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Le blog d'André Boyer

La science a t-elle un sens pour l'homme?

15 Juillet 2011 Publié dans #PHILOSOPHIE

Nous avons conclu notre blog sur « Le métier de chercheur », le 29 juin dernier, en observant que l’on ne peut accomplir un travail scientifique  sans espérer en même temps que d'autres iront plus loin et que ce progrès est supposé se prolonger à l'infini.

1829362369_small_1.jpgDès lors, quelle est la signification de la science? Il n'est pas évident qu'un phénomène qui suit une loi de progrès permanent ait un sens pour l’homme. Pourquoi un scientifique serait-il prêt à consacrer sa vie à une occupation qui, par définition, n'a jamais de fin?

Pour pouvoir répondre à cette question, il faut considérer le progrès scientifique dans le cadre du long processus d'intellectualisation de l’être humain depuis des millénaires. Ce processus le conduit à penser qu’il est capable, s’il le veut, de maîtriser toute chose en ce monde. En contrepartie, il le conduit aussi à faire disparaître tout mystère, tout phénomène surnaturel de son univers, en d’autres termes à désenchanter le monde.

Ce double mouvement, maîtrise de toute chose et désenchantement du monde, agit directement sur le sens que prend la vie pour l’homme et par conséquent sur le sens de sa mort. Est-ce que la mort de l’homme a un sens pour l’homme moderne?

Non, elle ne peut pas en avoir parce que sa vie individuelle est immergée dans le « progrès infini ». Pour celui qui vit dans le progrès, il  existe  toujours la possibilité d’un nouveau progrès. C’est ainsi que celui qui est atteint d’un cancer a toujours l’espoir qu’une ultime découverte lui permettra d’obtenir un sursis. Autrefois, les paysans mourraient « vieux et comblés par la vie » parce qu'ils se sentaient intégrés dans le cycle organique de la vie qui leur avait apporté tout le sens qu'elle pouvait leur offrir. L'homme moderne, au contraire, installé dans le mouvement d'une civilisation qui s'enrichit continuellement de pensées, de savoirs et de problèmes, peut se sentir « las » de la vie mais jamais « comblé » par elle. 

Quel est donc le sens du progrès scientifique qui fasse que l’on puisse mettre sa vie à son service? Cela revient à se poser la question de la valeur de la science pour l’homme. Cette dernière a beaucoup évolué dans le temps. Rappelez-vous cette merveilleuse allégorie du début du septième livre de la République de Platon, les prisonniers enchaînés dans la caverne. Leur visage est tourné vers la paroi du rocher qui se dresse devant eux, si bien qu’ils ne peuvent pas voir la source de lumière qui les éclaire et qu’ils sont condamnés à ne s'occuper que des ombres qu’elle projette sur la paroi. Il ne leur reste qu’à faire des conjonctures sur les relations qui existent entre ces ombres.

Puis l'un d'eux réussit à briser ses chaînes; il se retourne et voit le soleil. Ébloui, il tâtonne, il va en tous sens et il balbutie à la vue de ce qu’il découvre. Ses compagnons le prennent pour un fou. Petit à petit, il s'habitue à regarder la lumière. Cette expérience faite, il ne lui reste plus qu’à redescendre parmi les prisonniers de la caverne afin de les conduire vers la lumière. Il est le philosophe, pour qui le soleil représente la vérité de la science. Son but n'est pas seulement de connaître les apparences et les ombres, mais l'être véritable.

Est ce que cette parabole décrit notre attitude actuelle devant la science? On a l’impression que c’est le sentiment inverse qui prévaut : les constructions intellec­tuelles de la science sont vues comme un royaume irréel d'abstractions artificielles qui s'efforcent de recueillir dans leurs mains desséchées le sang et la sève de la vie réelle, sans jamais y réussir. On croit de nos jours que c'est précisément dans cette vie, qui aux yeux de Platon n'était qu'un jeu d'ombres sur la paroi de la caverne, que palpite la vraie réalité.  Tout le reste, estime-t-on aujourd’hui, n'est que fantômes inanimés et rien d'autre.

Comment s'est opérée cette transformation? L'enthousiasme passionné de Platon s'explique par la découverte, réalisée  à son époque, du sens de l'un des plus grands instruments de la connaissance scientifique: le concept. Le mérite en revient à Socrate qui en a saisi tout de suite l'importance. Mais il ne fut pas seul dans le monde à l'avoir compris : dans les écrits hindous, on peut trouver des éléments d'une logique tout à fait analogue à celle d'Aristote. Mais ce furent tout de même les Grecs qui les premiers surent utiliser cet instrument qui permettait de coincer quelqu'un dans l'étau de la logique de telle sorte qu'il ne pouvait s'en sortir qu'en reconnaissant, soit qu'il ne savait rien, soit que telle affirmation représentait la vérité et non une autre.  Ce fut là une expérience extraordinaire qui laissait croire qu'il suffisait de découvrir le vrai concept du Beau, de l'Ame ou de tout autre objet, pour être à même de comprendre aussitôt leur être véritable. Connaissance qui à son tour permettrait d'enseigner comment on devait agir correctement dans la vie, notamment en tant que citoyen, puisque les Grecs ramenaient tout à la question politique. Ce sont d’ailleurs des raisons politiques qui les conduisirent à s'occuper de la science.

 

À cette découverte de l'esprit hellénique s'associa par la suite le deuxième grand instrument du travail scientifique, enfanté par la Renaissance: l'expérimentation rationnelle.

 

(Adapté de Max Weber, « le métier et la vocation de savant »)

 

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