestion de l’IEP. Plus fort encore, elle obtint trente ans plus tard de modifier le décret en loi par l’article 74 de la loi du 2 juillet 1998, afin de renforcer encore sa main mise sur l’IEP !
C’est une magnifique leçon de gestion publique qu’offrent donc les structures de leur école aux étudiants Sciences Po, en particulier à ceux qui se destinent à l’ENA, que je propose de formuler ainsi :
« Montrer comment, grâce à un solide réseau de connivences, un bras de fer avec l’État et d’habiles glissements législatifs, un organisme privé parvient à s’emparer d’un prestigieux organisme public d’importance stratégique ».
D’autant plus que le Conseil d’Administration de la FNSP rassemble de considérables personnalités…
À suivre...