Hannah Arendt
8 Mai 2013 Publié dans #INTERLUDE
Inutile d'aller voir ce film sur Hannah Arendt si vous cherchez un moment de détente, d'évasion et d'action, n’allez le voir que si vous voulez vous offrir un instant de réflexion. C’est un film consacré à une femme supérieurement intelligente, tourné par une cinéaste remarquable, Margarethe von Trotta et interprété par une excellente actrice, Barbara Sukowa. Le scénario est fouillé mais on n’y trouve ni scènes d'action ni histoire à l'eau de rose. Tout le film est mis au service de la pensée d'Hanna Arendt.
Il nous montre comment, à la suite de son analyse du procès Eichmann, cette juive consciente de sa judéité va se brouiller avec ses amis juifs israéliens et américains.
Un film intelligent, plein de fougue, de tendresse et d'humour, qui permet de saisir en deux heures la puissance de la pensée d'Hannah Arendt, notamment au cours de deux temps forts: le procès d’Eichmann avec des documents d'époques en noir et blanc, et un cours d’Hannah Arendt à ses étudiants où elle justifie ses positions.
Donc, Hannah, brillant professeur à Princeton, amie de la romancière Mary McCarthy, va demander au New Yorker d'être envoyée à Jérusalem pour rendre compte du procès Eichmann. Les articles et le livre qu'elle va ensuite en tirer vont faire scandale. Pourtant, même si elle est blessée par les réactions de rejet de ses amis juifs, même si ses meilleurs amis lui tournent le dos, Hannah Arendt ne changera pas une virgule à ses déclarations. Le film nous la montre sûre d'elle, somme toute assez arrogante, mais surtout libre.
Le film est d’ailleurs une apologie de la liberté de penser, ce que, vous vous en doutez bien si vous lisez mon blog, j’approuve sans réserve. Cette liberté de pensée lui fait affirmer, à la face de juifs qui se voient comme de parfaites victimes innocentes, que des responsables juifs ont été complices des nazis, ce qui a empêché les juifs de se révolter en masse et donc de prendre leur destin en main. Scandaleuse, insupportable pour Israël, cette affirmation, ce qui n'empêche pas Hannah Arendt de l’écrire, de la dire et de la maintenir.
De plus Hannah Arendt fait la découverte fondamentale de la banalité du mal. Contrairement aux imbéciles qui ont applaudi à la thèse complaisante de nazis monstrueux colportée par les Bienveillantes, Hannah Arendt comprend que la plupart des nazis, loin d'être des monstres, se caractérisaient par une absence totale de pensée individuelle. Eichmann, minable bonhomme à grosses lunettes, faisait ce qu'on lui disait de faire. Hannah Arendt dénonce donc l'obéissance stupide, qu’elle soit celle de l’oppresseur comme de l’oppressé. Ce qui les caractérise tous, nazis, staliniens, khmers rouges, c'est la disparition de la personne. Ils ne sont plus que les fourmis d'une colonie, les abeilles d'une ruche. Comme dans un liquide en surfusion, l'introduction d'un cristal, Hitler, déclenche l'ordre qui se propage et s'étend à toute la masse. Qu’un autre prophète vienne et tous suivront !
L'humanité, c'est la pensée. Le mal, c'est l'absence de pensée.
Ce film est donc une oeuvre de santé publique, à condition que les spectateurs en retiennent l’essentiel: pensez libre en toutes circonstances!