Albany
26 Août 2014 Publié dans #INTERLUDE
La région d’Albany, capitale de l’État de New York, est située à plus de 200 kilomètres au nord de la ville du même nom. La région, à proximité du Vermont, révèle toutes ses merveilles lors de l’Indian Summer. Les arbres se parent alors de couleurs éclatantes, le climat est d’une douceur étonnante avant de basculer brutalement dans un hiver généralement très rigoureux.
SUNYA est une université typique du nord est des Etats-Unis, une université rêvée pour un étudiant français. À six kilométres du petit centre ville d’Albany, cent mille habitants, un vaste ensemble (Uptown Campus) de plusieurs kilomètres carrés abrite bâtiments universitaires, dormitories et équipements sportifs. Quinze mille étudiants environ ne se contentent pas d’y travailler, ils y vivent.
J’ai donc découvert à SUNYA la vie étudiante américaine, qui est une expérience beaucoup moins austère que la vie étudiante française. Pour commencer, à force de rebuffades, j’y ai appris la pratique de l’anglais en devant par exemple répéter cent fois le mot donuts avant qu’une serveuse finisse par comprendre mon anglais, handicapé par sept années d’apprentissage stérile.
À SUNYA, j’ai découvert aussi le sens du mot gay en me rendant innocemment, lors de mon arrivée, à des réunions d’étudiants gay qui n’étaient pas que joyeuses. J’y ai vu les premiers « gros » qui se sont multipliés depuis, à force de Mac Donald et de Coca. Élisabeth, une étudiante niçoise qui avait eu la seconde bourse de l’Université de Nice pour SUNYA, s’est ainsi vue affecter une chambre avec une grosse, ce qui lui a posé de graves problèmes de cohabitation.
J’ai perçu le rapport de force entre les femelles et les mâles américains, qui se traduirait plus tard par un féminisme débridé aux États-Unis. Au début de chaque semestre, les étudiantes se choisissaient un boy friend, que l’on peut traduire par « chevalier servant », qu'elles changeaient le semestre suivant afin que les mâles ne se croient pas adoubés pour l’éternité. Il s’agissait rarement de relations sexuelles, mais plutôt de servir ces demoiselles, de les aider dans leur cours, de leur porter des sacs trop lourds pour elles ou d’aller leur chercher des sandwichs.
J’ai ressenti l’hystérie américaine autour du sentiment d'insécurité en octobre 1973. Le 6 octobre, le jour de Yom Kippour, l’Egypte et la Syrie ont déclenché une offensive militaire contre Israël. Brejnev menaçait Nixon, affaibli par le scandale du Watergate, tandis que ses conseillers négociaient en sous-main avec les soviétiques, que la Garde Nationale US sortait ses avions de leurs cocons et que des réservistes rejoignaient leurs unités sur tout le territoire américain. Vu de SUNYA, qui était une université à majorité juive, nous étions proches de la guerre mondiale : l’Université nous préparait à rejoindre des abris anti-atomiques, elle organisait des exercices d’évacuation des dormitories et du campus. Cela ne dura que quelques jours, suffisants pour comprendre l’état d’esprit collectif des Américains.
J’ai vu l’importance extraordinaire du sport dans les universités américaines. La qualité des installations sportives traduit le rôle majeur du sport pour la formation des étudiants. Par le sport, ils apprennent concrètement ce qu’implique la compétition, être battu et se relever aussitôt pour progresser ou gagner. Ils jouent le plus souvent en équipe et réalisent ainsi à quel point compte l’effort collectif.
Je me suis inséré dans ce cadre, participant avec assiduité à l’équipe de course de demi-fond de SUNYA. J’étais souvent épuisé par les efforts physiques qu’impliquait la pratique de ce sport, me souvenant encore de la jouissance extrême d’une douche interminable après avoir gagné au sprint une course de plusieurs kilomètres, porté par des jambes flageolantes.
Je me rappelle aussi que l’entrainement physique m’a permis d’échapper à une tentative d’agression. Je revenais un dimanche soir d’un week-end à Montréal, 350 kilomètres au nord d’Albany, par un bus Greyhound. À l’aller, le voyage m’avait offert une belle rencontre, au retour, il s’est achevé par une belle peur.
Il était minuit et je décidais de parcourir à pied, mon petit sac au dos, les six kilomètres qui me séparaient de mon dormitory. Je remarquais un groupe de cinq ou six noirs qui me suivait. Je pris un pas plus rapide, ils firent de même. Je partis en courant, au milieu de la route, pour attirer l’attention des rares automobilistes. Le groupe poursuivant tenta de me rattraper, mais j’accélérais encore, aiguillonné par la peur. Finalement ils abandonnèrent après un ou deux kilomètres, mais pour plus de sûreté, je terminais ma course à un rythme soutenu jusqu’à ma chambre, sauvé par ma pratique du sport.
Et ma thèse dans tout cela ?
(À suivre)