La Grèce victime de l'imperium européen
Les députés grecs ont approuvé le projet d’orientation budgétaire pendant que des manifestants tournaient autour du Parlement et que le pays était en partie paralysé par des grèves. Que pouvaient faire d’autre les députés sommés de choisir entre une faillite immédiate et la mise sous tutelle de la Grèce par l’Union Européenne ?
Observons en premier lieu que l’UE ne s’intéresse tant à la Grèce que pour sauver l’Euro et en second lieu que, si la Grèce n’était pas entrée dans l’Euro, la crise actuelle n’aurait pas eu lieu. Depuis les années 1930, l’économie de la Grèce vivait sous le double règne d’une inflation structurelle et d’un crédit encadré. L’Euro a fourni à la Grèce la stabilité monétaire et une baisse massive des taux d’intérêt. Du coup, tout le monde, secteur public en tête, s’est mis à emprunter à taux bas sur les marchés internationaux et les banques ont découvert qu’elles pouvaient faire de gros profits en poussant les particuliers à consommer à crédit.
En 2001, date d’entrée en vigueur de l’Euro, la classe politique grecque se vantait d’avoir fait entrer la Grèce dans la modernité, les banques grecques se félicitaient d’attirer à elles l’argent des particuliers et les institutions européennes voyaient dans l’élargissement de la zone euro le moyen de conforter leur volonté de puissance. Pendant ce temps, la compétitivité de la Grèce était en chute libre au fur et à mesure que l’Euro s’appréciait et la production nationale reculait d’année en année.
C’est alors que survint la faillite de Lehman Brothers et la crise qui a suivi. Privée de sa monnaie et donc hors d’état de l’ajuster à la réalité de son économie, la Grèce s’est trouvé acculée à une « dévaluation intérieure », c’est-à-dire à une baisse de ses revenus de trente à quarante pour cent. C’est un coût social que peu de peuples ont eu à subir en temps de paix. Il explique le désarroi de la population, qui a cru dans les promesses pharamineuses de l’Euro, reprises dans les discours de toutes les élites, de droite comme de gauche, sur les bénéfices attendus en termes de croissance et d’emploi de l’entrée de la Grèce dans le monde merveilleux de la mondialisation. Et aujourd’hui, les mêmes vous expliquent tout à trac le contraire, que vous avez été tout simplement naïf, qu’il vous faut maintenant accepter de perdre votre emploi, de vendre votre maison aux enchères et de vous résigner à ce que les études de vos enfants ne valent plus rien !
Dans ces conditions, il est facile de comprendre que le peuple grec soit saisi par un sentiment de révolte !
Les Européens ont beau jeu de dénoncer la fraude fiscale ou le trucage des données macroéconomiques, mais comment se fait-il que l’Europe, le FMI et les banques qui prêtaient à la Grèce aient fermé depuis vingt ans les yeux sur cet état de fait qu’ils connaissaient fort bien ? Dés 1989, Jacques Delors a été informé des manipulations comptables du ministre grec des finances de l’époque, Panagiotis Roumeliotis qui est l’actuel représentant de la Grèce au FMI ! En 1993, la Commission Européenne a découvert que les institutions grecques avaient triché sur les chiffres. Elle l’a redécouvert fin 2001, en mettant à nu les pertes camouflées des sociétés nationalisées grecques. En 2010, on a appris que Goldman Sachs avait apporté son « expertise » aux gouvernements grecs successifs pour cacher la réalité de la situation grecque. Dire qu’on ne savait pas à l’étranger la réalité des trucages est une contrevérité ! Au contraire, en les cachant sous le tapis, l’UE et les banques ont encouragé les gouvernements grecs à continuer à tricher.
C’est qu’il fallait intégrer la Grèce. À ce moment-là, rien d’autre ne comptait que la volonté de puissance de l’UE.
Le drame de la situation grecque, c’est qu’aucune personne raisonnable ne peut prévoir une issue qui ne soit pas catastrophique, ce qui fait qu’il n’y aura probablement pas d’issue à la crise grecque, sauf si les Grecs se révoltent massivement, que la Grèce se déclare en cessation de paiement et quitte l’Euro.
Le vrai drame serait que cette sortie de l’Euro réussisse, en permettant à l’économie grecque de regagner une marge de manœuvre. Ce succés serait une catastrophe pour l’UE, puisqu’il apporterait la démonstration que l’Euro est plus un handicap qu’un facteur de développement économique, du moins pour les économies du sud de l’Europe. Il inciterait d’autres pays à sortir de l’Euro.
Aussi, l’UE est-elle prête à faire payer à ses citoyens le prix fort pour éviter ce camouflet. Derrière les faux-semblants des déclarations officielles, on comprend clairement qu’il vaut mieux que les Grecs souffrent à l’intérieur de l’Eurozone plutôt qu’ils réussissent en dehors!
Comme aucune personne sensée ne croit que le gouvernement grec va appliquer le programme voté par le Parlement grec puisqu’il ne peut conduire qu’à la déflagration sociale et à la sortie de la Grèce de l’Euro, on va faire semblant d’obliger les Grecs à restructurer leur économie tout en leur transférant des fonds pour éviter qu’ils explosent sous la pression. On va faire aussi semblant de demander des sacrifices aux banques tout en leur concédant en contrepartie des avantages au moins équivalents. Par contre, on ne va pas faire semblant de mettre en place un mécanisme de transfert massif de fonds des contribuables européens vers les États déficitaires de l’Euro.
Sur le plan politique, cela permettra de mettre les pays périphériques déficitaires sous la tutelle de l’UE. Cette dernière continuera sa fuite en avant en faisant campagne, au nom de l’harmonisation et de la solidarité, pour une centralisation de l’économie européenne, pour la nomination d’un ministre européen de l’économie et pour l’accroissement permanent du budget de l’UE. Et c’est ainsi que la crise grecque, loin de démontrer l’échec de l’union monétaire, servira au contraire d’outil à l’UE pour renforcer son pouvoir en augmentant la fiscalité européenne et en prenant le contrôle des transferts financiers vers les économies déficitaires au sein de l’Euro.
Quant aux Grecs, qu’ils continuent à souffrir, si possible en silence pour ne pas gêner les calculs des experts : ils n’ont que ce qu’ils méritent !
Ce schéma glacial me semble le plus probable, à moins que…
À moins que, quelque part, sous la pression populaire, en Grèce ou ailleurs en Europe, un Etat ne cesse de payer les banquiers, qu’ils soient ou non originaires d’Hellás…