L'AUTORITÉ DU POLITIQUE QUI SAIT
10 Mars 2016 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE
Dans un blog publié le 19 janvier dernier, j’interrogeais les fondements de l’autorité de l’homme politique, sans cesse requis de convaincre le peuple qu’il respecte l’esprit de la pièce qu’il joue et dont le peuple est censé être l’auteur.
Le moyen dont dispose l’homme politique pour convaincre le peuple du bien fondé de ses actions consiste à justifier l’objectif qu’il poursuit par ses jugements de valeur et à revendiquer son savoir-faire pour les mettre en œuvre. « Mon ennemi, c’est la finance » revendiquait hautement François Hollande en guise de jugement de valeur et implicitement il se faisait fort, une fois au pouvoir, de prendre les moyens pour lutter contre…
Pour ce faire, le politique prétend se fonder sur un savoir. Les valeurs et les moyens qu’il invoque sont supposés provenir du progrès des connaissances. C’est pourquoi il cherche toujours à décrédibiliser les discours de ces adversaires en les qualifiant de passéistes ou d’irréalistes.
Lui revendique d’être rationnel et même d’être doublement rationnel. Tout d’abord, Il dispose d’une rationalité théorique fondée sur la science. Par exemple, il est forcément écologiste parce que la science nous renseigne sur les dangers de l’activité humaine pour son environnement.
Ensuite, il est rationnel en pratique, ce qui justifie le choix qu’il a fait de l’activité politique. Par exemple, les politiques français justifient le cumul des mandats en tant que nécessité de connaître intimement la réalité concrète des territoires tout en agissant au niveau national.
Le politique est donc celui qui sait et qui sait faire.
Selon une conception du pouvoir clairement technocratique, il prend ainsi témérairement le contrepied de l’interdit que Hume a posé contre toute démarche allant du savoir au devoir…
Ce recours à la compétence justifie des cabinets, souvent pléthoriques, où oeuvrent des conseillers techniques, qui sont par définition des experts détenant les connaissances nécessaires à l’élaboration des décisions, y compris sur l’état de l’opinion et sur les moyens de la convaincre. D’où l’omniprésence de gourous de la communication qui entourent nos politiques. De même, malgré nombre d’échecs patents, l’appel récurrent à des personnalités issues de la société civile pour exercer le pouvoir politique est justifié par la connaissance scientifique ou technique qu'ils ont d’un domaine d’exercice du pouvoir.
Le politique dispose de l’autorité qui lui a été confiée par le peuple, mais il prétend la dépasser en disposant d’un surcroît d’autorité provenant de sa compétence. C’est une tradition qui remonte à la République de Platon et qui s’est épanouie au travers des utopies du XIXe siècle, du positivisme d’Auguste Comte, du socialisme scientifique de Marx jusqu’aux certitudes de l’économie de marché globalisée d’aujourd’hui.
Dans cette perspective, l’homme politique est justifié par ses certitudes fondées sur la science, ce qui lui fait proclamer qu’il n’y a pas d’alternative à ses décisions, puisqu’il détient la vérité.
Or, on peut observer qu’une telle approche de la politique est fondamentalement optimiste, puisqu’elle s’appuie sur la conviction que les progrès des connaissances permettent de rationaliser les décisions politiques.
Ce qui fait que cette vision du pouvoir politique prête à débat, car elle présuppose que l’État n’est qu’un vaste appareil administratif rationalisé. Il est vrai qu’une tradition de pensée issue des Lumières a longtemps cru que plus une société serait rationnelle mieux elle assurerait à la fois le bonheur et la dignité de ses membres.
Or, l’histoire a montré que la rationalisation du pouvoir conduisait à des monstruosités. De plus, la rationalisation du pouvoir n’annule pas la problématique de la décision, tant les désaccords sur les choix ultimes subsistent. Par exemple, les impératifs de la modernisation de l’économie sont dictés par des choix qui font appel à des valeurs de référence, telles que la rentabilité ou la confiance dans l’avenir, des valeurs qui s’opposent à d’autres valeurs comme la solidarité ou la tradition.
Ce n’est donc pas au pouvoir des experts d’arbitrer entre les valeurs de référence de la société, car la décision politique obéit à d’autres logiques.