CARLOS GHOSN LE PARIA
Personne n’osait le critiquer tant qu’il avait le pouvoir, mais dès qu’il a été mis à terre, les accusations ont jaillies.
En voici la liste :
- On a découvert qu’à l'automne 2016, Ghosn avait organisé au Palais de Versailles une somptueuse fête en l'honneur de sa deuxième épouse Carole, ce qui a déclenché une enquête pour savoir si Renault et Nissan n’avaient pas payé pour la famille Ghosn.
- Au moment même où Ghosn déclarait qu’il voulait rendre l'alliance entre Nissan et Renault « irréversible », un petit groupe de cadres japonais hostiles déclenchait début 2018 une enquête secrète portant sur une somme de 20 millions de dollars dépensés pour des maisons appartenant à l'entreprise à Beyrouth, Rio de Janeiro et Paris via des filiales non consolidées de Nissan, afin de savoir si elles ne bénéficiaient pas exclusivement à Ghosn.
- Ghosn était devenu l'un des cadres les mieux payés du secteur automobile puisqu’il avait reçu de Nissan, en 2017-18, un salaire total de 17 millions de dollars. Parmi les quatre chefs d’inculpation que la justice japonaise lui a signifié, deux l'accusent de ne pas avoir déclaré une rémunération différée de 80 millions de dollars qu'il devait recevoir sur huit ans, accusation que ses avocats contestent.
- Les autres accusations portent sur le délit d’abus de confiance. Les procureurs allèguent qu'au plus fort de la crise financière de 2008, une société appartenant à Ghosn aurait tenté de faire face à ses pertes potentielles par une transaction totalisant 16,7 millions de dollars transférées à Nissan, mais ses avocats répondent que ces opérations de swap de devises n’ont causé aucune perte financière à Nissan.
- On l’accuse également d’avoir transféré 14,7 millions de dollars d'un compte de filiale Nissan à un compte détenu par la société d'un ami saoudien, ce qui est contesté par Ghosn qui affirme que les paiements correspondent à des services commerciaux légitimes.
- L'allégation potentiellement la plus dommageable pour Ghosn a été déposée en avril lorsque les procureurs l’ont accusé d’avoir détourné 5 millions de dollars de Nissan au profit d'une entreprise ayant des liens avec lui et sa famille, Suhail Bahwan Automobiles (SBA), un distributeur omanais lié à un ami de Ghosn. Une partie de cet argent aurait été investie dans une entreprise détenue en partie par un fils de Ghosn et une autre partie utilisée pour acheter un yacht de luxe par une entreprise appartenant à sa femme. Ghosn soutient que les paiements à SBA étaient des primes de vente et de marketing légitimes qui ont été entièrement examinées et approuvées par plusieurs hauts responsables de Nissan et il nie que l'argent ait été transféré au profit de lui-même ou des membres de sa famille.
En 2016, Ghosn avait abandonné son poste de PDG de Nissan au profit d’Hiroto Saikawa, qu’il considérait comme un allié indéfectiblement loyal. Il avait aussi toute confiance dans Hari Nada, le chef des services juridiques de Nissan, alors que ce dernier a constitué une équipe secrète pour examiner les opérations financières de Ghosn.
Dans les semaines qui ont précédé l'arrestation de Ghosn, Nada a en outre suggéré à plusieurs dirigeants de Nissan, dont Saikawa qui semble avoir ignoré l’existence du complot contre Ghosn encore six semaines avant son arrestation, de chercher à obtenir le soutien du ministère japonais de l’économie, du commerce et de l’industrie (METI) contre les « menées françaises », mais ce dernier a nié être jamais intervenu dans les pourparlers de fusion entre Renault et Nissan et a également nié toute implication dans l'arrestation de Ghosn.
Aujourd’hui, Saikawa a été évincé de Nissan du fait de la baisse de 30% du cours des actions de Nissan après le départ de Ghosn et il a également été accusé d’avoir reçu des rémunérations excessives. Hari Nada a été rétrogradé par le Conseil d’Administration de Nissan, tandis que de vieilles rivalités ont resurgi, qui avaient été occultées par l'emprise de Ghosn sur l'entreprise.
Chez Renault, Jean-Dominique Senard, et non Dominique Bolloré, est devenu PDG en 2019. Même s’il n’est pas énarque, il est du sérail et il a présidé Michelin. Il dirige une entreprise dont l’ambition se limite aujourd’hui à préserver vaille que vaille l’accord entre Renault et Nissan et dont le cours des actions est passé de 64,50 € la veille de l’arrestation de Ghosn à 34,50 € le 14 février 2020, dans une bourse en hausse de plus de 20% pendant la même période.
Au total, l’affaire Ghosn constitue un immense gâchis pour les industries française et japonaise, pour les employés de Nissan et de Renault comme pour leurs actionnaires. Ghosn a déclaré, lors de sa conférence de presse du 8 janvier 2020 après son évasion : "Ils disaient qu'ils voulaient tourner la page Ghosn. Et bien ils ont eu beaucoup de succès. Ils ont tourné la mauvaise page parce qu'il n'y a plus de profit, plus de croissance, plus d'initiative stratégique, plus de technologie. Plus d'alliance".
Résidant dans une villa de Tokyo surveillée par caméra, Carlos s’est en effet enfuit le 29 décembre 2019 à bord d'un avion privé pour atterrir à Beyrouth. Les circonstances de l’évasion restent en partie mystérieuses, mais l’on retrouve dans ces dernières la marque d’un esprit organisé, déterminé et courageux.
Peut-être provisoirement, il est devenu un fugitif international, mais, alors qu’il était l’otage du mythe de l’Alliance avant de devenir le prisonnier du système carcéral japonais, le voilà libre, par ses propres soins.
Encore que le plus précieux pour lui, qui fut le PDG d'une alliance industrielle employant près de 500000 employés et générant 200 milliards de dollars de revenus par an, est sans doute que, dorénavant, il n'est plus seul.
FIN (PROVISOIRE)
NB: ON TROUVERA CI-APRÉS L'ENSEMBLE DES QUATRE ARTICLES SUR CARLOS GHOSN RASSEMBLÉS DANS UN DOCUMENT PDF