L'apprenti sorcier
10 Avril 2011 Publié dans #ACTUALITÉ
Les nouvelles ne sont pas bonnes. Ni en Libye, ni en Cote d'Ivoire, où les forces armées françaises sont engagées dans des combats militairement aventureux et politiquement incertains par notre Président de la République.
En Libye, les frappes aériennes durent depuis plus de trois semaines et Kadhafi est toujours là. Les mauvaises surprises s'accumulent. La capacité de résistance et d'adaptation des troupes loyalistes semble surprendre la coalition. Est-ce que l’on s’attendait vraiment à ce que les troupes du colonel Kadhafi se débandent au premier passage d'un avion de chasse dans le ciel ? De son côté, l’insurrection est inexistante sur le plan militaire : il aurait été utile de s'en rendre compte avant de s'engager dans une guerre qui reposait sur deux idées : dans le ciel, les Occidentaux, au sol, les insurgés. Il manque un élément de cette équation, les rapports sur l'évaluation des capacités de ces derniers. Et maintenant, sachant que l'insurrection n'a aucune chance de conquérir la Tripolitaine, on fait quoi ?
D’autant plus que la coalition est de plus en plus fragilisée. Depuis lundi dernier, l'aviation américaine ne participe plus aux frappes. La France avait contraint les Etats-Unis à s'engager dans une guerre dont ils ne voulaient pas, mais cela n’a duré qu’une quinzaine de jours. Maintenant, la France se retrouve en première ligne, avec à peine 32 sorties quotidiennes et onze cibles détruites en une semaine. À l’aviation française s’ajoute les Britanniques dont l'effort est moins important, les Italiens qui se contentent de montrer leurs muscles, les Espagnols qui ne font que du soutien et les Qataris qui ne restent que 15 minutes au-dessus de Benghazi pour y chasser d'improbables avions libyens. Quand on regarde l’aspect politique de la coalition, on trouve les Etats-Unis en retrait, une Europe divisée, des pays du Sahel hostiles, les Russes, les Chinois, les Brésiliens et les Indiens opposés. Bien joué, Sarkozy.
En Côte d'Ivoire, Laurent Gbagbo est toujours là, alors que le week-end dernier sa chute semblait imminente comme celle de Kadhafi il y a un mois. Le monde serait-il plus compliqué qu'on nous le raconte ? Que voyons-nous ?
À l'automne dernier, la France estimait que la Cote d'Ivoire était engagée dans un cycle vertueux qui allait permettre le départ des troupes françaises. Selon ce que l’on pouvait considérer comme une sage politique, Paris se tenait à l'écart de la scène ivoirienne. Tout a dérapé avec l'élection présidentielle. La France, conduisant derrière elle la communauté internationale, a pris fait et cause pour le président Alassane Ouattara, élu selon les résultats apparents des urnes. Face aux blocages politiques qui sont apparus, il n'y avait que deux solutions : la négociation ou la force. La force a prévalu. On voit donc la France se ré impliquer militairement comme jamais dans une crise interne africaine, avec le spectacle de ses hélicoptères de combat ouvrant le feu sur des sites présidentiels et les troupes de Ouattara bénéficiant de l'aide bienveillante des Français.
Il est vrai que le président Ouattara est un ami: ancien directeur adjoint du FMI, marié à une Française, Ouattara a été élu en s'assurant des scores soviétiques dans les zones tenues par ses troupes peu recommandables. Mais l’Élysée avait décidé à l’avance qu’il fallait se débarrasser de Gbagbo, donc Ouattara ne pouvait pas perdre. Ce dernier est appuyé par des Forces Républicaines qui, selon le rapport de Human Rights Watch, ont « pourchassé, exécuté et violé des partisans supposés de Laurent Gbagbo alors qu'ils étaient chez eux, qu'ils travaillaient dans les champs, qu'ils fuyaient ou tentaient de se cacher dans la brousse. Dans un cas particulièrement atroce, des centaines de civils de l'ethnie Guéré, perçus comme des partisans de Laurent Gbagbo, ont été massacrés dans la ville de Douékoué, dans l'ouest du pays, par un groupe constitué d’unités des Forces Républicaines sous le haut commandement du Premier ministre d'Alassane Ouattara, Guillaume Soro ». Et ceci s’est passé, il y a quinze jours dans l’Est de la Côte d’Ivoire.
Les Français savent-ils vraiment que ces troupes sont nos alliées contre les troupes de Gbagbo ? Fallait-il autant d’activisme, dans le cas de la Libye comme de la Côte d’Ivoire ? Dans le premier cas c’était fort imprudent, dans le deuxième cas, fort contestable.
Je crains que les Libyens, les Ivoiriens et les Français payent au prix fort le prurit incontrôlé de notre Président, jouant les chevaliers blancs en Libye et réglant ses comptes personnels en Côte d’Ivoire, et j’ai bien peur que cette "stratégie" ait accessoirement des effets fortement négatifs sur l'image de la France en Afrique.
NB : ce blog doit beaucoup à une excellente analyse de Jean-Dominique Merchet, qui tient la rubrique « Secret Défense ».