SUR MER, LA GUERRE DE SUCCESSION D'AUTRICHE
La guerre de Succession d’Autriche qui commence en 1744 mobilise une Marine royale préparée à la guerre depuis 1739, par l’appui qu’elle apporte à l’Espagne contre l’Angleterre dans la guerre de l'Oreille de Jenkins.
Fleury double le budget de la marine qui passe de 9,4 millions de livres tournois en 1739, à 15,4 millions en 1740, puis 19,3 millions en 1741. On lancera en moyenne huit navires chaque année pendant le conflit, ce qui reste malgré tout modeste par rapport à ce dont dispose la Royal Navy.
La Marine royale dispose en 1744 de cinquante et un vaisseaux et de vingt-sept frégates pour faire face aux cent-vingt vaisseaux anglais, avec comme stratégie d’escorter les convois marchands, de transporter des troupes et de maintenir l'ouverture des lignes maritimes, tout en évitant tout engagement direct avec un ennemi qui dispose de plus de moyens.
En février 1744, une escadre de dix-neuf vaisseaux quitte le Ponant pour protéger le débarquement du prétendant Stuart accompagnée d'une forte armée, mais rebrousse chemin devant Calais à cause du mauvais temps et d’une force anglaise très supérieure. Le même mois, la victoire (22 février 1744) du cap Sicié met fin à vingt-deux mois de blocus anglais et libère l'escadre espagnole refugiée dans Toulon. Une bataille en ligne oppose les vingt-huit vaisseaux franco-espagnols de Court La Bruyère et Navarro aux trente-trois voiles et neuf frégates de Matthew. La victoire laisse trois vaisseaux anglais hors de combat, dont le navire amiral.
Maurepas en profite pour demander une forte hausse des dépenses pour la marine afin de protéger les îles françaises et le commerce colonial: « J’ai trop souvent entendu dire par des ministres étranger que notre marine était trop négligée, qu’il vaudrait mieux que le roi eût 50 000 hommes de moins et cinquante vaisseaux de plus, qu’on ne pourrait imaginer l’effet que cette augmentation de vaisseaux produirait sur les cours étrangères, que se serait le moyen le plus sûr de se faire craindre et respecter, de se procurer des alliés et de prévenir les guerres que l’agrandissement de notre commerce et la faiblesse de nos forces navales nous occasionne. »
Louis XV n’accorda pas tous les crédits demandés, mais il organisa avec les moyens dont disposait la Marine royale une nouvelle tentative de débarquement en Angleterre. Un corps expéditionnaire fut rassemblé sous les ordres du duc de Richelieu pour aller soutenir le prétendant Charles Édouard Stuart qui avait réussi à débarquer en Écosse en 1745. Mais la Royal Navy bloqua la côte française et attaqua les navires de débarquement, obligeant à renoncer au débarquement en mars 1746.
En septembre 1746, la Royal Navy décida de monter un raid de représailles sur Lorient, le grand port de la Compagnie des Indes, mais, surpris par la facilité du débarquement, les Anglais craignirent un piège et rembarquèrent sans avoir rien tenté alors que la côte française était presque sans défense.
En Amérique du Nord, Louisbourg était, selon l’opinion des Anglo-Américains un « pistolet braqué sur le cœur de la Nouvelle-Angleterre ». Ces derniers montèrent donc une expédition pour attaquer la place. 4000 hommes portés par 68 vaisseaux se rassemblèrent à Boston en mars 1745 (4 000 hommes de troupes et des milices), débarquèrent sans encombre et prirent la forteresse en 49 jours, mal défendue par une garnison en révolte.
Cette défaite, qui permit la capture de nombreux vaisseaux marchands et ouvrit les portes de la Nouvelle-France à l’invasion entraina une réaction énergique de Maurepas : il monta l’année suivante une expédition de reconquête avec cinquante-cinq à soixante bâtiments de charge portant 3 500 hommes de troupe escortés par dix vaisseaux, trois frégates et trois navires à bombarde. Il prévoyait même de détruire Boston en représailles.
Cependant à Brest l’on n'avait pas vu de tels armements depuis des décennies on eut de la peine à̀ rassembler rapidement les moyens requis. Aussi l’expédition, confiée au duc d’Anville, partit tard dans la saison, traversa lentement l’Atlantique à cause de vents contraires aux Açores et n’arriva devant Louisbourg qu’à l’automne 1746. Bousculée par les tempêtes, ravagée par les épidémies, il lui fallut rentrer sans avoir combattu. Cette expédition ratée illustre les limites logistiques et sanitaires de l’époque quant à̀ la conservation des aliments frais et à la lutte contre les maladies contagieuses, problème auquel était aussi confrontée la Royal Navy.
Heureusement, l’échec de la tentative de reprise de Louisbourg ne se révéla pas catastrophique car les Anglo-Américains se montrèrent incapables d’exploiter leur succès. Le Canada français restera inviolé́ jusqu’à̀ la fin de la guerre malgré́ l’inertie de son gouverneur.
Aux Indes, la situation tourna à l'avantage des Français, avec la prise en 1746 de Madras, le « Londres indien ». L'opération fut orchestrée avec brio sur terre par Dupleix et sur mer par La Bourdonnais avec une poignée d'hommes et de navires. Ce dernier réussit à armer une petite escadre de fortune de neuf bâtiments dont un seul, l'Achille (70 canons), était un véritable vaisseau de guerre, les autres entant des bâtiments de la Compagnie des Indes armés en flûte. Il livra une difficile bataille devant Négapatam aux six vaisseaux de guerre de l'Anglais Peyton (juillet 1746) qu’il mit en fuite. Cette victoire donna aux Français le golfe du Bengale, assura la protection de Pondichéry, puis le blocus et la prise de Madras, faiblement défendue par une maigre garnison équipée d'une artillerie obsolète. C'était un coup très dur pour le commerce anglais en Inde. Dupleix écrasa avec 1 000 hommes, dont 300 européens et 700 cipayes, les 10 000 indiens arrivés en renfort à la solde des Anglais.
La victoire fut en partie gâchée par la violente dispute qui opposa Dupleix à La Bourdonnais au sujet du sort de Madras, le premier voulant conserver la ville ou la détruire, le second voulant la rendre contre rançon aux Anglais. La Bourdonnais dut céder et rentrer avec ses vaisseaux sur l'Isle de France alors que Dupleix rasait la ville. Pour venger cette offense, l'amirauté́ anglaise dépêcha une flotte avec 6 000 soldats, alors que Dupleix n'avait plus de soutien naval. En vain. Pondichéry fut copieusement bombardée, mais Dupleix repoussa les assiégeants et Madras resta entre les mains des Français.
Dans les Antilles, les Anglais s’emparèrent de quelques petites iles, tandis que la France s’abstenait d’attaquer la Jamaïque qu’elle aurait pu prendre. Tacitement, les belligérants ne souhaitaient pas entreprendre une guerre acharnée aux Antilles à cause des épidémies tropicales qui décimaient souvent les escadres.
À SUIVRE