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Le blog d'André Boyer

VERS LA REVANCHE DE LA GUERRE DE SEPT ANS

15 Février 2021 , Rédigé par André Boyer Publié dans #HISTOIRE

CHARLES GRAVIER, COMTE DE VERGENNES (1719-1787)

CHARLES GRAVIER, COMTE DE VERGENNES (1719-1787)

Contrairement à Louis XV, Louis XVI accorde à sa Marine Royale des moyens qu'on n'avait plus vus depuis le règne de Louis XIV.

 

Le jeune roi, agé de 20 ans en 1774 à son avénement, veut laver les humiliations de la guerre de Sept Ans et refuse que le Royaume-Uni domine les mers. Il faut donc préparer une nouvelle guerre maritime contre la Royal Navy et s’en donner les moyens, comme le proposent les nouveaux ministres des Affaires étrangères, le comte de Vergennes, et de la Marine, Antoine de Sartine, mais auxquels s’oppose le ministre des Finances, Turgot qui craint qu'une nouvelle guerre ne mette à terre les finances de la monarchie.

Antoine de Sartine accomplit de nombreuses réformes afin de moderniser l’organisation de la Marine Royale. Il réorganise aussi les services d'espionnage pour disposer de rapports précis sur l'état des forces anglaises. Louis XVI suit avec attention les progrès accomplis et permet l’accroissement du budget de la Marine qui passe de 17,7 millions de livres en 1774 à 74 millions en 1778, l'année de l'entrée dans la guerre d'Amérique.

Le roi et son ministre se fixent comme objectif d’aligner quatre-vingt vaisseaux de ligne et soixante frégates. On s'active, « au prix d'un féroce entraînement », pour que les canonniers puissent égaler le rythme de tir de leurs confrères britanniques, mais il reste que la discipline n'est pas au niveau de la Royal Navy.

Louis XVI est très tôt averti du risque et des potentialités d’une guerre en Amérique. Dès la fin de la guerre de Sept Ans, Choiseul avait prédit dans un mémoire à Louis XV l’inéluctabilité d’une « Révolution d’Amérique », compte tenu des divergences croissantes entre les colons et le Royaume-Uni.  Louis XVI veillait à maintenir la paix en Europe continentale mais il cherchait aussi à contenir la volonté d’expansion mondiale de l’Angleterre. Il n’avait pas oublié la fourberie dont elle avait fait preuve pour endormir la France en 1754-1755, en faisant mine de discuter tout en préparant une guerre d’agression impitoyable qui avait jeté à terre l’empire colonial français. Il n’oubliait ni les centaines de navires raflés en pleine paix, ni les conditions de détention barbares sur les pontons qui avaient couté la vie à plus de 8000 matelots.

Le dossier de l’insurrection américaine arriva très tôt sur le bureau du Roi et de Vergennes. On se félicita en secret des difficultés anglaises qui ruinaient son commerce atlantique et lui coûtaient cher en hommes et en matériel. Cependant Louis XVI, soutenu par son Conseil, décida dans un premier temps de ne pas se mêler du conflit, d’autant plus qu’il était réticent à l’idée d’aider un peuple en révolte contre son roi légitime, et que, de toutes façons, en 1774-1775, la flotte n’était pas prête.

Mais dans les salons et cercles philosophiques, l’Amérique était à la mode et l’on poussait à la guerre ; de plus les pratiques dominatrices de la Royal Navy sur les mers faisaient évoluer la situation. Partout, de Terre-Neuve au canal des Bahamas, des Iles-sous-le-Vent aux côtes de Coromandel, on signalait les mêmes procédés outrageants sur les navires français, en violation des règles internationales les plus élémentaires et l’on constate ici que la pratique actuelle des sanctions extra-territoriales a des antécédents anciens.

Le 12 mai 1776, Louis XVI réagit à ces pratiques en ordonnant à ses navires de guerre de protéger les bâtiments des « insurgents » ou ceux des États neutres qui demanderaient la protection du pavillon français.

Au même moment, le débat sur l’opportunité d’une guerre ouverte contre le Royaume Uni fait rage au sein des ministères. Vergennes estime que si l’on ne fait rien, on court le double risque de voir les « insurgents » se réconcilier avec Londres, ou, si l’Angleterre perd la guerre, de la voir chercher à se dédommager en attaquant les îles françaises. Sartine et le ministre de la Guerre, Saint-Germain, appuient aussi l’idée d’aider les révoltés, mais pas le ministre des finances, Turgot, qui met en garde contre le coût de cette guerre et estime que de toutes façons les Américains vont conquérir leur indépendance avec ou sans l’aide de la France. Maurepas estime que l’Angleterre garde la maîtrise des mers, alors que le sort des armes reposera essentiellement sur les forces navales et que c’est seulement en additionnant les flottes françaises et espagnoles que l’on peut espérer l’emporter. Or Madrid se dérobe, car il craint les risques de contamination révolutionnaire dans l’immense empire espagnol.

Les Américains envoient en 1776 un premier émissaire vers la France, Silas Deane avec pour mission d’acheter des armes et du ravitaillement et, au début de 1777, trois navires chargés d’armes quittent la France, suivis de neuf autres en septembre. Bien que les autorités françaises aient interdit à tous les officiers de rejoindre les « insurgents », de nombreux jeunes seigneurs se portent volontaires pour partir outre-Atlantique, dont le marquis de La Fayette, qui quitte la France au printemps 1777.

Mais la situation militaire reste précaire pour les révolutionnaires américains. L’année précédente, New York a été prise par les trente-quatre mille hommes de William Howe, soutenus par la Royal Navy. L’armée de Washington en est réduite à une guerre d’usure, d’embuscades et de coups de main. Le Congrès américain, devant la gravité de la situation, envoie en Europe le responsable de sa diplomatie en personne, Benjamin Franklin, porteur d’une proposition de traité de commerce accolée à une alliance politique et militaire pour qui voudra bien la signer. Il arrive à Nantes le 17 décembre 1776, mais Louis XVI, qui garde une méfiance instinctive vis-à-vis de la rébellion américaine, ne le reçoit pas et reste pendant tout 1777 sur les positions définies l’année précédente, tandis que le débat continue au sein des ministères sur l’opportunité de la guerre. Sartine, boutefeu, estime que la flotte est prête désormais appuyé par le nouveau ministre des finances, Necker, qui assure au roi que la guerre peut être financée au moyen d'emprunts dont il garantit le succès sans qu'il soit nécessaire d'augmenter les impôts .

Le 4 décembre 1777, on apprend à Paris qu’une armée anglaise de plus de neuf mille hommes a capitulé avec toute son artillerie et son général à Saratoga, dans l’État de New York et que cette victoire a été obtenue, entre autres, grâce aux livraisons d’armes et de matériels français. À Londres, c’est la consternation.

Le gouvernement anglais fait des ouvertures de paix, alors que, devançant la France, les Provinces-Unies ont conclu depuis peu un traité de commerce avec la jeune République américaine mais ils n’en sont pas encore à une reconnaissance politique. Les Français craignent de plus en plus de voir les Anglais et les Américains se réconcilier. Si l’Espagne refuse toujours de soutenir les révoltés, Vergennes est désormais convaincu qu'il serait dommage de ne pas exploiter « la seule occasion qui se présentera peut-être au cours de bien des siècles de remettre l'Angleterre à sa véritable place » .

Après des semaines de négociations, les Français et les Américains signent deux traités, le 30 janvier et le 6 février 1778. Le premier, public, est un accord commercial mais dont le contenu est une véritable dénonciation des pratiques anglaises puisqu’il y est énoncé le principe de la liberté des mers et du droit des États neutres à commercer avec des nations en guerre, sauf pour des armes. Le roi de France y prend sous sa protection les navires américains, en cas d’attaque. Les deux nations se promettent d’accorder à l’autre la clause de la nation la plus favorisée et les Américains s’engagent à respecter les droits de pêche français sur les bancs de Terre-Neuve.

Cet accord commercial que la France va devoir faire respecter avec sa flotte de guerre constitue en soi un casus belli avec l’Angleterre. Le second traité, destiné à rester secret, est une alliance « éventuelle et défensive », au cas où une guerre éclaterait entre la France et la Grande-Bretagne. Une disposition importante prévoit qu’aucune des deux parties ne devra conclure de paix séparée avec la Grande-Bretagne sans avoir au préalable obtenu le consentement de l’autre, toutes deux s’engageant à ne pas mettre bas les armes avant que l’indépendance des États-Unis ne soit assurée. Il s’agit, par cette dernière clause, d’éviter une réconciliation anglo-américaine, la grande crainte de Louis XVI et de Vergennes.

Le 20 mars 1778, Benjamin Franklin, « ambassadeur des treize provinces unies » d’Amérique est reçu solennellement par le roi dans l’allégresse générale tandis que les relations sont rompues avec Londres. On apprit aussi que l'ancien Premier ministre William Pitt, artisan principal de la victoire anglaise pendant la guerre de Sept Ans, avait fait un malaise en pleine Chambre des Communes en apprenant la nouvelle de l'alliance franco-américaine et était décédé peu de temps après.

 

Pour la première fois de son histoire, la France s’engage dans une guerre exclusivement navale sans avoir à soutenir en même temps un conflit continental. Tout repose désormais sur les escadres françaises. Vont-elles tenir le choc ?

 

À SUIVRE


 

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