HARO SUR LA BANQUE DU LIBAN
14 Août 2020 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ
Le gouvernement libanais dirigé par le sunnite Hassan Diab, homme d’affaires et professeur d’université, a démissionné le 10 août dernier. Il faut préciser que sa démission est un geste militant, car il s’associe souvent aux « réformes », qui consisteraient essentiellement à une redistribution des richesses, une sorte de « nuit du 4 août » libanaise qui verrait les riches redistribuer leur fortune aux pauvres.
La première cible des manifestants, contestataires et réformateurs, celui qui est censé bloquer les réformes, est Riad Salamé, gouverneur de la Banque du Liban, qui s’est vu signifier par un juge libanais la saisie préventive de ses biens, le lundi 20 juillet, dans le cadre de la procédure judiciaire lancée contre lui par un groupe d'activistes.
Les activistes le considèrent en effet comme le partenaire d’une classe politique accusée de corruption. Avec le soutien de l’ancien Premier ministre Hassan Diab, ils lui font aussi assumer la responsabilité de la chute vertigineuse de la valeur de la livre libanaise face au dollar, chute qui a provoqué une formidable envolée des prix.
Or, jusqu’à une période récente, Riad Salamé était une personnalité respectée. Né en 1950 d’une famille maronite, il a travaillé pendant vingt ans, de 1973 à 1993 chez Merrill Lynch à Beyrouth et à Paris, dont il est devenu le Vice-Président de la filiale parisienne. Sa nomination au poste du gouverneur de la Banque du Liban le 1er août 1993, est due à Rafiq Hariri, ancien premier ministre sunnite assassiné en 2005, dont il gérait la fortune à Merrill Lynch. Il a ensuite fait ses preuves puisqu’il a été prorogé à quatre reprises dans son mandat, le dernier en cours s’achevant en 2023.
Pour attirer les capitaux, Riad Salamé a installé un rapport quasi fixe, qui s’est récemment effondré, entre la livre libanaise et le dollar, et il a introduit un bénéfice particulier pour les déposants de plus d’un million de dollars en livres libanaises. Ces derniers pouvaient souscrire des prêts à 2% de taux d’intérêt qui leur rapportaient 10%. Ainsi les prêteurs additionnaient deux rémunérations, les intérêts payés sur le prêt en dollars et les intérêts payés sur la livre libanaise. En outre, les banques libanaises qui montaient ces opérations complexes étaient fortement rémunérées.
Plusieurs controverses écornent désormais la réputation de la Banque du Liban et de son gouverneur. On s’interroge sur la lenteur de la banque centrale dans le processus de dévaluation de la valeur de la livre libanaise, sur le montant des pertes de la Banque du Liban et enfin sur le refus de procéder à un audit détaillé de la Banque du Liban qui pourrait révéler des anomalies susceptibles de gêner les partis politiques.
Ces accusations entourent de brumes les négociations destinées à remettre à flot les finances libanaises. Le gouvernement libanais (qui vient de démissionner) avait adopté fin avril un plan de réformes économiques afin de négocier une aide du FMI. Le pays compte sur un soutien de 10 milliards de dollars du FMI, en plus du déblocage des 11 milliards de dollars promis dans le cadre de la conférence Cèdre de 2018.
Toutes ces sommes sont conditionnées à la mise en œuvre de réformes toujours attendues, après dix-sept rounds de pourparlers et la démission du gouvernement libanais ne peut que les ralentir. Le blocage des négociations vient de ce qu’il n’y pas une mais deux délégations libanaises concurrentes et opposées qui négocient avec le FMI. D’un côté le gouvernement libanais, démissionnaire, poussait à engager des réformes tandis que la seconde délégation qui représente la commission parlementaire des Finances et du Budget, alignée sur la position de l’Association des banques du Liban, était réticente.
Les deux délégations libanaises (en clair le Gouvernement et la Banque du Liban) s’opposaient sur l’évaluation des pertes du secteur financier. La délégation du gouvernement estimait les pertes du secteur financier à 69 milliards d’euros tandis que celle de la Banque ne fait état que de 20 milliards d’euros.
Naturellement, les divergences concernaient aussi les recettes à adopter pour renflouer les banques. Ces dernières suggéraient un renflouement par l’État (bail-out), c’est-à-dire le remboursement des dépôts par l’émission de titres. À l’inverse, la solution qui était proposée par le gouvernement était celle d’un renflouement interne (bail-in), par une ponction qui ciblerait les gros déposants et engagerait la responsabilité́ des actionnaires.
Maintenant la donne a changé. D’un côté, la contestation fait entendre plus énergiquement sa voix à la suite de l’explosion portuaire et la pression du FMI et des bailleurs de fond est plus intense pour qu’aboutissent les négociations. D’un autre côté, la démission du gouvernement bloque ces négociations et la Banque du Liban n’est pas près de capituler parce qu’elle s’appuie sur la diaspora libanaise, qui a jusqu’ici assuré le financement du pays.
Mais ces ennuis financiers, même s’ils impactent cruellement le niveau de vie de la classe moyenne, ne sont que l’écume des contraintes dans lequel le Liban doit s’insérer pour survivre.
À SUIVRE