L'affaire DSK ou le tigre au pays des Bisounours
À propos de la sidérante affaire DSK, trois concepts bien français ont émergé dans le débat qu’elle suscite : la présomption d’innocence, le respect de la vie privée et le complot. Ils m’ont inspiré les violentes réflexions suivantes, qui justifient mon titre.
La présomption d’innocence…
Ce grand principe consiste à poser que toute personne qui se voit reprocher une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement et définitivement établie. Elle a, entre autres, pour implications concrètes la double interdiction de donner librement son opinion sur la culpabilité de quelqu’un et de diffuser sans son accord les images d’un accusé, pardon d’un prévenu, menotté.
On a pu constater que la justice américaine n’a pas cette réserve vis-à-vis du prévenu lorsqu’elle organise devant le juge, les jurés et le public la confrontation entre l’accusé et le plaignant, avec la participation active du procureur qui soutient une accusation fondée sur les éléments recueillis par la police. Tout n’est pas fait pour le protéger tant qu’il n’a pas été jugé. Il est placé en pleine lumière, face au tribunal et aux médias. Il lui faut faire face, il ne peut se cacher. En contrepartie, le procureur doit montrer ses preuves, qui doivent résister à l’éclairage cru auquel elles sont soumises.
Or, tandis que les amis de DSK répétaient en boucle: « On ne sait pas ce qui s’est exactement passé, attendons ses explications, nous jugerons après », nous avons été gâté en matière d’images, avec le « perp walk »[1] de DSK! Le puissant menotté, tête basse ! Que l’on s’apitoie ou non sur sa destinée, cela a eu l’avantage de sortir l’affaire de l’ombre et d’attirer rapidement l’attention sur le sort de la plaignante, après que certains eurent le culot de juger que ce n’était guère plus qu’un « troussage de domestique »[2].
En France, cela ne se serait pas passé comme cela. Même si, on peut en douter, les policiers avaient accepté le dépôt de plainte, la présomption d’innocence aurait joué à plein en faveur d’un prévenu aussi important que DSK. Entre une inculpation qui aurait mis en danger la République et la justice rendue à une femme de chambre qui n’avait fait, au pire, que l’objet d’une simple tentative de viol, le parquet n’aurait sans doute pas longtemps hésité. Cette misérable affaire se serait probablement réglée avec une discrétion de bon aloi. La présomption d’innocence aurait joué contre la victime et finalement contre la défense de la société.
Allons les bisounours, ne laissez pas les criminels se servir de vos beaux principes pour échapper à toute sanction, tandis que, comme dans l’affaire d’Outreau, les juges ne se gênent pas pour vous enfermer sans se soucier le moins du monde de la même présomption d’innocence.
Le respect de la vie privée…
En France, le respect de la vie privée englobe la vie familiale et conjugale, la vie quotidienne à domicile, l’état de santé de la personne, sa vie intime, sa vie amoureuse, ses relations amicales, ses loisirs ainsi que sa sépulture. Utile pour le citoyen ordinaire, mais pour l’homme politique ? On ne peut guère en effet séparer l’action publique de l’action privée. Doit-on se contenter de l’image d’Épinal que nous brossent les publicitaires ? On a vu, il y a quelques jours, c’est-à-dire il y a une éternité, DSK benoîtement cuire des steaks en famille. On nous promet pour bientôt Sarkozy en train de pouponner. Sont-ce ces images factices qu’il nous faut prendre pour argent comptant ? Sont-elles la véritable face privée de ces personnages publics ? Cacher les errements privés d’un homme politique consiste purement et simplement à tromper les électeurs, placés dans l’incapacité de porter un jugement équilibré sur ceux qui sollicitent leur confiance.
Allons, les bisounours, mes frères, ouvrez les yeux…
Enfin le complot…
C’est avec stupéfaction que j’ai appris que, selon un sondage[3], 57% des personnes interrogées considéraient que DSK était victime d’un complot! à peine 32% étaient d’un avis contraire et 7% hésitaient entre les deux thèses. Ainsi les deux tiers des Français penseraient que DSK aurait été attiré dans un piège par une femme de ménage, sans doute stipendiée et recrutée par la CIA désireuse de rendre service à Sarkozy ou peut-être à Hollande, qui sait ? Regardez à qui profite le crime, nous disent ces braves gens, qui pensent que les Américains sont capables de tout, lancer leurs propres avions contre les Twins Towers ou liquider Ben Laden à la barbe de leurs « amis » pakistanais. Et puis, il avait l’air si intelligent, si bien sous tous rapports, ce bon DSK dont ils attendaient qu’il les libère de la tyrannie de l’affreux Sarko…
Si j’étais un homme politique cynique, voilà un sondage qui me réjouirait. J’en déduirais que l’on peut faire gober n’importe quoi aux électeurs français, qu’il suffit de mettre le paquet sur la publicité pour qu’ils croient ce que l’on raconte et qu’ils sont toujours prêts à prendre leurs désirs pour la réalité.
Mais comme je ne suis pas un homme politique cynique, que je fais encore partie, nolens volens, de ces moutons de Panurge que l’on conduit régulièrement à l’abattoir, je me suis dit qu’il était temps de le quitter, ce peuple de Bisounours, afin de me mettre hors de portée des tigres qui le dévorent.
Sauf si ceux qui sont encore mes concitoyens finissent par se réveiller…
PS : Quoiqu'encore quelque peu entravé, j’apprends que le tigre se remet de ses émotions entouré de l’affection et de l’argent de sa famille. Avec tous les bisounours et tous les médias qui manipulent les bisounours, j’en suis tout attendri…