De la démocratie en Afrique
Une sorte de feu aux poudres se propage au travers du Moyen-Orient et de l’Afrique. Partout, les fondements du pouvoir sont contestés. Si des similitudes fondamentales existent entre la situation au Moyen Orient et en Afrique, régimes autoritaires, corruption d’État, fractures ethniques et religieuses, je voudrais revenir ici sur la situation particulière de l’Afrique, dont j’ai traité dans mes trois derniers blogs.
La crise qui vient provisoirement de s’achever par l’installation du Président Ouattara au pouvoir en Côte d’ivoire est révélatrice du profond malaise qui touche de nombreux pays africains. Durant les dernières décennies, les guerres ont ravagé la plupart des pays africains et plusieurs régions africaines continuent d’être traversé par des conflits de haute intensité. Il suffit de se souvenir qu’un réfugié sur deux dans le monde est africain.
Il semble aujourd’hui que, dans nombre de pays africains, il suffise que jaillisse un sentiment de mécontentement pour que se déclenche une déflagration globale. La Libye en est l’exemple actuel, à la fois arabe et africain, le Burkina Faso fait face à un mouvement de protestation dont nul ne sait comment il se terminera. Or le caractère explosif de la situation n’est pas tout à fait inattendu, même si personne ne pouvait en prévoir le moment.
Pour essayer d’en donner les clés, je vous suggère de vous demander comment l’on peut réussir, individuellement, dans une société africaine ? Par les études, par l’esprit d’entreprise ou par la politique ? Lorsque Ben Ali était au pouvoir, il suffisait de réussir dans les affaires pour que sa famille exige 50% du capital ou sinon…La femme de Alassane Ouattara (voir mon blog du 11 avril dernier) n’est devenue une puissante businesswoman qu’après être parvenue à se rapprocher du pouvoir, très prés du pouvoir, et pas l’inverse. Au total, rarissimes sont les entrepreneurs africains qui ont réussi sans avoir du au préalable s’insérer dans la mouvance du pouvoir. Même si l’on peut m’objecter, à juste titre, que la corruption existe aussi en Europe et ailleurs, que les hommes politiques sont presque partout vénaux, il reste que ces derniers sont toujours sous la menace de devoir subir les foudres de la loi.
En Afrique, rien de tel, le droit n'effarouche pas les corrompus. Pour quelles raisons ? Obtenue il y a de cela un demi-siècle, l’indépendance s’est faite dans un contexte de guerre froide. Il a paru à l’époque tout naturel, face aux démocraties occidentales colonisatrices, que s’installent des régimes de type opposé, fortement encouragés par les exemples apparemment aboutis de l’URSS et de la Chine. Il n’était point alors question d’États de droit et l’ex-colonisateur, tout heureux que quelqu’un veuille bien se charger du pouvoir qu’il laissait vacant, se contentait d’approuver en silence et de soutenir le Chef, ses parents et ses amis.
Le Chef, de son côté, s’il voulait disposer de soutiens à long terme, n’avait pas d’autres choix que de s’appuyer sur sa tribu ou son ethnie. Ainsi a procédé Mouammar Kadhafi, après avoir liquidé un régime royal intermédiaire. Ces cercles autour du Chef attendaient en contrepartie que leur soient attribuées les richesses de l’Etat, les rentes de situation voire la confiscation des terres et des capitaux. Ces richesses à leur tour permettaient (je me demande pourquoi j’écris ce verbe au passé) de contrôler la société, de nouer des alliances, de « remercier » les fidèles via la distribution de postes « juteux », et d’acheter des armes pour réduire au silence les dissidents les plus récalcitrants. Longtemps on a ricané à Dakar du fait que les majors de l’Ena sénégalaise choisissaient en priorité la Douane, là où l’on peut obtenir le maximum de commissions.
Lorsque les membres d’une ethnie s’estimaient lésés, discriminés et privés d’accès aux ressources, les problèmes surgissaient pour le pouvoir politique omni distributeur. L’absence de possibilité de contestation pacifique les poussait à se révolter violemment. Quant aux dirigeants en place, ils combattaient sans concession des demandes de changement qui sapaient à leurs yeux les fondements de leur pouvoir. C’est pourquoi le départ pacifique de Ben Ali du pouvoir en Tunisie a constitué un tel changement de mœurs politiques qu’il a suffi à bouleverser la donne de tout le continent.
Dans ce contexte qui s’est mis en place depuis un demi-siècle, deux nouveautés apparaissent désormais qui expliquent la fragilité nouvelle de ces régimes.
La première nouveauté date de la chute du mur de Berlin. Lorsque l’URSS s’est effondrée, les pays africains ont été contraints, afin de continuer à profiter des aides et des rééchelonnements de la dette, d’instaurer le multipartisme. Rares sont les régimes qui ont pu résister, à l’exception de ceux qui, à l’instar du régime algérien, bénéficiaient d’une rente qui les protégeait des pressions externes. Or, cette démocratie imposée du dehors ne s’appuie ni sur une culture démocratique ni sur des institutions garantissant son bon fonctionnement. Dans ces conditions, l’importation de règles démocratiques ne risque pas d’apaiser les conflits, comme on l’a vu en Côte d’Ivoire. En effet, l’effet pervers du multipartisme et des élections démocratiques exigés par les bailleurs de fonds se situe dans la multiplication de partis politiques appuyés sur des bases ethniques, indispensables pour attirer des sympathisants, mais qui attisent par nature les clivages.
La seconde nouveauté est toute récente, elle fait que plus aucun événement, répression ou détournement de fonds ne peut être caché à la population indignée, en raison de l’émergence des réseaux issus d’Internet et du téléphone portable. Elle rend désormais toute situation d’abus de pouvoir immédiatement intolérable.
Il en résulte que, sans des règles de droit permettant de faire admettre des principes communs à l’ensemble des forces du pays et sans des institutions contraignant les acteurs politiques à les respecter, l’importation d’une démocratie appuyée sur les différences ethniques et l’émergence des réseaux sociaux génèrent une nouvelle instabilité dans les pays africains, entre autres.
C’est pourquoi en Afrique, il me semble que la priorité est paradoxalement plus politique et juridique qu’économique ou sociale : rechercher des compromis avant de mettre en place un État de droit, voilà l’urgence !