L'aventure au bureau
8 Septembre 2011 Publié dans #INTERLUDE
Certains croient que, pour vivre des aventures, il faut aller loin, prendre des risques, et que celui qui se rend tous les jours au bureau ne peut avoir qu’une vie monotone et banale.
Il n’en est rien, la preuve :
C’est l’après-midi, il y a quelques jours. Je m’attarde dans mon bureau. Lorsque j’estime que j’ai terminé mon travail, il est déjà dix-neuf heures passé, le temps s’écoule vite lorsqu’on est occupé. Je sors dans le couloir. Vide. Personne. Je descends en vitesse pour constater, de porte en porte, que toutes les issues du bâtiment sont verrouillées, les volets descendus. Je ne peux plus sortir ! Que faire ? tambouriner aux portes ? appeler ? le responsable du campus est loin. Il a déjà fermé toutes les issues du campus et il doit être tranquillement chez lui, devant la télé. Je pense qu’il a vu ma voiture, mais il ne s’est posé aucune question, sinon il serait venu frapper à ma porte, il l’a déjà fait. Téléphoner, mais à qui ? Appeler les pompiers : un peu excessif. Il faut que je sorte par moi-même.
Un peu inquiet, Je cherche une fenêtre à ouvrir. Au niveau du rez-de-chaussée, les rares fenêtres sont grillagées et les portes sont verrouillées avec un signal d’alarme qu’il vaut mieux éviter de déclencher. Je trouve quand même un vasistas, à mi-hauteur, au bout du couloir. Il est haut, malaisé d’accès et demande un saut assez périlleux d’environ trois mètres pour sortir. C’est déjà ça, j’ai une solution.
Mais comme je n’ai pas un entraînement commando, ce serait préférable de trouver mieux. Je repère une fenêtre au milieu du couloir donnant vers le Nord, qui me semble plus abordable. Elle m'offre le choix, soit de me laisser glisser jusqu’à un goulet trois mètres en contrebas, juste au-dessous de la fenêtre, soit de sauter depuis la fenêtre jusqu’à une surface herbée un peu éloignée mais qui n’est qu'à deux mètres en contrebas. Je choisis la seconde solution, ouvre les vantaux, monte sur un fauteuil, passe la fenêtre, descend sur un rebord situé à l’extérieur, jette mon cartable en cuir dans le gazon, tire sur les vantaux derrière moi pour ne pas laisser de trace de mon forfait et saute !
L’arrivée est un peu brutale, malgré l’herbe. Le sol est assez dur et je manque apparemment de souplesse, mais rien de cassé ni d’ébranlé. Je ramasse le pauvre cartable que je balance à nouveau de l'autre côté, monte sur la grille, manque d'y laisser le fond de mon jean et saute à nouveau, de pas très haut cette fois-ci.
Me voilà sauvé, hors de l’enceinte du campus. Mais ma voiture est restée sur le parking, à l’intérieur. Bien sûr, la clé de la maison est dans la voiture. Pour la récupérer, il faudrait repasser encore deux fois la grille qui entoure le parking, et sa hauteur de plus de deux mètres exigerait un effort d’escalade plus accentué que celui qu'a necessité la barrière que je viens de franchir.
Point trop n’en faut, le jeu n’en vaut pas la chandelle, j’abandonne contraint et forcé la voiture et volontairement les clefs, pour me diriger à pied vers la maison, assez soulagé. Vingt minutes de marche, c’est tout. Mais voilà, c’est le jour et l’heure à laquelle ma femme, occasionnellement, participe à une réunion et elle a fermé l'accès à son téléphone pour ne pas perturber les débats. Il ne me reste plus qu’à lui laisser un message téléphonique et à venir chercher sa clé dans la salle de la réunion. Vingt minutes de marche de plus…
Finalement, j’arrive dans la salle pour constater que ma femme est partie, mais comme elle a entendu mon message, elle m’attend devant la grille.
Le lendemain, en revenant à pied devant le campus, j’ai regardé de manière étrange ma voiture sagement garée depuis la vieille sur le parking : si elle savait…
Comme quoi, il suffit d’un rien pour que la vie monotone et réglée d’un bureaucrate, comme celle d’un professeur d’université, se transforme en une aventure prodigieuse dans laquelle l’initiative, les réflexes et l’instinct de survie s’imposent tout d’un coup à vous, comme si vous étiez soudain précipité dans une jungle inextricable !
PS : à l’instant où je termine ces lignes dans le même bureau, je regarde l’heure, il est près de sept heures du soir. Et si toutes les issues étaient encore fermées ????