De la pensée unique à la capitulation devant l'opinion
Nous avons vu dans un article précèdent, publié le 27 mai dernier intitulé « Les médias votent oui, le peuple vote non, le président annule le vote » qu,e lorsque les medias ne parviennent pas à faire voter le peuple dans le sens voulu par l’oligarchie, le pouvoir politique en France n’hésite pas à annuler le vote sur la Constitution Européenne en barrant le vote d’un trait de plume sous la forme d’une nouvelle procédure mécaniquement adoptée par un Parlement aux ordres.
Les journalistes tentent naturellement d’y répondre en niant être de connivence avec l’oligarchie, comme cherche à le montrer l’ouvrage "Média Paranoïa" de Laurent Joffrin qui illustre cet article. De façon presque comique, Alain Duhamel, qui est employé par Laurent Joffrin en tant que chroniqueur de Libération, se charge de formuler un jugement positif sur cet ouvrage dans un article du Point du 15 janvier 2009. D’après lui et en toute objectivité, l’ouvrage « se caractérise par sa franchise et sa vivacité, par sa clarté et par sa force de conviction ». Il rappelle que les Français ne font pas confiance aux médias français, mais qu’ils ont tort. Il rappelle les « clichés » dont sont victimes les médias : « les médias malhonnêtes travestissant régulièrement la réalité ; les médias conformistes véhiculant une pensée unique ; les médias dépendants, aux ordres des puissances économiques ; les médias connivents, entretenant des relations incestueuses avec le pouvoir politique …»
« Autant d’idées reçues, ajoute Duhamel, auxquelles adhèrent malheureusement une forte majorité de Français, autant d’idées fausses » notamment le cliché de « la manipulation de l’opinion par les médias : y croire, c’est sous-estimer l’autonomie des citoyens ». On se demande du coup pourquoi les éditorialistes et chroniqueurs de France persistent à nous asséner leurs vérités sans avoir l’air de penser une seule seconde que nous sommes susceptibles de ne pas y croire. Ainsi, Alain Duhamel s’exprime régulièrement dans le Point, dans Libération, sur Canal+, sur RTL, sur France 2 et dans la Presse régionale quotidienne, sans avoir peur d’écrire que l’on aurait tort d’estimer qu’une « pensée unique » sévit dans l’univers médiatique.
Mais cette pensée unique, qui n’existe d’ailleurs pas d’après Alain Duhamel, ne s’impose pas toujours. Dans de rares situations, les medias se trouvent dans l’obligation de s’aligner sur l’opinion après avoir tenté en vain de la manipuler. Ces situations présentent l’avantage de montrer clairement que les medias ont pour objectif d’imposer leur opinion et non d’informer leurs publics.
En voici deux exemples pris entre mille, puisque les medias « malaxent » l’opinion tous les jours, sans désemparer :
Au début de l’affaire du sang contaminé, aucun politicien ni aucun journaliste n’y voyait matière à scandale public. Souvenons nous du célèbre « responsable mais pas coupable » de Georgina Dufoix, prononcé un dimanche soir sur TF1 face à Anne Sinclair, la femme du Ministre des Finances de l’époque, Dominique Strauss Kahn. Accessoirement, personne ne s’offusquait qu’une ministre soit interviewée par une femme de Ministre. Puis, devant la montée irrépressible du scandale, les medias finirent par convenir que l’affaire du sang contaminé était un scandale immense, tout en exonérant par avance les pauvres politiciens qui avaient été poursuivis. Comme par hasard, la justice se rendit à leurs arguments en faveur de l’irresponsabilité politique. Tout était bien qui finissait bien dans le meilleur des mondes oligarchiques possibles.
Sur un sujet plus léger, les médias, notamment le journal Libération dans l’exemple que nous avons choisi, étaient majoritairement hostiles au film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain au début de sa fabuleuse carrière. Le 31 mai 2001, Serge Kaganski, le rédacteur en chef des Inrockuptibles, jugeait ainsi le film dans le journal Libération :
« Ce film présente une France rétrograde, ethniquement nettoyée, nauséabonde. Voilà qu’on nous bassine avec un film dont[…] le propos insignifiant masque à grand peine une vision de Paris, de la France et du monde particulièrement droitière. C’est le repli du pâté de maison. Nul besoin d’être agrégé de sociologie et d’histoire pour savoir que l’idéologie du village est profondément réactionnaire. Que vois-je dans le Montmartre de Jeunet ? des Français qui fleurent bon le terroir […]. Mais où sont les Maghrébins, les Turcs, les Chinois ? […] Où sont ceux qui vivent une sexualité différente ? […] Si le démagogue de La Trinité-sur-Mer cherchait un clip pour illustrer ses discours, il me semble qu’Amélie Poulain serait le candidat idéal ». serait le candidat idéal ».
La même année, en fâcheuse contradiction avec les oukases de Serge Kazanski, cinq millions de personnes en France virent Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, qui est devenu entre-temps l’un des plus grands succès du cinéma français de tous les temps.
Cette colère contre un peuple rétif à suivre les jugements et les prescriptions des oracles médiatiques montre la tentation permanente des medias de dire le « vrai » et de chercher à convaincre un public qui est supposé se ranger à leur avis, si seulement il était bien informé et intelligent comme les journalistes qui donnent leurs opinions. Ils confondent à dessin l’information et la manipulation. Cette dernière apparaît au grand jour dès lors que convergent le chœur de discours médiatiques parfaitement synchronisés, comme s’il existait une vérité d’évidence qui se trouve être par hasard celle qu’il est de bon ton d’afficher au sein de l’oligarchie au pouvoir.