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Le blog d'André Boyer

EURÉKA

11 Février 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

EURÉKA

ET LA LUMIÈRE FUT!

Mais il n’était pas dans ma nature de demeurer dans une impasse et de m’en repaître. Je cherchais calmement une issue et je la trouvais. Puisque le diagnostic de mon Directeur de thèse posait qu’il y manquait une démonstration, il m’en fallait proposer une.

 

À propos de quoi ? That was the question…

Impossible de faire cette démonstration par rapport à la croissance des entreprises, j’avais assez creusé la question pour savoir que ce concept était assez flou, ou en tout cas ne se prêtait que difficilement à des mesures.

Démontrer quoi au sujet de la relation entre fiscalité et croissance, que la fiscalité était plus légère pour les grandes que pour les petites entreprises, parce qu’elle offrait aux premières plus d’opportunité d’échapper à la fiscalité qu’aux secondes ? C’est ce que je pensais intuitivement, mais de là à le démontrer, c’était une autre paire de manches parce que la réalité concrète des relations entre fiscalité et taille des entreprises était difficile à démêler.

Je pouvais aussi chercher à démontrer que la fiscalité encourageait ou freinait la croissance des entreprises, au travers du régime des amortissements ou de la fiscalité des dépenses publicitaires. Mais il fallait se rendre à l’évidence, en deux ans et demi de recherches, je n’avais rien trouvé de probant sinon des tendances, des relations partielles et des facteurs contradictoires, même si ces réflexions sur la taille et la croissance des entreprises allaient me permettre d’écrire un peu plus tard deux articles passables dans la Revue Française de Gestion.

Tout sert dans une thèse, même les impasses…

Il fallait que je change mon fusil d’épaule. Quelle épaule ? Au lieu de centrer ma thèse sur l’entreprise, la firme, sa taille et sa croissance, je pouvais me concentrer sur la fiscalité, qui avait un contenu technique, des règles, des effets recherchés et des distorsions, comme l’avait écrit mon Directeur de thèse.

La fiscalité, c’était du solide, même si elle évoluait constamment. Mais quelle fiscalité? la fiscalité de tous les pays du monde ? La fiscalité des entreprises multinationales ? La fiscalité américaine, évidemment la mieux analysée ? La fiscalité française s’imposait bien sûr, encore qu’elle limitait mon analyse aux entreprises qui s’y soumettaient, alors que mes travaux d’origine concernaient toutes les entreprises.

Il fallait que je fasse un choix, entre la validité de la démonstration et l’étendue de l’analyse. Le regard porté par mon directeur de thèse sur le caractère vague de mon argumentation me conduisait à privilégier la solidité argumentaire par rapport à l’attrait d’une synthèse qui embrassait plus de données que je n’en pouvais saisir avec pertinence.

Début 1976, je ruminais cet argumentaire pendant des semaines. Le choix que je devais faire était douloureux, repartir de zéro, jeter mes écrits actuels à la poubelle, trois cents pages ! Et au mieux les recycler dans quelques articles. Peut-être pourrais-je les utiliser en partie dans ma thèse, car ce que j’avais appris n’était pas perdu, mais il fallait commencer par oublier mes analyses passées afin de rebâtir ma thèse autour d’une structure en acier trempé, capable de résister aux attaques.

Je ne parvenais pas à me résoudre à une aussi forte remise en cause. Ceux qui n’ont pas écrit de thèse ont sans doute du mal à comprendre l’angoisse du doctorant. Ce n’est pas seulement l’angoisse de la page blanche, c’est la peur de n’avoir rien à écrire d’intéressant, c’est plus profondément encore l’effroi de mettre le sens de sa vie en jeu, pour concevoir quoi ? Rien peut être, que dis-je, rien sans aucun doute. Et pendant que vous vacillez, que vous faites des cauchemars, les autres vivent, ils font des choses utiles, ils s’amusent !

C’est le moment pour le doctorant d’être soutenu et rassuré, par ses proches, ses semblables les autres doctorants et son directeur de thèse. Les premiers ne partageaient pas ce combat, les seconds ont souvent tendance à vous enfoncer encore un peu plus, en ajoutant, parfois sciemment, parfois innocemment, leurs propres interrogations à vos doutes personnels, le troisième exerçait le métier dévorant de Recteur à six cents kilomètres de mes affres…

Mais je n’avais pas le choix, mes hésitations devaient être balayées au profit de l’action. Il suffisait de partir d’une base solide et de construire sur cette dernière une démonstration cohérente, comme une maison sur ses fondations.

Facile à écrire avec le recul, mais sur quoi ?

Tout d’un coup, au mois de février 1976, toute la thèse me vint d’un coup, fondation et construction comprises ! cela ne souleva ni mon enthousiasme ni mon soulagement, mais cela me paru tout simplement évident, comme si je l’avais eu toujours dans la tête !

« Bon Dieu ! Mais c’est bien sûr ! », disait l’acteur de l’émission policière Les Cinq Dernières Minutes. J’ai souvent remarqué en effet que la recherche universitaire, lorsqu’elle n’est pas convenue, ressemble dans sa démarche à une enquête policière.

 

Le problème, c’est que j’avais eu besoin de trois ans et demi pour parvenir à cette illumination, au lieu d’un an en moyenne. Et maintenant, il fallait prendre le temps de l’écrire…

 

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