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Le blog d'André Boyer

L'interlude de l'AX

16 Janvier 2009 Publié dans #INTERLUDE

Un interlude est une émission courte, souvent muette, diffusée pour meubler un trou dans la grille de diffusion ou lorsqu'un problème technique interrompt cette diffusion. Très rare de nos jours, l'interlude était fréquent durant les premières années de la télévision française. « Le petit train-rébus » de Maurice Bruno reste le plus connu des interludes.

J’emploie  ici le mot « interlude » pour introduire un petit temps mort dans les articles assez sérieux qui se sont succédé depuis l’ouverture de mon blog, un interlude que j’insérerai de temps en temps dans mes articles. J’utilise aussi ce mot parce qu’il m’est venu spontanément à l’esprit à la fin de la semaine dernière. Voici comment:

Il y a longtemps que j’avais pensé acquérir une petite voiture pour  rouler à Nice. J’ai failli à plusieurs reprises vendre mon assez grosse berline familiale contre une petite auto. Mais finalement je n’ai pu m’y résoudre. J’ai donc trouvé à acheter dans l’Ariège (pourquoi dans l’Ariège, la question restera pendante si vous le voulez bien) une AX de 12 ans avec, miraculeusement, peu de kilomètres. J’ai traité avec un garagiste d’autrefois (déjà, le mot « interlude » trouve sa signification) qui ne voulait ni avance, ni chèque de banque. Dans l’Ariège, m’a t-il déclaré au téléphone sans me connaître, on fait confiance. Bien.

Dimanche dernier, j’ai voulu prendre le bon vieux train comme autrefois (interlude, toujours) mais la SNCF n’étant justement plus celle d’autrefois, j’ai craint que le froid ou la mauvaise humeur des agents ne perturbent le voyage, car mon interlude devait rester relativement court entre deux activités supposées plus sérieuses que celle qui consiste à aller chercher une petite auto dans l’Ariège. Et puis, la SNCF n’étant décidement plus ce qu’elle était, le prix du billet égalait celui du billet d’avion. Alors…

Par un bel après-midi ensoleillé de janvier comme la Côte d’Azur en a le secret depuis toujours (interlude) j’ai pris un avion…corse pour rejoindre Toulouse, non sans avoir vérifié que je ne m’embarquai pas pour Bastia par erreur. Mais non. Les hôtesses, l’une de Bastia, l’autre d’Ajaccio (études à Nice à la fac de Droit, j’ai enquêté auprès d’elles) nous ont fait bénéficier d’un petit morceau de l’émouvante hospitalité corse jusqu’à l’atterrissage à l’aéroport de Toulouse-Blagnac qui jouissait du même soleil, je dois le reconnaître, que l’aéroport de Nice.

Ma sœur et mon beau-frère m’attendaient carrément dans la salle de récupération des bagages, une convivialité aéroportuaire comme on n’en connaît plus (interlude) depuis que la phobie du terrorisme a transformé les aéroports en camp de transit pour on ne sait quelle déportation. Bref, ils étaient là avec leur propre AX, ce qui m’a permis de m’habituer à l’engin. Dans leur lieu de résidence, une ferme, haut lieu de convivialité et de débat comme il n’en existe plus (interlude), nous avons passé une après-midi et une soirée en prenant le temps que l’on s’accordait autrefois (interlude) pour se rencontrer, se parler, se dire silencieusement toute la joie que l’on a de se revoir. Ma mère était là, forte de ses 87 ans pleins de vitalité et d’affection.

Le lendemain après un petit-déjeuner roboratif  et partagé en famille (interlude), nous nous sommes rendus, mon beau-frère et moi, avec son AX, au garage de notre vendeur. La brume entourait d’un halo mystérieux la route nationale menant vers Pamiers, tandis que les majestueuses Pyrénées se révélaient lentement à l’horizon. Le garagiste était à son poste, et avec lui sa fille qu’il employait à faire les factures. Tout était malencontreusement moderne, sauf une Jaguar et une Ferrari des années cinquante.
L’AX était présente aussi, avec les pneus neufs dont le garagiste avait cru nécessaire de la chausser, sans naturellement en augmenter le prix (interlude). D’ailleurs le véhicule, première main, appartenait à une gente dame de Foix, qui s’en était fort peu servie, cela se voyait, sa bucolique couleur verte rutilait comme si elle avait passé douze ans au garage. Formalités accomplies, entre autres le chèque, les deux AX  se sont dirigées vers un magasin d’autoradios à la queue leu leu, la verte suivant modestement comme il sied. Le vendeur nous a proposé d’office le premier prix, jugeant inutile de me faire dépenser plus (interlude). Illico (interlude encore), l’autoradio et les hauts parleurs étaient montés et je faisais un premier trajet jusqu’à la ferme pour montrer l’objet roulant à ma mère et à ma sœur avant de m’élancer sur la route.

M’élancer ? Ce n’était pas le mot exact. Je proposais à l’AX de s’habituer à moi et à l’idée de parcourir d’un coup six cent kilomètres en commençant par les petites routes agrestes qui traversent l’Aude par Belpech, Fanjeaux et Bram,   avant d’atteindre la redoutable autoroute Toulouse Narbonne. Je n’ai pas hésité, si, un petit peu tout de même, à engager l’innocente AX au milieu des redoutables monstres lancés à d’incroyables vitesses sur le ruban d’asphalte. L’AX et moi, nous sommes insérés au milieu de ces limousines et de ses camions qui n’hésitaient pas, même dans les montées, à se ruer à des vitesses proches de 130 kilomètres/heure ! L’AX, que j’avais prudemment placée sur la file de droite, presque d’extrême droite, a dû se résoudre à monter en puissance. 80, 90, 100, 110 kilomètres ont été atteints sans rechigner. Aller plus vite semblait un peu téméraire, en tout cas prématuré. Et puis, il allait falloir tenir six heures à ce rythme infernal sans désemparer. Rude épreuve pour une mécanique habituée à se reposer sur de douillets parkings ariégeois tous les trente kilomètres. J’avais l’impression de la trahir…

Par ailleurs, l’AX et moi sentions par de petits signes des autres conducteurs que nous gênions. Quelques queues-de-poisson, des véhicules qui s’installaient à quelques centimètres du délicat pare-choc arrière de l’AX, parfois des appels de phares ou d’avertisseur nous signifiaient que nous étions à peine tolérés sur ce trajet destiné aux gens sérieux. Accélérer ? Mais jusqu’à quelle vitesse ? 120 kilomètres semblait une limite infranchissable, qui ne satisferait sans doute guère plus nos compagnons provisoires de trajet. Alors, l’AX et moi, nous avons improvisé, négocié, accélérant parfois à la limite du supportable pour elle, ralentissant dès que possible, nous laissant aspirer par de gros camions. Les techniques que j’utilisai autrefois avec mes 2CV me revenaient (interlude) au bout du pied droit,  se faire aspirer, déboîter brusquement en surveillant le rétroviseur, doubler audacieusement puis se rabattre prudemment. En revanche, je me riais des vitesses limitées traîtreusement à 110 ou à 90, car l’AX s’y pliait  naturellement avec délectation. Ce n’est pas elle qui me ferait perdre les quelques points qu’avait bien voulu laisser sur mon permis  le féroce Ministère de l’Intérieur!

Il fallut tout de même s’arrêter pour laisser souffler le puissant moteur d’un litre à qui revenait de tirer les 7 quintaux de la machine, auquel il convenait encore d'ajouter quasiment un quintal de bagages et de conducteur. Et ce dernier, justement, avait besoin de temps en temps de se restaurer et d’oublier le ronflement des pistons en folie. Carcassonne, Narbonne, Béziers, Sète, Montpellier longuement, les péages entrées et sorties, Nîmes, Arles, le soleil descendait à l’horizon, la musique berçait le trajet, il faudrait plutôt écrire qu’elle perçait au travers des bruits divers qui jaillissaient de toutes parts, moteur, filets d’air rageurs, roulement des pneus neufs (grâce soit  encore rendue au garagiste), grondement des massifs véhicules qui couraient le long de la frêle AX comme des chiens qui dépassent le gibier sur leur lancée. Au cours du trajet, je revoyais en pensée les dizaines de milliers de kilomètres que j’avais parcourus dans des conditions semblables au volant de mes trois 2CV et de mes quatre Dyane (interlude). Il n’aurait pas fallu grand chose pour que je me crois encore en train de parcourir les interminables autoroutes menant vers la Scandinavie ou les mélancoliques routes vers Dijon, ou même les nostalgiques retours vers Lyon. Le même bruit, la même lenteur, la même solitude, le même espace intemporel et la même marque d’automobile (interlude).
Mais Aix-en-Provence dépassée, la Côte d’Azur approchait. La nuit était tombée, les phares fonctionnaient comme dans une voiture moderne, le chauffage aussi heureusement, les véhicules concurrents allaient encore plus vite, la circulation s’intensifiait, les péages devenaient de plus en plus fréquents, Mandelieu, Cannes, Antibes, la route demandait une extrême concentration au moment où la fatigue se serait faite sentir si la proximité de  l’écurie n’avait pas revivifié le sang dans le cerveau engourdi et les pistons dans le moteur surchauffé. Je faisais découvrir à l’AX le virage pour quitter l’autoroute et rejoindre la Promenade. Elle ne le savait pas, mais ce serait son terrain de manœuvre désormais. Elle l’aborda sans anicroche, quitta la Promenade des Anglais, gravit Cambrai et se mit en place pour entrer en marche arrière dans le jardin. Pas question de la laisser dehors à la merci d’un quelconque rufian amateur d’AX vertes…

Sous l’auvent, la berline dormait. Elle ne vit pas la petite AX se glisser devant elle  avec effronterie, elle ne sut pas qu’elle n’aurait plus désormais à frotter sa carrosserie dans la jungle urbaine, que la petite nouvelle le ferait à sa place. L’interlude s’achevait, c’était presque dommage…

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L'écriture, la transcendance et la vérité...

15 Janvier 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE



Comme Internet aujourd’hui, l’écriture accroît en son temps les moyens de communication entre les vivants, mais aussi entre les générations. Elle permet à l’être humain de mieux assouvir ses besoins de transcendance. Au travers de l’écriture, les Dieux font leur apparition qui vont occuper les hommes au point de compromettre leurs conditions de survie. Les temples et les pyramides vont surgir de toutes parts.

Vu du haut de notre siècle, cette attitude apparaît excessive, mais elle révèle à quel point le sacré peut structurer la pensée de l’homme jusqu’à lui faire oublier sa vie terrestre. La raison n’a jamais empli l’esprit et le cœur des hommes. Aujourd’hui, on peut de même s’interroger sur la logique qui l’humanité à détruire son environnement pour des siècles simplement pour améliorer de façon infinitésimale le bien être physique immédiat d’une faible proportion de ses membres. Du point de vue de la raison, qui est le plus rationnel de l’automobiliste ou du constructeur de pyramide ?

Avec l’écrit, la vérité trouve de nouvelles sources. Dans la Haute Antiquité, l’homme se laissait guider par les oracles qui s’étaient proclamé les intermédiaires entre l’humanité ordinaire et le monde des révélations. Les livres vont devenir les nouveaux intermédiaires entre l’homme et la vérité.

Depuis les origines de l’humanité, chaque individu a d’abord compté sur lui-même pour découvrir la vérité, grâce aux ressources de son cerveau. C’est au point que Platon considérait que l’homme disposait à sa naissance d’une sorte de stock de vérités évidentes. Saint Augustin, tout chrétien qu’il était, estimait que la vérité transmise par l’enseignement de l’Église n’était pas suffisante sans la clairvoyance de chacun. L’écrit changeait la donne, car il constituait en lui-même une source d’information complexe, qui devait être expliquée. Ainsi les Écritures devaient être interprétées, plus encore que la Bible. Il en fut de même pour le Coran. Les livres plaçaient la transcendance au plan du discours, permettant la discussion et l’apprentissage.

Et les Livres eurent un effet inattendu : ils contraignirent les hommes à se consacrer plus intensément à leur vie matérielle.

 

Le retour de la vie matérielle

La religion du Livre, la Bible, prend le contre-pied de l’approche païenne de la transcendance en exigeant des vivants qu’ils s’occupent plus d’eux-mêmes que des morts.  Elle commence par leur interdire de se prosterner devant les pierres. En ne demandant qu’un jour de prière par semaine consacré à Dieu, elle limite le poids de la transcendance à un septième de la vie. De plus, comme la religion est fondée sur le Livre, elle offre une plus grande liberté d’exégèse que celle dont disposaient les peuples qui récitaient des prières orales.

À partir du moment où l’homme s’est partiellement détourné des morts, il peut consacrer plus d’efforts aux échanges entre les vivants. Le commerce entre les villes s’accroît, avec l’aide de l’écriture. Le rythme des modifications s’accélère. L’homme domestique le chien, le bœuf, le cheval, l’âne et le mouton. L’apparition du bronze modifie l’armement. Les efforts se concentrent sur le pouvoir matériel. Il en résulte que deux mille ans avant JC, le nombre des êtres humains atteint cent millions. C’est le temps des empires, des invasions et des guerriers, celui des affrontements entre les barbares semi nomades et les noyaux denses des civilisations sédentaires.

Les nomades, qui sont moins nombreux et moins riches que les sociétés agricoles du néolithique, remportent souvent la victoire grâce à de meilleures techniques de combat. En témoignent les victoires remportées par les nomades sur l’imposant empire égyptien, qui titube sous leurs coups. Déjà apparaît cette constante de l’invasion et du pillage des peuples les plus riches par les plus pauvres, assurant une sorte d’équilibre naturel.

 

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Julien Dray, quelque part entre le goût du luxe et la lutte des classes

14 Janvier 2009 Publié dans #ACTUALITÉ

 

L’Est Républicain a dévoilé aujourd’hui une note de 36 pages consacrée aux finances de Julien Dray, une note rédigée par  la cellule du Traitement du Renseignement et de l'Action contre les Circuits Financiers Clandestins (Tracfin) qui dépend du Ministère de l’Economie et des Finances. Je l’ai téléchargée et je vous assure que cela vaut la peine de la lire. La note, avant de détailler les opérations effectuées,    constate que « les flux créditeurs suspects portent à minima sur un montant de 351027€ et viennent s’ajouter aux revenus de Monsieur Dray, contribuant ainsi à l’essentiel du financement de ses dépenses courantes » sur une période de deux ans et demi !  (Tracfin, page 4).  Le rapport relève aussi les goûts de luxe du parlementaire, dont 131.000 euros de montres.

Rappelons nous tout d’abord qui est Julien Dray. Il est né le 5 mars 1955. Étudiant, il milite dans la Ligue Communiste Révolutionnaire puis rejoint le Parti socialiste en 1980 dont il devient l'animateur de la fraction gauchiste. Il a alors vingt-cinq ans et c’est déjà un professionnel accompli de la politique. En 1984, il devient l'un des fondateurs de SOS Racisme. Il est élu député socialiste en 1988, à trente-trois ans, dans la 10e circonscription de l'Essonne et il a constamment été réélu depuis, si bien qu’il en est à son douzième mandat de député. Jusqu’à l’élection de Martine Aubry, il était le porte-parole du Parti socialiste.  Il est aussi vice-président du conseil régional de l'Île-de-France, chargé de la Politique de la Ville, de la Sécurité et de la Jeunesse. C’est un homme politique important, ferme partisan de Ségolène Royal au sein du P.S.. Harlem Désir, Fodé Sylla, Malek Boutih, pour SOS Racisme, Delphine Batho pour la Fidl, Isabelle Thomas, pour l'Unef, Fadela Amara pour « Ni putes, ni soumises », ont été formés politiquement par Julien Dray. On dit même que Nicolas Sarkozy l’aurait approché pour devenir ministre d’ouverture.

L'enquête montre que Julien Dray était un passionné de magasins, de montres et d’hôtels de luxe. Ce n’est pas un crime,   c’est juste incohérent avec son image de défenseur de la veuve et de l’orphelin. Ce qui est plus ennuyeux pour lui, c’est que le montant des dépenses serait bien supérieur à ses revenus officiels et que des transferts de fonds auraient été effectués en provenance d’associations à but politique comme SOS Racisme, mais aussi procédant de  chefs d'entreprise qui ont leur siège dans l'Essonne ou qui ont obtenu des marchés publics octroyés par le Conseil régional d'Ile-de-France.

Alors Julien Dray, un méchant ? Se contenter de porter un jugement sur sa personne serait fuir le problème que l’apparente incohérence entre son image publique et ses agissements privés nous pose, à nous citoyens. Nous sommes en effet supposés lui déléguer une partie importante de la gestion des affaires publiques. Julien Dray fait sans doute partie des cent élus les plus influents de notre pays. En tant que professionnel de la politique, il s’est spécialisé dans la lutte anti-raciste, dans la défense des idées de gauche, dans le combat contre les injustices. Mais voilà, ce qui le passionne apparemment, ce sont plus les belles montres que la lutte des classes. Puisqu’il a constamment été réélu, c’est qu’il a obtenu l’investiture de ses pairs, qui n’ont jamais été gênés par sa passion pour le luxe, qui ne sont pas publiquement posés la question de l’origine de ses dépenses et qui se sont bien gardés de nous dire, à nous les citoyens, que son comportement privé n’était pas cohérent avec son image publique. Au contraire, aujourd’hui encore, certains d’entre eux n’hésitent pas à s’offusquer de ce que l’on déballe en public ses affaires privées. Sous le titre « Affaire Dray: quand le journalisme devient nauséabond », un journaliste probablement favorable à Julien Dray, Philippe Cohen, écrit ainsi dans Marianne2 : « notre propos ne concerne pas le fond, ou plutôt la tendance aux achats compulsifs que Julien Dray reconnaît lui-même, ni les abus éventuels sur lesquels la justice se prononcera le moment voulu. Il ne concerne même pas le fait que le scoop du quotidien régional est largement faisandé puisque le Monde et le Parisien ont déjà publié, avant Noël, de larges extraits de la note sur les dépenses de Julien Dray. Non, ce qui met en rogne ce matin, c’est ce journalisme de pacotille, avec sa langue de bois et ses roulements de tambour imbéciles ».

S’indigner des méthodes d’investigation de ses confrères, c’est vouloir détourner l’attention du fond. Le fond, c’est le fait que notre système de gouvernance attribue des fonctions importantes à des individus qui sont manifestement dans l’incapacité de faire le travail politique dont ils sont chargés, c’est-à-dire lutter contre les injustices et gérer au mieux les fonds publics et que l’on voudrait naturellement nous tenir dans l’ignorance de ce fait.

C’est pourquoi les apparentes faiblesses du personnage Julien Dray sont surtout révélatrices de celle de notre système public de gouvernance.

 

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La fatale création de l'agriculture

14 Janvier 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE

La sédentarisation a précédé l’agriculture : les villages ont été construits avant que les techniques de production alimentaires ne soient modifiées, mais l’invention de l’agriculture a rendu la sédentarisation indispensable.

La plantation des céréales marque le début de la modification volontaire de l’écosystème par l’homme. Les greniers qui se remplissent excitent la convoitise des peuples non encore sédentarisés. Aussi faut-il les entourer de murailles. La densité des échanges augmente, et les conflits avec. Le Néolithique s’installe dans son Croissant Fertile qui comprend aujourd’hui Israël, le Liban, la Syrie et une partie de l’Irak et de l’Anatolie.

Avec la sédentarisation, les tombes apparaissent. Elles révèlent comment l’homme voit son destin. Au début, le cannibalisme était la forme naturelle de sépulcre, dans la mesure où il présentait le double avantage d’éliminer les risques liés à la décomposition des corps, tout en contribuant à nourrir les vivants.

Mais dès que la tombe apparaît, les soins qui lui sont apportés et les offrandes qu’elle reçoit indiquent que les vivants cherchent à communiquer avec les morts. Les tombes rendent la terre sacrée. La transcendance devient une question angoissante : l’homme se pose manifestement la question de la nature de la mort, dans le doute et l’angoisse.

 

L’écriture, la transcendance, la vérité
 

Il est logique que l’écriture suive de près la révolution agropastorale, parce que cette dernière a accru le volume des échanges dans une communauté immobile. Les hommes se rencontrent plus souvent pour échanger des produits, pour se piller ou pour se battre. L’écriture sert à fixer la mémoire. Elle est un enjeu de pouvoir, réservée aux seuls initiés, ceux qui savent lire et écrire. Désormais les civilisations se confondront avec leurs écrits.

C’est sept mille ans avant JC que l’écriture apparaît, à Suse. Elle se perfectionne en Égypte vers trois mille cent cinquante ans avant J.C, grâce à la réduction du nombre de ses locutions. Elle devient consonantique avec l’araméen, donc plus simple à transcrire, et les Grecs inventent un alphabet qui permet d’écrire les consonnes. À l’autre bout du monde, la Chine rattrape le retard qu’elle avait pris sur le Croissant Fertile, à l’émergence du néolithique. L’écriture structure la pensée et la civilisation chinoise. L’idéogramme chinois fonctionne à la manière d’un algorithme ; il est conçu comme un outil symbolique capable de révéler la structure cosmologique des êtres et des choses. Mais c’est une langue écrite construite indépendamment de la langue parlée. Aussi reste t-elle un moyen d’échange réservé aux seuls lettrés, qui détiennent grâce à elle l’arme absolue du pouvoir, celui  d’avoir l’exclusivité de la pensée organisée.

 La pensée unique ne date pas d’hier. Et c’est aussi de cette exclusivité que naît la prétention de quelques-uns à indiquer aux hommes le lien, qu’ils sont seuls à connaître disent-ils, avec l’au-delà. 

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L'homme inventeur

12 Janvier 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE


L’aventure humaine est celle de ses inventions, car l’homme invente parce qu’il s’est libéré de ses réflexes instinctifs. Puisqu’il agit par lui-même, il lui faut reconstruire le monde. Il en obtient l’accroissement de ses moyens d’action, donc de son pouvoir sur le monde, donc du nombre des humains. Il a réussi à devenir de plus en plus fort par rapport à son environnement, tandis que son cerveau, celui de l’homo sapiens, restait inchangé pendant mille cinq cent siècles, comme si les transformations qu’il imposait au monde le dispensait de se transformer biologiquement.

La première innovation, le galet 

Le torrent des innovations trouve sa source dans le premier galet à une face, conçu et réalisé il y a trois millions d’années. Ce petit caillou façonné multiplie par quatre la force de l’homme, grâce à quoi il peut tuer plus d’animaux et… d’hommes. Pendant cent mille générations, ce galet à une face sera l’outil de base de nos ancêtres. Cent mille générations est une éternité, mille fois plus longue en tout cas que le temps qui nous sépare des Grecs. Notons que le savoir-faire relatif au galet n’est transmissible que par l’observation et l’imitation.

Puis, il n’y a que deux cent cinquante mille ans, quelqu’un invente la taille des éclats de pierres. Ce sera ensuite la célèbre domestication du feu, dont nous disposons depuis mille siècles environ . Grâce à lui, les campements seront protégés contre les attaques des animaux. Le feu permettra aux humains de dormir sans être en permanence aux aguets, de mieux se reposer ; grâce à la cuisson des aliments, de mastiquer moins fort et de digérer plus facilement les aliments.

La croissance de la population révèle la puissance grandissante de l’espèce humaine : de trente mille ans à dix mille ans avant JC, la population humaine passe d’un demi à cinq millions d’hommes. Puis de dix mille ans à cinq mille ans avant JC, elle monte en flèche, grimpant de cinq à cinquante millions d’hommes, une croissance qui continue jusqu’à l’ère chrétienne, la population mondiale atteignant alors deux cent cinquante millions d’hommes. Elle stagnera et se réduira ensuite entre le premier et le huitième siècle après JC.

Entre-Temps, vers dix mille ans avant JC, l’homme atteint l’âge d’or de la chasse et de la cueillette. La sédentarisation s’est imposée, parce qu’en réduisant les déplacements, on limite la mort des parturientes et des enfants. Les hommes commencent à se nicher dans de tout petits villages comme celui de Terra Amata.

À cette époque, l’Europe occidentale et le Moyen-Orient deviennent des pôles de croissance; on y trouve des groupements de population qui échangent entre eux des innovations de plus en plus nombreuses. Les outils et les armes se perfectionnent, se réduisent en taille et prennent des formes géométriques régulières. L’arc menace l’écosystème. Les chasseurs de la fin de l’épipaléolithique, la phase ancienne du mésolithique, l’âge de la pierre taillée, disposent de perfectionnements techniques extraordinaires. Il n’est pas absurde de voir dans cette période un âge d’or pour l’humanité, en comparaison des conditions de vie qu’elle a expérimentées avant et après cette période.

Il y a longtemps, l’âge d’or
 

La dernière période de la chasse serait en effet une sorte de paradis terrestre qui s’est gravé en tant que tel dans la mémoire de l’humanité. Les hommes mangent de la viande bouillie et des graines, qu’ils cueillent et stockent dans leurs greniers. Ils sont cinq à dix millions sur la Terre, alors que leurs techniques permettraient déjà d’en nourrir beaucoup plus. À cette époque, les êtres humains n’ont plus besoin d’errer sans cesse. À la croisée des chemins entre la chasse et l’agriculture, les hommes connaissent, peut-être, une insouciance qu’ils aimeraient bien retrouver aujourd’hui,  en tout cas des loisirs qu’ils n’auront plus : il leur suffit de deux heures de travail par jour pour subsister.

On peut rêver de cette abondance virtuelle et de la liberté dont ces hommes disposaient dans un espace encore vide. Mais la société humaine n’a jamais pu s’arrêter en chemin, entraînée par la logique de son évolution. Il est aussi arrivé à l’humanité de régresser, mais elle a toujours surmonté les obstacles qui se dressaient devant elle pour contrôler le monde. Elle est, aujourd’hui comme toujours, engagée dans ce même effort qui se poursuit depuis six millions d’années. Son succès se mesure par l’accroissement du nombre des humains et celui de la durée moyenne de vie des individus.

La sédentarisation va tout changer, et c’est le deuxieme bouleversement dans l’histoire de l’homme, après la descente de l’arbre. Elle va changer son style de vie et sa façon de penser.

 

 

 

 


 

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Comprendre le monde pour le contrôler

11 Janvier 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE


C’est la volonté d’agir sur le monde qui a permis à l’être humain d’élaborer le système qu’il nous a légué. Chaque effort pour comprendre les mystères qui l’entouraient s’est traduit par un contrôle plus étroit de son environnement. On peut l’imaginer : avant même de délaisser la protection de l’arbre, notre ancêtre prend conscience qu’il existe. Il regarde autour de lui et il aperçoit des êtres et des choses qu’il lui faut absolument identifier. Il ressent dés l’origine un besoin aigu de comprendre, car il ressent que le monde, à peine entrevu, lui échappe. Il lui faut se saisir de la vérité par un bout quelconque, et tâcher de l’apprivoiser. Puisqu’il est conscient de se trouver à l’intérieur de quelque chose qu’il appellera plus tard l’Univers, il faut qu’il le contrôle pour diminuer son anxiété.

La survie de l’homme ne repose que sur sa clairvoyance. Des fauves à apprivoiser, des peurs paniques à maîtriser. Aucun homme, et surtout pas le premier, n’a jamais pu vivre sciemment dans l’ignorance et le mensonge. Depuis le début de l’histoire de l’humanité, il a toujours été difficile de vivre dans un Univers chaotique ; la recherche de la facilité a incité l’homme à tricher avec la vérité, mais cette dernière l’a toujours rattrapé, le contraignant à regarder les choses en face.

Dés l’origine, il lui a aussi fallu choisir une vision du monde, à partir des informations fragmentaires dont il disposait. Il a d’abord incliné à une vision unitaire, ou moniste, la plus simple, la plus instantanément satisfaisante pour l’esprit humain. Puis il a cherché un autre angle pour comprendre le monde, et notamment sa dynamique ; le dualisme décrit la régulation du Monde selon deux principes complémentaires et conflictuels, qui doivent par principe s’équilibrer. Le bon et le mal zoroastriens ou le yin et le yang du taoïsme témoignent de ces visions binaires de l’Univers, encore que ce dernier soit également moniste puisque le terme « Tao » désigne le principe régulateur de l’Univers. On observe donc que, dés l’origine, deux formes concurrentes de cohérence, l’une dualiste, l’autre moniste, ont coexisté dans l’esprit humain. 

Elles s’y sont même succédé : la vision cohérente et unitaire du monisme se développe en réaction contre les difficiles équilibres de la pensée dualiste. Les Védas, l’Ancien Testament, l’Âge Classique Grec, le Bouddhisme et le Taoïsme en témoignent, comme les philosophes grecs qui posent le principe que le monde a été constitué à partir d’une matière unique, quelle que soit son apparente diversité. Pythagore, en particulier, se fait le théoricien d’un cosmos unitaire. Pour lui, l’existence des mathématiques révèle un monde invisible et parfait qui constitue les fondements de la réalité. Une réalité mathématique dont Zénon montre les paradoxes, comme celui de la divisibilité illimitée qui fait qu’un voyage dans lequel on accomplit chaque jour la moitié de la distance restante ne peut jamais être achevé.

À la même époque, des philosophes chinois soutiennent des arguments analogues à ceux des Grecs en faveur du monisme : le Taoïsme recommande « d’ aimer toutes les choses également, car l’Univers est un ». Les Upanisads, ces premiers textes sanscrits, font du Brahmane le pouvoir sacré et le révélateur de cette réalité ultime qu’est la conscience qui enveloppe toute chose. On appelle alors « vrai » ce qui rassemble la matière, qui unit les êtres et les choses, qui ne sont rien d’autre que des éléments qui appartiennent à une totalité.

Échanger pour transmettre

Pour comprendre le monde, l’échange est un outil de base que l’homme s’efforce sans cesse d’accroître, comme en témoigne aujourd’hui Internet. Cette communication ne s’est jamais adressée aux seuls contemporains, mais aussi aux morts et aux êtres humains à venir.

Pendant très longtemps, ces échanges ont été limités par le nombre d’humains sur Terre. Quarante mille ans auparavant, il n’y avait guère plus d’habitants sur toute la Terre que dans la ville de Nice au début du XXIe siècle ; les distances qui séparaient les petits groupes d’habitants rendaient difficile pour l’un quelconque d’entre eux de se faire entendre de plus de quelques centaines de personnes.

À cette époque, il n’y avait cinq cent mille personnes sur les cent cinquante millions de kilomètres carrés de terres émergées, soit en moyenne une personne tous les trois cents kilomètres carrés. Il était quasiment impossible de se rencontrer entre hordes différentes. De plus, comme l’australopithèque disposait d’un cerveau quatre fois moins volumineux que celui de l’homo sapiens, il lui était bien difficile de se souvenir de ces rencontres éventuelles.

En dehors de la transmission génétique, l’information disponible dépend des échanges entre individus. Aussi, les progrès matériels de l’humanité ont été fonction du nombre des individus, du volume des communications et de la capacité à conserver l’information. Plus de communications engendrent une compréhension de plus en plus précise du monde, mais aussi plus d’affrontements.

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La trajectoire

10 Janvier 2009 Publié dans #PHILOSOPHIE

Il y a quelques temps, je me suis intéressé à la notion de vérité. J'ai alors découvert comment elle ne pouvait être abordée qu'au travers de l'évolution de l'humanité, ce que j'appelle la TRAJECTOIRE. La notion de vérité change avec la manière dont l'homme voit le monde, et à ce titre il est frappant de constater à quel point  le doute a envahi la pensée humaine. C'est cette histoire que je reprends ici, en une série de quelques articles, en lui ajoutant mes réflexions actuelles. Nous verrons qu'elle nous conduira à nous interroger sur le sens de l'étape actuelle de la pensée humaine. 

La pierre polie annonce notre technologie, les révolutions de palais de l’Empire Romain contiennent en germe notre Moyen Âge puis notre Renaissance ; les paroles du Christ, de Bouddha et de Mahomet dessinent un tournant majeur de l’humanité, et plus prés de nous la guerre de 1914-1918 implique la nécessité d’une nouvelle Europe. L’histoire n’est rien d’autre que l’expérience des autres qui nous est transmise et que nous réinterprétons sans cesse. Elle exprime tout à la fois la violence, le cynisme mais aussi l’idéalisme des hommes. Elle nous conte l’effort inlassable accompli par l’espèce humaine afin de surmonter les contraintes de la nature et les difficultés de la vie en société. Des cités ont lutté contre des barbares, quelques hommes ont changé l’idée que l’on se faisait de la religion, d’autres ont bouleversé les méthodes de production. Les plus savants ont découvert les lois de la nature. Tous ces savoirs et ces savoir-faire ont produit les civilisations, égyptiennes, grecques, romaines, arabes, chinoises, nippones, indiennes, mayas, incas.

Nous avons naturellement égaré nombre des acquis de nos ancêtres. L’histoire de l’humanité est longue de six millions d’années, mais nous ne nous rappelons avec précision que les évènements les plus récents, depuis cinq mille ans tout au plus. En outre, nous réinterprétons chaque jour l’histoire dans le sens qui nous convient, croyant qu’elle nous conte la légende de nos progrès, alors qu’elle n’est que la chronique de la naissance, de la croissance et de la dégénérescence de notre espèce ; l’homme accumule toujours plus de connaissances, produit de plus en plus de biens, se multiplie, s’étend…Jusqu’à ce qu’il diminue en nombre et disparaisse. Et nous dans tout cela, quel est notre rôle ? que faisons-nous ? Mais commençons par le commencement.

Un petit homme descend de l’arbre…

Un jour, six millions d’années avant que vous ne lisiez ce texte, un petit homme, ou une petite femme comme Lucy, se décida enfin à descendre des arbres sur lesquels il, ou elle, avait l’habitude de vivre. Cela se passait sur la Terre, une planète moyenne d’une étoile assez ancienne que nous appelons le Soleil, située dans une galaxie quelconque que nous avons baptisée Voie Lactée, et, jusqu’à nouvel ordre, nulle part ailleurs. Le petit hominien se trouvait en Afrique orientale, c’est du moins ce que l’on pense aujourd’hui.  Une fois installé par terre, mais sans doute quelque temps après, il décida en outre, lui ou ses descendants, de se planter sur ses pattes de derrière.

Aujourd’hui, on voit dans ces deux décisions le renoncement implicite de l’homme à ses comportements instinctifs, qui avaient pourtant assuré sa survie jusque-là. L’histoire de l’homme débuterait donc par ce rejet de l’instinct comme guide vital, l’obligeant à inventer en compensation de nouveaux comportements qui seront copiés de proche en proche, sous la forme d’un processus permanent d’accumulation culturelle.

Entre l’époque de la renonciation humaine à l’instinct et aujourd’hui, il s’est écoulé peu de temps. Il a déjà fallu trois millions d’années pour que l’un de nos ancêtres se décide à tailler un galet, puis deux millions d’années de plus pour que l’un de ses rejetons réagisse au froid, puis encore neuf cent mille ans pour qu’un autre de ses descendants prenne conscience qu’il était mortel. Si l’histoire de l’homme débute vraiment par l’acte fondateur de renonciation à l’instinct, l’histoire de l’homme n’est que la conséquence de la prise de conscience de sa condition dans l’Univers.
Car il s'agit de comprendre le monde pour le contrôler... 

 

 

 


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Samy Naceri et l'affaire d'Outreau

9 Janvier 2009 Publié dans #ACTUALITÉ


Je ne m’inquiète pas pour Samy Naceri parce qu’il fait partie de ces happy few à qui rien ne peut arriver. Mais si on est un type anonyme qui n’intéresse pas les médias et si en plus on a un profil de coupable, en somme si on ne s’appelle pas  Samy Naceri, on ne peut pas frapper les gens, à fortiori leur donner des coups de couteaux, sans que le ciel ne vous tombe sur la tête, sans que les juges ne vous emprisonnent pendant des années, avec ou sans  preuves. Vous risquez d’attendre des mois au fond d’une cellule que le juge d’instruction daigne vous entendre, désespérer qu’il vous écoute et qu’il vérifie vos dires et vos actes sans que les medias ne s’intéressent en rien à votre cas, quand ils ne vous accablent pas dés votre mise en examen.  Jusqu’à ce que le scandale, après des années, explose à la figure des Ponce Pilate et des Tartuffes, ceux qui vous ont donné des leçons chaque soir dans les très étranges lucarnes qui insultent nos chaumières.

Il ne faut jamais oublier l’affaire d’Outreau, car elle est le symbole de l’innocence bafouée. Aujourd’hui encore, en écrivant sur cette affaire, l’émotion, l’indignation, me submergent. Le lecteur constatera que mon style s’en ressent. Mais rappelons nous encore une fois les faits.

Chaque année ou presque, le législateur ajoute de nouvelles garanties pour protéger les inculpés, pardon, les personnes mises en examen. La justice ouvre des voies de recours de plus en plus nombreuses pour limiter l’application de la détention provisoire, avant un jugement qui intervient bien souvent plusieurs années après les faits qui ont provoqué l’instruction. Pourtant, il suffit d’un petit juge débutant qui cherche à se faire un nom, d’une chambre d’accusation complaisante, de quelques experts aux ordres, pour que quatorze personnes innocentes passent plusieurs années en prison, pour que leur vie soit à ce point gâchée que l’un d’entre eux, plus fragile que les autres, se suicide. Comme toujours, les médias en quête de sensationnel, les « élites » à la recherche  de boucs émissaires pour les jeter en pâture à l’opinion publique ont pesé beaucoup plus lourd que les garanties formelles qui protégent théoriquement la vie des « citoyens » français.

À l’époque, la mode était au réseau de pédophiles, alors on en a inventé un, sans preuve. Ne vous faites pas d’illusion, mesdames et messieurs, il suffit que votre profil ressemble à celui d’une catégorie diabolisée et peu importe les faits, votre vie peut être bouleversée de fond en comble pour satisfaire la soif de victime que l’idéologie à la mode réclame. Encore heureux que l’on ne vous guillotine pas comme sous la Révolution, mais c’est le même esprit qui souffle : il faut trouver des coupables pour justifier les discours dénonciateurs qui forment la base du discours politiquement correct français.

Le procès d’Outreau s’explique par l’affaire Dutroux. Ce monstre belge ne pouvait pas être un cas isolé. L’opinion publique supposait un « réseau » terme magique porteur d’ondes maléfiques au même titre que celui de secte, un réseau qui exploitait la bestialité humaine et l’appât du gain aux dépens d’innocents enfants. Elle n’en découvrit aucun, mais l’idée de « réseau » flottait dangereusement dans l’air du temps. À quelques kilomètres de là, de l’autre coté de la frontière, un jeune juge ambitieux était affecté à Béthune où il désespérait de se faire un nom. Il tombe sur une triste accusation d’inceste ; il n’en faut pas plus pour qu’il la transforme en un tour de main en une mirifique affaire de réseau pédophile. Les Belges ne l’avaient pas mis en évidence, les Français allait leur faire la leçon, comme d’habitude. Les experts qui ont besoin de vivre, comme tout le monde, confirmèrent ce qu’on leur demanda. Afin de noircir le tableau, on parla de notables pour un huissier, une infirmière ou un chauffeur de taxi, sachant qu’un notable dans l’imaginaire français est forcément, quelque part, pourri. Le fantôme du notaire de Bruay-en-Artois s’agitait, inutilement.

Il a suffi de quelques jours de procès pour faire voler en éclats trois longues années d’instruction qui sont, paraît-il, nécessaires pour collecter les faits, accumuler les preuves, vérifier toutes les pistes, apporter la garantie que tout a été mûri, pesé, ausculté afin que soit chassé le moindre doute dans l’esprit du juge qui instruit. Pendant ces trois années, treize personnes innocentes croupissaient en prison que le juge prenait à peine le temps d’entendre et pas du tout celui de les écouter. Il avait sa conviction, elle lui suffisait. Quand je pense que vous, que mes proches, que moi, nous sommes tous à la merci d’un individu pareil à celui-là, que rien n’a préparé à démêler le vrai du faux, qui ne rêve que de promotion pendant que vous lui parlez d’injustice, je tremble.

On écoute, ou plutôt on sollicite la parole des enfants, on l’oppose à celle des adultes. On réclame des coupables à tout prix, on les fabrique.

De grâce, que l’on veuille bien nous épargner à jamais les antiennes de justice rendue, de vérité recherchée, de respect des citoyens dans cette République Française qui a tout simplement besoin de coupables, autrefois les aristocrates, hier les collaborateurs, aujourd’hui les racistes et les pédophiles. Inutile de nous offrir en expiation la farce d’une commission parlementaire impuissante et d’un « Conseil Supérieur de la Magistrature » impavide, dont la morgue s’inscrit dans son appellation même.

Dans ce pays, vous qui êtes les citoyens de cette République qui ose se proclamer celle des hommes libres, une République qui revendique d’être égalitaire et fraternelle, vous qui n’avez toutefois pas le bonheur d’appartenir à l’oligarchie, vous qui ne vous appelez par Samir Naceri, vous êtes corvéable à merci, emprisonnable à la discrétion de ces messieurs-dames qui n’hésiteront pas à envoyer les medias détruire votre vie et celle de vos proches avant de reconnaître avec la plus extrême répugnance qu’ils se sont peut-être trompés, et que donc, mais oui, qu’il se pourrait bien que vous ne soyez pas coupable.

C’est que le simple mot « innocent » leur arracherait la bouche. Ils vont prendre des mesures avec l’argent des autres citoyens, pour vous indemniser. N’oubliez pas de les remercier, ces messieurs dames, qui maintiennent en permanence dans leurs prisons des centaines « d’outreaux » potentiels, des mois, des années, pendant qu’ils prennent des vacances judiciaires sûrement bien méritées.

J’exagère ? Demandez à un juge ou à un avocat, en privé, ce qu’il en pense, et interrogez vous enfin sur ce que signifient vraiment en France les pauvres mots de liberté et d’égalité devant la loi. Il vous suffira de passer quelques jours en prison pour comprendre tout le sel de la fraternité que vous délivrent les fonctionnaires chargés de s’occuper de votre cas.  Puis repensez à Samir Naceri.

Sans entrer dans les détails du tableau, il existe une séparation nette entre les membres de l’oligarchie et vous qui n’avez ni leur pouvoir, ni leur fortune, ni leur liberté d’action. Vous faites partie des exclus.

Il y a simplement des gens encore plus exclus que vous.



La quatorzième mourant en prison dans des conditions qui ne sont pas encore éclaircies au moment où j’écris ces lignes. 

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Vous avez dit justice?

8 Janvier 2009 Publié dans #ACTUALITÉ


Le président de la République a annoncé hier, devant des magistrats pétrifiés, que le juge d’instruction serait remplacé par le juge de l’instruction. Une catastrophe ! les juges dessaisis de leurs  prérogatives ! l’indépendance de la justice en danger ! Eric de Montgolfier, procureur de Nice, déclare que « l’indépendance dans la conduite des enquêtes est essentielle ».  Moi, je ne trouve pas que ce soit la question essentielle. Ce sont les justiciables qui m’intéressent, plus que les juges, les avocats et les policiers. Je comprends bien que ces trois professions aient des problèmes éthiques, techniques et existentiels, mais je crois que l’organisation de la justice est faite pour réduire l’injustice dont souffrent les individus dans la société.  L’indignation devant le crime, la violence, les vols, les escroqueries, les abus de pouvoir suppose que la société y réponde par son soutien, moral et matériel. Elle doit reconnaître le tort subi, aider à le réparer, sanctionner les coupables, que ce soit dans les conflits   opposant des intérêts privés entre eux ou des individus à la puissance publique.

Or, que voit-on ? Je ne mentionne pas le cas des victimes d’agression physique mais simplement de vol. Vous avez vécu cette expérience, probablement, et vous avez constaté à quel point votre cas les intéressait peu, ces pauvres policiers. C’est qu’un  policier n’est pas une assistante sociale, il n’est pas payé pour redresser ce qui a été tordu, définitivement, dans les rapports sociaux. Il n’est pas payé pour. Il est payé pour avoir un emploi, un emploi dans lequel il lui faut accepter d’être mal considéré par le public en échange de quoi il dispose de pas mal de liberté pour bricoler et du droit à une retraite à 55 ans. Mais il y a des limites. Si on continue à l’embêter, il va encore se suicider. Les policiers sont plus fragiles que vous ne le croyez, laissez les donc tranquilles, oubliez-les.

Et n’allez pas croire que les juges vont s’intéressez à vous. Eux, ils ont le pouvoir de vous persécuter, pas celui de vous réconforter. Si on peut narguer un policier, l’insulter puis se plaindre ensuite à la justice et aux médias d’avoir été rudoyé, mais on ne peut pas agir ainsi avec un juge. Si les avocats le titillent, il repousse l’affaire à une date ultérieure et plus ou moins indéterminée. Si les vacances judiciaires approchent, il renvoie l’affaire. S’il manque un papier, une signature, si quelqu’un oublie de cocher une case, il annule la procédure. Et hop ! débouté le plaignant, libéré le délinquant. Lui le juge, avec la complicité active des avocats, il lui faut deux ans, trois ans, quatre ans, cinq ans, et je ne m’arrête là que par souci de style, pour juger. Il faut que le dossier soit complet, que les rapports d’expertise ne soient pas contradictoires, il faut un complément d’information, il faut qu’il ne manque aucun bouton de guêtre pour aller au procès. Ce n’est pas sa faute, il applique la loi, c’est tout.

Vous les justiciables, vous devez comprendre que c’est LA garantie d’une bonne justice, rendue dans la sérénité. Venez voir les montagnes de dossiers qui stagnent sur son bureau. Vous croyez qu’il n’a que vous à juger ? D’ailleurs, parlons-en du jugement. Il s’agit de juger en toute indépendance et placidité. Si c’est un tant soit peu délicat, on mettra le jugement en délibéré. Ensuite on ira en appel, dans quelques années. On recommencera tout, en plus soigné, vous le pensez bien, nous sommes en Cour d’Appel ! On finira le travail en Cassation. Là, il faudra prendre vraiment tout son temps, bien réfléchir, on ouvrira les dossiers en les observant sous un angle nouveau, celui de la procédure sans se préoccuper du fonds. Vous ne savez pas, vous qui êtes des béotiens en matière de droit, tout ce que peut contenir le monde merveilleux de la procédure.

Je n’ose compter ni les années ni le nombre de plaignants qui sont morts, enterrés et oubliés, avant que la Justice ait fini de dérouler sa procédure infinie. Et encore faut-il faire exécuter un jugement, une fois délivré. Il faut réquisitionner un policier, trouver un huissier. Il faut écrire, sommer, et sommer à nouveau. Il faut que les policiers se résolvent à agir, il faut qu’ils aient la chance de trouver le justiciable, et s’ils ne le trouvent pas, qu’ils le fassent savoir à qui de droit (c’est le cas de le dire) et qu’ils relancent toute la procédure d’exécution. Il faut qu’il y ait une place en prison, un compte en banque qui ne soit pas vide, une adresse qui soit juste.

La justice, un univers merveilleux hors du temps, hors de la vie, qui vous met hors de vous.

L’affaire Outreau en est la parfaite illustration et c’est elle qui explique la prochaine suppression du juge d'instruction.

 

 

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Une société francaise en loques

6 Janvier 2009 Publié dans #HISTOIRE

Quelle société voulez vous laisser à vos enfants ? Nous n’avons, nous individus, qu’une seule arme pour lutter contre la dérive d’une société qui nous opprime, la lucidité. Ces écrits veulent contribuer à une prise de conscience des effets de la tyrannie de l’oligarchie sur la vie de « citoyens » réduits à l’impuissance, jamais consultés, toujours méprisés. Observez ce que vous vivez :

Vous arrivez en France après un séjour à l’étranger, même court. Vous débarquez à Roissy. Des douaniers vous regardent passer, faussement indifférents et indubitablement ennuyés. Comme ils sont héroïques de venir travailler dans ce lugubre aéroport si tôt le matin ! Ils devisent entre eux, sans s’occuper de vous.  Ce n’est pas qu’ils constatent que vous n’avez rien à déclarer ou que votre tête leur plait, mais c’est que leur travail les ennuie. Le fait même de travailler les horripile. Ils mériteraient bien mieux que ce job minable, on les sous-estime, on les sous-emploie, on les sous-paie bien sûr. Leurs chefs sont, par définition, des incapables. Heureusement qu’ils ont les trente-cinq heures, les RTT, les congés, la retraite à 55 ans ou 56 ans, la pêche, les copains.  Et vous voudriez qu’ils soient sympathiques, souriants, zélés ? Voilà ce que vous exprime le regard torve qui vous accueille.

Avec la coopération gracieuse et involontaire des douaniers, vous êtes tout de suite dans l’ambiance que vous retrouverez partout, dans les rues, dans les magasins, dans les cafés et bien sûr dans les administrations. Bonjour les relations humaines, vous êtes de retour au pays des mécontents de leur sort. Une barrière s’est automatiquement élevée entre vous, qui êtes mal vu à priori, et celui qui est chargé de vous aider, de vous servir ou de vous contrôler. Le fait que vous rémunériez ses services, soit avec votre argent personnel (le serveur de café) soit avec vos impôts (le douanier), n’impressionne pas le bougon qui vous fait face. Ne lui demandez rien de plus que le strict minimum. Soyez heureux qu’il daigne bien vous écouter, il ferait beau voir, qu’en plus, il vous réponde ou qu’il se presse. « Chacun son tour, Madame, calmez-vous, vous voyez bien que je travaille » comme si c’était un exploit individuel et gratuit. « S’il ne tenait qu’à moi, Monsieur, je serais ailleurs plutôt qu’à vous servir ».

Je crois que vous voyez assez clairement ce que je veux dire, vous l’avez vécu des centaines de fois : vous êtes un gêneur pour celui qui a la lourde charge de vous fournir une prestation quelconque, et il tient clairement à vous faire savoir qu’il n’est à son poste que contraint et forcé par les dures circonstances de la vie, la malchance en fait. Il ne fera que le minimum, et s’il est de mauvaise humeur, rien du tout. Je vous laisse le loisir de nourrir cette réflexion par vos expériences personnelles.

Dans la rue, ne vous avisez pas de sourire à quelqu’un : il vous prendrait au mieux pour un fou. Les « gens » passent, indifférents et maussades, sans vous regarder ni s’intéresser à votre sort. Je ne mentionne que pour mémoire la tête sinistre que font les « gens » dans le métro. Ne les bousculez pas, ne les « calculez » pas, ils pourraient se vexer, venir vous demander des explications ou pire vous agresser. Dans les bus, n’attendez pas que quiconque se lève pour vous laisser sa place. Ne vous aventurez qu’avec prudence sur un passage protégé qui ne sera respecté que contraint et forcé. Évitez de faire remarquer à celui qui vous a doublé dans une file d’attente qu’il est incorrect. Si vous vous y risquez, il se chargera en échange de porter un jugement sévère sur votre intolérance. Intolérance, le mot est lâché qui permet à chacun d’agir à sa guise sans se préoccuper le moins du monde des effets de ses actes sur l’autre. Ne protestez pas, bien sûr, contre celui qui brûle un feu rouge : il serait capable de prendre la peine de s’arrêter pour vous casser la figure. Ce serait une bonne leçon pour vous : en l’interpellant, vous avez insulté sa dignité et vous vous êtes mêlé de ce qui ne vous regarde pas, étant donné que c’est son affaire s’il veut brûler un feu rouge, pas la vôtre.

Dans un immeuble, il est rare que les « gens » se parlent dans les ascenseurs et à fortiori fassent connaissance entre eux, se côtoyant sans s’adresser la parole pendant une décennie ou plus si nécessaire. Sauf si le voisin du haut fait du bruit ou fait couler de l’eau sur votre balcon. Alors le contact s’établit, mais sur le mode de la guerre à outrance.

Je le sais, je brosserais un tableau trop noir des relations sociales à la française, si je n’ajoutais pas qu’elles ne signifient en rien que les individus ne sont ni plus mauvais ni meilleurs en France qu’ailleurs sur Terre, que ces relations sociales n’ont aucun rapport avec les relations affectives qui se créent entre des personnes qui se connaissent et enfin qu’il existe de nombreux contre-exemples, que vous avez en tête comme moi, de personnes rencontrées charmantes, serviables, disponibles, alors que vous vous attendiez, comme moi, au pire. Mais c’est là que le bât blesse : d’une façon générale et à priori, on ne s’attend pas à être bien reçu, ou bien traité, ou bien considéré lorsque l’on prend contact de façon anonyme et impersonnelle avec l’un des habitants de ce pays qui est le mien. L’accueil varie certes selon les régions. Mais aujourd’hui, il diffère moins à l’intérieur du pays qu’en comparaison avec les pays étrangers. Il me rappelle parfois l’accueil que l’on trouvait avant 1989 dans les pays de l’Est. Cette comparaison n’est pas fortuite, car elle signifie que cette insatisfaction tient moins à des facteurs culturels qu’à une insatisfaction ressentie vis-à-vis de l’activité que l’on effectue, et d’une façon plus générale par rapport aux leçons de vie que la société nous a données. Il y a quelque chose de bureaucratique, de glacé, de stalinien dans la société française. Ce n’est pas par hasard que la France soit devenue la patrie de la pensée unique.

 

 

 

 



Je me souviens de ce petit événement banal et sans gravité : un agent de la RATP chargé de vendre des billets dans une station de métro ou il n’y avait pas de distributeurs automatiques et qui a quitté brusquement le guichet qu’il occupait devant une file de dix personnes, arguant hautement que son service venait juste de se terminer à l’heure pile. Que chacun se débrouille !  Il est intéressant que ce soit une histoire banale.

Charmante expression passée dans le langage courant, qui exprime la hargne de celui qui estime que le fait de le regarder est déjà une provocation insupportable. C’est dire s’il a un préjugé favorable sur son prochain.

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