SUFFREN EN ACTION
La campagne américaine se termine par de petits engagements où alternent succès et revers, tandis qu’en Europe, les derniers grands affrontements se déroulent lors du siège de Gibraltar.
Gibraltar tient bon depuis 1779 parce que la flotte espagnole s’est montrée incapable depuis trois ans d’intercepter les convois de ravitaillement escortés par la Navy. Les Espagnols, qui bénéficient de l’aide de douze vaisseaux français, en réclament en vain quarante à Louis XVI.
Le commandement du siège de Gibraltar est confié à un Français, le duc de Crillon, qui retient l’idée de l’ingénieur militaire Le Michaud d'Arçon d’attaquer la place avec des batteries flottantes « insubmersibles et incombustibles ». Dix batteries sont mises en action à partir de septembre 1782, servies par 5200 hommes qui mettent en action 172 canons de 24 dont le déluge de feu doit venir à bout des fortifications anglaises.
Lorsque les batteries flottantes s’approchent du rocher de Gibraltar, soutenues par les quarante-huit vaisseaux franco-espagnols de Cordoba et Guichen, elles sont accueillies par l’artillerie anglaise qui ouvre le feu à boulets rouges depuis des galeries creusées dans la falaise. Contrairement aux espoirs de Le Michaud d'Arçon, le blindage de chêne n’y résiste pas : trois des machines flottantes, touchées dans leurs réserves de poudre, explosent en formant de terrifiants champignons de feu et de fumée et la panique s'empare des autres batteries. Toutes les batteries sont englouties au pied de la falaise, avec plus de 2 000 marins espagnols noyés ou brulés.
Ne reste plus comme solution pour obtenir la reddition de la forteresse britannique qu’à affamer la garnison en bloquant le dernier convoi de ravitaillement anglais, mais le 11 octobre 1782, Howe se joue de la flotte franco espagnole, si bien que la prise de Gibraltar est remise sine die.
En revanche, la campagne des Indes de Suffren est victorieuse. Lorsque Pierre André́ de Suffren appareille de Brest, le 22 mars 1781, il est à̀ la tête d’une division de cinq vaisseaux et d’une corvette chargée d’une opération de diversion. Cette petite force est chargée d'escorter huit navires de transports embarquant un millier de soldats à destination du Cap et cinq navires de commerce pour le Sénégal. Il s’agit de garder ouverte la route des Indes orientales.
Cette première mission est un succès, avec une victoire contre l’escadre de Johnstone qui se ravitaille dans les iles portugaises du Cap Vert, ce qui permet aux Français d’arriver avant les Anglais au Cap. Lorsque Johnstone se présente en juillet 1781 devant Le Cap, il est contraint de se retirer.
La flotte française reste deux mois et demi en Afrique du Sud afin de réparer les vaisseaux, tandis que Suffren a reçu l’ordre de passer dans l’océan Indien et de joindre ses vaisseaux à ceux de l’Ile-de-France pour revenir en Inde, où le conflit est resté en sommeil après la chute des comptoirs français à l’automne 1978, malgré la défense énergique de Pondichéry par le gouverneur de Bellecombe. Depuis, la flotte française s’était repliée sur l’Ile-de-France où l’on semblait se résigner à attendre tranquillement la fin de la guerre en cours.
L’arrivée de Suffren à l’Île de France, le 25 octobre 1781, change radicalement la donne. L’addition de ses cinq vaisseaux aux six vaisseaux et trois frégates stationnés sur l’île donne aux Français leur plus puissante escadre jamais engagée en Inde, ce qui correspond à la volonté́ du ministre de Castries d’accentuer la guerre dans l’océan Indien. Les ordres sont d’attaquer les Anglais partout où ils se trouvent et de leur causer le plus de dégâts possibles, ce qui convient parfaitement au caractère offensif de Suffren.
L’escadre appareille pour l’Inde le 7 décembre 1781, accompagnée de dix navires de transports embarquant 3 000 hommes et un détachement d’artillerie. Elle est initialement placée sous les ordres de d’Orves qui décède en mer, laissant le commandement à Suffren. En face, les forces navales sont dirigées par le contre-amiral Edward Hughes qui connait parfaitement les eaux indiennes et s’appuie sur la base bien équipée de Bombay où il peut se mettre à̀ l’abri de la mousson et y réparer ses vaisseaux alors que Suffren, à deux mois de navigation de l’Ile-de-France, est presque coupé de tout et découvre les eaux indiennes.
Suffren veut détruire les forces anglaises pour rétablir la place que la France occupait en Inde avant les traités de 1763, avec l’aide d’un puissant nabab du sud du pays, Haidar Alî, qui mène depuis des années une guerre impitoyable contre les Anglais à l’appui de laquelle il sollicite l’alliance française. Suffren dispose d’une nette supériorité́ navale sur Hugues qui n’a que neuf bâtiments alors que son escadre en possède maintenant douze avec la capture d’un vaisseau anglais.
Suffren et Hughes s’affrontent pour la première fois le 17 février 1782 au large du petit port de Sadras, sur la côte de Coromandel. Suffren, qui cherche à envelopper l’arrière garde anglaise, obtient une réussite partielle qui oblige l’escadre anglaise à fuir, mais ce premier combat met en lumière le manque de cohésion des capitaines autour de Suffren.
Un deuxième combat intervient deux mois plus tard, le 12 avril 1782, au large des côtes de Ceylan ou Suffren est venu se ravitailler après avoir débarqué́ à Porto Novo les troupes destinées à faire leur jonction avec celles d'Haidar Alî. Hughes est désormais presque à parité́ avec son adversaire. Après de longues manœuvres, le combat s’engage en ligne de file. Comme à̀ Sadras, une partie des vaisseaux seulement suivent les ordres de Suffren et la bataille tourne finalement à la confusion générale, alors que beaucoup de vaisseaux sont très endommagés des deux côtés.
Après cinq heures de canonnade acharnée, les deux protagonistes, les voiles en lambeaux, sont contraints de jeter l'ancre alors que se lève un violent orage tropical à la nuit tombante. Suffren tente pendant une semaine de reprendre le combat, mais Hughes se dérobe et le 19 avril, l’escadre française décroche pour aller réparer et se ravitailler à Batticaloa.
Le troisième affrontement se passe au large de Négapatam, le 6 juillet 1782, alors que Suffren cherche à reconquérir ce comptoir néerlandais. Le combat tourne à la mêlée générale, cette fois à̀ cause du vent qui tourne brutalement et disperse les navires. Trois vaisseaux anglais et deux vaisseaux français sont gravement touchés. Trois navires français n’ont que peu ou pas participé à l’engagement, ce qui pousse Suffren à démettre de leur commandement leurs trois capitaines et à remplacer un quatrième pour cause de sénilité.
Hughes fait retraite et Suffren reste maitre des eaux entre la côte de Coromandel et Ceylan. Suffren appuie dans un premier temps sa logistique sur les petits ports de la région, Porto Novo et Gondelour sur la côte de Coromandel et Batticaloa sur l’ile de Ceylan. Pour tenir plus longtemps, il lui faut une base bien abritée, équipée et facile à̀ défendre. Il décide pour cela d’attaquer Trinquemalay, sur la côte est de Ceylan. L’opération est menée depuis le mouillage voisin de Batticaloa. Elle est montée avec 2 300 hommes combinant cipayes et troupes de marine. Le 26 août 1782, le débarquement se passe sans encombre et les deux forts qui défendent la rade capitulent rapidement,
Hughes arrive trop tard pour secourir sa base, mais provoque une quatrième bataille navale, car Suffren l’attaque immédiatement pour essayer encore une fois de l’anéantir.
A SUIVRE