Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Le blog d'André Boyer

QUELQUES COMPLEXITÉS SÉNÉGALAISES

18 Mars 2018 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

QUELQUES COMPLEXITÉS SÉNÉGALAISES

 

Je n’étais pas certain, en effet, que mes cours soient d’une utilité directe pour les étudiants qui les suivaient.

 

Surtout lorsque les Sénégalais, toujours fort inventifs en matière de vocabulaire, appelaient « Maitrisards » les étudiants qui obtenaient la Maitrise sans trouver de travail et ces Maitrisards constituaient une majorité. Que faire avec eux ? On évitait de se poser la question.

D’un autre côté, on savait qu’il était crucial pour les étudiantes de ne pas interrompre leurs études, en particulier parce qu’elles étaient enceintes. Si elles n’avortaient pas, elles se trouvaient contraintes de retourner dans leurs familles pour accoucher et attendre ensuite qu’un homme veuille bien les épouser quand même, malgré l’enfant. Je vous laisse imaginer leur sort, sachant que les esclaves, cela existe encore, même si le mot est désormais tabou.  

D’ailleurs, à l’époque, ce terme n’était pas si tabou que cela. Je me souviens d’un de mes assistants sénégalais qui se plaignait d’être harcelé par les esclaves de son père. Ils prétendaient être pris en charge par lui, puisqu’il était le fils de leur maitre. Je me souviens aussi d’un cours que j’ai donné à Nouakchott en 1982. La Mauritanie avait  officiellement aboli l’esclavage une première fois en 1981 et l’a aboli à plusieurs reprises ensuite. Les bâtiments de la Faculté de Droit de Nouakchott étaient alors en cours de construction et c’étaient des esclaves qui travaillaient, un comble pour une Faculté de Droit.

Ces sociétés de l’Ouest Africain avaient donc des caractéristiques qui m’étonnaient. J’ai appris depuis que tout ce qui est raconté en France sur le reste du monde est doublement déformé par le prisme culturel et par le parti pris idéologique, si bien que j’attends de visiter le pays et de rencontrer ses habitants pour commencer à me faire une opinion.

Vu de prés, j’ai aussi compris qu’il fallait nuancer l’idée que l’on pouvait se faire des Sénégalais, vus de loin.

Même si les façons de se vêtir, de célébrer les différents événements de la vie,  même si la musique et la philosophie de la vie peuvent être communs et même si l'islam concerne 95 % de sa population, le Sénégal est constitué par des populations diverses. 

Certes, les Wolofs constituent le groupe social le plus important, pratiquement la moitié des Sénégalais et il impose sa langue à tous : ce groupe appuie aussi son influence sur deux confréries religieuses, les Mourides et les Tidjanes, dont vous voyez des représentants à l’étranger sous la forme de vendeurs de sacs et autres babioles. Vous ne voyez alors que la partie apparente de ces très puissantes confréries, États dans les Ètats de l’Ouest Africain.

Mais les Wolofs cohabitent avec d’autres populations, les Peuls et les Toucouleurs, qui rassemblent à peu prés le quart de la population, les Sérères, 15 % de la population, avec d'importantes communautés chrétiennes, encore que l'islam soit majoritaire chez eux. Enfin les Diolas, 4% à peine de la population, sont concentrés dans le sud du pays, en Casamance, et ont souvent été en révolte contre le pouvoir central. Bien sûr, il faut ajouter à ce patchwork des communautés plus réduites, les Africains originaires d'autres pays du continent qui sont souvent haoussas, la communauté marocaine, les Maliens, les Maures, les Libanais et bien sûr les Français.

Au Sénégal, il est tout de même utile de comprendre qui est votre interlocuteur, wolof ou non et s’il est wolof, de comprendre à partir de son nom à quelle caste il appartient, s’il est proche des Tidjanes ou plutôt des Mourides. Et s’il n’est pas wolof, quels sont ses rapports avec eux ?

Ainsi, je me souviens d’avoir assisté à une réunion d’un parti proche des Diolas de Casamance, dont je connaissais le chef et son épouse. Normalement, en tant que Français, coopérant de surcroit,  je n’aurais pas dû y assister, car les Diolas ont pour position de base de contester tous les colonialismes, à commencer par celui de la France, afin de pouvoir, car c’est leur but, contester le colonialisme qu’ils subissent selon eux de la part du gouvernement sénégalais en général et des wolofs en particuliers.

Ce fut une réunion intéressante.

Elle se déroulait dans un vieux cinéma de quartier et les militants criaient en diola des slogans apparemment assez violents. Puis certains montèrent sur scène. Je compris qu’ils étaient hostiles à la colonisation du pays par la France lorsque je les vis mimer l’exécution d’un coopérant français par pendaison.

Et moi, j’étais le seul coopérant français présent dans la salle et avant que je ne commence à m’inquiéter pour ma peau, ils sont venus nombreux m’expliquer avec un grand et franc sourire que c’était juste une représentation symbolique, rien de plus.

 

Dans cette  petite scène, une bonne partie de la vie collective sénégalaise s’exprimait : on protestait, on le manifestait, mais en même temps on cohabitait et on se respectait.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article