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Le blog d'André Boyer

LA MAGIE DE LA DÉCISION

22 Mai 2016 , Rédigé par André Boyer Publié dans #PHILOSOPHIE

LA MAGIE DE LA DÉCISION

L'EXPERT FACE AUX PARAMÈTRES COMPLEXES DE LA DÉCISION

 

Le 18 mars dernier, je concluais par la formule issue du Léviathan de Hobbes : c’est l’autorité, et non pas la vérité, qui fait la loi. 

 

Dans ses remarquables conférences de 1919 sur le Savant et le Politique,  auxquelles j’ai consacré une série de blogs fin 2011, Max Weber avance que la question des valeurs échappe par essence au domaine  de l’objectivité ou de la vérité.

En matière de valeurs, les débats ouvrent nécessairement, faute de pouvoir être tranchés par un savoir, sur une lutte indépassable entre les systèmes évaluatifs des valeurs en question, si bien que, selon cette approche wébérienne, aucune rationalisation de la décision concernant les fins ultimes ne peut être envisagée.

C’est une conviction qui se fonde sur les écrits de Nietzsche et qui a été reprise par Carl Schmitt. Selon ce dernier, l’homme politique, l’homme de pouvoir par excellence, demeure toujours celui qui décide en situation exceptionnelle. C’est dans une telle situation qu’il possède le monopole de la décision ultime, parce que, face à une décision à prendre urgente et importante, il ne se retrouve plus que face à lui-même.

Cette approche « décisionniste » nous conduit à mesurer les limites des efforts accomplis par le rationalisme pour déduire les choix à partir de principes et de normes fondés sur la raison. Car, si nous assignons à l’homme politique la charge du moment d’irrationalité sans lequel il ne saurait y avoir véritablement de décision, ce surcroît de pouvoir sans lequel gouverner serait tout simplement impossible ne procède que de l’autorité personnelle du leader.

Faut-il  en conclure à l’irrationalité foncière du décideur qui se fonde sur son autorité charismatique?

Il faudrait alors admettre que la politique est bien davantage un art qu’une science, et que, selon Aristote, gouverner requiert un don particulier qui consiste à juger correctement de ce qu’il faut faire et quand il faut le faire.

Les conséquences d’une telle approche sont redoutables.

La logique de la décision inclut sans aucun doute un moment de délibération avec soi-même, lorsqu’il s’agit de choix moral et il s’agit presque toujours de faire, au moins en partie, un choix moral pour pratiquement toutes les « décisions » que nous prenons.

Mais dans ces conditions, la perception ultime de ce qu’il « faut faire » relèverait d’un talent mystérieux qu’Aristote nommait la « prudence », sans parvenir jamais à mieux préciser ce qu’il entendait par là. Mais c’est une imprécision inquiétante, puisque Aristote ouvrait ainsi la voie à un absolutisme qui s’appuierait sur la « supériorité » de ceux qui disposent d’un tel talent et donc au culte du chef, si honni par le prêt à penser de notre temps.

En effet, en fondant le pouvoir sur l’autorité personnelle, la confusion des concepts de pouvoir et d’autorité entraîne en retour un pouvoir forcément autoritaire, avec ses horribles dérives qu’ont été la centralisation robespierriste ou les totalitarismes du XXe siècle. Il en résulte que la représentation « décisionniste » de l’acte de gouverner serait aussi incompatible avec les valeurs démocratiques que le techno-bureaucratisme comme fondement de l’autorité.

Il apparaît dés lors que les absolutismes qui se fondent sur la  compétences ou sur la magie de l’acte de décision participent toutes deux de l’effort du détenteur du pouvoir pour accroitre sa capacité à gouverner.

Tous deux tendent à annuler le pouvoir de l’opinion publique, soit au profit des technocrates, soit au bénéfice du chef charismatique, en écartant le recours à une consultation démocratique de l’opinion.

Ce penchant à écarter le peuple de la décision trouve son origine soit du côté de l’absolutisme des compétences, qui prétend  que seuls les experts possèdent l’autorité requise pour apprécier avec justesse les contraintes objectives qui dictent les choix politiques, soit du côté de l’absolutisme de la décision qui soutient que seul le chef dispose d’une perception aussi mystérieuse qu’irrationnelle pour déterminer avec autorité ce qui doit être fait.

Dans ces deux perspectives, le pouvoir ôte toute légitimité au modèle démocratique et le remet à une élite.

Cette logique convergente de l’expert et du leader anti-démocratique conduit à  deux interrogations successives posées par Habermas :

Si l’idée d’une rationalité du pouvoir apparaît comme une illusion, n’est-ce pas parce que la seule figure envisageable de la raison est celle de la raison scientifique ?

Et si l’on fait appel à une raison non scientifique, quelles devraient être les « procédures raisonnables » mais non scientifiques, qui permettraient de trancher les questions soulevées par le gouvernement d’une organisation et à fortiori d’une société, qui dépassent les compétences des experts et qui ne s’en remettent pas à l’intuition d’un chef ?

 

Nécessité de l’autorité, déficience des experts, méfiance des chefs charismatiques, voici donc le pouvoir à la recherche d’une autorité raisonnable pour trouver la force d’agir.

 

 

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