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Le blog d'André Boyer

La Nation française face à son Armée

19 Juillet 2011 Publié dans #ACTUALITÉ

Eva Joly a remis en cause le symbole d’union entre l’armée et la nation que représente le défilé militaire du 14 juillet dernier. Ses déclarations offrent une bonne opportunité de faire le point sur le rôle et l’évolution de l’armée française.

 

images-2Je lisais récemment un texte écrit par le général Hervé Charpentier, commandant des forces terrestres françaises, qui qualifie les soldats qu’il croise en opérations, en Afghanistan ou en Afrique, de « jeunes héros ». Ces jeunes, garçons et filles, ont, explicitement ou implicitement, accepté de payer le prix du sang en choisissant le métier des armes. S’ils meurent ou s’ils sont blessés, c’est fort triste pense t-on autour d’eux, mais ce sont les risques d’une profession qu’ils ont choisi volontairement. C’est que l’armée de métier, contrairement à l’armée de conscription, est bien confortable pour notre société. La guerre, la mort, la souffrance, c’est une affaire de spécialiste… Que meurent dans la vallée de Kapisa, des gamins de 20 ans à la demande de la République Française n’est pas l’affaire de ses citoyens qui se demandent, avec un brin de commisération, pourquoi ces hommes et ces femmes acceptent de faire le sacrifice absurde de leur vie. Les mêmes omettent de se demander ce qui se passerait pour eux si plus personne ne voulait accepter de porter des armes dans ce pays, voire dans cette Europe[1]

De toutes manières, pour des raisons budgétaires, on n’en est plus très loin, en Europe et en France. Pour l’armée de cette dernière, cela ne fait plus beaucoup de monde : avec ses 88000 combattants, ses 6000 militaires non opérationnels et ses 9000 civils, l’armée de terre pourra bientôt être rassemblée tout entière dans le Stade de France, pour peu qu’elle annexe la pelouse. Avec des budgets de plus en plus serrés, la réduction constante de leurs effectifs et le vieillissement du matériel, la force aérienne de combat n’est plus que de trois cents appareils et la marine rassemble moins de trente grandes unités navales dont un seul porte-avion. Face à cette réduction des moyens, nombreux sont les militaires  qui pointent une triple incohérence dans la politique militaire de la France[2]: 

- Une incohérence logique : alors que les crises se multiplient, l’Europe en général et la France en particulier diminuent leur effort de défense au moment même où il augmente ailleurs.

- Une incohérence doctrinale : le nouveau paradigme d’une guerre qui se déroule au sein des populations exige à la fois des forces terrestres plus nombreuses, une capacité de projection aérienne et navale plus affirmée alors que l’on procède à la diminution des effectifs et des moyens de l’armée.

- Une incohérence tactique : tandis qu’il apparaît certain que l’armée française devra s’engager à de multiples reprises en Afrique dans les années qui viennent, l’armée française affaiblit son réseau de bases pour gagner trois mille postes budgétaires.

La réponse du Ministère de la Défense aux incohérences logiques et doctrinales, c’est l’affirmation de la primauté du cadre multinational sur le cadre national. C’est ce qu’indique le Livre blanc de 2008, en totale contradiction avec celui de 1972 qui proclamait fièrement que la sécurité supposait, pour un peuple libre, l’indépendance de la nation. L’armée française n’est désormais présente sur les théâtres majeurs qu’aux côtés de ses alliés. Elle se place ainsi dans une situation de dépendance (on fait la guerre pour honorer des accords militaires) qui génère un malaise chez  les militaires quant aux buts de guerre. Il faut ajouter que ces derniers sont sollicités de manière excessive par rapport aux contraintes de la vie civile. Certes, la mélancolie du soldat[3] est de toutes les époques, mais comment expliquer à un sous officier payé 2500 euros par mois qu’il doit risquer sa vie en Afghanistan pour défendre une cause qui n’est pas celle de son pays et une société qui lui tourne le dos?

En fin de compte, la question militaire se trouve tout entière posée dans le niveau du moral des troupes. Lorsque le soldat ne sait plus très bien pourquoi il risque sa vie, lorsque le sacrifice qui lui est demandé est en contradiction totale avec les valeurs d’une société qui rejette les notions de service, de devoir ou de sacrifice, le risque de divorce entre l’Armée et la Nation devient alarmant.

 

Ce risque de rupture doit être évité à tout prix car le péril serait alors immense, comme cela est souvent arrivé dans l’histoire de la France et de son Armée, qu’au moment crucial la seconde vienne à manquer à la première. 

 


[1] Borgnes parmi les aveugles, les armées anglaises et françaises surclassent, malgré leurs faiblesses de plus en plus criantes, les autres armées européennes. On le voit en Libye.

[2] Voir la tribune parue le 18 juin 2008 dans le Figaro sous le pseudonyme de Surcouf, dénonçant les inadéquations entre les orientations du Livre blanc et les intérêts de la France.

 

[3] Charles De Gaulle, le Fil de l’épée (1931). 

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