LE JOUR DE GLOIRE
1 Novembre 2015 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE
La soutenance de la thèse avait été fixée au 2 janvier 1979. Aussi, je profitais des fêtes de Noël afin de la préparer tout en prenant quelques vacances. Cette dualité d’objectifs allait s’avérer périlleuse.
Je passais quelques jours dans le Nord de l’Allemagne, peaufinant mes arguments dans des cafés où l’on diffusait de la musique classique. Il a fait beau et froid tout au long de mon séjour, sauf le matin de mon retour vers Nice...
Le samedi 30 décembre au matin, quelle ne fut donc pas ma surprise de retrouver ma voiture couverte d’une épaisse couche de neige qui continuait à tomber en abondance. Les portières de la voiture étaient soudées par la glace, au point que je dus me résoudre à y entrer par la porte du coffre!
Le blizzard s’était abattu sur la ville dans la nuit. Pas un véhicule ne circulait dans les rues. J'hésitais, mais je me risquais finalement sur l’autoroute où je me retrouvais à peu près seul, avec si peu de visibilité qu’il me fallut parfois sortir de la voiture pour la guider en marchant sur le côté, moteur au ralenti.
C’est peu d’écrire que j’étais inquiet.
Je me voyais bloqué sur l’autoroute, obligé d'attendre les secours et arrivant à Nice après la date de soutenance. Mais au bout de quelques heures passées à me frayer un passage au travers d’un éther cotonneux, je réussis à passer au-delà du front de la tempête, la neige cessa, la pluie prit le relais et j’atteignis Bonn.
J’avais échappé d’extrême justesse au blocus qui, d'aprés la radio, touchait désormais tout le Nord de l’Allemagne. J’eus à peine le temps de déjeuner que le front de neige me rattrapa. Il me fallut partir rapidement pour atteindre l’étape suivante, à Dijon, où je fus à nouveau rattrapé par la tempête pendant mon sommeil.
J’arrivais finalement l’après midi du 31 décembre à Nice où la vague de froid, certes atténuée, me rejoignit aussitôt. J’étais invité le soir à un réveillon pour le Nouvel An, où je me rendis en me promettant de n’y rester que jusqu’à minuit, mais pris par l’ambiance, je rentrais en définitive chez moi à cinq heures du matin.
Aux quarante-huit heures de conduite automobile dans des conditions difficiles, s’ajoutait la fatigue de la soirée du 31 décembre et mon intervention n’était pas encore prête !
J’y consacrais donc l’après midi du 1er janvier.
Puis vint le temps de la soutenance, le 2 janvier à partir de neuf heures du matin, qui se déroula dans l’auguste salle des thèses de la Faculté de Droit de Nice, aux murs tapissés de livres reliés de cuir.
Le jury était composé, outre mon directeur de thèse, le Recteur Jean-Claude Dischamps, du Professeur Xavier Boisselier, Directeur de l'IUT de Nice, du Professeur Jacques Lebraty, Directeur de l'IAE de Nice, du Professeur Karl Roskamp de la Wayne State University aux États-Unis et de Joseph Raybaud, Maître-Assistant à l'Université de Nice.
C’était un grand jury, qui a eu le mérite de lire une thèse obscure sur les relations entre la fiscalité française et les décisions des entreprises. Obscure, parce que dans ma rage de produire des démonstrations, j’avais littéralement truffé le texte de calculs et de formules qui devenaient de plus en plus complexes au long des pages, jusqu’à paraître absconses dans les derniers développements de la thèse.
Sauf mon directeur de thèse, ils n’avaient pas pu la parcourir en détail, mais j’eus la surprise de constater que le Professeur Boisselier avait tout de même réussi à relever une erreur de logique commise vers la page quatre cent, sur les six cent deux pages que j’étais parvenu à produire.
Autant que je me souvienne, le Jury me distribua au moins autant de compliments que de critiques. De mon côté, malgré la fatigue bêtement accumulée, j’étais assez concentré sur mon sujet pour faire face aux objections sans trop me démonter.
Une bonne vingtaine de mes amis étaient présents. Nous attendîmes ensemble le verdict, qui se révéla conforme à mes espérances : la thèse était soutenue avec mention très honorable et les éloges du Jury. Je recevrais ultérieurement le prix de la meilleure thèse 1978 décernée par la Faculté de Droit et de Sciences Économiques de Nice et le premier prix de thèse de la Ville de Nice.
J’étais heureux, fier, soulagé et bientôt déprimé. La thèse avait empli ma vie, même si je m’en étais bien souvent évadé. Il allait falloir vivre sans elle