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Le blog d'André Boyer

UN BLOCAGE MALGACHE

20 Février 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #INTERLUDE

UN BLOCAGE MALGACHE

J’allais être en charge, avec Jacques Brisoux, de la mise en place de l’INSCAE de 1988 à 1992 et il a bien fallu tout ce temps pour que l’école devienne  opérationnelle. Vous allez voir pourquoi.

 

Pendant ces cinq années, je suis venu une à deux fois par an à Madagascar, pour des missions qui duraient en général deux semaines. Pendant ces périodes, j’étais engagé chaque fois dans un intense processus de négociation.

Le lendemain de mon arrivée, j’ai rencontré Jacques Brisoux, mon homologue canadien avec qui j’étais censé me confronter, d’après le Ministère de la coopération. Heureusement, il n’en a rien été. Jacques, c’est encore un ami aujourd’hui, partageait le même point de vue que moi. Il ne s’agissait pas de se disputer sur nos prérogatives réciproques, lui mettant en avant la virginité du Canada en matière de colonisation et son habileté organisationnelle, eux qui avaient emprunté aux anglo-saxons leur « pragmatisme » et moi me drapant dans  la suprématie française fondée sur une coopération ancienne qui s’enfonçait dans les soubassements coloniaux. Il s’agissait pour nous deux, ensemble, d’agir pour faire réussir le projet INSCAE, qui était essentiellement menacé par les agissements des Malgaches ou plutôt de certains Malgaches.

Tout d’abord, Jacques Brisoux était plus québécois que canadien, ce qui nous a permis de partager des valeurs communes francophones et plus ou moins indépendantistes. Rapidement il m’a offert un livre dont j’ignorais l’existence mais qui allait devenir un extraordinaire best seller, écrit par Stephen R. Covey et intitulé The 7 Habits of Effective People, un sommet de la pensée rationalisante à laquelle il n’est possible d’opposer que le romantisme ou le désordre de la pensée humaine pratique.

Le livre m’a beaucoup plu sur le coup, j’ai tout de suite pensé que les malgaches devraient s’en inspirer avant de comprendre progressivement que la démarche de Covey consistait à transformer l’homme en entreprise, une pensée bien en harmonie avec la vision américaine de la vie, avec la mondialisation, les start-up et tout cette agitation frénétique qui était justement aux antipodes de la vision malgache du monde, celle qui freinait nos projets.

Qu’est ce qui se passait dans l’INSCAE, dont nous imputions un peu vite la responsabilité à Flavien Tody, son directeur ? Les locaux étaient là, les étudiants ne demandaient pas mieux que d’assister aux cours, mais il manquait une bonne partie du matériel, chaises, tables, ordinateurs, automobiles et aussi, accessoirement (sic) des professeurs.

Il manquait la volonté de constituer une école qui s’insère dans le tissu économique et social malgache. Tody répugnait à prendre des risques. Acheter un bureau, à fortiori un véhicule, embaucher un professeur, tout l’inquiétait. Pourtant les crédits offerts par la Banque Mondiale et les postes mis à sa disposition par le Ministère de la Coopération lui étaient ouverts.

On le pressait d’agir, mais notre soutien ne lui paraissait pas déterminant, car tous ceux qui le conseillaient en ce sens n’étaient que de passage, y compris les membres des deux ambassades, françaises et canadiennes et les envoyés de la Banque Mondiale. Il était seul, lui le chinois face aux Merinas. Or ces derniers ne voyaient pas d’un bon œil la création de cette école, c’étaient les merinas qui étaient au pouvoir à Madagascar et qu’il devait affronter tous les jours.

L’hostilité diffuse des Merinas venaient de leur crainte que cette nouveauté ne dérange leurs affaires. Il n’existait que quelques experts comptables sur l’île, qu’allait-on faire de tous ces diplômés en comptabilité que l’on allait former par dizaines chaque année ? Les Mérinas qui se sentaient menacés par la création de l’INSCAE lui opposaient une résistance aussi farouche que passive. Ils excellaient dans cet exercice, qui leur avait permis et leur permettrait plus tard de torpiller la création d’une zone franche mauricienne qui suscitait beaucoup d’espoirs pour le développement de l’île, mais qui avait le défaut d’échapper à leur pouvoir.

 

Cette situation de blocage, nous ne l’avons pas saisi tout de suite. Nous avons cru superficiellement que Flavien Tody était le verrou qui bloquait le développement de l’INSCAE alors qu’il était pris en tenaille entre des forces et des exigences contradictoires. Lorsque nous l’avons comprise, il a fallu se résoudre à passer par la manière forte…

 

À SUIVRE

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