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Le blog d'André Boyer

TOTAL PREND LE LARGE

3 Mars 2019 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

L'ACCORD ENTRE TOTAL SIGNÉ EN JUILLET 2017 ET ROMPU UN AN PLUS TARD SOUS LA PRESSION AMÉRICAINE

L'ACCORD ENTRE TOTAL SIGNÉ EN JUILLET 2017 ET ROMPU UN AN PLUS TARD SOUS LA PRESSION AMÉRICAINE

L’histoire de Total commence le 16 mars 1918, lorsque pour lutter (déjà) contre la dépendance de l’approvisionnement en pétrole de la France, le gouvernement français s’arrogea le monopole des importations de pétrole. 

 

Puis naquit la Compagnie française des pétroles (CFP), société mixte associant capitaux d’État et privés, le 24 mars 1924. Ensuite vint la découverte d’un champ de gaz dans le département de Haute-Garonnele 14 juillet 1939, puis, les recherches continuant dans le Sud-Ouest de la France, la société nationale des pétroles d'Aquitaine (SNPA) fut fondée en 1941 et c'est elle qui découvrit en 1951 le gisement de gaz de Lacq. Entre-temps, en 1945, avait été créé le Bureau de Recherches Pétrolières (BRP), un organisme public dont l’objectif était de mettre en place les conditions nécessaires pour aboutir à l’indépendance énergétique de la France

Sous son égide, en 1953, furent attribués les premiers permis de recherches à quatre grandes compagnies françaises dont la Société Nationale de Recherche et d’Exploitation des Pétroles en Algérie (S.N.REPAL). Cette dernière, au bord du découragement, s’obstinait à forer à Hassi Messaoud, lorsqu’une nuit de mai 1956, « à la fin d’une longue journée dans une tempête de sable qui ne s’était calmée que vers le soir, le grondement de la foreuse éclairée comme un arbre de Noël s’était brusquement atténué. L’interminable descente du forage à travers le sel venait de ralentir ; le trépan de MD1 avait heurté un niveau dur. »* Deux jours plus tard, les ingénieurs savaient qu’ils tenaient un gisement, un immense gisement. L’exploitation du pétrole du Sahara algérien commençait et l’espoir d’une totale indépendance pétrolière prenait corps, un espoir qui durera six ans. 

En décembre 1965, l’ERAP naissait de la fusion de plusieurs sociétés d’exploration pétrolières, de l'UGP (Union générale de distribution) et de la SNPA, cette dernière devenant la principale filiale de la nouvelle maison mère, ce qui se traduisit par le lancement, le 28 avril 1967, de la marque Elf.

Pendant ce temps la CFP donnait naissance, le 14 juillet 1954, à la marque de distribution « Total ». Total et Desmarais frères fusionnaient en 1965, jusqu’à ce qu’en 1993, erreur stratégique majeure de notre point de vue puisqu’elle aboutit à la perte de contrôle de notre approvisionnement pétrolier et gazier, une part importante des actions détenues par l'État était vendue à des investisseurs privés sur l'initiative du gouvernement Balladur. 

La suite est l'histoire classique de la combinaison d’une croissance non maitrisée et des mécanismes implacables de l’économie de marché globalisée à la sauce américaine. 

Le 14 juin 1999, Total se rapprochait de la société belge Petrofina pour devenir TotalFina, puis, moins d’un an plus tard, le 22 mars 2000, TotalFina acquerra Elf Aquitaine et deviendra TotalFina-Elf jusqu’à ce que TotalFina fusionne avec Elf Aquitaine pour  retrouver, le 6 mai 2003, sa dénomination d’avant 1999 : Total.

Au début de cette fusion, Albert Frère, un belge qui était le principal actionnaire de Petrofina lors de son rachat par Total, devint le plus gros actionnaire individuel de Total avec 5% du capital, à égalité avec les salariés de l’entreprise.

Puis Fin 2007, le fonds souverain chinois State Administration of Foreign Exchange (Safe) prit le contrôle de 1,6 % du capital de Total pour devenir le second actionnaire de Total. Son futur PDG, Christophe de Margerie reconnaissait avoir favorisé lui-même le processus d'entrée des Chinois dans le capital de Total, espérant naïvement développer en retour sa présence sur le marché chinois. Sans doute croyait-il à la reconnaissance des Chinois, mais ces derniers préférèrent, ô surprise, réserver leur marché à Petro China qui dépasse désormais Total en taille. Le même De Margerie appela en sus des investisseurs des pays du Golfe: l’inévitable Qatar devint en 2011 son troisième actionnaire devant Safe.

Aujourd’hui, Total SA est en 2014 le cinquième groupe pétrolier privé du monde, derrière ExxonMobil, Shell, Chevron Texaco et PetroChina. C'est aussi la première entreprise « française » en termes de chiffre d'affaires, elle qui emploie plus de cent mille salariés dont 30% en France, car Total n’est désormais plus qu’une entreprise française en trompe l’œil, car ce sont des actionnaires institutionnels étrangers qui détiennent 71 % des actions de Total.

À eux seuls, les actionnaires institutionnels américains détiennent 35% du capital de Total. Le premier actionnaire de Total, avec 6,3% du capital, est désormais Blackrock, une énorme société multinationale de gestion d'actifs dont le siège est situé à New York et dont les clients sont aux deux tiers des fonds de pension. Blackrock est soupçonné d’être impliqué dans la gigantesque fraude CumEx, système pratiqué par des fonds de placement et des banques consistant à se faire rembourser des impôts non payés sur les dividendes des actionnaires.

Avec 71% d’actionnaires étrangers et 35% d’actionnaires américains au minimum, en ne comptant que les investisseurs individuels, contre 29% d’actionnaires français au maximum, on ne s’étonnera pas que Total ait quitté l’Iran à la première injonction du gouvernement américain. 

Pour le moment, le siège de Total est à La Défense, les dirigeants et les membres du Conseil d’Administration de Total sont en majorité français et Total est toujours coté à la Bourse de Paris. Mais rien n’empêcheraient les actionnaires américains, pour peu qu’ils s’unissent, de prendre le contrôle du Conseil d’Administration, de transférer le siège à New York et sa cotation à Wall Street, faisant disparaître d’un trait de plume la nationalité française de Total. 

 

C’est ainsi que, pour obtenir des fonds à court terme, le gouvernement français a fait disparaître un instrument majeur de l’indépendance énergétique française. Total n’a plus eu ensuite qu’à suivre la pente naturelle des majors pétrolières pour devenir par étapes une multinationale contrôlée par des acteurs étrangers. Et maintenant, comment faire pour renationaliser Total ? Qu’en pensez-vous, Monsieur Balladur ? 

 

* André Rossfelder, « Le Onzième commandement » page 409, (Gallimard, 2000)

 

À SUIVRE

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