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Le blog d'André Boyer

VERS UNE GUERRE D'USURE EN UKRAINE

17 Mai 2022 , Rédigé par André Boyer Publié dans #ACTUALITÉ

VERS UNE GUERRE D'USURE EN UKRAINE

Un engrenage, c’est ainsi qu’Henri Guaino décrit la guerre qui se déroule en Ukraine dans un point de vue* qui reprend la thèse séduisante qui avait à l’origine été développée par Christopher Clark pour la guerre de 1914**, mais je n’en crois rien.

 

Je n’en crois rien, car je ne crois pas que plus de lucidité de la part des acteurs mettra fin à la guerre. Bien sûr, je ne crois pas que ses acteurs soient en mesure d’évaluer les pertes qu’elle occasionnera jusqu’à son terme, mais je pense qu’ils savent très bien ce qu’ils veulent et ce qu’ils font afin de tirer avantage de la guerre, tandis qu’ils en déplorent officiellement les effets pour les populations qui la subissent.

Côté américain, suivi par les Européens, il s’agit d’obtenir la défaite de la Russie de Poutine, en agitant la menace de la domination sans limites de ce pays sur l’Europe, si par malheur il réussissait à vaincre ou même à obtenir une paix de compromis. C’est pourquoi les médias occidentaux insistent sur les crimes soviétiques, de manière à rendre tout arrangement impossible avec ces scélérats.

Côté russe, le déclenchement de la guerre et sa poursuite jusqu’à un compromis acceptable, visent à démontrer aux Occidentaux que la poursuite de l’encerclement jusqu’à l’étranglement est devenue contreproductif.

Donc, d’un côté, seule la victoire ukraino-occidentale permettra d’aboutir à la paix, de l’autre une victoire de compromis permettra de donner un coup d’arrêt à l’expansionnisme occidental. Mais si tout compromis est présenté comme une défaite côté occidental, on peut tout de suite en déduire, sans aller plus loin dans les motivations, les développements et les limites du conflit, que la recherche d’un accord entre les deux parties sera ardue, comme celui d’un accord entre Israéliens et Palestiniens.

Venons-en aux motivations respectives qui peuvent néanmoins nous éclairer sur la suite logique des évènements. Les États-Unis ont toutes les raisons d’être satisfaits du déclenchement de la guerre, comme de son déroulement jusqu’à ce jour. Ils ont toujours souhaité l’affaiblissement maximum de la Russie, puisqu’elle résiste à leurs visées hégémoniques : la Russie les a contré en Syrie et elle constitue un allié potentiel pour la Chine. Ils ont donc étendu autant qu’ils ont pu les frontières d’une Alliance Atlantique qui est devenue au fil des années une alliance anti-russe, et ils y ajoutent aujourd’hui la Finlande et la Suède, supposées inquiètes des visées russes.

Les États-Unis ont aussi organisé en Ukraine le coup d’état de Maïdan de 2014, qui a provoqué la perte de la Crimée et l’autonomie du Donbass, entrainant la constitution d’une Ukraine démographiquement dominée par la partie antirusse de sa population. Ils ont soigneusement labouré ce terrain, fournissant armes, instructions et même laboratoires bactériologiques. Tandis qu’ils rompaient systématiquement tous les accords stratégiques avec la Russie, ils signaient le 10 novembre 2021 un accord de partenariat stratégique avec l’Ukraine, dirigé explicitement contre la Russie et lui promettant l’entrée prochaine dans l’OTAN. La volonté des États-Unis de contrer la Russie est donc manifeste et constante, si bien que l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine est l’aboutissement espéré de l’ensemble de ces manœuvres longuement muries, le succès d’un piège qu’ils ont tendu aux Russes.

Partie prenante de ce conflit, les Européens sont clairement partagés.

La Pologne, quatre fois démembrée et partagée en trois siècles, la Lituanie annexée durant deux siècles par la Russie, la Finlande amputée en 1939 et tous les pays qui ont vécu un demi-siècle sous le joug soviétique, conservent la rancune du passé et la crainte d’un possible recommencement. Ils appuient sans réserve les visées ukraino-américaines.

L’Europe de l’Ouest n’a pas les mêmes frayeurs car elle ne voit pas comment les troupes russes pourraient s’aventurer jusqu’à Gibraltar. Seuls les Anglais, selon une logique anglo-saxonne qui les fait participer avec l’Australie et sous l’égide des États-Unis à l’alliance AUKUS contre la Chine, appuient sans réserve la stratégie étasunienne. Cela pourrait s’avérer un mauvais calcul, selon comment tourne le conflit actuel. En revanche, la France et, dans une moindre mesure l’Allemagne, ne souhaitent pas une défaite complète de la Russie.

Il existe enfin quelques pays, comme la Serbie hors de l’UE ou la Hongrie dans l’UE, qui penchent plus ou moins du côté russe. Il n’y a donc pas de volonté unitaire en Europe d’obtenir coûte que coûte une victoire humiliante contre la Russie, même si tout en donne l’impression aujourd’hui.

Les suites possibles des évènements sont liées aux différentes attentes des protagonistes du conflit. Côté russe, une fois constaté l’échec de la tentative de prendre le contrôle rapide de l’essentiel de l’Ukraine, qui était fondée sur l’hypothèse que le fragile pouvoir ukrainien s’effondrerait d’un coup, il s’agit désormais de s’emparer de l’est de l’Ukraine pour entamer ensuite des négociations qui devraient aboutir à conserver une partie du terrain conquis ainsi qu’à la reconnaissance de la souveraineté de la Russie sur la Crimée et à l’engagement de l’Ukraine de rester neutre.

Si le rapport de force obtenu par la Russie à l’issue de la campagne militaire actuelle ne s’est pas modifié en faveur de cette dernière, l’Ukraine refusera ces propositions et la Russie restera sur les positions acquises dans la mesure où l’Ukraine ne la contraindra pas à les modifier.

Côté ukrainien, au-delà d’une résistance énergique, je ne pense pas que l’Ukraine imagine, même avec les armements occidentaux, battre seule l’armée russe, reprendre l’intégralité de son territoire, se saisir de la Crimée et entrer en Russie jusqu’à ce que cette dernière demande l’armistice. Or, si elle veut gagner, il lui faudra battre l’armée russe. Les moyens de la battre existeront lorsque l’Otan tout entier entrera dans le conflit en envoyant des troupes qui déborderont l’armée russe, débouchant de Pologne, de Finlande ou de Roumanie. La guerre, déclarée ou non, prendra dés lors une autre dimension.

Si les Russes se trouvaient contraints de reculer, le risque existe qu’ils menacent d’une riposte nucléaire les pays dont les troupes pénétreraient en Russie, après un premier usage de missiles nucléaires tactiques sur le front ouvert par les Occidentaux. Le degré suivant consisterait à effectuer une attaque nucléaire contre un pays de l’OTAN, la Grande-Bretagne étant la plus menacée car elle est à la fois en pointe dans l’hostilité à la Russie et elle constituerait un ultime avertissement avant un échange nucléaire avec les États-Unis. À ce niveau du conflit, je le répète parce que peu d’analystes ont intégré cette donnée dans leurs analyses de la situation stratégique, les alliés de l’OTAN et les États-Unis eux-mêmes sont en situation de vulnérabilité par rapport aux missiles hypersoniques russes qui peuvent les atteindre sans que leur défense anti-missile puisse s’y opposer.

Je subodore donc que les États-Unis ne souhaitent pas engager leur survie pour contraindre la Russie à céder. Par conséquent, après la probable conquête totale du Donbass par l’armée russe, qui ne semble d’ailleurs pas s’effectuer facilement, les Ukrainiens refuseront sans doute de négocier à cette étape, mais la question se pose de prévoir si les États-Unis, véritables ordonnateurs de la stratégie ukrainienne, pousseront jusqu’à l’affrontement total entre l’Otan et la Russie ou s’ils se contenteront d’une guerre de basse intensité pour continuer à affaiblir la Russie sans courir de risques excessifs ?

 

Compte tenu de leurs objectifs et des craintes européennes, je ne doute pas qu’ils opteront pour la seconde solution.

*Ukraine : nous marchons vers la guerre comme des somnambules, Le Figaro, 13 mai 2022

** Christopher Clark, Les somnambules, été 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre.

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