ÉTAT DE CHOC
Pour présenter mon état d’esprit au début 1976 lorsque je reçus le verdict de mon Directeur de thèse, il me faut relater la nature de mes activités à l’automne 1975. Il faut convenir qu’elle était assez particulière.
À plusieurs égards, le mois de septembre 1975 avait été éprouvant. Ceux qui ont déjà organisé un congrès savent à quel point cette tâche est complexe et épuisante. En outre, je me trouvais contraint d’y faire face alors que j’étais submergé par des problèmes familiaux.
Aussi étais-je au bout du rouleau en ce début d’octobre 1975, alors que les cours reprenaient dans huit jours ! que faire ? Je me retournais vers l’agence de voyages qui avait géré les aspects touristiques du congrès, l’Agence Contours et son directeur, Monsieur Clément, me suggéra de prendre des vacances sur la Côte d’Azur.
Il m’offrait de m’installer dans le magnifique Grand Hôtel du Cap, qui n’avait toutefois pas encore été rénové, ce qui me permis d’obtenir un prix négocié très bas. Pendant une semaine grâce à lui, je pus vivre comme un milliardaire en séjour sur la Côte d’Azur, réveillé dans mon immense chambre prolongée par une toute aussi vaste terrasse par les bruits des barques de pêcheurs. Le soir, je soupais en compagnie silencieuse des quelques veuves américaines qui étaient encore présentes au Cap en cet automne languissant, tandis que dans la journée je recevais mes amis, partageant tennis et piscine.
Le premier jour de mon séjour, je m’étendis près de la piscine et ouvris un livre qui traînait à la maison depuis des mois, La Plaisanterie, de Milan Kundera. Ce livre entra si fortement en résonance avec mes préoccupations et mes croyances du moment que j’en fus incroyablement bouleversé et m’en souviens encore.
Cet intermède luxueux de la première semaine d’octobre fut suivi de la reprise immédiate des cours, qui était bienvenue dans la mesure où elle me ramenait sur terre. Elle s’accompagna rapidement, au titre de Chargé de Mission, d’une énorme tâche supplémentaire, le lancement de l’Université du Troisième Age à titre permanent après l’expérience réussie du printemps 1975 (voir mes articles antérieurs sur le lancement d’U3).
Cependant je parvenais, tant bien que mal, à achever une première version du manuscrit de ma thèse, qui faisait quelque trois cents pages et que je remettais fin 1975 à mon Directeur de thèse, le Professeur Jean-Claude Dischamps, en espérant qu’il approuverait mon approche fondée sur la relation entre la croissance des entreprises et la fiscalité.
Il lui fallut deux mois environ pour me retourner mon texte, couvert de remarques et de corrections. Un échange téléphonique avec ce dernier, qui était entre-temps devenu Recteur de l’Académie de Clermont-Ferrand après avoir été Directeur de l’Enseignement Supérieur des Ministres Jean-Pierre Soisson et Alice Saunié-Seité, me convainquit que j’avais vraisemblablement tout faux.
J’avoue que je le pris très mal. J’avais le sentiment, fortement subjectif, d’avoir bien travaillé et d’avoir rendu un travail globalement acceptable. Or mon directeur de thèse, qui avait lu très consciencieusement mon manuscrit, puisqu’il apparaissait qu’il y avait consacré de (trop) nombreuses soirées, était d’un avis contraire. Avec toute la diplomatie qu’il savait instiller dans ses propos, il estimait que ma thèse n’était pas vraiment une thèse, mais une sorte de récit relatif aux relations entre la fiscalité et la dynamique des entreprises, qui n’avait malheureusement pas valeur de démonstration scientifique.
Je me souviens fort bien m’être laissé aller à lui rétorquer, avec dépit, que s’il trouvait mon travail si mauvais, il n’avait qu’à l’écrire lui-même ! Propos dont je mesurais l’absurdité, aussitôt après l’avoir prononcé. C’était une manière, méchante, de lui faire porter indument la responsabilité de la mauvaise qualité de mon travail ma thèse. Pourtant, il avait fait tout ce qu’il pouvait et au-delà, pour me donner les moyens de rédiger ma thèse, dans la mesure où ses responsabilités ne lui permettaient pas de suivre mon travail de très prés. J’étais d’ailleurs le mieux placé pour identifier la source de mes difficultés : ma concentration insuffisante sur le sujet.
Après ce mouvement d’humeur, je me trouvais bien marri. Depuis plus de trois ans, que de mouvements, décris dans mes blogs précédents : la campagne électorale que j’ai brièvement évoquée, les deux séjours aux Etats-Unis, l’invention de l’Université du Troisième Age, les colloques à l’étranger, les articles, le congrès de l’IIFP à Nice, que de rencontres, de découvertes, d’avancées mais qu’en restait-il au bout de tous ces cheminements disparates? Un travail doctoral sans queue ni tête dont dépendait tout mon avenir, alors même que ma vie familiale avait suivi le même chemin. Quel gâchis, quelle dispersion, quel résultat pitoyable !
Elle était loin la semaine de rêve à Saint-Jean-Cap-Ferrat, elles étaient envolées les ambitions qui gonflaient les voiles de notre famille, lorsqu’elle revint s’installer à Nice en octobre 1972.
J’étais dans une impasse!